B. LE POINT DE VUE DES GÉNÉRATIONS NÉES JUSQU'À LA FIN DES ANNÉES 50

Les baby-boomers considérés comme une génération « chanceuse » et « choyée » ne se reconnaissent généralement pas dans ce tableau accusateur qui est fait d'eux. Ils ont tendance à souligner que :

- Ils ont joué sans discussion le jeu de la solidarité intergénérationnelle ; ils ont cotisé et exercent actuellement des droits sociaux légitimes ; ils ont également accepté des ajustements du Pacte intergénérationnel qui sont allés dans le sens de leur contribution accrue au financement du système (CSG) ;

- Ils refusent d'être dépeints comme des privilégiés. Ils ont travaillé et investi pendant leur vie active en bénéficiant eux-mêmes de peu de prestations versées par leurs ainés. Par ailleurs, la vision rétrospective des Trente Glorieuses leur semble, sans doute à juste titre, idéalisée a posteriori. Ils ont connu un temps de travail quotidien et hebdomadaire beaucoup plus lourd que les générations actuelles ; ils ont bénéficié d'une durée des congés payés bien plus faible. Ils sont aussi une grande majorité à avoir commencé à travailler très jeunes en raison d'une scolarité bien plus brève qu'aujourd'hui. Quant à leur niveau de vie et de confort, bien qu'il fût alors fortement croissant, il n'en était pas moins très sensiblement plus faible que celui des jeunes d'aujourd'hui. Quant à l'environnement historique, il n'était pas irénique : les jeunes Français d'alors ont vécu la guerre d'Algérie et la Guerre froide ;

- Ils sont très inquiets par rapport au financement de leur dépendance ;

- Ils jouent un rôle crucial, mais encore mal mesuré, dans la solidarité intergénérationnelle à travers des transferts familiaux et leur implication dans le monde associatif, comme on le verra plus loin en détail ;

- Enfin, on retrouve parmi eux de grandes disparités de revenu (nombre de petites retraites, minimum vieillesse) et de patrimoine (un quart des plus de 70 ans ne sont pas propriétaires de leur logement ; les propriétaires dans les zones rurales et périurbaines en déprise démographique voient même la valeur de leur patrimoine immobilier s'effondrer).

C. UN DÉBAT SUR L'ÉQUITÉ INTERGÉNÉRATIONNELLE À LA FOIS LÉGITIME ET IMPOSSIBLE À TRANCHER OBJECTIVEMENT

Le contexte global ayant beaucoup changé depuis les Trente Glorieuses, il est donc normal que les différentes générations s'interrogent pour savoir si le bilan du fonctionnement du Pacte, pour ce qui les concerne, est juste et équilibré. À vrai dire, c'est l'absence de débat qui serait étonnante ! Un tel questionnement n'est pas en soi le symptôme d'une crise : il est intimement lié à la logique de réciprocité différée du Pacte.

Comme on l'a vu, de nombreux éléments objectifs et chiffrés montrent que, si aucune génération n'est véritablement « sacrifiée », certaines ont une situation et des perspectives suffisamment incertaines pour que leurs inquiétudes soient prises en compte. En particulier, si l'on adopte le point de vue des générations d'âge intermédiaire, qui contribuent lourdement au financement, ou celui des jeunes, dont les conditions d'accès au logement et à l'emploi sont très difficiles, le caractère équitable du Pacte constitue un vrai sujet d'interrogation.

Si les données chiffrées sont des pièces essentielles au débat, il n'y a cependant aucun critère objectif et indiscutable pour dire quelle est la « juste part » de chaque génération ou pour dire où devrait se situer le seuil entre le soutenable et l'insoutenable dans l'effort contributif :

- Les comparaisons transversales sont partielles et souvent trompeuses , comme l'illustre l'annexe 3 consacrée à la comparaison des niveaux de vie en fonction de l'âge ;

- Les comparaisons longitudinales , les seules qui permettent de dire ce qu'a donné et reçu une génération tout au long de sa vie, ne renseignent précisément que sur le passé, puisqu'on ne peut avoir une série de données complète sur une cohorte que lorsque celle-ci a disparu. Précieuses pour rectifier les conclusions hâtives qui découlent souvent des analyses transversales, ces comparaisons longitudinales trouvent vite leurs limites quand il s'agit d'analyser un Pacte intergénérationnel destiné à encadrer les transferts à venir, dont le montant et la répartition sont par définition incertains ;

- Enfin, les comparaisons entre générations ont tendance à gommer les inégalités intra générationnelles , qui sont pourtant considérables. Elles ont tendance à gommer aussi d'autres clivages au moins aussi essentiels que les oppositions de générations (en termes de territoires, de genres, de diplômes, de CSP, de revenus, etc.).

Il ne faut donc pas attendre des sciences sociales qu'elles tranchent un débat qui reste foncièrement politique. Placer le curseur entre lutte contre les inégalités et recherche de l'efficacité économique, ou entre lutte contre les inégalités d'âges, de genre ou de classe, relève du politique - tout comme fonder un pacte sur un pari économique de long terme.

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