C. GARANTIR UN SERVICE UNIVERSEL DE LA SANTÉ AU TRAVAIL POUR TOUS LES TRAVAILLEURS

1. Conserver le système de santé au travail propre aux agents publics
a) La progression de certaines pathologies parmi les agents publics

L'état de santé des agents publics fait l'objet depuis 2011 d'une étude récurrente de l'institut BVA pour le compte de MFP services. La troisième édition de ce baromètre, publiée en juillet 2019 fait apparaître que 84 % des fonctionnaires jugent que leur état de santé est bon et 13 % se disent en « très bonne santé ». Les affections de longue durée (ALD) touchent par ailleurs moins les fonctionnaires (27 %) que l'ensemble de la population (36 %).

Pour autant, certaines pathologies sont en nette progression, notamment les maladies métaboliques (+ 8 points par rapport à 2017), les maladies du coeur et des artères (+ 10 points) et les maladies respiratoires (+ 4 points). Surtout, 70 % des agents interrogés se plaignent de douleurs au dos et un tiers à la nuque et aux épaules.

L'étude révèle également des comportements à risque en matière d'alcool ainsi qu'une surconsommation d'anxiolytiques chez les agents de catégorie C, qui peuvent être un symptôme de l'importance croissante des risques psychosociaux dans la fonction publique.

b) Une préoccupation des pouvoirs publics qui doit déboucher sur des propositions

La santé au travail des agents publics a fait l'objet de plusieurs initiatives des gouvernements successifs au cours de la période récente.

Un premier accord sur la santé au travail dans la fonction publique a été conclu en novembre 2009 entre les employeurs des trois fonctions publiques et les organisations syndicales de fonctionnaires. Cet accord définissait quinze actions concernant les instances et acteurs compétents, les objectifs et outils de prévention des risques et les dispositifs d'accompagnement.

À la fin du quinquennat précédent, un plan d'action pluriannuel 54 ( * ) a été lancé en 2017 par la ministre de la fonction publique 55 ( * )

Vos rapporteurs attendent donc avec intérêt les conclusions de la mission composée de Charlotte Lecocq, Pascale Coton et Jean-François Forest.

c) Développer les synergies là où elles peuvent l'être

Au vu des spécificités de la fonction publique, notamment en termes de déroulé de carrière, il apparaît à vos rapporteurs qu'il ne serait pas pertinent de remettre en cause l'existence d'un système de médecine préventive distinct du système de santé au travail du secteur privé.

Pour autant, s'agissant du suivi des fonctionnaires et des contractuels travaillant sur des chantiers, il pourrait être pertinent que des collaborations soient développées entre les services de médecine préventive et l'OPPBTP. Ces collaborations pourraient prendre la forme de partenariats entre chaque employeur public ayant des personnels intervenant sur des chantiers et les antennes locales de l'OPPBTP.

Proposition n° 10 : Développer des coopérations entre les employeurs publics et l'OPPBTP pour le suivi des agents intervenant sur des chantiers.

2. Prendre en compte la santé au travail des travailleurs non-salariés
a) Les travailleurs non-salariés font face à des risques spécifiques

Les dispositions du code du travail relatives à la santé et à la sécurité au travail ne concernent pas que les seuls salariés. Aux termes de l'article L. 4111-5, elles concernent « les salariés, y compris temporaires, et les stagiaires, ainsi que toute personne placée à quelque titre que ce soit sous l'autorité de l'employeur ». Ce champ exclut toutefois la plupart des travailleurs non-salariés (TNS), notamment les artisans, commerçants et chefs d'entreprise, ainsi que les professions libérales, soit environ 2,8 millions de personnes.

Les travailleurs non-salariés font pour autant face à des problèmes de santé au travail divers et forment à cet égard un ensemble hétérogène. Selon le professeur Olivier Torres, président-fondateur de l'observatoire spécialisé sur la question de la santé des TNS Amarok, « la santé des artisans se rapproche de celle des ouvriers, celle des commerçants de celle des employés et celle des professions libérales de celle des cadres supérieurs ».

Pour partie, les risques auxquels sont exposés les TNS ne sont pas fondamentalement différents de ceux qui concernent les salariés. Il s'agit notamment des risques d'accidents du travail liés à l'exercice d'activités dangereuses, notamment pour les artisans.

Les travailleurs indépendants sont toutefois également soumis à des risques spécifiques liés à la forte responsabilité personnelle qui caractérise leurs métiers. Les risques d'épuisement professionnel, voire le risque suicidaire sont donc fortement présents chez les TNS.

En outre, la nature du travail indépendant favoriserait le déni par les intéressés de leurs problèmes de santé, conduisant selon une logique de cercle vicieux à l'aggravation de ces problèmes.

Cartographie des facteurs de stress chez les travailleurs non-salariés

Source : Observatoire Amarok

b) Faire bénéficier les non-salariés d'un suivi par un SST

Vos rapporteurs portent un vif intérêt aux initiatives tendant à mieux prendre en compte les problématiques de santé au travail des chefs d'entreprise. Il s'agit notamment de l'observatoire Amarok mais également le dispositif Aide Psychologique pour les Entrepreneurs en Souffrance Aiguë (Apesa) créé au tribunal de commerce de Saintes et qui doit être progressivement déployé dans un nombre croissant de tribunaux de commerce.

Par ailleurs, sur le modèle en vigueur dans le monde agricole 56 ( * ) , vos rapporteurs estiment qu'il pourrait être permis aux chefs d'entreprise de demander à bénéficier d'un suivi de leur état de santé par le service de santé au travail de leur entreprise. Bien entendu, les dispositions relatives aux visites obligatoires et aux avis d'aptitude ou d'inaptitude ne sauraient être étendues aux chefs d'entreprise et le SST n'interviendrait qu'à la demande du chef d'entreprise.

Compte tenu de son caractère facultatif, le coût marginal de ce suivi supplémentaire apparait limité. Vos rapporteurs estiment donc qu'il peut être envisagé sans majoration de la cotisation versée par l'employeur au service de santé. Il conviendrait alors que les organes consulaires et les organisations patronales prennent leur part dans la sensibilisation des chefs d'entreprise et les incitent à faire usage de cette aide nouvelle qui leur serait proposée.

Proposition n° 11 : Intégrer les chefs d'entreprise dans l'effectif suivi par le SST d'une entreprise, sans majoration de la cotisation versée.

S'agissant des indépendants qui n'ont pas de salariés et qui ne cotisent donc pas en tant qu'employeurs à un SST, vos rapporteurs estiment qu'il serait souhaitable d'envisager un rattachement obligatoire au SST de leur choix. Les modalités de financement de ce rattachement restent toutefois à déterminer avec les représentants des TNS.

Proposition n° 12 : Prévoir un rattachement obligatoire des travailleurs non-salariés qui n'ont pas de salarié au SST de leur choix moyennant une cotisation individuelle.

La santé au travail des travailleurs des plateformes

En tant que travailleurs indépendants, les travailleurs utilisant des plateformes électroniques de mise en relation ne sont pas couverts par le système de santé au travail. Or, les activités qu'ils exercent peuvent présenter des risques professionnels importants, notamment dans le domaine du transport de personnes et dans celui de la livraison.

Toutefois, le développement de ces activités, dont la distinction avec le salariat est parfois remise en cause, pose plus largement des questions en matière de droit du travail et de protection sociale. Cette problématique mérite donc une approche qui dépasse le cadre de la santé au travail.

Votre commission a confié à M. Michel Forissier et Mmes Catherine Fournier et Frédérique Puissat une mission d'information sur le droit social applicable aux travailleurs indépendants économiquement dépendants, qui aura notamment vocation à se pencher sur cette question, qui ne peut être traitée dans le cadre du présent rapport.

3. Améliorer le suivi de l'état de santé des intérimaires et des sous-traitants
a) Un suivi lacunaire malgré des expositions plus fortes

Si les salariés temporaires font en principe partie du public suivi par les services de santé au travail, leur présence par nature intermittente au sein de l'entreprise rend leur suivi plus difficile. Or, en particulier lorsqu'ils exercent des métiers industriels, les intérimaires font face à des facteurs de risque importants.

Une étude de la Dares datant de 2018 57 ( * ) fait ainsi apparaitre que les ouvriers intérimaires sont davantage confrontés à des contraintes physiques mais également de rythme de travail que les autres ouvriers. Cette étude montre également que l'exposition apparemment moindre aux produits cancérogènes des intérimaires résulte d'une part de la règlementation 58 ( * ) mais également d'une moindre connaissance de cette exposition par les médecins du travail. La Dares conclut donc que l'exposition des salariés intérimaires à des produits dangereux est certainement sous-évaluée.

Le développement de la sous-traitance et des contrats courts constitue également une problématique importante en termes de santé et de sécurité au travail. En effet, les travailleurs concernés exercent souvent des tâches impliquant une pluralité de risques physiques (port de charges), chimiques et biologiques (manipulation de produits dangereux par exemple dans le cas des agents de nettoyage) et organisationnels (horaires atypiques) alors que leur suivi est rendu plus difficile par leur présence irrégulière dans l'entreprise.

b) Permettre un suivi plus cohérent

Afin d'assurer un suivi plus cohérent et plus durable des intérimaires, il pourrait être envisagé de désigner des SST de branche. Ainsi, à l'échelle d'un territoire, qui peut être le département, l'ensemble des intérimaires d'une branche donnée serait suivi par un même SST accrédité à cet effet. Un mécanisme de reversement à ce SST des cotisations afférentes devra être prévu pour financer ce suivi.

Proposition n° 13 : Attribuer par convention le suivi de l'ensemble des intérimaires d'une branche au sein d'un même bassin d'emploi à un SSTI identifié à cet effet.

En ce qui concerne la sous-traitance d'activités au sein même d'une entreprise, vos rapporteurs préconisent que les salariés de sous-traitants intervenant au sein d'un établissement en vertu d'un contrat conclu pour une période minimale, déterminée par voie réglementaire, supérieure à deux mois soient suivis par le SST de l'entreprise utilisatrice. Dans un certain nombre de cas, il s'agirait d'un service de santé autonome, les entreprises ayant recours à la sous-traitance en interne étant généralement des grandes entreprises. Cela conduirait l'entreprise utilisatrice à prendre en compte l'ensemble des travailleurs intervenant dans ses locaux dans sa stratégie de prévention des risques.

Proposition n° 14 : Intégrer les salariés de sous-traitants, intervenant au sein d'une entreprise pendant une période minimale déterminée par voie réglementaire, dans les effectifs suivis par le SST de l'entreprise utilisatrice.


* 54 Plan d'action pluriannuel pour une meilleure prise en compte de la santé et de la sécurité au travail dans la fonction publique.

* 55 Circulaire du 28 mars 2017 relative au plan d'action pluriannuel pour une meilleure prise en compte de la santé et de la sécurité au travail dans la fonction publique NOR : RDFF1709837C.

* 56 Les exploitants agricoles peuvent volontairement adhérer au service de santé au travail offert par la mutualité sociale agricole (MSA). Ils s'acquittent alors d'une cotisation annuelle spécifique. Cette faculté est toutefois très peu utilisée selon les réponses communiquées à vos rapporteurs par le ministère du travail.

* 57 Dares analyses, Les ouvriers intérimaires sont-ils plus exposés aux risques professionnels ? 9 octobre 2018.

* 58 L'article D. 4154-1 du code du travail interdit d'employer des salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée et des salariés temporaires pour l'exécution des travaux les exposant à certains agents chimiques dangereux.

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