B. UN PATRIMOINE QUI SE DÉGRADE

1. La dégradation lente mais continue des ouvrages gérés par l'État

Les ponts gérés par l'État subissent une dégradation lente mais continue de leur état, que ce soit en nombre ou en surface.

Entre 2007 et 2017, le pourcentage d'ouvrages en mauvais état (classés 3 ou 3U) est resté stable (autour de 6 %, soit 720 ponts environ), mais celui des ouvrages nécessitant un entretien sous peine de dégradation ou présentant des défauts (classés 2E et 2) a fortement augmenté (de 65 % à 79 %). Le nombre de ponts en bon état apparent (classés 1) s'est quant à lui réduit de 13 % à 11 % 11 ( * ) .

Cette évolution résulte largement d'une politique de gestion concentrée sur le traitement en urgence des ponts en plus mauvais état sans attention suffisante portée aux autres ponts, qui se sont donc, dans le même temps, dégradés. Elle est d'autant plus inquiétante que le classement 2 et 2E est souvent « l'antichambre » du classement 3 et 3U .

La dégradation entre 2007 et 2017 est encore plus marquée si l'on considère l'état des ponts en fonction de leur surface , même si elle semble avoir été enrayée depuis 2014 (passage de 36 % à 42 % de la surface de ponts nécessitant des réparations).

À partir des résultats d'un audit externe 12 ( * ) , le ministère de la transition écologique et solidaire indiquait, en 2018, qu' un tiers des ponts gérés par l'État nécessitent des réparations .

À titre de comparaison, la mission constate que des efforts de maintenance importants ont été consentis en Allemagne ces dernières années, permettant de freiner la dégradation de l'état des 39 440 ponts du réseau fédéral 13 ( * ) . Depuis 2005, si la surface de ponts en très bon état et en bon état diminue (de 18 à 12 % du parc), celle des ponts jugés en état satisfaisant ou suffisant augmente (de 67 à 76 %) et celle des ponts en état inadéquat ou non satisfaisant diminue (de 15 à 12 % du parc) 14 ( * ) .

ÉVOLUTION DE L'ÉTAT DES PONTS DU RÉSEAU ROUTIER NATIONAL NON CONCÉDÉ

(en nombre)

Source : Cerema, IQOA Ponts - campagne d'évaluation nationale 2017.

ÉVOLUTION DE L'ÉTAT DES PONTS DU RÉSEAU ROUTIER NATIONAL NON CONCÉDÉ

(en surface)

Source : Cerema, IQOA Ponts - campagne d'évaluation nationale 2017.

La situation du patrimoine du réseau national concédé, géré par les sociétés concessionnaires d'autoroutes, est meilleure que celle du réseau non concédé puisque seulement 2,4 % des ouvrages sont considérés comme étant en mauvais état (classés 3 ou 3U). Leur état s'est par ailleurs amélioré ces dernières années, puisque le nombre des ouvrages en mauvais état est passé de 8 % en 2011 à 2,4 % en 2017 15 ( * ) .

Ce constat s'explique notamment par l'obligation faite aux sociétés d'autoroutes d'atteindre des objectifs de performance de gestion et d'état des ouvrages définis dans leurs contrats de concessions, sous peine de sanctions financières 16 ( * ) .

2. Des travaux de réparation nécessaires sur de nombreux ponts départementaux

Pour les ponts départementaux, les seules données disponibles au niveau national sont celles recueillies par l'Observatoire national de la route (ONR) 17 ( * ) . Elles indiquent que 64 % des ponts départementaux sont considérés comme étant en bon état, 27,5 % nécessitent des travaux d'entretien spécialisés, 6,5 % des travaux de réparation et 2 % sont gravement altérés 18 ( * ) .

Au total, 8,5 % des ponts des départements sont donc en mauvais état structurel , soit environ 8 500 ponts .

En outre, lors de son audition au Sénat, l'Assemblée des départements de France (ADF) a indiqué avoir mené une enquête auprès des départements qui révèle que 0,48 % des ponts dont ils sont gestionnaires devront être reconstruits dans les cinq ans à venir, soit une moyenne de cinq ponts par département 19 ( * ) .

ÉTAT DES PONTS DES DÉPARTEMENTS EN 2017 (43 DÉPARTEMENTS)

Source : Observatoire national de la route

3. De fortes craintes sur l'état des ponts des communes et intercommunalités

Il n'existe pas de données consolidées actualisées au niveau national sur l'état des ponts des communes et intercommunalités comme il en existe pour l'État et, depuis 2017, pour une partie des départements.

Les dernières données disponibles consolidées datent de 2008 , car elles ont été collectées par les administrations centrales et déconcentrées dans le cadre de l'assistance technique de l'État pour raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (Atesat), supprimée depuis 2014, qui permettait d'assurer un suivi des ouvrages des petites communes ( cf. III ).

Sur les 17 600 ponts analysés, 16 % étaient en mauvais état (classés 3 et 3U), 20 % nécessitaient des réparations et 64 % étaient en bon état.

La mission juge inquiétant le fait que la part relative des ponts des petites communes en mauvais état (16 % en 3 et 3U) en 2008 représentait plus du double de celle des ponts de l'État à la même époque (7 % en 3 et 3U) .

ÉTAT DES PONTS DES COMMUNES EN 2008 (17 600 OUVRAGES)

Source : Atesat

Ces chiffres sont d'autant plus préoccupants que, comme l'a indiqué l'Institut des routes, des rues et des infrastructures pour la mobilité (Iddrim) à la mission, tout indique que la situation des ponts communaux s'est dégradée depuis 2008 .

D'une part, en l'absence de politique généralisée de surveillance et d'entretien des ouvrages d'art, le patrimoine des collectivités s'est probablement dégradé , même si les caractéristiques du patrimoine des petites communes (comprenant davantage d'ouvrages de petites dimensions et de constitution robuste en maçonnerie ou en béton armé) ont pu limiter cette dégradation par rapport à certains ouvrages de l'État particulièrement fragiles.

D'autre part, la suppression de l'Atesat , la dégradation de la situation financière des collectivités territoriales depuis 2008 et les réorganisations territoriales successives autour de l'intercommunalité ont certainement pesé sur l'entretien des ouvrages d'art.

Pour l'ensemble de ces raisons, d'après les experts, une augmentation globale de la part des ponts en mauvais état (3 et 3U) de l'ordre de 10 % est probable : 18 à 20 % des ponts des petites communes (soit plus de 16 000 ponts) présenteraient donc aujourd'hui une structure altérée ou gravement altérée.


* 11 La méthode d'évaluation IQOA utilisée par l'État permet de répertorier les ouvrages en cinq classes d'état :

- Classe 1 : ouvrages en bon état apparent ;

- Classe 2 : ouvrages ayant des défauts mineurs ;

- Classe 2E : ouvrages de type 2 dont les risques d'évolution des désordres peuvent à court terme affecter la structure ;

- Classe 3 : ouvrages dont la structure est altérée et nécessite des travaux de réparation, sans caractère d'urgence ;

- Classe 3U : ouvrages dont la structure est gravement altérée et nécessite des travaux de réparation urgents liés à l'insuffisance de capacité portante de l'ouvrage ou à la rapidité des désordres.

* 12 IMDM, Nibuxs, Audit externe sur l'état du réseau routier national non concédé et la politique d'entretien de ce réseau, avril 2018.

* 13 Ces ponts représentent une surface de tablier de 30,5 millions de m 2 et une évaluation patrimoniale de 60 milliards d'euros.

* 14 G. Marzahn (Federal Ministry of Transportation and Digital Infrastructure, Head of Unit StB 17) (2016) - Bridge Renovation in Germany - journées techniques Ouvrages d'art Ifsttar/Cerema.

* 15 Données transmises par la Direction générale des infrastructures de transport et de la mer (DGITM)

* 16 Voir annexe 2.

* 17 L'Observatoire national de la route (ONR) a été créé en 2016 afin d'améliorer la connaissance de l'état du réseau routier et de diffuser les informations concernant les politiques de gestion de ce réseau, pour permettre d'éclairer les décideurs face au risque de dégradation du patrimoine routier. Il est géré par l'Institut national des routes, des rues, et des infrastructures pour la mobilité (Iddrim).

* 18 Chiffres issus du rapport annuel 2018 de l'ONR, à partir des données issues de 43 départements ayant répondu à l'enquête. L'ONR a défini des correspondances entre les différents modes d'évaluation des ouvrages utilisés par les départements, en retenant un système de notation à quatre niveaux :

- Niveau 1 : ouvrage en bon état structurel ;

- Niveau 2 : ouvrage dont la structure présente des défauts nécessitant des travaux d'entretien spécialisé ;

- Niveau 3 : ouvrage dont la structure est altérée et qui nécessite des travaux de réparation ;

- Niveau 4 : ouvrages dont l'altération de la structure peut conduire à une réduction de la capacité portante à court terme.

* 19 Voir le compte rendu de la table ronde du 30 janvier 2019 (Chapitre - Travaux en commission).

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