N° 744

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 septembre 2019

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'information (1) sur le thème :
« Gratuité des transports collectifs : fausse bonne idée
ou révolution écologique et sociale des mobilités ? »

Par Mme Michèle VULLIEN, présidente

et M. Guillaume GONTARD, rapporteur

(1) Cette mission d'information est composée de : Mme Michèle Vullien, présidente ; M. Guillaume Gontard, rapporteur ; MM. Philippe Dallier, René Danesi, Mme Annie Guillemot, M. Olivier Jacquin, Mme Mireille Jouve, MM. Frédéric Marchand, Dany Wattebled, vice-présidents ; MM. Serge Babary, Joël Bigot, Mme Céline Boulay-Espéronnier, MM. Michel Dagbert, Gilbert-Luc Devinaz, Michel Forissier, François Grosdidier, Olivier Henno, Loïc Hervé, Olivier Léonhardt, Didier Mandelli, Jean-Marie Mizzon, Louis-Jean de Nicolaÿ, Cyril Pellevat, Philippe Pemezec, Didier Rambaud, Françoise Ramond, Mme Sophie Taillé-Polian.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

Dépassionner le débat qui souffre trop souvent de positions de principe et d'idées préconçues.

Intégrer les territoires ruraux et péri-urbains dans la réflexion pour ne pas créer une sensation de rupture et de distorsion entre les territoires.

Créer un observatoire de la tarification des transports.

Penser la gratuité totale comme un outil d'une politique globale et veiller à sa soutenabilité à long terme.

Sortir de l'opposition entre gratuité et développement de l'offre de transports.

Revenir à un taux de TVA de 5,50 % pour les transports de voyageurs.

Poursuivre et élargir la réflexion sur les modes de financement de la mobilité écologique de demain.

Penser la mobilité à long terme, y compris la « dé-mobilité ».

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

En proposant de créer une mission d'information consacrée à la gratuité des transports, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste entendait nourrir le débat sur les réponses à apporter à une question particulièrement préoccupante pour nos concitoyens, celle de la mobilité. À l'heure où le Gouvernement a fait le choix, près de quarante ans après la loi d'orientation des transports intérieurs, de mettre en chantier une loi d'orientation des mobilités il nous paraissait important d'étudier une forme de tarification qui, si elle ne concerne qu'une partie restreinte des usagers des transports collectifs, se trouve au coeur du débat politique. En d'autres termes, la gratuité des transports collectifs constitue-t-elle une fausse bonne idée ou une révolution écologique et sociale des mobilités ?

En 1968 déjà, Henri Lefebvre jetait les bases d'un « droit à la ville » qui « ne peut se concevoir comme un simple droit de visite ou de retour vers les villes traditionnelles. Il ne peut se formuler que comme droit à la vie urbaine, transformée, renouvelée » 1 ( * ) . Il nous appelait à « ouvrir les yeux pour comprendre la vie quotidienne de celui qui court de son logement à la gare proche ou lointaine, au métro bondé, au bureau ou à l'usine, pour reprendre le soir ce même chemin, et venir chez lui récupérer la force de recommencer le lendemain » 2 ( * ) .

Supprimer purement et simplement le paiement des transports par les usagers rendrait-il la situation plus acceptable, sans oublier une dimension ignorée alors et aujourd'hui devenue incontournable, celle de la nécessaire révolution écologique des mobilités ?

Pour répondre à cette question, la mission d'information a procédé, comme c'est l'usage, à un large programme d'auditions. Elle a également adressé un questionnaire, d'une part aux collectivités qui ont adopté la gratuité totale des transports collectifs, d'autre part à un certain nombre d'autres autorités organisatrices de la mobilité (AOM) soit parce qu'elles avaient annoncé mener une réflexion sur cette éventualité, soit parce qu'elles l'avaient écartée.

Par ailleurs, avec plus de 10 500 réponses en un mois, la consultation en ligne sur le site du Sénat lancée par la mission a rencontré un très vif succès, établissant même un record (hors 80 km/h). Même si les indications qu'elle fournit ne représentent en rien un sondage scientifiquement fondé, cet engouement témoigne du grand intérêt pour la question des transports et des attentes fortes des Français dans ce domaine.

Beaucoup de réponses soulignent, très concrètement, les enjeux de la question de la mobilité dans notre pays aujourd'hui : « on a tous besoin de sortir de chez soi et d'aller vaquer à nos occupations citoyennes » ; « l'amélioration des transports en commun est un pilier fondamental de la transition écologique ».

Plusieurs interlocuteurs mettent en avant les bienfaits de la gratuité : « si les transports collectifs étaient gratuits je les utiliserais plus souvent car, ainsi, je ne me restreindrais plus sur les transports » ; « si on veut vraiment voir diminuer la place de l'automobile dans les villes asphyxiées, quel qu'en soit le coût, il faut encore développer les transports collectifs et les rendre plus attrayants que le véhicule personnel, la gratuité fait partie de cet attrait » ; « on crève de tous ces emplois de contrôle de toutes sortes dans tous les domaines qui n'apportent pas forcément grand-chose, sauf de masquer une partie du chômage ».

D'autres sont plus partagés ; une internaute explique par exemple qu'elle « n'utilise pas les transports publics car je n'ai pas d'équivalence à mon transport individuel. J'aimerais un transport plus fiable, plus confortable, plus fréquent surtout. En voiture, je mets 30 minutes pour me rendre sur mon lieu de travail tandis qu'en transport en commun il faut compter entre 1h15 et 1h30 quand tout va bien ».

D'autres expriment une forte demande d'équité territoriale, que ce soit pour la disponibilité d'une solution de mobilité : « l'accès au transport, gratuit ou pas, doit être possible du centre d'un village, et pas seulement sur le bord d'une nationale » ; « il me semble fondamental que la notion de gratuité ne soit pas liée à une quelconque nécessité de résidence », ou en termes de financement : « Le versement transport payé par les entreprises répondant à certains critères devrait être obligatoire sur l'ensemble du département au même taux quel que soit l'autorité organisatrice des transports ». De nombreux témoignages interpellent sur les difficultés d'accès à la mobilité des personnes en situation de handicap.

Notons, enfin, que près de 10 % des réponses émanaient de personnes ne disposant pas d'un réseau de transports collectifs. Les difficultés rencontrées par ceux de nos concitoyens qui vivent en milieu rural ou dans les zones périurbaines sont bien réelles et ne doivent en aucun être négligées, bien au contraire. Mais elles relèvent d'une problématique plus vaste que celle des transports collectifs et sortent par leur ampleur du champ circonscrit de la question de leur gratuité.

En quoi consiste la gratuité totale des transports collectifs ? En est-on encore au stade de l'expérimentation, comme on appelle encore les politiques mises en oeuvre par des collectivités aujourd'hui peu nombreuses ? Quels sont ses objectifs, ses conditions de réussite, les obstacles à sa mise en oeuvre, les raisons de son abandon ?

La gratuité comme outil d'accessibilité et de développement des transports collectifs doit pouvoir être évaluée précisément, que ce soit dans son influence sur le changement des comportements, sur un nouveau rapport aux transports ou dans l'accompagnement social et environnemental des mobilités.

Pour répondre à toutes ces questions, dispose-t-on de données chiffrées irréfutables ? Ces données permettent-elles de dresser une typologie des collectivités où les transports collectifs sont désormais gratuits pour tous, tout le temps et sur tout le réseau ?

Cette évaluation permet-elle de préconiser l'adoption de cette gratuité dans toutes les collectivités, quelle que soit leur importance démographique et la taille de leur réseau ?

Si tel n'était pas le cas, quelle tarification devrait être mise en oeuvre pour assurer l'accès de tous à la mobilité tout en contribuant à l'indispensable transition écologique ?

Sur le plan financier, une telle politique est-elle possible dans le cadre du mode de financement actuel des transports collectifs, autrement dit à budget contraint ?

Comment, enfin, les nouvelles mobilités peuvent-elles contribuer à supprimer les obstacles à la mobilité des Français ?


* 1 Henri Lefebvre Le droit à la ville , Éditions Anthropos, 1968.

* 2 Id.

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