EXAMEN EN DÉLÉGATION

M. Michel Magras, président . - Mes chers collègues, nous voilà ensemble ce matin pour examiner le rapport d'information sur le sport dans les outre-mer élaboré par nos collègues Catherine Conconne, Gisèle Jourda, Viviane Malet et Lana Tetuanui, et pour lequel nous nous sommes réunis à de nombreuses reprises l'an passé.

Catherine Conconne n'est pas parmi nous : elle a considéré devoir honorer l'invitation du maire du Lamentin qui laisse son siège à son premier adjoint aujourd'hui.

Je vous rappelle que le choix de ce sujet sur le sport a été fait alors que Paris a été choisie pour accueillir les Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et qu'il faut veiller à ce que nos outre-mer s'inscrivent bien dans la stratégie nationale, contribuent à sa dynamique et puissent bénéficier des retombées. L'examen de la mission sport du projet de loi de finances le 29 novembre prochain nous offre une occasion d'entrer dans le vif du sujet car, à quoi bon se fixer des objectifs ambitieux si l'on ne se donne pas les moyens de les atteindre ?

Avant de céder la parole à nos rapporteures, Gisèle Jourda reprenant la partie de présentation qui aurait dû être faite par Catherine Conconne, je souhaite simplement rappeler quelques données relatives à notre démarche en soulignant le caractère particulièrement étayé des investigations menées. Celles-ci nous ont en effet conduits à tenir près de 90 heures de réunion si l'on inclut l'ensemble des rencontres et visites effectuées lors du déplacement en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane. Outre ce déplacement, et avec toujours la préoccupation d'être à l'écoute au plus près du terrain, nous avons réalisé 7 visioconférences avec les territoires. Au total, le travail réalisé s'appuie sur des témoignages recueillis auprès de plus de 300 interlocuteurs.

En tant que président et en l'absence de rapporteur coordonnateur sur ce rapport, je voudrais en préambule brièvement rappeler dans quel cadre normatif et institutionnel le sport s'épanouit dans nos territoires.

Dans le droit commun, la compétence normative est attribuée à l'État, mais le développement du sport est bien du ressort de l'ensemble des collectivités locales : communes, départements et régions agissent concurremment, sans que la loi NOTRe n'ait désigné de collectivité cheffe de file.

Ceci est valable dans les cinq départements d'outre-mer - la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, La Réunion et Mayotte - mais également dans les collectivités de l'article 74 du bassin Atlantique, Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, où les lois organiques n'ont pas prévu de transfert. Si la compétence est locale, l'État demeure cependant un acteur pivot du développement du sport, dans l'hexagone comme outre-mer, notamment au regard du coût des infrastructures que les collectivités ne peuvent souvent pas assumer seules. C'est le ministère des sports et particulièrement son bras armé le Centre national pour le développement du sport (CNDS), bien connu de nous tous, qui appuie la politique sportive de l'État, relayé dans les territoires par les directions de la jeunesse et des sports.

Dans les trois territoires du Pacifique que sont la Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et les îles Wallis et Futuna, la compétence est transférée. Des équivalents au code du sport national ont été produits, dont l'esprit et la structure reprennent l'essentiel du droit commun.

Pour ce qui est des disciplines, le paysage sportif ultramarin, vos rapporteures y reviendront, est marqué par le dynamisme de sports collectifs comme le football ou le volleyball - comme dans l'hexagone. Pour les sports individuels, l'athlétisme est fortement présent dans différents territoires, notamment les Antilles, quand les arts martiaux sont parfois très développés comme à La Réunion. La forte présence de sports marins, notamment la voile, le surf et le va'a dans le Pacifique, nous rappellent que nos territoires sont, presque tous, insulaires. Et le dynamisme des sports de nature prouvent une fois encore la richesse environnementale des outre-mer.

Sur la base de ce paysage sportif, vos rapporteures ont dressé un certain nombre de constats et sont parvenues à formuler 30 propositions autour de 4 axes : la pratique sportive ; les équipements sportifs ; le haut niveau et le rayonnement de nos territoires.

Prendront ainsi successivement la parole Viviane Malet, Gisèle Jourda, Lana Tetuanui puis à nouveau Gisèle Jourda.

Mme Viviane Malet, co-rapporteure . - Comme l'a annoncé le président Magras, je m'attacherai ici à vous présenter nos conclusions en matière de pratique sportive, d'accès au sport pour tous et aux moyens de celle-ci : associations et encadrants sportifs.

Le président le disait, le sport est une compétence partagée entre les collectivités, mais dont l'exercice doit être coordonné. Dans le cas des Îles du Nord, l'existence d'une collectivité assumant les compétences de la commune, du département et de l'État garantit la cohérence et offre l'avantage d'un interlocuteur unique pour l'État ! Dans les autres collectivités, une coordination efficace doit être la règle, c'est l'esprit des « schémas de développement du sport » établis à l'échelle des territoires. Nous appelons à les mener à terme, lorsqu'ils n'ont pas encore abouti, puis à les faire vivre et les actualiser dans la durée (recommandation n° 1). Cette démarche doit être inclusive : elle doit mobiliser le mouvement sportif, incontournable, mais aussi des acteurs économiques et sociaux.

Nous appelons également à aller plus loin à l'issue de ces schémas : il est nécessaire que des objectifs clairs soient définis et contractualisés entre les différents acteurs, pour en garantir le financement réel et l'efficacité de la démarche (recommandation n° 2).

J'évoquais le mouvement sportif. Nous avons rencontré des représentants de clubs, ligues, comités, fédérations, locaux et nationaux, à Paris comme dans les territoires. Ce mouvement sportif, foisonnant, est un pilier du sport. Cependant, nous l'avons vu, si les structures locales sont très engagées dans le développement du sport sur nos territoires, la prise en compte des outre-mer est très inégale au niveau national selon les disciplines.

Le comité national olympique et sportif a, à ce titre, établi une convention avec le ministère des outre-mer, et certaines fédérations ont désigné des responsables du développement de leur discipline outre-mer, comme la fédération d'athlétisme. Des sports comme le surf, que je connais bien à La Réunion, ont également une forte implication outre-mer. L'engagement des fédérations à développer leur discipline dans les territoires doit être renforcé : nous proposons la systématisation de référents outre-mer dans la direction des fédérations nationales (recommandation n° 3).

La pratique sportive, c'est, avant tout, le « sport pour tous ». Les chiffres semblent sur ce plan préoccupants. Nos territoires comptent sensiblement moins de licenciés que la moyenne hexagonale : 23,9 % de moyenne pour l'hexagone contre 15,1 % pour la Martinique ou même 11,2 % pour Mayotte. Saint-Pierre-et-Miquelon fait figure d'exception avec un taux de 42,6 % ! Il faut agir sur ce point au-delà des schémas de développement du sport : la licence, trop onéreuse pour une partie de la population, est souvent inaccessible. Nous voulons développer les dispositifs de « pass sport » pour les jeunes et faciliter l'accès à la première licence comme cela a pu être fait à l'initiative du département de la Guadeloupe (recommandation n° 4).

Mais la pratique sportive s'appuie sur une dimension humaine qui est centrale. Pour faire vivre le sport dans nos territoires, il faut des associations, des bénévoles. Pour faire vivre le sport dans nos territoires, il faut des encadrants, des entraîneurs, des formateurs qualifiés. C'est aujourd'hui l'ensemble du tissu sportif et du maillage associatif qui est menacé dans les outre-mer, alors qu'il est au coeur du « sport pour tous ».

À La Réunion, la « fête du sport » organisée en septembre a été boycottée à l'appel du mouvement sportif du département, pour alerter sur la fragilité de la situation dans nos territoires.

Je commencerai par le monde associatif. Nous avons tous été élus locaux, nous connaissons le tissu associatif de nos territoires. Nous savons l'engagement quotidien, soir et week-ends, de nombre de nos concitoyens qui tiennent à bout de bras des associations, clubs, ligues et comités sportifs locaux. Ces structures ont souvent des permanents mais reposent, pour beaucoup, sur du bénévolat.

Nous n'oublions pas ces éléments essentiels. Aussi, nous demandons le maintien d'emplois aidés dans les outre-mer, ils sont vitaux pour le monde associatif. Je me permets de faire une parenthèse sur les événements qui secouent aujourd'hui La Réunion où le préfet vient de décider de la mise en place d'un couvre-feu. Les emplois aidés, particulièrement dans le domaine du sport, étaient une « soupape » salvatrice, véritable outil social. Il faut soutenir les emplois aidés si menacés, mais il faut aussi faciliter les démarches et le dynamisme des associations : nous proposons que chaque territoire dispose d'un guichet unique d'information et de ressources. Nous souhaitons enfin que les bénévoles puissent être mieux formés, notamment sur les tâches administratives qu'ils ont à assumer (recommandations n° 6 et 7).

La pratique sportive, c'est encore et surtout des encadrants, indispensables. Or les emplois sportifs sont aujourd'hui menacés. Il en va de la survie du sport dans nos territoires, de la qualité et du niveau des disciplines pratiquées : les emplois CNDS doivent être préservés (recommandation n° 5), notamment les emplois de conseillers sportifs. Mais il faut dans le même temps développer la formation dans nos territoires pour accroître le nombre d'encadrants dans une grande diversité de disciplines : il faut pouvoir former dans nos territoires et les brevets professionnels doivent être développés (recommandation n° 8). La Polynésie, autonome sur ce sujet, a ainsi mis au point différents brevets pour répondre à ce défi majeur du manque d'encadrants dans le pays.

J'en viens enfin aux enjeux majorés du sport pour tous dans nos territoires en termes de cohésion sociale, pour laquelle le sport et la pratique sportive sont riches de potentialités.

Nous le savons, nos territoires connaissent des taux de prévalence de maladies chroniques, notamment diabète et obésité, bien plus élevés que la moyenne nationale. Le sport santé est une priorité et nous appelons à des déclinaisons territoriales de stratégies en ce sens (recommandation n° 9) mais aussi un engagement des ligues territoriales sur ce sujet, afin de faire du sport une pratique réellement accessible.

Le sport est aussi un vecteur de lien social fort. Dans des territoires où le chômage des jeunes est si élevé, où la déshérence et le décrochage sont des réalités, le sport est un outil d'action en faveur de l'insertion sociale. Cela est d'autant plus vrai dans les territoires comme la Guyane et Mayotte à forte croissance démographique où la part des jeunes est structurellement très importante.

Le délégué interministériel à l'égalité des chances, Jean-Marc Mormeck, nous l'a redit en prenant exemple sur son expérience personnelle. Nous l'avons vu, à Marie-Galante avec Victoire Jasmin, au CISMAG. Je le vois, dans mon territoire, avec l'action au quotidien des CCAS avec lesquels j'ai pu travailler.

Parler de cohésion sociale, c'est aussi parler de développement économique. Je terminerai sur la pratique sportive en soulignant le fait que le sport est un appui fort au développement du tourisme dans nos territoires, particulièrement le tourisme « vert et bleu », autour des disciplines de sport nature, sur le Piton de la Fournaise par exemple, comme des disciplines marines comme le va'a, chère Lana !

C'est un véritable effort collectif qu'il faut soutenir et auquel il faut donner les moyens dans nos territoires, pour que l'élan sportif de ceux-ci ne soit pas brisé. Mais il faut aussi des équipements pour cette pratique, et je laisse la parole à Gisèle Jourda sur ce point.

Mme Gisèle Jourda, co-rapporteure . - Les équipements sportifs dans les territoires ultramarins sont représentatifs de la situation et des défis communs à ces territoires en matière d'infrastructures : les difficultés structurelles liées à la configuration des territoires, mais aussi au climat et aux risques naturels, se retrouvent ici encore et de façon criante.

La couverture en équipements sportifs est rendue difficile par la géographie même des territoires. Dans le cas des archipels, parfois très étendus - je pense à la Polynésie française - il est extrêmement difficile d'assurer une proximité des équipements et, surtout, une diversité de ceux-ci. La multi-insularité de la Guadeloupe est un autre exemple, comme nous l'avons vu à Marie-Galante : la dispersion géographique de la plupart des territoires ultramarins pose la question de l'accessibilité des équipements quand ils existent. La question se pose de la même façon dans des régions continentales reculées de la Guyane, comme Papaïchton.

De la même manière se pose le problème de la « masse critique ». Pour nombre de territoires ou parties de certains territoires, la faible démographie est un frein au développement des équipements ou, encore une fois, à l'existence d'équipements permettant une réelle variété de disciplines. J'insiste sur la nécessité de pouvoir permettre aux jeunes d'avoir accès à une diversité de disciplines et ainsi choisir le sport qu'ils aiment.

Mais les territoires ultramarins voient dans le développement de leurs équipements des difficultés aussi liées aux situations climatiques qu'ils connaissent. Les climats équatoriaux ou tropicaux de la quasi-totalité des territoires et les conditions climatiques parfois extrêmes, comme dans le cas de cyclones, conduisent à un vieillissement accéléré des équipements. Surtout, quand des solutions existent pour accroître la résistance face aux aléas et la longévité des équipements, à l'instar des matériaux particuliers utilisés pour les cuves de bassins extérieurs ou pour les pistes d'athlétisme, ils occasionnent des surcoûts conséquents.

Si les difficultés sont réelles, le nombre d'équipements est aujourd'hui largement insuffisant, largement en deçà des besoins : les outre-mer connaissent une sous-dotation massive en matière d'équipements sportifs. Les chiffres sont sans appel. En moyenne, les territoires ultramarins ont un ratio du nombre d'équipements par habitant inférieur d'un tiers à la moyenne nationale. Alors que le ratio pour 10 000 habitants est de 53,7 au niveau national, ce chiffre tombe à 31,6 en Guadeloupe, 15,5 à Mayotte et même 7,6 à Saint-Martin. Seul Saint-Pierre-et-Miquelon se démarque, comme sur la pratique sportive, avec un ratio élevé : 62,7.

Derrière ces chiffres éloquents, il faut avoir plusieurs choses à l'esprit. Premièrement, un ratio n'intègre pas la diversité des disciplines. Ainsi, le ratio d'équipements de Marie-Galante est plus élevé que celui de la Guadeloupe en général, mais la diversité de disciplines praticables sur place sans prendre le bateau est bien plus faible. Aussi, la fréquence et la disponibilité des liaisons obligent souvent les jeunes qui participent à des compétitions à partir très tôt le matin ou à décaler leur retour au lendemain, engageant ainsi des frais supplémentaires d'hébergement.

Deuxièmement, un faible ratio ne peut pas se compenser, comme dans un département hexagonal, avec la proximité d'un territoire mieux doté ou d'une grande métropole : les territoires ultramarins sont tous dans une situation d'isolement géographique.

Enfin, ce chiffre est une approche purement quantitative : parmi ces équipements déjà peu nombreux, combien sont en état de fonctionner pleinement ? Combien de pistes d'athlétisme encore viables ? Quel accès à l'apprentissage de la nage, dans des territoires pourtant tous bordés d'eau ?

Face à ces constats, nous appelons à plusieurs choses :

- renforcer la définition de schémas d'équipements au niveau territorial et infra-territorial (recommandation n° 13) ;

- développer le recours à des infrastructures modulaires et mobiles, permettant de s'adapter plus facilement aux aléas en étant démontables et transportables, et ainsi couvrir plus facilement certaines zones, même de manière temporaire (recommandation n° 10) ;

- assurer la présence d'équipements permettant l'apprentissage de la nage, réelle priorité relayée par les territoires (recommandation n° 12) ; sur ce sujet aussi, notre surprise a été grande.

Le constat d'un déficit patent d'équipements est connu. Une mission d'inspecteurs généraux (IGA-IGJS) de 2016 l'avait déjà mis en évidence et les élus locaux le signalent régulièrement, relayés par l'Association nationale des élus en charge du sport (ANDES). C'est d'ailleurs à l'issue de ce rapport de 2016 que le ministre des sports, Patrick Kanner, avait décidé de la mise en place d'un plan de 80 millions d'euros sur quatre ans, pris en charge à parité entre le ministère des outre-mer et le ministère des sports.

Si la dualité des modalités de mobilisation - avec des calendriers et conditions d'éligibilité distinctes entre les deux ministères - ont complexifié les dossiers, l'engagement financier a cependant été respecté la première année : 20 millions d'euros ont été engagés, grâce à un effort conséquent du ministère des sports via le CNDS et ce malgré une nette sous-mobilisation du fonds exceptionnel d'investissement du ministère des outre-mer.

Mais en 2018 les crédits ont fortement chuté : sur l'engagement annuel de 20 millions d'euros, la réalisation devrait être à peine supérieure à 12 millions d'euros. Le rattrapage est nécessaire et urgent. Cette demande a été formulée par l'ensemble des interlocuteurs.

Le Gouvernement, dans le cadre du Livre bleu outre-mer, annonce un engagement de 56 millions d'euros sur 4 ans, soit 7 millions d'euros pour chacun des deux ministères chaque année. Nous appelons à ce que cet engagement soit réellement respecté et non diminué ou étalé sur une plus longue période. Surtout, il semble nécessaire de contractualiser celui-ci avec chacun des territoires pour assurer une prise en compte de chacune des collectivités selon ses besoins (recommandation n° 14).

Mais il faut aussi considérer la gestion de ces équipements, l'entretien et la maintenance - postes de dépenses importants - une fois ces équipements construits ou rénovés. Souvent les collectivités, particulièrement les communes, n'ont pas les moyens d'assumer seules ces charges, surtout dans le cas d'équipements de grande taille à vocation territoriale et non communale. Nous proposons ainsi que des partenariats de gestion d'équipements soient conclus entre les collectivités locales pour les équipements structurants (recommandation n° 11).

Il est également important que les fédérations nationales s'engagent tant dans les investissements que les frais de gestion des équipements sportifs dans les territoires (recommandation n° 15).

Il nous faut aujourd'hui soutenir un rattrapage urgent en termes d'équipements sportifs : celui-ci doit être massif mais structuré, organisé et, surtout, durable. Il est indispensable à la pratique du sport pour tous mais est aussi un préalable incontournable au développement du haut niveau, que va aborder maintenant ma collègue Lana Tetuanui.

Mme Lana Tetuanui, co-rapporteure . - Le Congrès des maires qui se tient actuellement et les élus locaux avec qui nous parlons nous rappellent l'importance de ce sujet. Je souhaite à nouveau excuser mon absence durant le déplacement aux Antilles et en Guyane, retenue par des échéances électorales dans mon pays.

Je m'attacherai ici à traiter la question du haut niveau. On dit souvent de nos territoires qu'ils sont des « terres de champions ». Oui ! Et pourtant, le parcours d'un sportif ultramarin est un parcours d'obstacles ! Je tiens à saluer la volonté des sportifs, la solidarité des familles et les collectivités qui soutiennent les champions. S'il fallait attendre Paris, nos sportifs n'auraient pas l'accompagnement qu'ils méritent.

Nos territoires sont très bien représentés dans le sport de haut niveau. Si l'on regarde les Jeux olympiques et paralympiques de Rio en 2016, 12 % de la délégation française étaient issus des outre-mer, alors que les outre-mer représentent 4 % de la population française et 18 des 96 médaillés olympiques, - soit 19 % - étaient issus de ces territoires.

Si l'on observe les résultats dans d'autres grandes compétitions, nos territoires sont là encore sur les podiums : les équipes de football dans les Amériques avec la CONCACAF, les territoires de l'océan Indien dans les Jeux des îles et, je ne peux vous le cacher, la Polynésie française dans les derniers championnats du monde de va'a ! Personne pour l'instant ne les bat !

Si l'on prend comme critère les listes nationales, le taux de sportifs ultramarins est équivalent à la moyenne nationale, et ce en dépit des nombreux handicaps structurels dans l'accès au haut niveau.

Cependant, plusieurs intervenants ont fait état d'une perte de vitesse et alerté sur la baisse globale de niveau qu'ils anticipent : c'est le cas dans l'athlétisme aux Antilles, où la fédération française a missionné Guy Ontanon pour redynamiser la discipline au niveau local. Cette prise de conscience doit être large alors que la France se prépare pour les Jeux de Paris 2024.

Le premier obstacle pour nos jeunes dans l'accès au haut niveau est le déficit de structures dédiées. Sur 11 territoires ultramarins, on compte seulement deux CREPS, qui sont pourtant les structures les plus reconnues pour le développement du haut niveau dans les territoires. Surtout, ces deux CREPS qui ont vocation à rayonner sur leur bassin océanique, Antilles-Guyane pour le CREPS de Guadeloupe et océan Indien pour La Réunion, ne couvrent en réalité qu'essentiellement leur département, laissant de côté Mayotte, la Martinique et la Guyane. Ces deux structures n'atteignent évidemment pas le bassin Pacifique.

Certains territoires ont mis au point des structures propres pour mieux organiser le sport, notamment le parc d'équipements, et disposer de capacités d'hébergement et d'accueil de missions d'expertise ou de pôles : c'est le cas de l'IFAS, en Guyane, que la délégation a visité lors de son déplacement, c'était en partie l'ambition de l'IMS à la Martinique, c'est la vocation du CISE en Nouvelle-Calédonie. Les résultats sont mitigés : ces structures méritent d'être accompagnées dans leur développement du haut niveau pour pallier les absences de CREPS (recommandation n° 17). Il faut que, dans chaque territoire, une structure puisse être le fer de lance du sport de haut niveau et intégrer la dynamique nationale du Grand INSEP.

Mais il faut également que les différentes structures de chaque territoire se coordonnent davantage et qu'une réelle coopération et structuration du haut niveau se fasse au niveau de chaque bassin océanique (recommandation n° 18).

Au plus près des territoires, il faut faciliter l'accès aux structures de la performance : je pense ici notamment au milieu scolaire. Il est nécessaire d'étendre l'accès au haut niveau aux filières professionnelles et de développer les aménagements du temps scolaire dans chaque territoire. Le sport ne doit pas non plus exclure les jeunes en situation d'échec scolaire : il faut que les talents sportifs puissent être valorisés et servir aussi de « deuxième chance » dans certains cas de situation scolaire difficile (recommandation n° 16).

Le développement de la performance repose, pour beaucoup, sur l'action des fédérations. Il est primordial de veiller à ce que nos territoires et leurs spécificités soient mieux pris en compte - je dirais même « enfin » pris en compte - par les fédérations nationales dans les plans de performance fédéraux (recommandation n° 19). C'est un vrai parcours du combattant !

On constate l'absence de pôles majeurs dans les outre-mer. Ils sont pourtant déterminants dans la structuration du haut niveau, particulièrement dans l'accession au haut niveau. Il faut renforcer les pôles dans les outre-mer. Conscientes du potentiel de nos jeunes mais aussi des lacunes criantes des structures existantes, certaines fédérations ont mis en place, notamment dans les territoires non dotés de CREPS, des « pôles outre-mer ». Ces structures fonctionnent : elles sont une première marche pertinente dans l'accession au haut niveau, il faut les développer (recommandation n° 20).

Je vous parle de formation et d'entraînement mais, vous le savez, la confrontation est un préalable incontournable à la montée en performance. L'éloignement, la taille de nos territoires et leur isolement parfois n'offrent pas de possibilités de confrontation suffisantes pour nos jeunes. La mobilité est une nécessité, mais celle-ci passe souvent par l'avion et est onéreuse. Les organisations sportives et les sportifs n'ont souvent pas les moyens d'assurer financièrement ces frais impératifs et il est fréquent que les familles se saignent pour offrir une chance aux enfants.

Le FEBECS existe, dédié à la mobilité dans les domaines éducatif, culturel et sportif depuis la LODEOM. La Nouvelle-Calédonie, avec le « protocole sport », et la Polynésie française, avec une dotation spécifique, ont un dispositif équivalent.

Mais les crédits dédiés au FEBECS et équivalents n'ont cessé de décroître, et ce malgré le renfort récent du ministère des sports. L'enveloppe FEBECS doit être mieux calibrée et pérenne (recommandation n° 22). La ministre des outre-mer s'est engagée à le porter à 2 millions d'euros en 2019 : nous verrons si l'engagement est respecté au-delà de la discussion budgétaire. Il est vital que nos sportifs puissent participer aux compétitions nécessaires au développement de leur niveau.

Le secteur privé doit être davantage mis à contribution au niveau territorial dans l'accompagnement des sportifs. Il faut encourager le sponsoring auprès des acteurs économiques et, pourquoi pas, envisager des « parrainages de champions » dans les territoires (recommandation n° 23).

Tirant les conséquences de ces mêmes freins à la mobilité et de l'impossibilité de participer à de nombreuses compétitions nationales, il est également nécessaire de permettre l'accès à des niveaux de compétition pour les sportifs et équipes ultramarins dans des conditions aménagées (recommandation n° 21). Des dérogations sont possibles : c'est déjà le cas dans le football avec l'accès au 7 e tour. Il faut que les fédérations tiennent compte, là encore, des spécificités dans l'organisation et les étapes des compétitions et championnats.

J'en viens enfin à l'accompagnement de nos sportifs. Il est indispensable. Pour nos jeunes ultramarins, il est particulièrement délicat, notamment dans le cas de départ de leur territoire d'origine.

Les chiffres et la structuration des listes de haut niveau le montrent : les sportifs de haut niveau de nos territoires quittent nos pays quand ils atteignent de plus hauts niveaux de performance, car les structures locales ne sont pas suffisamment armées pour les accueillir, les former et continuer de les faire progresser. Laura Flessel le décrivait pour son cas personnel, et ce schéma se retrouve souvent : les sportifs prometteurs partent se former dans l'hexagone.

Ce départ doit être réfléchi, préparé, mesuré. Mais, surtout, il est primordial qu'une fois dans l'hexagone nos jeunes soient suivis et accompagnés. Nous avons vu à l'INSEP les efforts dispensés et la préparation qui est prodiguée, notamment à l'égard des ultramarins, dont les spécificités sont identifiées. La prise en compte du changement d'environnement, du « déracinement » doit être mieux intégrée par les structures de haut niveau de l'hexagone (recommandation n° 24). Il faut aussi que nous développions les opportunités de retour au pays de nos champions, afin que ceux-ci fassent vivre le sport dans nos territoires.

Les Jeux de Paris auront lieu dans moins de 6 ans. Si nous voulons que les outre-mer soient représentés à hauteur de leurs talents, il est urgent de donner l'élan nécessaire au sport de haut niveau ! Nos jeunes porteront haut les couleurs de la France et de nos territoires !

Mais pour vous parler de rayonnement de nos territoires, je passe la parole à Gisèle Jourda.

Mme Gisèle Jourda, co-rapporteure . - Mon tropisme pour les affaires étrangères me porte à vous présenter la partie que nous avons consacrée au rayonnement national et international des territoires par le sport.

Les territoires ultramarins ont chacun leur identité propre, leur culture, leur patrimoine et leur histoire ; le sport en fait partie.

Je pense aux yoles et voiles traditionnelles dont nous avons entendu parler dans les Antilles, je pense au djokan en Guyane, issu des influences amérindiennes, je pense aux randonnées dans les cirques et sur le volcan à La Réunion, je pense au cricket en Nouvelle-Calédonie, mais je pense naturellement au va'a, la pirogue polynésienne, à Wallis-et-Futuna et surtout emblématique, chère Lana, de la Polynésie française.

Ces marqueurs sont forts et il faut les valoriser. Nous proposons ainsi que les disciplines sportives traditionnelles soient reconnues au sein du patrimoine immatériel de la France (recommandation n° 25).

Parler du potentiel des territoires ultramarins, c'est parler d'abord de nos sportifs qui les représentent.

Les statuts d'autonomie et le droit commun permettent des stratégies territoriales d'intégration régionale différentes. Les rattachements ou affiliations des fédérations aux structures nationales et internationales sont plus ou moins forts selon les disciplines et les territoires. Cela conditionne cependant souvent la capacité des sportifs à concourir tantôt sous la bannière de leur territoire, tantôt sous la bannière tricolore.

Nous encourageons les fédérations, dans le cadre de l'intégration régionale des territoires, à ouvrir aux sportifs ultramarins les possibilités de concourir sous bannière territoriale pour les compétitions régionales sans obérer les opportunités de jouer en défendant les couleurs nationales dans les compétitions internationales d'envergure mondiale ou olympiques (recommandation n° 26). Là aussi, les hexagonaux peuvent être surpris par le fait que la participation à des compétitions régionales puisse être incompatible avec une carrière nationale.

La visibilité des territoires par le sport passe, pour beaucoup, par les jeux ou compétitions régionaux qui se sont progressivement créés dans les différents bassins océaniques : la CONCACAF pour le football et les jeux de la CARIFTA pour l'athlétisme et la natation aux Antilles, les Jeux des îles et les Jeux des jeunes dans l'océan Indien, les Jeux du Pacifique.

Ces jeux ont acquis un ancrage très fort dans les différents bassins et sont des espaces de rencontre sportive mais aussi de représentation politique et, nécessairement, de « soft power ». Les territoires doivent être en mesure d'accueillir de tels jeux, qui sont de véritables leviers de dialogue et de coopération avec leurs voisins (recommandation n° 27).

Au-delà de l'accueil des compétitions, il est surtout important de soutenir la participation des jeunes sportifs à ces jeux. Cela recoupe le problème de la mobilité qu'évoquait Lana Tetuanui avec le FEBECS : il faut que le ministère des outre-mer, le ministère des sports mais également le ministère des affaires étrangères contribuent financièrement aux déplacements de nos sportifs qui, à travers leurs territoires, représentent aussi la France dans leur environnement régional (recommandation n° 28).

Si ces jeux sont des espaces de coopération, je le disais, ils sont cependant parfois des révélateurs de tensions diplomatiques. C'est le cas dans l'océan Indien où la participation de Mayotte aux Jeux des îles et aux Jeux des jeunes est récente, d'une part, et soumise à des conditions de représentation contraintes, d'autre part. Les discussions doivent être reprises, avec Mayotte, La Réunion et le Gouvernement, pour parvenir à une position française commune et engager avec les autres pays une réforme des chartes de ces deux compétitions. Il s'agit de permettre une participation apaisée de Mayotte en donnant à ce département la reconnaissance qu'il mérite (recommandation n° 29).

Au-delà des jeux régionaux, les territoires s'illustrent également dans des compétitions internationales qu'ils peuvent accueillir. Les grands événements sont des moments importants, à fort potentiel économique, et des leviers indéniables de visibilité et d'image pour les territoires. Le président Magras ne me contredira pas lui qui est féru de voile et ne manquera jamais les régates de Saint-Barth ! La Réunion est réputée pour son Grand Raid, la Guadeloupe a accueilli les huitièmes de finale de la Coupe Davis en 2016, mais surtout voit tous les 4 ans l'arrivée de la Route du Rhum, comme la semaine dernière ! Et je n'oublie pas les championnats du monde de va'a accueillis par la Polynésie française en 2017 et 2018. Nos territoires doivent être en capacité d'accueillir de grands événements.

Mais ils doivent également être en mesure de se positionner comme des « bases avancées ». Les expériences de la Nouvelle-Calédonie pour les Jeux de Sidney en 2000 et de la Guyane pour les Jeux de Rio en 2016 sont encourageantes. Ces opportunités sont autant de vecteurs pour structurer de réelles accélérations de la mise à niveau des parcs d'équipements mais aussi pour dynamiser le développement du sport dans les territoires.

À ce titre, nous appelons à inscrire réellement les outre-mer dans l'élan de Paris 2024 et dans l'héritage des Jeux. Il faut d'ici à 2021 que des équipements soient prêts dans les différents territoires pour accueillir des équipes des territoires voisins, leur offrir des opportunités de s'entraîner et faire des territoires ultramarins des « bases avancées de Paris 2024 » (recommandation n° 30) : les outre-mer doivent pouvoir être des étapes de préparation vers les Jeux de Paris, c'est l'ambition mobilisatrice que nous appelons de nos voeux !

M. Antoine Karam . - Lorsque l'on remettra ce rapport au Gouvernement, ministères des sports et des outre-mer, il va falloir se battre. « Guyane, base avancée », le projet que j'ai porté, n'aurait jamais été initié par le Gouvernement. Les moyens financiers manquent dans les collectivités ultramarines comme le met en lumière ces jours-ci le Congrès des maires. Or, les équipements sportifs sont coûteux et, si aucun accompagnement n'est réalisé par l'État, les collectivités sont dans une incapacité à construire et à entretenir ces infrastructures. Je tiens à souligner aussi les difficultés pour les collectivités à faire appel aux fonds européens pour financer les équipements sportifs qui n'y sont a priori pas éligibles. Pour le palais des sports de Cayenne, il a par exemple fallu mettre en avant l'utilisation des équipements par les scolaires en journée.

Mme Victoire Jasmin . - Je félicite l'équipe de rapporteures pour ce travail et souscris à ce que vient de dire Antoine Karam.

La proximité avec la mer est aussi facteur de risques. Nous le voyons à Marie-Galante avec les sargasses qui bloquent les accès aux équipements, d'une part, et accélèrent leur vieillissement par oxydation, d'autre part.

Il faut valoriser le sport dans les territoires et valoriser ceux qui le portent au quotidien, notamment les bénévoles dont vous parliez.

Je pense enfin à nos sportifs de haut niveau, la Guadeloupe en compte beaucoup avec le CREPS. Les jeunes s'entraînent dur avec des équipements qui ne sont souvent pas aux normes ou dans un état digne de leur engagement. J'espère que le Gouvernement entendra les conclusions formulées et soutiendra l'appel que nous lançons.

Gisèle Jourda évoquait les difficiles liaisons avec Marie-Galante : en effet, il faut partir la veille pour pouvoir participer aux compétitions d'athlétisme le matin en Grande-Terre ou Basse-Terre, quand les matchs de football obligent à un retour le lendemain. Cette situation est peu connue et je remercie la délégation d'être venue à Marie-Galante pour mieux comprendre les réalités de ce territoire.

Mme Viviane Malet, co-rapporteure . - Je reviens sur la question de l'accompagnement des jeunes alors que La Réunion est secouée par des violences urbaines impliquant souvent des enfants. Il est indispensable de soutenir un accès effectif des jeunes aux activités sportives et l'initiative du conseil départemental de la Guadeloupe de mettre en place un financement de la première licence pour les jeunes est à saluer. Il faut garantir un accès au sport pour les jeunes, nous parlions des bénévoles, oui, mais il faut également assurer que la pratique sportive soit encadrée et, pour cela, disposer d'encadrants formés.

Mme Vivette Lopez . - Je félicite à mon tour les rapporteures pour leur travail sur ce sujet important pour la jeunesse des territoires ultramarins.

Je suis étonnée par la situation de Saint-Pierre-et-Miquelon tant en ce qui concerne le fort taux d'équipement que l'important nombre de licenciés.

Il faut profiter de la dynamique des Jeux de Paris 2024 pour développer le sport dans nos outre-mer : il faut que ces jeux profitent concrètement à l'ensemble des territoires.

M. Michel Magras, président . - Gisèle Jourda y a fait référence, j'ai moi-même été engagé dans le milieu sportif, particulièrement la voile.

Je félicite à mon tour les 4 rapporteures pour ce travail formidable ; j'ai eu la chance de les accompagner et de toucher du doigt des problèmes que je ne connaissais pas si finement.

Je salue les recommandations formulées dans ce rapport qui sont concrètes et pertinentes et, si Antoine Karam a sans doute raison sur le fait qu'il faudra se battre, les obstacles ne me semblent pas insurmontables.

Je tiens enfin à souligner le potentiel économique que peuvent avoir les événements sportifs pour nos territoires : ils sont une clé pour le développement touristique, notamment des petites îles. J'ai eu l'occasion de le constater encore une fois la semaine dernière à Saint-Barthélemy avec le succès de la Cata-cup.

Il appartient désormais à chacun d'entre nous de porter les conclusions de ce rapport. La mission « sport » sera discutée en séance publique le 29 novembre prochain ; elle sera l'occasion d'intervenir et de relayer le travail de la délégation dont je suis particulièrement fier.

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La Délégation sénatoriale aux outre-mer a adopté le rapport à l'unanimité des présents.

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