DEUXIÈME PARTIE :
DÉVELOPPER UNE INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EN TOUS POINTS EUROPÉENNE

Après la publication de sa stratégie, la Commission européenne a entamé sa mise en oeuvre à la fin de l'année 2018. Elle a mis en place à l'automne un groupe d'experts à haut niveau réunissant 52 personnalités issues du monde académique, de la société civile et de l'industrie dans le but de réfléchir aux deux pans de son action : un plan d'action coordonné pour renforcer les capacités industrielles européennes et l'élaboration de lignes éthiques pour le développement de l'IA en Europe . Ce groupe a bénéficié de la présence de plusieurs experts français du numérique, de l'informatique et de la robotique, dont plusieurs ont été auditionnés par vos rapporteurs. Il doit rendre ses conclusions en mars 2019.

Parallèlement, la Commission européenne a fait de l'intelligence artificielle le principal bénéficiaire de la phase pilote du future Conseil européen de l'innovation . Elle a décidé d'affecter, au total, 1,5 milliard d'euros à l'IA au titre du programme-cadre de recherche et d'innovation actuel, Horizon Europe d'ici à 2020. Le 7 décembre 2019, la Commission européenne a présenté un plan coordonné dans le domaine de l'intelligence artificielle 5 ( * ) . Elle a en outre soumis les premières propositions du groupe de travail sur l'éthique à une consultation publique ouverte jusqu'au 18 janvier 2019.

Ces mesures ont donc été présentées avant même les conclusions définitives du groupe d'experts à haut niveau. Cette accélération s'explique par la nécessité de débloquer des fonds dès 2019 . La Commission européenne espère, en effet, entrainer rapidement les acteurs publics à investir dans l'IA pour un montant total de 20 milliards d'euros d'ici à 2020 . Étant donné l'ampleur et la mobilisation des financements en Chine et aux États-Unis, il est urgent d'agir. On peut donc saluer la mobilisation de la Commission européenne, qui ouvre la voie.

Le plan coordonné et les lignes éthiques viennent compléter un certain nombre d'actions engagées dans le cadre de la stratégie pour un marché unique numérique que la Commission met en oeuvre depuis 2015. Cet ensemble cohérent devrait permettre à l'Union d'être en capacité de développer l'intelligence artificielle en Europe.

I. LES DONNÉES : MATIÈRE PREMIÈRE DE L'IA AU CoeUR DE LA STRATÉGIE POUR LE MARCHÉ UNIQUE NUMÉRIQUE

Comme le dit le vice-président de la commission européenne pour le marché unique numérique Andrus Ansip, les données sont « la matière première de l'IA » . Et sur ce point, force est de reconnaître que l'Union européenne souffre d'un désavantage concurrentiel par rapport aux États-Unis et à la Chine . Les premiers, à travers les GAFAM, ont constitué un véritable trésor de guerre en recueillant les données des milliards d'utilisateurs des moteurs de recherche, des réseaux sociaux ou de sites de commerce en ligne à travers le monde et particulièrement en Europe. La seconde a internalisé ce modèle en s'appuyant sur l'importance de sa population.

Pourtant, l'Europe dispose encore de millions, voire de milliards de données existantes ou à venir . Forte d'un marché de 500 millions de consommateurs, de millions d'entreprises, de fichiers en tous genres (santé, administration, transports, objets connectés, etc...), l'Europe peut rivaliser avec ses concurrents mondiaux. Elle doit pour cela mettre ces données à disposition de la recherche et de l'innovation en intelligence artificielle . Or, c'est en partie le but des dernières législations adoptées par l'Union en la matière : le règlement sur la libre circulation des données à caractère non personnel et la directive sur la réutilisation des informations du secteur public . Ces deux textes vont favoriser le partage de données et leur exploitation. Ils viennent compléter le règlement général sur la protection des données à caractère personnel, le RGPD, qui garantit que les données sont transmises avec l'accord des personnes. On peut aussi y ajouter les règles et les normes en matière d'interopérabilité qui favorisent la circulation des données. Enfin, il faut insister sur les règles relatives à la cybersécurité qui imposeront une certification pour les objets connectés et les services qui seront mis sur le marché européen.

Cette législation constitue un cadre juridique à la fois protecteur du droit des personnes et favorable à l'économie de la donnée, à la source du développement de l'IA . Elle permet à la Commission européenne de proposer, dans le cadre de son plan coordonné, des espaces européens communs de données, conjointement avec les États membres. Ces espaces communs concerneront des secteurs aussi variés que l'industrie manufacturière, l'énergie et la santé. La Commission montre une certaine ambition sur ce dernier secteur, puisqu'elle veut soutenir la mise au point d'une base de données commune d'images médicales anonymisées, fondées sur le don des patients, afin d'améliorer le diagnostic et le traitement des cancers grâce à l'IA . D'une manière plus générale, la mise à disposition de ces données dans l'ensemble de l'Union entrainera l'IA sur une échelle qui permettra de développer de nouveaux produits et services.

En outre, la Commission déterminera avec les États membres des ensembles de données à forte valeur pour les rendre réutilisables. L'accord obtenu en trilogue le 22 janvier sur la proposition de directive sur la réutilisation des informations du secteur public définit six types de données à haute valeur : les données géospatiales, d'observation de la Terre et d'environnement, météorologiques, statistiques, les données concernant les sociétés et la propriété des sociétés, les données relatives à la mobilité. Il convient ici de pointer l'apport des données issues des programmes spatiaux européens pour l'observation de la terre (Copernicus pour aider l'agriculture, la lutte contre le réchauffement climatique et les catastrophes naturelles) et la géolocalisation (Galileo pour faciliter le déploiement des véhicules autonomes).

Au final, sur cette question des données, qui apparaissait comme le point faible de l'Union par rapport aux autres grands ensembles, la Commission met tout en oeuvre pour favoriser la circulation et l'exploitation des données en Europe. Toutefois, la question reste posée de la protection des données des Européens pour éviter leur captation par d'autres : il y a certes le piratage, mais il y a aussi la récupération que font aujourd'hui les GAFAM. Le rapport de Cédric Villani pose clairement la question du maintien et des données européennes dans l'Union et de la limitation de leur accès pour des entreprises qui ne seraient pas clairement en Europe . L'Union européenne devra peut-être se montrer plus ferme à l'avenir sur ce point.


* 5 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions « Un plan coordonné dans le domaine de l'intelligence artificielle », COM(2018) 795 final.

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