CLÔTURE

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Jean-Paul Delevoye, Haut-commissaire à la réforme des retraites

Jean-Paul Delevoye , haut-commissaire à la réforme des retraites . - Bonjour à tous. Merci Monsieur le Président Larcher, d'avoir pris cette initiative, merci aux représentants des partenaires sociaux et des caisses, et merci à vous tous.

Monsieur le président, vous évoquez la problématique de la confiance. Lorsque j'étais président du Conseil économique, social et environnemental, Pascal Perrineau, le Cevipof et moi-même nous étions associés pour réaliser un baromètre de la confiance. Plusieurs observateurs avaient alerté sur la chute brutale et rapide de la confiance envers les institutions.

La société se mobilise à présent non autour d'idéologies collectives mais de problèmes de survie du quotidien. La mobilisation de nos enfants sur les questions écologiques met en exergue la défaillance de la solidarité intergénérationnelle.

Dans ce contexte, j'ai fait le pari de l'intelligence collective, celle des citoyens, des partenaires sociaux, des parlementaires.

Dès le départ, nous avons indiqué qu'il était impensable de mettre en place un régime immuable mais de chercher un régime adaptable dans une période où personne ne peut prédire ni l'avenir ni l'impact des évolutions du monde du travail. Il reste clair que toutes les professions seront concernées par ces bouleversements.

L'ordonnance de 1945 disposait que « la sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu'en toutes circonstances, il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la volonté de débarrasser nos concitoyens de l'incertitude du lendemain . » (...) « Envisagée sous cet angle, la sécurité sociale appelle l'aménagement d'une vaste organisation d'entraide obligatoire, qui ne peut atteindre sa pleine efficacité que si elle présente un caractère de grande généralité à la fois quant aux personnes qu'elle englobe et quant aux risques qu'elle couvre ».

Ainsi, oui, actuellement, le système y satisfait ; mais demain ? Quelles réponses apporter à l'incertitude du lendemain ? Comment accompagner les citoyens dans les moments de fragilité, dans le chômage, le handicap, la maladie, la maternité, la vieillesse ?

Les jeunes générations refusent de cotiser pour un système auquel ils ne croient pas et revendiquent des dispositifs d'assurance individuels. Selon de nombreux universitaires, les cotisants ont désormais une approche de contribuables-consommateurs : la solidarité importe moins que le service qu'ils reçoivent.

Comment apporter une réponse collective à un moment où l'incertitude de l'avenir des professions peut remettre en cause la solidarité professionnelle ?

Plutôt que d'imposer nous souhaitons convaincre, en interpellant le monde du travail sur ses responsabilités.

Le système de retraite n'a pas pour but d'absorber les plans sociaux déguisés des entreprises ou de corriger des écarts de salaire entre les femmes et les hommes.

J'ai été très frappé par les inquiétudes actuelles du gouvernement anglais devant l'augmentation du nombre des entrepreneurs et la fragilisation du système de protection sociale que cette situation allait provoquer, cette forme de travail ne générant pas de droits.

Concernant la création d'un système universel de retraite, nous avons donc mis en place une méthode visant à ouvrir un dialogue constructif. Nous mobilisons de nombreuses intelligences administratives et universitaires et cherchons systématiquement à poser un diagnostic. Nous savions dès l'ouverture de la concertation que les organisations syndicales n'étaient pas demandeuses d'une réforme, comme elles l'ont rarement été dans le passé.

Je rends d'ailleurs hommage aux gouvernements précédents et à celles et ceux qui ont pris des décisions difficiles car ils ont contribué à l'équilibre du système. La seule réserve que j'émettrais sur ces réformes porte sur la dramatisation - sans doute nécessaire - qui les a accompagnées et qui à présent donne à croire, à tort, que le système actuel n'est pas solide.

Pourtant, il l'est !

Concernant l'âge légal de départ à la retraite, lors de la multilatérale du 10 octobre dernier, des engagements ont été pris et ils ne doivent pas être remis en cause. Si tel ne devait pas être le cas, j'en tirerais moi-même les conséquences...

Durant la concertation, tout pouvait être dit, entendu et remis en cause. Les partenaires sociaux ont usé à raison de ce dernier droit, créant ainsi des moments de très grande technicité, d'intelligence et de chaleur humaine. En effet chacun alors était porté par le sens de l'intérêt général, le sens de la République et le sens de la Nation.

Sur les questions d'âge, nous avons vu des réflexes budgétaires, plutôt dits de droite, consistant à repousser l'âge minimum légal de départ à la retraite, ou bien des réflexes considérés comme de gauche préférant l'augmentation de la durée de cotisation.

Actuellement, le calcul est basé, en référence au taux plein, sur la durée de cotisation et le salaire moyen. Ainsi, dans le système actuel, ceux qui n'ont pas suffisamment cotisé subissent la double peine de la proratisation et de la décote.

N'oublions pas la situation actuelle : après 50 ans et jusqu'au départ en retraite, près de la moitié des personnes connaissent au moins une fois une période significative de chômage, de maladie, d'invalidité ou d'absence du marché du travail ; 70 % des bénéficiaires du minimum contributif sont des femmes, 21 % des femmes travaillent jusqu'à 67 ans pour annuler la décote.

Nous avons pris la décision de conserver l'âge minimal à 62 ans pour éviter de déséquilibrer le système et pour éviter que des cotisants liquidant trop tôt ne touchent une retraite insuffisante. Nous réfléchissons donc à la mise en place, à titre incitatif, d'un système de majoration, qui ne pèserait pas sur la solidarité ni sur les générations futures. Le sujet de la reprise d'emploi après liquidation de la retraite, le cumul emploi-retraite, a également sera également abordé.

Depuis le mois d'octobre, nous avons travaillé sur les sujets de l'entrée en vigueur, de la conversion des droits, des carrières longues et de la pénibilité. Le régime universel est l'occasion d'intégrer de nouveaux droits, relatifs par exemple à la prise en compte de la pénibilité dans la fonction publique - un sujet que le monde du travail doit considérer dans son ensemble. La réforme est également l'occasion d'harmoniser les droits des travailleurs dans les secteurs publics et privés.

Après avoir posé ces principes, nous en évaluons les conséquences. Ainsi, dans le cas des enseignants, la réforme semble devoir s'accompagner d'une revalorisation salariale pour compenser l'absence de primes.

Le contrat de société entre générations que nous souhaitons proposer d'ici deux mois doit être transparent. Je souhaite que chaque acteur social et chaque citoyen puissent mesurer pleinement les conséquences des choix politiques, ce qui implique des clarifications sur la maquette budgétaire, les flux financiers et les sources de financement de la solidarité.

La confiance passera aussi par la responsabilisation. Ainsi, l'harmonisation du taux de cotisation entre le secteur privé et public devra apporter plus de transparence dans le budget de l'Etat et les sommes allouées, par ministère, à la masse salariale concernée et les compensations éventuelles en fonction des spécificités du métier.

Pour les professions régaliennes, militaires ou de sécurité, il existera nécessairement des spécificités et des dérogations.

La politique culturelle doit pouvoir afficher clairement la prise en charge de certaines cotisations au titre du soutien à la création artistique. Pour les journalistes, il existe des prises en charge de cotisation et des abattements d'assiettes dont la justification peut être questionnée. Toutes ces discussions doivent avoir lieu.

La confiance est intimement liée à la question de la gouvernance. Nous avons ainsi prévu deux séances avec les partenaires sociaux. Il est entendu que l'Etat ne peut pas se désengager d'une dépense représentant 14 % du PIB. Cependant, comme le système est fondé sur la contribution, il m'apparaît légitime que les partenaires sociaux soient responsabilisés. Le partage de responsabilités respectives entre l'Etat, le Parlement et les partenaires sociaux est aussi en discussion.

Au moment où nos concitoyens subissent une crise de confiance, nous avons besoin d'instances articulant démocratie participative et représentative et nous avons besoin de régulation.

Quelle place accorder alors aux citoyens ? La gouvernance du futur système doit-elle s'accompagner d'une instance d'évaluation indépendante comprenant des citoyens ?

Enfin, je n'ignore pas les préoccupations de ceux qui craignent que l'Etat draine leurs réserves. Peut-être peut-on mettre en place une surveillance pour garantir les droits acquis par le passé et justifier que ces réserves ne sont pas utilisées par l'État pour financer autre chose que les retraites ?

Je pose donc la question suivante : jusqu'où doit-on mettre le politique et jusqu'où doit-on éloigner du politique certaines décisions, pour faire en sorte que, demain, le système ne soit pas détruit par des populistes préférant mettre en danger un pacte intergénérationnel au profit de visées électoralistes ?

Je suis pour réhabiliter la controverse qui doit aboutir à l'intérêt général.

Il est donc extrêmement important de conserver un esprit de confiance, dans un moment où nos concitoyens, pour certains, se livrent à des actes de violence et de radicalisation.

Nous avons pour ferme intention de continuer à porter un pacte qui conçoit la retraite comme le reflet du travail et qui garantit la solidarité.

Je remercie toutes celles et tous ceux qui contribuent à cette réflexion par leur intelligence.

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