DEUXIÈME TABLE RONDE
DES MILIEUX ET DES ESPÈCES REMARQUABLES MAIS FRAGILES : QUELLES ACTIONS POUR RELEVER LE DÉFI DE LEUR PRÉSERVATION ?

De gauche à droite : Maurice Antiste, Sénateur de la Martinique et
Thani Mohamed Soilihi, Sénateur de Mayotte et Vice-président du Sénat

PROPOS INTRODUCTIF
Antoine KARAM,
Sénateur de la Guyane
(lu par Maurice ANTISTE, Sénateur de la Martinique)

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs,

Je vais vous lire l'intervention que mon collègue Antoine Karam devait présenter en ouverture de cette deuxième table ronde. Il a dû rentrer chez lui en Guyane précipitamment pour des raisons personnelles, et il m'a demandé de le remplacer. Les références de mon propos ne seront donc pas martiniquaises mais guyanaises.

« La Guyane constitue la plus grande réserve de biodiversité française - fait encore insuffisamment connu, me semble-t-il - et contribue largement au rayonnement scientifique de la France dans ce domaine. Je suis donc particulièrement heureux d'ouvrir cette deuxième table ronde intitulée « Des milieux et des espèces remarquables mais fragiles : quelles actions pour relever le défi de leur préservation ? » , qui vise un enjeu central de la Guyane. Comme pour les autres territoires du bassin Atlantique que nous étudions cet après-midi, les richesses naturelles sont certes remarquables, mais aussi très vulnérables. Je rappelle que la Guyane est couverte de forêts primaires sur plus de 90 % de sa superficie. Elle abrite plus de 5 500 espèces végétales, dont plus d'un millier d'espèces d'arbres, des centaines d'espèces d'oiseaux incluant une importante faune rapace, près de 180 espèces de mammifères, plus de 500 espèces de poissons, une centaine d'espèces d'amphibiens. En outre, on estime qu'une grande partie de sa biodiversité reste encore à découvrir.

Au-delà de ses atouts, la Guyane est devenue, au fil de la déforestation de la forêt amazonienne et de l'exploitation de zones toujours plus étendues, le symbole de la biodiversité à protéger, et en quelque sorte le poumon de la planète.

Au sein de l'Amazonie, qui s'étend sur huit pays d'Amérique du Sud, représente 6,5 millions de kilomètres carrés de forêt et compte 2 200 espèces animales, ainsi que 40 000 espèces végétales, la Guyane fait figure de vitrine européenne de la préservation de la forêt amazonienne. Cette forêt est, encore aujourd'hui, le domaine du jaguar, du puma, de la loutre géante, du singe-araignée, de l'anaconda, de l'aigle-harpie. Mais pour combien de temps encore ?

La Guyane est bien sûr aussi, une réalité humaine, avec ses spécificités. Sa population a été estimée à 270 000 habitants par l'Insee, mais nous savons bien qu'elle dépasse largement les 300 000 si l'on prend en compte l'immigration clandestine. Véritable creuset culturel où se mêlent les peuples amérindiens, bushinengués, créoles ou chinois, la Guyane est le carrefour de plus de cent nationalités, dont les rencontres sont à l'origine de métissages absolument uniques au monde. La population guyanaise se caractérise aussi par sa jeunesse. La moitié, âgée de moins de vingt-cinq ans, se trouve partagée entre une volonté de développement économique pour donner de l'emploi aux 45 % de jeunes actuellement au chômage, et la conscience de la nécessité de protéger un environnement encore bien préservé. Cette préoccupation était au coeur du protocole d'accord signé le 4 juin 1992 par les autorités de l'État, le président du conseil général de l'époque et moi-même, alors président de région. Cet accord a posé les bases du parc amazonien de Guyane.

Le parc naturel régional de la Guyane, crée à l'initiative de la région, traduit à la fois la reconnaissance de l'importance du patrimoine naturel, culturel et paysager des six communes couvertes, le souhait de créer un support pour préserver et valoriser ce patrimoine, et la volonté d'en faire un vecteur de développement économique. Sur ce territoire grevé par des difficultés socio-économiques importantes, le défi est d'engager et faire prospérer un développement économique vertueux, pour améliorer les conditions de vie des Guyanais tout en protégeant l'environnement. À la fois projet commun et boîte à outils de développement durable, le parc impulse ou mène des actions dans des domaines très divers : protection de la faune et de la flore, restauration du patrimoine rural, préservation des paysages traditionnels, promotion des économies d'énergie et des énergies renouvelables, éducation au territoire, valorisation de la forêt et du bois, promotion des savoir-faire et des produits locaux, tourisme durable etc...

Au fil des années, j'ai acquis la conviction qu'une stratégie articulée autour de la recherche, de la valorisation et de l'exploitation de nos ressources naturelles, réunit toutes les conditions pour faire de la Guyane un territoire attractif, véritable porte d'entrée de l'Union européenne sur le continent américain. Dans toutes mes fonctions comme conseiller municipal, conseiller général puis président du conseil régional, ma préoccupation a toujours été de donner de l'espérance à la jeunesse et de tourner le dos au système de l'assistanat et des transferts sociaux, qui génèrent de graves déséquilibres avec des effets terribles.

Je pense bien entendu au phénomène des mules, ces jeunes qui transportent chaque jour de la drogue jusqu'à Paris, parfois en ingérant au péril de leur vie des capsules de cocaïne. Je pense aussi à l'environnement, notamment aux dégâts dramatiques de l'orpaillage illégal.

En tant que responsables politiques, nous recherchons une synthèse entre développement et protection de l'environnement. C'est tout le débat autour du projet de la Montagne d'Or, dont le ministre de l'écologie François de Rugy, a estimé l'impact environnemental trop important. À l'issue du dernier Conseil de défense écologique, nous avons appris que le projet de réforme du Code minier veillerait à l'avenir, à ce que soient réunies trois conditions pour délivrer un titre : la prise en compte des enjeux environnementaux, la prise d'engagements sur les impacts sociaux et économiques du projet, et l'assurance du consentement des populations.

Si j'étais moi-même sceptique sur le projet Montagne d'or, notre approche ne peut pas être simplement défensive. Nous ne pouvons plus nous contenter de voeux pieux sur le potentiel de développement économique durable en Guyane. Il nous faut un choc économique et une vraie ambition. L'économie de la biodiversité doit émerger, en valorisant notamment les savoirs traditionnels des communautés autochtones, et en s'appuyant sur les organismes de recherche et de développement. Le tout doit intervenir avec le consentement préalable libre et éclairé des peuples autochtones, et dans le respect du protocole de Nagoya consacré par la loi Biodiversité promulguée le 9 août 2016. À cet égard, je suis particulièrement impatient d'entendre vos interventions, et en particulier celle de Sylvain Kilinan sur la valorisation des fruits du palmier awara par la communauté Kali'na.

Je note enfin que l'idée selon laquelle la biodiversité puisse constituer un des catalyseurs du décollage économique de la Guyane, est aussi une évidence pour le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) dans son rapport de mai 2017. Celui-ci insiste d'ailleurs sur la nécessité du mieux connaître et du savoir préserver ce potentiel de biodiversité pour les générations futures, mais aussi de trouver les capitaux, les projets et les compétences. Ce développement pourrait ainsi s'appuyer sur les biotechnologies, la forêt, l'écotourisme et la pêche et l'agriculture.

La nécessaire préservation de la biodiversité est donc primordiale, et pourra devenir un atout supplémentaire de développement et d'attractivité des territoires ultramarins, si nous relevons maintenant le défi de « convaincre plutôt que contraindre », selon la devise des parcs naturels régionaux.

Je vous remercie pour votre attention.

Jean-Jacques POURTEAU,
Modérateur,
Délégué aux outre-mer à l'Agence française pour la biodiversité

Bonjour,

J'ai la tâche de conduire cette table ronde, et de vous présenter les participants. Cette table ronde « des milieux et des espèces remarquables mais fragiles : quelles actions pour relever le défi de leur préservation ? » a été découpée en séquences, compte tenu du nombre de participants et de thématiques.

La première séquence est plus particulièrement orientée vers la poursuite d'actions de gestion et de restauration des milieux et des espèces. La diversité des acteurs ici présents montre bien l'implication de chacun et l'action qu'il conduit localement pour venir apporter sa pierre à l'édifice de la préservation et de la protection de la biodiversité.

Félix BOMPY,
Adjoint au directeur territorial Office national des forêts (ONF) Martinique
« La lutte contre une espèce exotique envahissante en Martinique :
l'exemple de Miconia calvescens »

Propos de présentation du modérateur Jean-Jacques Pourteau, délégué aux outre-mer à l'Agence française pour la biodiversité

Les espèces exotiques envahissantes sont une problématique majeure dans l'ensemble des outre-mer, et constituent l'une des cinq menaces pour la biodiversité actuelle. Dans les petits territoires insulaires, leur dynamisme peut entraîner des expansions rapides, et modifier profondément les écosystèmes autochtones, au point de faire disparaître des espèces endémiques de ces territoires. Les Antilles et la Martinique n'échappent pas à cette menace.

Pour nous en parler, Félix Bompy, adjoint au directeur territorial de l'ONF de Martinique, précédemment chef de projet en bureau d'études Impact Mer en Martinique, et ayant travaillé sur les milieux humides dans les mangroves, connaît particulièrement la résilience des mangroves de Guadeloupe au phénomène de sécheresse extrême. Ce sujet a en effet fait l'objet de son doctorat à l'université des Antilles et Guyane. Félix Bompy a été également en poste en Guyane et en Nouvelle-Calédonie.

Bonjour, et merci de cette introduction,

J'ai légèrement modifié le titre de la présentation, pour mieux mettre en valeur le nom vernaculaire donné à l'espèce étudiée, dénommée le « cancer vert » sur le territoire français, ou encore la « peste pourpre » à Hawaï. Il s'agit d'un arbre d'une quinzaine de mètres de haut, originaire des forêts tropicales humides du Mexique et appartenant à la famille des mélastomatacées. Cette espèce produit de grandes feuilles, dont la surface inférieure est d'un beau rouge pourpre. En raison de son caractère ornemental remarquable, cette espèce a été introduite dans de nombreux jardins botaniques pour son côté ornemental et d'agrément.

Dans son milieu d'origine, l'espèce vit dans le sous-bois de la forêt tropicale humide. Elle tolère l'ombre des arbres situés au-dessus d'elle, et attend qu'une trouée se produise pour émerger et croître. Hors de son aire d'origine, particulièrement dans les forêts tropicales insulaires qui n'ont pas la même structure, cette espèce peut coloniser rapidement des grandes surfaces.

Cette caractéristique lui a valu d'être classée parmi les cent espèces les plus envahissantes du monde. Elle a des caractéristiques biologiques assez remarquables.

Il lui faut seulement quatre ans pour devenir adulte, sachant qu'un pied adulte peut produire plusieurs millions de graines par arbre et par an. Les graines restent viables pendant quatorze ans dans le sol, avec la capacité d'être transportées par les oiseaux ou par le vent. L'espèce possède une forte capacité à rejeter, dès lors qu'un tronc est coupé.

Avant la Martinique, la Polynésie a connu une invasion massive par cette espèce à partir de son introduction en 1937. En cinquante ans, avec deux points de départ, elle a recouvert 80 % de la surface des forêts de l'île, et ce jusqu'à 1 400 mètres d'altitude. Dans ces forêts, elle a formé une canopée mono spécifique, qui donne un ombrage très fort au sol et empêche les espèces locales de croître, de s'établir. En Polynésie, le « cancer vert » menace par conséquent plusieurs espèces endémiques présentes uniquement sur ce territoire. Il existe donc un impact certain sur la biodiversité. De plus, le « cancer vert » modifie la structure des sols forestiers sur lesquels il s'établit, et accélère les processus d'érosion des sols, tout en diminuant leur capacité à retenir la ressource en eau. Ces sols vont moins jouer leur rôle de soutien pendant la période d'étiage et cela va avoir un impact sur la ressource en eau des territoires.

En Polynésie, plus d'un million d'euros ont été dépensés depuis trente ans en études et en lutte. Aujourd'hui l'action consiste à préserver les quelques vallées encore indemnes.

En Martinique, cette espèce a été détectée pour la première fois en 2017, dans un ancien jardin d'agrément, introduite sans doute avant 2000, abandonné suite au cyclone Dean en 2007. Le foyer se situe à moins de 3 kilomètres de la réserve biologique de la Montagne Pelée, reconnue pour sa biodiversité exceptionnelle.

À ce titre, cette réserve recevra le 4 juillet 2019 le label « Forêt d'exception » et se trouve également en cours d'inscription au Patrimoine mondial de l'Unesco. Sachant que le sommet de la Montagne Pelée culmine à 1 397 mètres et que le « cancer vert » a la capacité de croître jusqu'à 1 400 mètres, celui-ci menace directement et de façon massive la Martinique.

Face à ce constat posé en 2017, une opération « coup de poing » a été menée en 2018 de manière à intervenir rapidement, grâce à l'accord et la coopération du propriétaire du terrain privé, ainsi qu'aux financements de la Direction de l'environnement de l'aménagement et du logement (DEAL) de Martinique. En conséquence, dix agents de l'Office national des forêts (ONF) se sont mobilisés pour traiter efficacement la zone du jardin, sur six hectares. Ils ont réussi un chantier exemplaire sur la base d'un protocole spécifique élaboré grâce aux connaissances acquises en Polynésie.

Il s'agit de viser principalement les arbres adultes et matures pour identifier les reproducteurs, les couper, arracher les souches, les racines et les troncs, avant de procéder à un brûlage exceptionnel autorisé par la préfecture.

Il importe également d'éviter tout risque de contamination d'autres zones, en rinçant systématiquement à l'eau de mer après chaque jour de chantier, les bottes et vêtements des ouvriers.

Depuis octobre 2018, d'autres zones ont également été découvertes en Martinique. Cela étant, la lutte contre miconia est encore précoce, ce qui laisse espérer des perspectives de gagner la bataille, à la condition d'intervenir rapidement. Sur l'ancienne zone, le besoin d'agir se fera sentir pendant au moins quatorze ans, afin d'épuiser la banque de graines dans le sol. Il existe en outre un besoin de traiter les différentes zones découvertes, et de prospecter autour d'elles afin de découvrir d'éventuels foyers. Il importe également de sensibiliser la population sur le sujet, afin d'aboutir à une bonne compréhension de l'action menée et de multiplier la surveillance du territoire. Par ailleurs, l'objectif visé est de former des équipes spécialisées, capables de traiter rapidement le phénomène.

Pour partie, ces actions sont déjà en cours grâce à des interventions multi-partenariales (Parc naturel de la Martinique, Office de l'eau de la Martinique, DEAL et DAAF Martinique).

De façon générale, ces actions exemplaires mettent en évidence le besoin de se placer dans des dynamiques pérennes sur les sujets environnementaux. Il s'agit en effet d'agir dans un temps long, en mobilisant des moyens humains et financiers. Tel est le cas avec le miconia , pour lequel il faudra au moins quatorze ans dans certaines zones, mais également pour d'autres espèces exotiques envahissantes présentes en Martinique. Il est en outre indispensable de lutter contre la menace pour la biodiversité insulaire, que constitue la fragmentation des habitats. En la matière, nous avons besoin de moyens de contrôle et de police sur du long terme sur l'ensemble du territoire, et de maintenir la connectivité des milieux.

Bien entendu, le changement climatique est, lui aussi, concerné par cette nécessité d'études à long terme et de moyens pérennes, dans l'optique de s'adapter aux risques élevés qu'il induit : inondations, submersions, glissements de terrain... Nous en portons la responsabilité en tant qu'établissements publics et habitants de ces îles. Nous devons intervenir pour nous-mêmes, pour nos enfants et pour le territoire. « Pou nou, pou ich nou, pou peyi a » 1 ( * ) .

Bruno de COURRÈGES,
Président de l'association Make Saint-Barths green again
« La restauration post-cyclone de la dune des salines
à Saint-Barthélemy »

Propos de présentation du modérateur Jean-Jacques Pourteau, délégué aux outre-mer à l'Agence française pour la biodiversité

Les reconquêtes d'espaces contre des espèces invasives sont en effet essentielles, tout comme celles à mener à la suite d'évènements majeurs. Bruno de Courrèges, huit jours après le cyclone Irma, a créé l'association « Make Saint-Barths green again », dans le but de lever des fonds pour la replantation de l'île. La collectivité lui a demandé de focaliser une partie de son action sur la dune des salines, très fragilisée par la montée des eaux et les vagues violentes qui ont accompagné le cyclone.

Bruno de Courrèges est conseiller de synthèse auprès de présidents d'entreprises françaises mondialisées, installé à Saint-Barthélemy depuis 1990.

Bonjour à tous,

En écoutant les précédents exposés, je me suis dit que je n'avais absolument rien à faire autour de cette table. Je suis en effet entouré d'esprits scientifiques brillants qui, tous, maîtrisent de la connaissance alors que personnellement je n'entends rien à tous ces sujets. Puis la ministre m'a rassuré en insistant sur l'importance de son axe n° 4, dédié à la protection. Effectivement, nous ne faisons presque rien hormis protéger, c'est-à-dire éviter le pire.

Juste après Irma, nous nous sommes vu proposer d'agir dans l'intérêt de la dune des salines, longue de 600 mètres et constituant un barrage naturel de protection d'un étang et marais salant. Cet espace est aussi une zone de vie et de faune, ainsi que de vie humaine. C'est aussi une réserve naturelle de biodiversité, car l'on y voit des oiseaux tels que les échassiers en provenance de Terre-Neuve ou Nouvelle-Écosse, ou encore la paruline jaune.

Par conséquent, cet endroit est resté extrêmement sauvage et naturel, dans une île où de tels espaces naturels ne sont plus tellement nombreux. Après Irma, la situation était particulièrement grave. Il suffit de regarder les photos. La pente douce qui protégeait tout l'espace sablonneux de la dune, est devenue raide au sens où le cyclone est venu ronger cette dune, faisant apparaître des fragilités terrifiantes. Ainsi, des brèches s'ouvrent, ce qui a entraîné des propriétaires à installer des barrières pour empêcher l'accès à leur terrain. Le niveau de la dune s'est beaucoup affaissé par endroits, ce qui laisse craindre tôt ou tard une submersion. De surcroît à l'arrière du terrain, tout le sable a été ôté au fil des années par les propriétaires, qui ont cru bon de creuser et de vendre ce sable pour construire des maisons.

Dans ce contexte, l'agence territoriale de l'environnement a constaté la priorité de ré-ensabler, puis de stabiliser et replanter. Concrètement, il a été proposé d'édifier une petite dune artificielle devant la dune principale, en faisant en sorte que le sable glisse sur cette dune stabilisée avec des ganivelles, pour venir ensuite le piéger entre la petite dune et la grande dune. Ces travaux ont donc été entrepris, en commandant du matériel en provenance du Poitou ainsi qu'une grue d'une douzaine de mètres, pour bâtir la dune artificielle de deux mètres de haut. Nous avons ensuite attendu que la nature fasse son oeuvre, ce qui a été le cas au-delà de nos espérances. L'agence de l'environnement a mesuré le sable, qui avait gagné par endroits un mètre au-delà des ganivelles.

Nous avons évidemment éduqué les baigneurs afin qu'ils respectent les travaux et ne montent pas sur les dunes. Nous avons eu beaucoup de succès en la matière. Les enfants des écoles ont également participé à l'aventure, et ont appris à cette occasion comment fonctionnait une dune. La collectivité a en outre mené, avec les riverains, un travail de remblaiement de la dune côté étang. La vue zénitale de la plage montre qu'il convient de finaliser la partie Est, et de renforcer le côté Ouest dès le mois de juillet 2019. Nous espérons ainsi retarder la faille d'érosion susceptible d'être causée par tout cyclone qui passe.

Finalement, notre projet est simple. Il s'apparente davantage à du gros oeuvre qu'à de la science.

Dune des salines à Saint-Barthélemy - Crédits photo : B. de Courrèges

Échasse d'Amérique - Crédits photo : B. de Courrèges

Éloïse INGADASSAMY,
Chargée de projets environnementaux au Conseil départemental
de la Guadeloupe
« Une approche alliant nature et culture en vue de la préservation des espaces naturels sensibles en Guadeloupe »

Propos de présentation du modérateur Jean-Jacques Pourteau, délégué aux outre-mer à l'Agence française pour la biodiversité

Pour gérer l'ensemble de ces territoires, il convient de réfléchir et déployer de nouveaux outils de gestion, de suivi et d'aide à la décision. Le département de la Guadeloupe s'est engagé dans l'élaboration de son schéma départemental « Espaces naturels sensibles » en janvier 2018, face au constat de la régression de certains écosystèmes soumis à une forte pression entropique. Il a ainsi choisi de conjuguer une approche « nature-culture » avec la mobilisation d'un outil d'urbanisme : le droit de préemption.

Éloïse Ingadassamy, au sein de la direction en charge du foncier, de l'agriculture et de l'environnement du Conseil départemental de Guadeloupe, assure la gestion des espaces naturels de la collectivité, qui représentent 30 000 hectares, et celle des sentiers et randonnées qui s'étendent sur 460 kilomètres.

Bonjour à tous,

Je suis honorée de venir vous présenter le travail mené par le Département et je ne suis pas venue seule. Je suis accompagnée des marchandes de la ville de Basse-Terre, présentes en photo en face de vous, pour illustrer la démarche de réalisation du Schéma départemental des espaces naturels sensibles (SDENS), à travers une approche qui allie nature et culture au service des générations à venir et de la valorisation des espaces naturels.

Le panier-plateau des marchandes illustre toute la biodiversité de notre archipel. Sur le marché, on trouve des fruits, des légumes et des racines, mais aussi des plantes aromatiques et médicinales pour soigner un « chaud et froid » (refroidissement) ou prendre un bain.

Il est également possible de trouver du bois d'Inde ( Pimenta racemosa ), emblématique de nos forêts sèches, aux vertus thérapeutiques et culinaires. Aux côtés de la marchande, vous pourrez aussi trouver des crabes qui proviennent d'autres écosystèmes particuliers tels que la mangrove ou les prairies humides. Ce plateau de marchande reflète également les services écosystémiques que rendent l'ensemble de ces espèces et leurs habitats ; services que vous ne voyez pas mais qui sont bien réels.

La mangrove, comme l'a rappelé Madame la Ministre, est une barrière atténuant les effets de la houle cyclonique. De l'autre côté de ce continuum d'écosystème se trouve la prairie humide, qui constitue avec la forêt marécageuse de véritables champs d'expansion des crues. Au cours des trois derniers jours, nous avons subi des pluies diluviennes. Il est à craindre que le changement climatique n'occasionne des pluies encore plus importantes et très localisées. Par conséquent, il conviendra de gérer cette eau et de l'évacuer. À cet effet, les zones humides sont fondamentales.

Il s'agit aussi d'enjeux de responsabilité. Il convient de protéger ces divers écosystèmes : forêt sèche, forêt marécageuse, récifs coralliens. Nous devons prendre conscience de leur rareté et de leur importance au sein de la Caraïbe.

Une étude a été menée pour définir les espaces naturels et en préfigurer la gestion au travers du regard des artistes et des citoyens.

Pour porter ces enjeux, le Département a en effet choisi une approche culturelle en essayant de comprendre si ces questions étaient partagées avec la population et comment elles l'étaient. Ainsi, une étude de perception des espaces naturels sensibles (ENS) a été diligentée auprès de Qualistat 2 ( * ) . Il ne s'agit pas d'une étude d'opinion sur la base d'échantillons représentatifs dont les résultats seraient extrapolés à l'ensemble de la population.

Sur la base d'une approche qualitative, l'objectif est de présenter les grandes tendances qui structurent les usages associés aux espaces naturels ainsi que les logiques qui sous-tendent les représentations.

Autrement dit, de quoi parle-t-on quand on dit espaces naturels ? Quelles sont les valeurs associées ? Mais aussi : que seraient des espaces naturels sensibles ? Faut-il les protéger ? Comment ? Qui doit agir ?

Ce sont les questions qui ont été posées à une quinzaine de producteurs d'oeuvres culturelles (conteur, chanteur, photographe, plasticien, peintre...) et à une quinzaine de citoyens d'âge variable, lors de 2 focus-groupes.

Les résultats sont les suivants :

C'est la première valeur accordée aux espaces naturels, la valeur intrinsèque, surtout pour les artistes. « La nature est là. Elle vit, elle vivait même avant nous. Nous devons donc apprendre à vivre avec elle », selon le témoignage d'un conteur.

« Nous ne pouvons pas faire comme si les espaces naturels n'étaient pas là. Quoi que nous fassions, la nature nous survivra », selon le témoignage d'une plasticienne.

Selon les personnes interrogées, les espaces naturels sont autant des espaces où la nature prédomine que des espaces vécus où elles se sentent bien ; en témoigne cette sélection de verbatim : « L'espace naturel est avant tout l'endroit où l'on se sent naturellement bien », « Un espace où l'on peut s'évader », « Au niveau de l'ancienne station météo de la Désirade, je me suis senti le maître du monde », « Les espaces naturels renvoient à mes souvenirs ». Ainsi, même des espaces dont le caractère urbain a été accentué comme la place de la Victoire à Pointe-à-Pitre ou la place du bourg de Petit-Bourg, renvoient, pour les seniors, à un espace naturel, de cueillette de mangues, de sports en plein air, de convivialité ; peut-être est-ce là une illustration de l'actuel concept de « nature en ville ».

À côté de cette valeur patrimoniale, se situe la valeur paysagère. L'accent est mis sur « la beauté » des « plages », de « la mer », « les vues sur les Saintes sont magnifiques » ainsi que l'étendue des « plaines », des « savanes » de la Grande-Terre.

Les jeunes semblent attachés au caractère authentique et citent la mangrove ou la Soufrière où « On a l'impression que l'homme n'y a jamais mis les pieds ». Les artistes renforcent cette approche contemplative « Fò nou rivé gadé pou nou tout sa di : péyi la bèl », « La nature doit nous inviter à l'amour du pays », « Quand on prend conscience de la beauté de la nature, on ne peut que l'aimer et la protéger. Aimons notre nature ! »

Les artistes mettent également l'accent sur les rivières. Elles inspirent sérénité, force, calme. Elles s'opposent aux paysages de plages dont la connotation touristique est plus marquée à leurs yeux. Il est également à noter que la valeur économique est absente de leur perception. Elle n'est pas citée spontanément et ne génère aucune relance lors des entretiens. En revanche, cette dimension est citée par le grand public « C'est une vitrine, c'est l'image de la Guadeloupe ».

Parallèlement à cette étude de perception, une synthèse bibliographique portant sur l'état de la biodiversité et les menaces a été confiée à l'ONF 3 ( * ) . Il est à remarquer que, sans avoir communiqué ce travail, l'analyse portée par les artistes et les citoyens rejoint la littérature.

Ainsi, l'archipel est identifié comme un vaste espace naturel sensible avec un focus sur le milieu marin et les zones humides avec l'exemple de Jarry qui est le plus cité « L'urbanisation a anéanti la mangrove au niveau de la voie verte ».

Les menaces sont également posées. En premier lieu, la course à l'urbanisation « La zone de Dothémare, où nous sommes, était très peu construite, l'air y était pur », « Chaque commune veut sa ZAC 4 ( * ) », « Nous n'avons pas beaucoup de montagnes, la terre qu'on enlève pour combler et pour construire, on la prend sur les petits sommets », « Il faut arrêter de bétonner », « J'y [dans les Grands fonds] habite depuis trois ans et j'ai déjà assisté à l'effondrement des mornes ».

Corollaire de l'urbanisation, les personnes sont interpellées par l'émiettement du foncier à travers un prisme patriotique « Les gens venant de l'extérieur s'approprient notre pays, nous vendons nos terres » et appellent à la citoyenneté, au respect des lois notamment s'agissant de la protection et de l'accès au littoral.

Autre menace, la pollution par les déchets et les actes d'incivilité sont pointés du doigt. Les gens jettent surtout où il y a les panneaux « NE PAS JETER » ! Le tourisme et la sur-fréquentation sont identifiés comme des facteurs de perte du caractère naturel des sites et d'érosion de la biodiversité « Il y a trop de bateaux autour de l'îlet du Gosier, les ancres abîment les herbiers et personne ne fait rien contre ça ».

Les espèces sont également menacées ou menaçantes « A Bois Jolan, on constate la disparition des palourdes, c'est aussi le cas des oursins à la Désirade ». « La pêche intensive, sans respect des règles de reproduction a contribué à faire disparaître nos espèces. Tout comme le réchauffement climatique ». Les personnes citent également les espèces exotiques envahissantes « Les espaces invasives telles que la fourmi manioc constituent une menace pour l'ENS »

Outre les menaces d'origine anthropique, la menace climatique est incarnée plus particulièrement par les cyclones, plus que par le réchauffement climatique bien que ces deux phénomènes rentrent désormais en résonance.

Pour protéger, il faut connaître (éducation) et transmettre (communication) : « Notre avenir, ce sont nos enfants. C'est à eux qu'on laissera le pays. La moindre des choses serait de leur donner les outils pour qu'ils comprennent leur environnement » dit une plasticienne.

Les personnes soulignent le besoin d'éducation « la base, c'est l'école », et l'importance de la découverte in situ « Faire découvrir la mangrove en kayak ».

Le témoignage d'un plasticien décrit l'enjeu « An travay avè ti-moun adan on lékol Zabim. Sé ti-moun-la po téko janmen alé an rivyè, yo potéko janmen mété pyé a yo an Manmèl-la. Yo té ka vwè yenki douvan pòt a kaz a yo, yenki sité la yo ka rété adany-la. Mé lè ou vwè nou alé pou prèmyé fwa, yo dékouvè péyi a yo, yo vwè jan sa bèl. Lè nou déviré Zabim yo té estébékwé toujou. An pa ni ayen a di yo dèyè sa. Sé chak timoun ki ka désidé ka i vlé fè avè tou sa i vwè. Mé souvant fwa, yo ka chanjé é yo-menm ka diw apré sa fo ou pran gad a péyi la 5 ( * ) ».

Les artistes, qui interviennent également auprès de la population, mettent en lumière une fracture entre les zones urbaines et les zones rurales. Ils vont même plus loin, en remarquant une fracture dans le mode d'habiter et de s'approprier son environnement, entre habitat collectifs et habitat individuel.

Plus largement, il s'agit aussi d'un enjeu de transmission, en tant qu'espaces naturels témoins de l'histoire, des périodes amérindienne, coloniale ou contemporaine. Ci-après le témoignage d'une plasticienne : « J'ai travaillé, sur la place de la Victoire à l'édifice d'une structure monumentale représentant l'arbre du sablier. Cela a permis aux Pointois de voir ces arbres qui disparaissent petit à petit. Durant cette période, sur la place, un homme est venu vers moi et m'a montré, sur un sablier, un impact de balle datant des évènements de mai 67. Il y bien à la fois une valeur patrimoniale et historique ».

La transmission des mythes et légendes s'appuie également sur la nature, notamment l'arbre. « J'avais fait une installation sur le fromager sur le site du château Murat à Marie-Galante. Le fromager n'est pas en voie de disparition mais tout l'imaginaire qui a autour est en train de disparaître. Les nouvelles générations perdent cet imaginaire. Toutes les histoires autour du fromager, les soukougnans, les volants : ça se perd », dit une plasticienne.

Ils proposent de communiquer largement en direction de tous les Guadeloupéens quels que soient leur origine ethnique, sociale ou leurs âges. Ils proposent de valoriser la dimension culturelle et historique des sites. Les artistes mentionnent un manque de continuité dans la diffusion des messages, qui obère les possibilités de transformation c'est-à-dire passer de l'acceptation à la modification des comportements. Ils proposent de passer d'un discours moralisateur à un discours fédérateur qui valorisera les espaces naturels.

Pour protéger les ENS, les personnes proposent en fonction des générations de sanctuariser les sites - plutôt les séniors - ou de limiter l'accès à certains sites, de contrôler les flux - principalement les jeunes. À ce propos, l'îlet Blanc est cité comme exemple ou encore le Costa Rica.

Pour ce qui concerne la gestion des ENS et le régime de propriété, là encore deux visions semblent d'opposer. La première tient d'une approche plus patriotique où les ENS doivent être la propriété de tous les Guadeloupéens. Il leur semble que la responsabilité incombe à chacun de le protéger. La seconde vision tient au pragmatisme et met en avant la notion de responsabilité qui incombe à une entité spécialisée. « Il faut un responsable car si tout le monde est propriétaire, personne ne fera rien ». Les collectivités, l'État et dans une moindre mesure les privés pourraient être désignés comme gestionnaires des ENS.

Les deux études à savoir celle sur la synthèse des enjeux et celle sur la perception des espaces naturels donnent des pistes non seulement sur le « quoi faire » mais « comment et avec qui faire » ?

Pour y répondre, le Département a choisi de s'appuyer sur ce qu'il est, à savoir une collectivité des solidarités, de la culture et un acteur historique de la protection des espaces naturels doté d'un droit de préemption dédié.

Il a défini des actions en s'appuyant sur la richesse des compétences de la collectivité et son ancrage territorialisé.

Ainsi les collègues en charge des musées, de la promotion du créole, de l'accompagnement des personnes âgées et handicapées, de l'insertion, de l'éducation, du sport, du tourisme mais aussi des routes, de l'irrigation, de l'agriculture ont participé à cette réflexion.

Une définition de l'évaluation des politiques publiques (PP) serait « l'appréciation raisonnée des actions sur la base de connaissances approfondies des actions et des processus qui les produisent » (Duran, 2010 6 ( * ) ). Elle s'appuie sur l'analyse de la PP qui doit rendre compte de ce que « les gouvernements font, comment ils le font et quelle différence ça fait ».

Le territoire et ses enjeux

La mise en correspondance des questions évaluatives entre ce qu'a produit la PP
et ce qu'elle a voulu produire - Crédits photo : E. Ingadassamy

Ce type de questionnement est d'autant plus intéressant quand il s'agit de préserver des espaces naturels qui sont soumis à de nombreuses pressions et dont l'enjeu primordial est d'assurer l'intégrité.

Ainsi, la collectivité a associé ses agents dans le cadre d'entretien dont la méthodologie et la conduite ont été confiées à Anthony Maragnes et à l'ONF 7 ( * ) . Outre les documents d'orientations budgétaires et rapports d'activités, l'analyse porte sur les documents stratégiques tels que le BEGES/PCAET 8 ( * ) , le plan d'action contre le gaspillage alimentaire, les assises de la famille, le schéma départemental pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes en situation de handicap...

La principale difficulté de cet exercice réside dans la « non-formalisation » des actions menées jusqu'alors dans un document de type schéma. Aussi, les actions bien que nombreuses ne disposent d'un suivi standardisé.

De plus, les personnes-ressources n'étaient pas identifiées, la réalité se caractérisant par une collectivité de près de 2 000 agents oeuvrant sur une centaine de sites administratifs différents, sur des compétences très diverses. Par ailleurs, comme le grand public et les artistes, il est apparu judicieux de questionner ces personnes en tant que citoyen(ne)s sur leur définition et leur vision des espaces naturels.

Ce travail n'est pas finalisé. Néanmoins, les premiers éléments rejoignent la demande des citoyens et des artistes à savoir une meilleure communication. La plupart des personnes interviewées ignoraient le rôle du Conseil départemental sur les questions environnementales et ne savaient pas qu'il était le propriétaire de nombreux sites qu'ils qualifient d'espaces naturels sensibles. Pour la plupart, ils partagent les enjeux de préservation même s'ils ne font pas toujours le lien entre leurs propres activités et cette thématique. Ils considèrent constituer « une force, un réseau » notamment dans le domaine social qui pourrait contribuer à sensibiliser les populations les plus précaires.

Afin de protéger la vocation et l'intégrité des espaces naturels, un zonage de 45 sites a été proposé sur la base des éléments décrits ci-dessus puis de concertation avec les acteurs institutionnels et associatifs.

Les sites sont décrits selon leur valeur écologique, paysagère, culturelle et sociale ainsi que leur vulnérabilité. Ils sont également choisis en fonction de leur besoin de gestion. En conséquence, les espaces classés en coeur de parc national ou encore en réserve, bien que de haute valeur écologique, ne sont pas classés en ENS 9 ( * ) . Les zones humides ou encore les zones d'intérêt faunistique et floristique sont privilégiées.

Cartographie des sites proposés, source : ONF pour CD971

Sur une surface de 10 000 ha, il s'agit de proposer aux communes, compétentes en matière d'urbanisme, d'octroyer un droit de préemption au Département afin qu'il devienne acquéreur prioritaire en cas de mutation.

Le zonage s'appuie sur les éléments du POS ou du PLU 10 ( * ) ; le classement en zone naturelle étant privilégié. La concertation avec les communes et leur EPCI 11 ( * ) a tenu une place importante. Ainsi, 6 réunions à l'échelle des intercommunalités ont été réalisées. Fixée sur une matinée, elles comprenaient systématiquement une projection de film afin d'amener le propos, un diaporama en salle, une visite de terrain puis un moment de convivialité autour d'un didiko . En tant que de besoin, des séances de travail bilatérales ont été organisées.

L'adhésion des communes se matérialise par une délibération qui s'appuie sur des fiches consacrées au volet foncier. Chaque site y est décrit en termes de classement au POS/PLU, de statut du foncier avec la liste et la surface des parcelles concernées. Un vadémécum de la préemption accompagne ces fiches. Ce travail a été réalisé par l'écologue F. Lurel, l'urbaniste J.C Robin et le bureau d'étude Caraïbes environnement développement 12 ( * ) .

Les communes ont été sollicitées et nous sommes dans l'attente de leur retour. En parallèle, le plan d'actions sur 10 ans est en cours de formalisation. Il prévoit notamment la mise en valeur des sites classés ENS appartenant d'ores et déjà à la collectivité.

Ce plan d'action se veut le reflet des éléments décrits ci-dessus.

Les axes d'intervention sont illustrés ci-après par un proverbe ainsi que les objectifs principaux.

Axes

Lespri-la

Objectifs principaux

Connaissance

Sa nou pa konnèt gran pasé nou

Produire et partager la connaissance sur les sites

Valorisation

Ti grenn ka fè gwo pyébwa

Aménager les sites en ayant recours à l'IAE, au profit de tous les publics notamment jeune public, handicapés et âgés

Éducation

Gran montré piti, piti montré gran

Qualifier et enrichir l'offre pédagogique sur les sites

S'appuyer sur les temps forts de la collectivité : Semaine Bleue, Fò an fanmi

Gestion partenariale - volet biodiversité

Yonn a lot pou grenn diri fè sak diri

Prise en compte de la biodiversité dans la gestion des routes, lutte contre les EEE, Nature en ville, préservation des zones humides, schéma d'intervention post-cyclonique

Gestion partenariale - volet agricole

Yonn a lot pou grenn diri fè sak diri

Informer, accompagner la formation des agriculteurs, valoriser les démarches vertueuses sur les terrains agricoles départementaux

Suivi du foncier

Sa ki ka rété anba pyé-mango ka manjé mango

Informer les professionnels du foncier, contribuer au réseau des personnes ressources urbanisme/environnement

Financement

Kalkilé fèt avan konté

Suivre l'évolution de la TA-ENS 13 ( * ) , rechercher des financements complémentaires

Evaluation et gouvernance

Domino ka rimé an pangal mé i pa ka jwé an pangal

Assurer le suivi collégial du schéma

La réalisation du SDENS bénéficie du concours financier de la DEAL et de l'ADEME.

En conclusion et en lien avec le besoin de communication exprimé lors de ce travail, il est apparu opportun de réaliser un film de quelques minutes qui rend compte de la beauté des espaces naturels et fixe les objectifs du SDENS.

[Une vidéo relative à l'action du Conseil départemental en faveur de la protection des espaces naturels sensibles est projetée]

Audrey THONNEL,
Coordinatrice de l'Atlas de la biodiversité communale de Saül et technicienne Recherche et Développement, Parc amazonien de Guyane
« L'atlas de la biodiversité communale de Saül :
accompagner les élus et les habitants dans le développement écotouristique »

Propos de présentation du modérateur Jean-Jacques Pourteau, délégué aux outre-mer à l'Agence française pour la biodiversité

L'atlas de la biodiversité communale représente le lien entre la première table ronde, consacrée à la connaissance, et la présente table ronde qui examine les moyens d'utiliser cette connaissance. Un appel à manifestation d'intérêt sera très prochainement lancé à l'intention de l'ensemble des départements et collectivités d'outre-mer, incitant ces territoires à s'engager dans la mise en oeuvre de l'atlas de la biodiversité communale. J'ai eu la chance de rencontrer certains élus et de pouvoir les inviter à être de ceux-là, car il s'agit d'un outil extraordinaire pour les décideurs politiques, dans la gestion quotidienne de leur territoire.

Audrey Thonnel va présenter le projet conduit sur la commune de Saül, située au coeur de la Guyane. Administratrice de données de formation, elle s'est immergée dans la diversité écologique de la Guyane depuis treize ans, et met désormais ses compétences au service de la valorisation des richesses du département, au sein du service Patrimoine naturel et culturel du parc amazonien de Guyane.

Mesdames, Messieurs,

Un point d'abord sur le contexte particulier de ce projet.

Saül est un petit bourg d'une centaine d'habitants totalement isolé au milieu de la forêt guyanaise. Sans accès routier ni fluvial, seule une petite piste d'atterrissage permet d'atteindre la commune. Cet isolement engendre ainsi des enjeux de développement économique et d'animation. La commune rencontre un autre défi : l'orpaillage. L'histoire de la commune est liée à l'orpaillage, légal dans son contexte historique puis illégal. Cette dernière activité a engendré pendant des années des dégâts environnementaux, sanitaires et civils qui ont pesé pendant des années sur la commune.

Même si ces enjeux semblent difficiles à surmonter, la commune possède deux points forts : ses habitants et sa biodiversité amazonienne. Ainsi, une stratégie de développement bien spécifique a été mise en oeuvre, où cette biodiversité a fourni une forme de solution aux deux premiers problèmes précités.

Depuis 2006, la lutte contre l'orpaillage illégal a été efficace pour repousser cette activité dans un rayon de vingt kilomètres. Depuis 2010, la commune et la région de Guyane ont développé un réseau de sentiers autour de Saül, qui attirent environ 3 000 visiteurs par an. La présence des touristes sur les sentiers a un effet bénéfique aussi, car elle maintient les orpailleurs à distance. Pour autant, le potentiel écologique de la commune est encore mal connu, alors que la fréquentation est en pleine augmentation et que les effets du changement climatique commencent à se faire sentir.

Un atlas de la biodiversité communale doit être adapté à son contexte. Un projet d'atlas de la biodiversité communale vise à inventorier la biodiversité d'un territoire de la façon la plus participative possible, pour en identifier les enjeux écologiques. En principe, ce type de projet a vocation à être porté par les collectivités pour que la biodiversité, les corridors écologiques et les milieux naturels soient mieux pris en compte dans les politiques territoriales. Cependant, une grande partie des collectivités des DOM ne disposent pas toujours des ressources humaines et financières à y consacrer.

Pour parer à cette contrainte, le portage du projet a été adapté grâce à la volonté politique et citoyenne : le Parc amazonien et la commune de Saül ont inscrit cet ABC dans la convention d'application de la charte du Parc amazonien. De fait, le Parc peut porter le projet pour et avec la commune.

Un atlas a vocation à couvrir l'ensemble d'un territoire, de la façon la plus exhaustive possible. Dans le cas de Saül, il existe aussi des difficultés d'accès au terrain d'inventaire, dans la mesure où sont nécessaires des hélicoptères et des heures de marche en milieu amazonien. Par conséquent, nous avons adapté la couverture de l'Atlas, en nous recentrant sur des secteurs à enjeux bien identifiés (protection, connaissance, valorisation).

Pour finir, nous avons aussi adapté les objectifs. Saül ne rencontre pas de problématique d'effondrement de la biodiversité, telle qu'elle peut être constatée dans certains milieux très urbanisés. Il n'existe pas non plus de problématique de perte de corridor écologique, Saül étant plutôt une enclave humaine perdue au milieu d'un immense corridor forestier. En revanche, il est nécessaire d'alimenter la connaissance naturaliste (et scientifique) et de cadrer l'activité touristique. L'ABC vise donc à élaborer des mesures adaptées au milieu amazonien et isolé, en se basant sur un inventaire exhaustif, le tout en favorisant un développement économique et touristique.

Ainsi, le projet d'ABC a vu le jour en 2018, suite à un appel à projets de l'Agence française pour la biodiversité. La durée prévue est de trois ans - alors que la durée habituelle est plutôt de deux ans - pour un budget de 413 000 euros dont 150 000 euros sont apportés par l'AFB et le reste par le Parc amazonien. La mairie, pour sa part, apporte un investissement humain, et veille à ce que le projet soit utile au développement de la commune et qu'il ait une suite opérationnelle.

Au final, ce doit être un projet motivant, impliquant tous les acteurs de la commune.

Pour les besoins de l'ABC, tout Saül est en effet impliqué (habitants, scolaires, élus), auquel s'ajoutent des scientifiques de Guyane, voire de métropole ou de pays étrangers, ainsi que des visiteurs. L'ensemble des parties prenantes participent aux inventaires scientifiques pour établir la connaissance de base, à l'animation e la vulgarisation pour une information et une sensibilisation de chacun et aux débats et ateliers de travail. Le but est de co-construire ensemble des actions à mettre en oeuvre de façon collective à plus ou moins long terme.

En juin 2019, nous sommes à mi-parcours du projet, avec 550 jours d'inventaires scientifiques et la mobilisation de 250 adultes et 180 enfants au cours d'animations de sensibilisation, d'inventaires ou d'ateliers. Progressivement, les inventaires scientifiques migrent vers des inventaires plus participatifs. En effet, le travail des experts a permis d'établir une base d'identification et de vulgarisation pour travailler avec des « non-experts ». En effet, la biodiversité du milieu amazonien est telle qu'il est totalement exclu de demander à des non-experts de mettre des noms latins sur toutes les espèces rencontrées. Cette année débuteront également les enquêtes auprès des habitants car ceux-ci sont détenteurs d'une somme importante de savoirs sur leur environnement, qu'il faut valoriser et encourager.

En 2020, les bilans et les ateliers auront pour but de débattre et de développer des mesures en collaboration avec les enfants, les adultes, les visiteurs et les élus.

Pour conclure, la biodiversité a pour vocation, à Saül, à supporter le développement économique. En cela, le rôle de l'ABC est d'accompagner ce développement, pour lui permettre d'être pérenne et supportable par l'écosystème.

Source : « ABC de Saül : Accompagner les élus et les habitants dans le développement écotouristique » - Crédits photo : A. Thonnel, Parc amazonien de Guyane, 2019 .

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Didier LAPLACE,
Fondateur-président de l'association Coral Restoration Saint-Barth
« Les nurseries de coraux pour restaurer les récifs à Saint-Barthélemy »

Propos de présentation du modérateur Jean-Jacques Pourteau, délégué aux outre-mer à l'Agence française pour la biodiversité

Nous avons abordé l'importance des récifs coralliens lors de la table ronde précédente, et surtout au travers des éléments du discours de la ministre. Les approches et démarches innovantes qui visent à préserver les récifs coralliens, sont nombreuses. Nous avons décidé, dans cette séquence, d'en présenter deux.

La première est celle de Didier Laplace, fondateur-président de l'association « Coral Restoration Saint-Barth ». Ayant exercé le métier de marin-pêcheur pendant des années, il connaît de ce fait parfaitement la mer qui entoure son archipel. Il a décidé de s'intéresser à la restauration de coraux. Grâce à des voyages dans de nombreux pays, il s'est formé auprès de scientifiques connus dans le milieu de la restauration corallienne. Depuis 2015 et la création de son association, il mène son propre projet de restauration avec l'aide de nombreux bénévoles.

Bonjour à tous,

Bien sûr, nous travaillons à la restauration du corail, mais aussi à d'autres actions bénéfiques pour l'écosystème marin et les coraux.

Nous avons rencontré différents marins biologistes dans le monde, pour apprendre les meilleures techniques de restauration, mais aussi les structures adaptées pour se servir de nurseries et y mettre en place les fragments. Finalement, les techniques choisies sont celles du Belize. Nous tenons compte du fait que Saint-Barthélemy soit entouré d'une forte houle. Nous récupérons des fragments, qui pourront pousser. Les coraux utilisés sont les Acropora, dont la croissance atteint trois centimètres par mois, mais ayant disparu à 95 % de la Caraïbe. Il importe par conséquent de les sauver, car ils ont un effet agrégatif pour toutes les espèces.

Nous avons utilisé des systèmes de dents en métal, en ayant dès le départ fait participer les marins-pêcheurs locaux, les marins-pêcheurs plaisanciers ainsi que les chasseurs sous-marins.

Sur une année, nous avons pu observer que 62 % des espèces, installées au fur et à mesure que les coraux grandissaient, étaient consommables. Les marins-pêcheurs ont, par conséquent, constaté l'importance de ces récifs.

Sur les structures que nous avons installées, le but de la restauration des coraux est de travailler sur des espèces génétiquement résistantes, en les réimplantant côte à côte. Pendant la ponte du corail une fois par an, les gamètes seront diversifiés afin que les « bébés coraux » soient plus résistants que leurs parents. En ce qui nous concerne, nous avons réalisé la ponte dès le départ sur nos nurseries, donc bien avant la réimplantation sur le récif.

Après le cyclone Irma et les ouragans José et Maria, les fragments ont été délogés du récif pour être balayés dans le sable. Face à une telle situation, les bénévoles et les agents territoriaux de l'île sont intervenus à nos côtés pour récolter les fragments trouvés dans le sable et les ramener sur le récif. À ce jour, plus de 2 000 fragments ont pu être sauvés, et nous poursuivons le même travail au quotidien.

Aujourd'hui, nous sommes particulièrement intéressés par le potentiel de la micro-fragmentation. Le biologiste David Vaughan a découvert qu'en découpant les coraux en micro-fragments et en les réimplantant côte à côte, les coraux récupéraient facilement le substrat en poussant. Ceci signifie qu'au bout d'une année, non seulement les coraux grandissent rapidement mais ils s'adaptent plus facilement sur leur substrat. De ce fait en cas de cyclone, le corail peut repousser, au lieu de disparaître comme par le passé. Par ailleurs, il est également possible de travailler avec d'autres espèces, dont la vitesse de croissance est généralement d'un centimètre par an. Les micro-fragments récupérés peuvent être réimplantés sur les récifs dégradés, où ne subsistent plus de coraux. Nous ne pensons pas, cependant, que les gamètes pourront récupérer des récifs dégradés. Nous venons d'apprendre que les bébés coraux entendaient, de sorte qu'ils ne s'implantent pas sur les récifs desquels la vie est absente.

De plus, le Dr David Vaughan a augmenté en laboratoire la température et l'acidité de l'eau sur une période de 50 à 100 ans et les coraux ont survécu ! Ce qui nous encourage dans nos travaux !  Ceux-ci ont un pouvoir exceptionnel d'adaptation mais nous devons absolument réduire notre impact !

Depuis 2014, nous faisons intervenir les enfants, car en sensibilisant les plus jeunes, nous touchons aussi les parents. Nous suscitons même des vocations d'études en biologie marine. Des fiches pédagogiques et des posters ont été créés pour être offerts aux écoles, de même que des dépliants trois-volets pour les hôtels. Il y est ainsi expliqué que le prélèvement d'un seul individu sur un récif, peut entraîner un impact sur toute la chaîne.

En parallèle, la chasse aux poissons-lions a été entreprise depuis 2016 dans le cadre de la restauration du corail, car ces poissons originaires du Pacifique appartiennent à une espèce invasive, et sont désormais très nombreux dans la Caraïbe. Une fiche explicative a été réalisée à l'intention des pêcheurs afin de leur indiquer les épines venimeuses, et le moyen de travailler ce poisson facilement. De plus, une fiche spécifique concerne les plongeurs pour leur indiquer les comportements à adopter en cas de piqûre.

Un projet à l'étude depuis quelques années, mais ralenti depuis le passage d'Irma, associe les marins-pêcheurs de l'île pour une pêche durable. À l'heure actuelle, les eaux de Saint-Barthélemy sont toujours poissonneuses, même si une partie de cette production est exportée. Le projet consiste à conférer un label de pêche aux poissonneries, afin de renseigner les consommateurs sur les règles de pêche respectées. Le label prend notamment en compte le fait que les trappes qui servent à vider les poissons dans le bateau soient désormais équipées de fil biodégradable. Ce fil est destiné à éviter la perte des casiers. Si le casier est perdu malgré tout, le fil permet aux poissons attrapés par le casier, de s'en extirper.

Concernant la restauration des dunes, le s plantes colonisatrices Ipoméa et Canavalia rosea rencontrées dans les régions subtropicales et tropicales, présentent une grande importance car leurs racines retiennent le sable en profondeur. Par rapport à la dynamique du vent, leurs feuilles permettent d'arrêter les grains de sable pour créer une dune. La tortue imbriquée, pour sa part, a besoin de la végétation sur sa plage, qu'elle repère par rapport aux odeurs émises par les plantes. Les plantes retiennent également le niveau du sable à la profondeur à laquelle la tortue a nidifié, ce qui empêche d'inonder le nid en cas de fortes pluies.

Plusieurs plages ont ainsi été végétalisées depuis 2012. Ces actions ont permis de sauver la dune des salines, végétalisée depuis 2014, le site historique de la Grande Saline, voire les habitations. Sur certaines plages faute de semences, nous avons utilisé des palettes à lattes larges pour arrêter les grains de sable plus rapidement. Nous faisons participer à ces opérations les enfants, qui avaient l'habitude d'arracher les lianes pour s'amuser. Nous intervenons dans les écoles, et incitons aussi les enfants à nous aider à introduire d'autres plantes aux graines volatiles.

Nous avons créé des panneaux de sensibilisation, qui indiquent à la population et aux touristes les endroits où les plantes sont réintroduites, et où il convient de ne pas marcher.

Enfin, depuis quelques années aussi, nous participons au nettoyage des côtes sauvages. Nous avons pu identifier la plupart des endroits d'où provient la pollution aux plastiques, qui se trouve de surcroît accentuée par la rétention des sargasses : Antigua, Barbuda, Trinidad, Curaçao, Jamaïque, République dominicaine et même, Portugal et Afrique de l'Est. Le ramassage est effectué depuis quelques années par les bénévoles.

Nous venons en outre de créer des bacs amarrés, permettant aux randonneurs de déposer eux-mêmes leurs déchets.

En conclusion, il est important de prendre conscience que toutes les actions sont liées pour avoir un impact sur l'environnement.

Crédits photo : Didier Laplace

Crédits photo : Didier Laplace

Nicolas MASLACH,
Directeur de la réserve naturelle de Saint-Martin
« La création d'habitats artificiels sous-marins par « surcyclage » de matériaux inertes autour de Saint-Martin »

Propos de présentation du modérateur Jean-Jacques Pourteau, délégué aux outre-mer à l'Agence française pour la biodiversité

Nous allons évoquer à présent une autre approche de préservation du récif corallien, cette fois à Saint-Martin.

Mesdames, Messieurs,

Le reportage qui va suivre a été réalisé par une télévision de Saint-Martin, qui nous a suivis pendant plusieurs mois sur notre action. Le reportage permet de découvrir que les impacts d'Irma sur le territoire et en milieu marin, nous ont aussi été utiles pour trouver des déchets. Pour les équipes de la réserve, il s'agissait de construire des structures innovantes complexes afin que différents organismes marins viennent les coloniser.

[Une vidéo est projetée]

Dans les Antilles, un grand nombre de récifs coralliens ont été détruits tant par les phénomènes naturels (maladies) que climatiques tels que les cyclones et par des périodes de réchauffement comme El Niño . L'ensemble de ces agressions sont accrues par les phénomènes de pollution. Par conséquent, le fait d'aider certaines espèces à coloniser de nouveau les espaces côtiers est essentiel. Nous avons d'ailleurs récemment constaté que là où le bruit est absent, la vie l'est aussi. Tel est le cas pour les poissons et les coraux.

Modeste SALIGNAT,
Garde-moniteur, agent de développement du territoire de
Nord Grande-Terre, Parc national de la Guadeloupe
« La mise en oeuvre de la réhabilitation de la forêt marécageuse
de Golconde aux Abymes, en Guadeloupe »

Propos de présentation du modérateur Jean-Jacques Pourteau, délégué aux outre-mer à l'Agence française pour la biodiversité

Nous allons évoquer la mangrove, autre milieu emblématique de nos territoires. Modeste Salignat, qui exerce au Parc national de Guadeloupe depuis vingt ans, où il a occupé des postes variés, donne toujours le même sens à son travail : transmettre son intérêt pour la nature aux autres hommes du territoire.

Bonjour à tous,

Avant de commencer cette présentation, je vous propose de regarder un film d'Arte sur la forêt marécageuse.

[Une vidéo d'Arte est projetée]

La ville des Abymes a une partie de son territoire classée en zone protégée au coeur du Parc national de la Guadeloupe, essentiellement Domaine Public Lacustre (DPL)-Domaine Public Maritime (DPM). La réhabilitation de la forêt marécageuse de Golconde s'inscrit dans le cadre de la Charte de territoire signée entre la commune des Abymes et le Parc national. La mise en application de cette « charte du vivre ensemble », qui traduit la solidarité écologique sur le territoire, s'effectue par la conclusion d'une convention listant un certain nombre de fiches-action. L'une d'entre elles porte sur la réhabilitation de la forêt marécageuse de Golconde.

Les milieux humides du littoral de la ville des Abymes se situent entre la rivière salée au sud et le canal Perrin au nord. Le paysage s'organise en fonction de la salinité et de la topographie de l'eau. Il est intéressant d'observer comment le milieu humide du littoral des Abymes se situe.

En premier lieu, la partie de mangrove est composée de mangrove bord de mer, de mangrove arbustive et enfin, de mangrove haute. Parfois, une zone de marais herbacés est présente, avant la forêt marécageuse et la prairie humide. Ces différents écosystèmes ne sont pas dissociables, même s'ils ne se succèdent pas nécessairement. La vision doit être toujours globale.

La forêt marécageuse est prise en étau. L'observation comparée des cartes de 1950 et de 2016 permet de constater qu'en 1950, il n'y avait aucune habitation alors qu'en 2016, les rebords de la prairie humide ont été colonisés par des remblaiements et des habitations. Il s'agit par conséquent d'un vrai danger, car précédemment les eaux en provenance de la terre passaient dans la prairie humide en direction de la forêt marécageuse, pour créer l'eau saumâtre dont la forêt marécageuse a besoin pour se développer. Depuis la mer et de la forêt de mangrove, du fait de la montée des eaux, l'eau salée arrive en direction de la mangrove. En l'absence d'eau douce pour contenir la salinité, la forêt marécageuse est en danger.

Le professeur Daniel Imbert, qui travaille sur ce problème de remblaiement des zones humides, attire l'attention des responsables politiques sur ce phénomène. Selon lui dans cinquante ans, si aucune mesure n'est prise, les lieux devront être évacués. C'est pourquoi il importe de conserver une vision globale, malgré le besoin d'habitat incontestable. Les milieux humides du littoral sont une vraie assurance-vie pour l'homme et pour la nature.

Quand une vague d'un mètre de hauteur provient de la mer pour atteindre une zone urbanisée, elle mesure 50 centimètres. Lorsque les zones humides sont enlevées, la vague d'un mètre termine sa course à 75 centimètres. Par conséquent, les dégâts se multiplient, d'où l'importance de préserver les différents milieux et d'accompagner leur croissance en surface. Ces milieux sont un vrai rempart contre l'intrusion marine, de même qu'un filtre contre les phénomènes provenant de la terre. C'est ce que nous devons accepter et soutenir, au-delà des coutumes et de nos croyances parfois erronées.

Il est intéressant à cet égard d'évoquer l'expérience de réhabilitation de la forêt marécageuse conduite en 2010, dans le cadre d'un projet piloté par l'ONF, et mis en oeuvre par les professeurs d'université Maguy Dulorme et Daniel Imbert. À cette occasion, il a été démontré qu'il était possible de faire pousser en pépinière et de replanter le mangle-médaille sur des zones de prairie. La réussite de cette étude et l'expertise des professeurs nous ont permis de mettre en oeuvre une démarche de réhabilitation. Dès lors, dans le cadre de la convention de mise en application de la Charte de territoire avec la commune des Abymes, nous avons créé une pépinière en pleine nature, de 3 000 pots au sol. Nous avons eu des déboires au début, mais nous avons pu observer au bout d'un certain temps que de nombreux plants avaient atteint trois mètres.

De juin 2018 à ce jour, nous avons planté 1 300 arbres et il en reste autant à planter sur d'autres zones ouvertes, représentant dix-huit hectares. À cette démarche, nous avons associé le collège Aurélie Lambourde de la commune des Abymes au travers d'une convention, pour permettre à ses deux classes de 4 e de participer au suivi de la plantation. Nous souhaitons que la commune des Abymes mette en place un chantier-école destiné à former des jeunes à cette pratique.

Le coût de cette action s'élève à plus de 100 000 euros, supportés aujourd'hui par le Parc national de la Guadeloupe. Nous souhaiterions que d'autres acteurs apportent également leur soutien financier à cette démarche.

Source : Parc national de la Guadeloupe

Sylvain KILINAN,
Directeur de l'Association Kudawyada
« La valorisation des fruits du palmier awara
par les Kali'na d'Awala-Yalimapo en Guyane »

Propos de présentation du modérateur Jean-Jacques Pourteau, délégué aux outre-mer à l'Agence française pour la biodiversité

Nous allons évoquer les initiatives en faveur du développement économique potentiel de la biodiversité. La communauté Kali'na a décidé d'utiliser l'économie sociale et solidaire sur un milieu fragile à préserver, au sein d'une zone de droit d'usage coutumiers. Sylvain Kilinan, Amérindien Kali'na originaire d'Awala-Yalimapo en Guyane, s'investit depuis quinze ans pour la valorisation de produits locaux et du patrimoine gastronomique. Il présente aujourd'hui la démarche entreprise avec les fruits du palmier awara.

Bonjour,

Ce projet est porté par l'association, qui valorise les projets locaux du territoire d'Awala-Yalimapo, zone de droit d'usage des Kali'na 14 ( * ) . Autrefois, les fruits du palmier awara étaient très consommés lors de travaux de l'abattis (culture) ou à l'occasion de la chasse. Les fruits étaient passés au pilon pour en extraire le jus ou produire de l'huile, selon les besoins. Depuis une quinzaine d'années, ces pratiques se perdent et la consommation des fruits de l'awara a beaucoup diminué. Ce palmier recouvert d'épines étant désormais considéré comme dangereux, il est systématiquement coupé. De plus, les savanes dans lesquelles il pousse sont régulièrement incendiées.

Depuis deux ans, notre volonté est de valoriser cette ressource. Nous avons cherché à mécaniser les procédés d'extraction de la pulpe, et testé les différentes possibilités de conservation. Nous avons finalement opté pour la stérilisation, technique peu répandue en Guyane mais qui offre une sécurité alimentaire incomparable.

Nous avons même créé d'autres produits issus de l'awara, comme la confiture, et proposons diverses recettes à partir de pulpe en conserve. J'en ai amené avec moi quelques échantillons aujourd'hui.

Ce travail, comme nous l'espérons, permettra de susciter un regain d'intérêt pour ces fruits pour transformer de plus gros volumes et de ce fait, créer des emplois d'ouvriers dans la récolte et la transformation. Il s'agit donc d'un enjeu essentiel pour la commune, où le taux de chômage avoisine 75 %. Il importe donc de relancer ce produit local sain, vitaminé et antioxydant, pour valoriser le potentiel économique du palmier awara. Par voie de conséquence, ce palmier devenant une espèce protégée, toute la forêt sur sable blanc et les savanes bénéficieront de cette protection.

Cette expérience pilote au sein de la communauté Kali'na, sur la zone du droit d'usage collectif, est un exemple de développement de l'économie sociale et solidaire, en parfait accord avec les convictions amérindiennes. Nous souhaitons la partager avec d'autres communautés responsables de la gestion de zone de droit d'usage, où le non-accès au foncier est un frein dans les domaines de l'agriculture et de l'artisanat.

Michel Magras, Président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer . - Je présente mes excuses pour ce dépassement du temps, mais le débat était passionnant.

Si j'étais une plante, je me dirais que l'homme est sans doute l'espèce la plus envahissante de la terre. Néanmoins si nous laissons faire la nature, elle ne fait pas toujours bien les choses. L'homme, par son expérience, a la possibilité de détruire, comme il l'a considérablement fait, mais aussi de maintenir en vie. Aujourd'hui, personne ne remet plus en doute cette nécessité de protéger.

Palmier awara - Crédits photo : Sylvain Kilinan

Fruits du palmier awara - Crédits photo : Sylvain Kilinan



* 1 « Pour nous, pour nos enfants et pour notre pays ».

* 2 Étude de perception des espaces naturels sensibles à travers un prisme culturel - Qualistat pour CD971, juin 2018.

* 3 Définition de la stratégie d'intervention sur les ENS / Synthèse des enjeux - Office national des forêts pour CD971, juillet 2018.

* 4 Zone d'aménagement concertée.

* 5 « J'ai travaillé avec des enfants dans une école aux Abîmes. Ces jeunes enfants n'étaient encore jamais allés à la rivière, ils n'avaient encore jamais mis un pied à la mer. Ils étaient toujours devant le seuil de leur maison dans les cités où ils vivaient. Mais lorsque nous leur avons fait découvrir leur pays la première fois, ils l'ont découvert et ils ont réalisé comme c'était beau. Lorsque nous sommes retournés aux Abîmes, ils étaient encore complètement émerveillés. Je n'ai rien à ajouter après cela. C'est chaque enfant qui décide de ce qu'il veut faire avec tout ce qu'il a vu. Mais souvent ils changent et ce que je leur dis après cela, c'est qu'il faut porter une attention particulière à son environnement ».

* 6 Duran, P., 2010. L'évaluation des politiques publiques : une résistible obligation. Revue française des affaires sociales n° 1-2, 5-24.

* 7 Définition de la stratégie d'intervention sur les ENS / Construction d'une visée partagée pour le SDENS, apports d'une évaluation de la PP- A. Maragnes et ONF pour CD971, non finalisé.

* 8 Bilan gaz à effet de serre/Plan climat air énergie territorial.

* 9 Définition de la stratégie d'intervention sur les ENS / Méthodologie de sélection des sites par ONF pour CD971, mars 2019.

* 10 Plan d'occupation des sols / Plan local d'urbanisme.

* 11 Établissement public de coopération intercommunale.

* 12 Définition des zones de préemption par CED/C2R/CED pour CD971, juin 2019.

* 13 Taxe d'aménagement.

* 14 Les Kali'nas sont une ethnie amérindienne que l'on retrouve dans plusieurs pays de la côte caraïbe d'Amérique du Sud. Ils sont de langue et de culture caraïbes.

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