B. RENFORCER LA COHÉRENCE DU PILOTAGE NATIONAL ET TERRITORIAL DE LA SANTÉ AU TRAVAIL

1. Garantir un haut niveau de qualité de prestations des services de santé au travail

Le réseau des SST pâtit de l'absence d'un pilotage national fort capable de garantir des prestations de qualité sur tout le territoire et pour l'ensemble des entreprises, quelle que soit leur effectif. À l'occasion de leur audition par vos rapporteurs, les représentants des employeurs ont fait état, chez les chefs d'entreprise, d'un sentiment de décalage entre la cotisation versée au SST et le niveau perçu de qualité des prestations rendues. Une partie d'entre eux continue d'identifier la médecine du travail comme le lieu de délivrance des certificats d'aptitude et ne l'envisagent pas véritablement comme un partenaire de proximité susceptible de les accompagner dans la mise en oeuvre de leurs obligations réglementaires en matière de prévention des risques professionnels.

Une étude 47 ( * ) de l'institut Odoxa commandée par un SST, publiée en juin 2019, fait ainsi apparaître que, parmi les personnes interrogées, 59 % considèrent la médecine du travail plus comme un service de contrôle que comme un service de conseil et 82 % privilégient la consultation de leur médecin traitant plutôt que du médecin du travail en cas de problème de santé lié au travail.

L'existence de l'association Présance, créée pour défendre les intérêts des SSTI au niveau national, ne suffit pas à harmoniser les pratiques de ces services sur le territoire. Cet organisme privé n'est en effet pas en mesure, pas plus que l'État au travers de ses Direccte, de fournir un état des lieux exhaustif des effectifs, des moyens (autant financiers que patrimoniaux) et des activités des SSTI, alors même que les SSTI peuvent être regardés comme chargés d'une mission de service public 48 ( * ) . Il paraît ainsi surprenant qu'à la différence des établissements hospitaliers et des établissements sociaux et médico-sociaux, les SST, qu'ils soient interentreprises ou autonomes, ne fassent pas l'objet d'une procédure de certification de la qualité de leurs activités et prestations, bien qu'ils assurent une prise en charge médicale, même si celle-ci reste préventive. De nombreuses faiblesses dans la politique d'agrément des SST mise en oeuvre par les Direccte ont ainsi été relevées lors des auditions conduites par vos rapporteurs.

Les services des Direccte, et en particulier l'inspection médicale du travail, ne disposent pas des moyens nécessaires afin de garantir au sein des SST le respect des exigences réglementaires qui s'attachent aux décisions d'agrément 49 ( * ) . L'association de santé et de médecine du travail (A-SMT) a ainsi confirmé à vos rapporteurs que les Direccte ne pouvaient pas imposer au SSTA d'une entreprise le suivi des salariés des entreprises de sous-traitance avec lesquelles elle contracte, bien que ceux-ci évoluent à demeure dans l'entreprise sur une période longue, ni même d'obtenir des SSTI de la branche du BTP qu'ils assurent le suivi médical des salariés intérimaires de ce secteur. En l'état actuel, la politique d'agrément mise en oeuvre par les Direccte ne permet pas non plus de garantir dans chaque SST l'effectivité de l'exigence de pluridisciplinarité.

a) Pour un pilotage national stratégique renforcé

Dans ces conditions, vos rapporteurs plaident pour une simplification de la gouvernance nationale du système de santé au travail afin de garantir un haut niveau de qualité des interventions des SST sur l'ensemble du territoire. La création d'une agence nationale de la santé au travail 50 ( * ) permettrait de confier à une seule instance clairement identifiée par l'ensemble des acteurs de la prévention des risques professionnels les missions suivantes :

- harmoniser les pratiques des SST ;

- établir un référentiel de certification des SST, en lien avec les agences sanitaires telles que l'ANSéS, Santé publique France et la Haute Autorité de santé (HAS) ;

- accréditer les organismes chargés de certifier les SST, comme le fait déjà la HAS pour l'accréditation des organismes de certification des établissements sociaux et médico-sociaux ;

- élaborer des recommandations de bonne pratique en direction des SST et des professionnels de la santé au travail, sur le modèle des recommandations diffusées par la HAS auprès des établissements hospitaliers, sociaux et médico-sociaux ;

- fournir aux SST un large éventail d'outils d'intervention en matière de prévention des risques professionnels (documents supports, formations...) ;

- relayer auprès de l'ensemble des acteurs de la santé au travail les recommandations émises par les agences sanitaires et d'expertise scientifique, notamment en matière d'exposition aux substances toxiques ;

- garantir l'interopérabilité des bases de données de santé au travail, en favorisant l'utilisation d'un seul et même système d'information dans tous les SST, afin de faciliter le recueil et le traitement de données médicoprofessionnelles, en lien avec l'agence nationale des systèmes d'information partagés de santé (ASIP Santé), groupement d'intérêt public chargé d'assurer l'interopérabilité de l'ensemble des systèmes d'information et services et outils numériques en santé ;

- faire remonter aux agences sanitaires et d'expertise scientifique les données recueillies par les SST, notamment les données d'exposition, afin de développer la recherche en santé au travail dans une optique de santé publique.

Cette agence nationale serait le fruit de la fusion de l'Anact et de deux organismes nationaux oeuvrant spécifiquement dans la recherche en matière de prévention des risques professionnels, à savoir : l'INRS (actuellement association sous le contrôle de la CNAM) et Eurogip (actuellement GIP entre la CNAM et l'INRS). Cette fusion n'impliquerait pas la dilution de l'identité de ces trois entités constitutives. L'agence pourrait en effet s'articuler, dans son organisation interne, autour de quatre piliers :

- un département de la certification et de l'évaluation, responsable de la définition des référentiels de certification des SST et des trames des contrats pluriannuels d'objectifs et de performance des SST qui tiendraient compte des spécificités de certaines branches professionnelles, notamment celle du BTP, et de catégories particulières de travailleurs requérant un suivi médical adapté (travailleurs exposés aux substances dangereuses, travailleurs intérimaires, salariés d'entreprises de sous-traitance, travailleurs mineurs, travailleurs indépendants...). L'agence conserverait toute la latitude nécessaire afin d'assurer une organisation interne de nature à garantir la prise en compte des spécificités de chaque branche professionnelle, le cas échéant au niveau de commissions de branche ;

- un département de l'animation du réseau des SST et de la formation des acteurs de la santé au travail, qui assurerait la diffusion auprès des professionnels de la prévention et du suivi médical des outils et bonnes pratiques nécessaires à la réalisation de leurs missions. Ce département organiserait la formation des acteurs de la prévention au sein du réseau des SST et des référents « santé et sécurité au travail » au sein des entreprises elles-mêmes, soit en assurant lui-même ces formations, soit en habilitant des organismes privés à délivrer des formations certifiantes ;

- un département de la recherche en santé au travail qui capitaliserait sur l'expertise de l'INRS et d'Eurogip, et contribuerait à concevoir les outils et les formations en matière de prévention des risques professionnels, et qui collaborerait avec les agences sanitaires ;

- un département des systèmes d'information en santé au travail qui définirait les référentiels d'interopérabilité des systèmes d'information utilisés par l'ensemble des acteurs de la santé au travail (SST, Carsat, responsables de l'évaluation des risques professionnels au sein de l'entreprise...) et garantirait la collecte, le suivi et le traitement de données de santé au travail, en particulier des données d'exposition.

L'agence nationale de la santé au travail disposerait du statut de groupement d'intérêt public (GIP) qui lui permettrait de bénéficier de la mise à disposition par ses membres de personnels mais également de recruter des personnels de droit privé comme des personnels relevant d'une personne morale de droit public non membre, et de tirer des ressources propres de services rendus contre rémunération, qu'il s'agisse des prestations de formation ou encore de la commercialisation d'outils informatiques et d'autres produits de propriété intellectuelle. Seraient membres de ce GIP :

- l'État, au travers des ministères du travail, de la santé, de la sécurité sociale et de l'agriculture ;

- la sécurité sociale, au travers de la CNAM et de la CCMSA ;

- les agences sanitaires en lien avec la santé au travail, au travers de l'ANSéS et Santé publique France.

La direction du GIP serait assurée par un conseil d'administration au sein duquel la majorité des voix serait détenue par les personnes morales de droit public membres du groupement 51 ( * ) , mais qui garantirait la représentation des organisations patronales et syndicales.

Proposition n° 1 : Créer une agence nationale de la santé au travail chargée d'harmoniser les activités et les pratiques des SST en établissant un référentiel de certification de ces derniers.

b) Pour une certification exigeante des SST

La procédure de certification des SST par l'agence nationale de la santé au travail s'inspirerait de celle mise en oeuvre par la HAS pour les établissements et services des secteurs médico-social et social : l'agence serait ainsi chargée d'évaluer et de faire procéder à l'évaluation de la qualité des prestations délivrées par les SST selon une procédure qu'elle aura préalablement définie, conforme au référentiel de certification qu'elle aura établi.

Les organismes autorisés à procéder à cette évaluation, dont les résultats détermineront l'octroi au SST de sa certification ou le renouvellement de cette certification, seront accrédités par l'agence nationale de la santé au travail qui définira le cahier des charges auquel ces organismes seront soumis. Les résultats de cette évaluation seront communiqués à l'agence nationale ainsi qu'à la Dirrecte et à la Carsat qui seront appelées à contractualiser avec le SST au travers du CPOM. Il reviendra à un décret de déterminer les conditions de publication de l'évaluation du SST en vue de sa certification ou du renouvellement de sa certification, ainsi que le rythme des évaluations.

La certification pourra tenir compte des spécificités du bassin d'emploi dans lequel le SST souhaite s'inscrire ou des branches professionnelles dont relèvent les métiers qu'il aura plus particulièrement à suivre. En fonction des besoins identifiés par la Direccte et la Carsat, l'attribution de la certification et son renouvellement pourront, par exemple, tenir compte de la capacité du SST à prendre en charge des intérimaires ou des salariés d'entreprises de sous-traitance, ou encore des travailleurs indépendants.

Compte tenu de l'échéance prochaine du 3 e PST, il convient de veiller à ce que l'élaboration de la procédure de certification des SST et l'accréditation des organismes autorisés à procéder à cette certification soient pleinement opérationnels à compter de la mise en oeuvre du 4 e PST, soit au plus tard d'ici la fin de l'année 2020.

Proposition n° 2 : Instituer une procédure de certification des SST définie par l'agence nationale de la santé au travail qui accréditera les organismes habilités à procéder à cette certification.

La certification permettra, en outre, d'assurer la transparence des financements des SST en incluant, dans chaque évaluation périodique, un audit financier du service.

c) Un réseau territorial de la santé au travail conforté dans la complémentarité entre les SST et les Carsat/Aract

La simplification de la gouvernance de la santé au travail au niveau national doit également s'accompagner d'une clarification de la répartition des compétences au sein du réseau des acteurs de terrain en matière de prévention des risques professionnels, pour plus de lisibilité auprès des employeurs.

À cet égard, vos rapporteurs proposent un réseau articulé autour de deux piliers : d'un côté, les SSTI et SSTA, de l'autre, les organismes locaux chargés d'accompagner et de conseiller les SST dans l'accomplissement de leurs missions. Ces organismes locaux seraient incarnés par des caisses régionales de la santé au travail, issues de la réunion au sein d'un seul et même organisme de sécurité sociale des agents chargés des missions de réparation, de tarification et de prévention des actuelles Carsat et des agents des Aract.

Les Carsat sont aujourd'hui des organismes de sécurité sociale de droit privé chargés d'une mission de service public. Elles dépendent de la CNAM et de la caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et sont placées sous la tutelle du ministère chargé de la sécurité sociale. Rien ne semble s'opposer, d'un point de vue opérationnel, à la scission des Carsat en caisses régionales d'assurance retraite d'une part, et caisses régionales de la santé au travail d'autre part.

Il s'agit en effet de deux types d'activité distincts qui bénéficient aujourd'hui d'une mutualisation, bien souvent au sein d'un seul bâtiment, d'un ensemble de fonctions administratives de support (direction comptable et financière, direction de l'informatique, direction des ressources humaines...). Cette mutualisation pourra se poursuivre lors de la création des caisses régionales de la santé au travail, l'activité « retraite » étant généralement déjà incarnée au sein des Carsat par un directeur ou un directeur-adjoint spécifiquement chargé des retraites. En application de l'article L. 216-3 du code de la sécurité sociale, les organismes locaux ou régionaux du régime général peuvent en effet « se grouper en unions ou fédérations en vue de créer des oeuvres et des services communs ou d'assumer des missions communes ». Aussi la séparation juridique entre caisses d'assurance retraite et caisses de santé au travail ne devra-t-elle pas remettre en cause le regroupement physique au sein de locaux partagés.

Plusieurs arguments plaident pour capitaliser sur l'expertise accumulée par les Carsat et les Aract en matière de prévention des risques professionnels et renforcer, au travers d'un seul organisme local de sécurité sociale spécialisé en santé au travail, leur collaboration avec les SST :

- l'intégration des Aract au sein des Carsat garantirait la prise en compte spécifique des nouveaux risques professionnels associés aux enjeux d'organisation du travail et d'amélioration des relations professionnelles au sein de l'entreprise, enjeux que les Carsat ne prennent que très marginalement en charge car elles se concentrent prioritairement sur la prévention de risques physiques ou chimiques ;

- en outre, cette intégration viendrait répondre aux fragilités du réseau des Aract relevées par le référé de la Cour des comptes de mai 2019 qui appelait à une sécurisation de leur situation juridique au regard des règles de la commande publique et de la comptabilité publique. La présence d'agents comptables issus des Carsat au sein des futures caisses régionales de la santé au travail et la capacité des Carsat à répondre à des appels d'offres dans le domaine de prévention des risques professionnels permettrait de lever ces inquiétudes. La CNAM ayant vocation à être membre fondateur du GIP, il existera un lien organique entre l'agence nationale de santé au travail et le réseau des caisses régionales de la santé au travail ;

La capacité juridique des Carsat à répondre à des marchés publics

Par analogie avec les règles applicables aux personnes publiques (les Carsat étant des organismes privés en charge d'une mission de service public), telles que dégagées par la jurisprudence européenne et nationale, une Carsat a la possibilité de candidater à des appels d'offres émis par un personne morale de droit public ou une personne morale de droit privé chargée d'une mission de service public.

Néanmoins, il convient de préciser que par une décision du 30 décembre 2014 1 , confirmée par une autre décision du 14 juin 2019 2 , le Conseil d'État a conditionné la recevabilité d'une telle candidature au fait qu'elle réponde à un intérêt public. En l'espèce, afin que la candidature d'une Carsat à un marché public dans le domaine de la prévention des risques professionnels puisse s'inscrire dans le prolongement de la mission de service public dont elle a la charge, il faudrait que ce soit celle définie au 2° de l'article L. 215-1 du code de la santé publique : « dans le domaine des risques professionnels, en développant et coordonnant la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles et en concourant à l'application des règles de tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles et à la fixation des tarifs ».

Il conviendrait, par ailleurs, de vérifier que cette candidature ne fausse pas les conditions de la concurrence : à cet effet, le pouvoir adjudicateur, voire le juge saisi en cas de contentieux, s'assurera :

- que le prix proposé prend bien en compte l'ensemble des coûts directs et indirects concourant à sa formation ;

- que le candidat ne bénéficie pas, pour déterminer ce prix, d'un avantage découlant des ressources ou des moyens qui lui sont attribués au titre de sa mission de service public ;

- que le prix proposé peut être justifié par des documents comptables, le cas échéant, ou tout autre moyen d'information approprié.

1 Conseil d'État, 30 décembre 2014, Société Armor SNC, n° 355563.

2 Conseil d'État, 14 juin 2019, Société Vinci Construction, n° 411444.

Source : Direction des risques professionnels de la CNAM

- les caisses régionales de la santé au travail pourront également capitaliser sur l'identification par les Carsat, dans le cadre de leur mission d'assureur, des entreprises présentant la plus forte sinistralité. Les caisses régionales de la santé au travail pourront ainsi travailler en partenariat étroit avec les SST intervenant auprès de ces entreprises à forte sinistralité afin de coordonner leurs actions et d'éviter toute redondance ou compétition entre acteurs de la prévention.

Les caisses régionales de la santé au travail auront alors vocation à s'imposer comme le relais de terrain de l'agence nationale de la santé au travail dans l'accompagnement des SST, en facilitant la diffusion d'outils de prévention adaptés au contexte de sinistralité propre à l'entreprise.

Proposition n° 3 : Rassembler les Carsat et les Aract au sein de caisses régionales de la santé au travail et en faire le relais territorial de l'agence nationale de la santé au travail dans le conseil et l'accompagnement des SST.

L'organisation et le fonctionnement actuels de l'OPPBTP ne devraient pas être remis en cause par le schéma de gouvernance envisagé par vos rapporteurs. À l'instar des SST, l'OPPBTP et son réseau de 13 agences régionales, qui assurent des missions exclusives de prévention, feront l'objet d'une certification périodique selon la procédure définie par l'agence nationale de la santé au travail.

Il serait particulièrement contreproductif de remettre en cause l'identité et les spécificités de l'OPPBTP en le diluant au sein d'un ensemble national comme le proposait initialement le rapport « Lecocq ». Cet organisme de prévention national a démontré l'intérêt d'une démarche pragmatique et collective de prévention au niveau d'une branche professionnelle fortement exposée aux risques professionnels, notamment physiques et chimiques. Dans le cadre d'une gouvernance paritaire, l'OPPBTP travaille en parfaite coopération avec la CNAM et le ministère du travail. Financé par une cotisation obligatoire, assise sur la masse salariale brute déclarée pour le calcul de la cotisation des congés payés et prélevée par la caisse des congés payés du BTP, il témoigne de l'engagement fort d'une branche professionnelle en faveur de la préservation de la santé de ses travailleurs.

Vos rapporteurs estiment que cet exemple devrait être répliqué à d'autres branches professionnelles marquées par un contexte de sinistralité particulier et qui pourraient tirer profit d'une approche sectorielle de leurs enjeux de santé et sécurité. C'est pourquoi ils invitent la CNAM à identifier les branches présentant le taux de sinistralité le plus important (notamment hébergement médico-social, transport et entreposage, restauration et hôtellerie...) et appellent à mobiliser les partenaires sociaux de ces branches pour engager des négociations sur la constitution d'un organisme national de prévention sur le modèle de l'OPPBTP. La création de ces organismes nationaux de prévention de branche pourrait, du reste, conduire au regroupement d'un certain nombre de SST.

Proposition n° 4 : Engager, pour les branches professionnelles présentant un taux de sinistralité important, une négociation pour la création, d'ici fin 2020, d'organismes nationaux de prévention de branche.

2. Rendre les outils de la contractualisation en santé au travail pleinement opérationnels
a) Pour plus de cohérence entre les documents d'orientation stratégiques et les outils contractuels

Deux documents fixent aujourd'hui les orientations stratégiques de la santé au travail au niveau national :

- le PST ;

- la COG de la branche AT-MP. Celle-ci détermine les moyens mis en oeuvre par les organismes de sécurité sociale afin de répondre aux priorités du PST.

La COG en cours d'exécution, couvrant la période 2019-2022, est le résultat d'une négociation de plus d'un an entre l'État, la CNAM et les partenaires sociaux qui avait achoppé initialement sur le montant de l'effort que la puissance publique était prête à consentir au développement de la prévention. La COG prévoit ainsi une augmentation significative des crédits qui devraient être alloués aux dispositifs d'incitation financière en matière de prévention, dont les aides financières simplifiées (AFS) et les contrats de prévention, dans le cadre du FNPAT. La COG prévoit en outre le maintien à 1 400 ETP du nombre de préventeurs dans le réseau des Carsat.

La discordance des temporalités entre le PST et la COG de la branche AT-MP, de même qu'entre les agréments délivrés aux SST et les CPOM conclus par ces derniers ne favorise pas la mise en cohérence des actions conduites par les différents acteurs de la prévention avec les orientations stratégiques définies aux niveaux national et régional. Dès lors, vos rapporteurs recommandent de tirer profit de l'arrivée à échéance du 3 e PST pour faire coïncider la mise en oeuvre de l'ensemble des obligations contractuelles des SST, dont la certification et le CPOM, avec la période d'exécution du prochain PST qui devrait couvrir la période 2021-2025.

Proposition n° 5 : Aligner la temporalité de la certification et des CPOM des SST sur celle du prochain PST.

b) Faire du CPOM conclu par les services de santé au travail un véritable instrument au service de l'innovation dans la santé au travail

Le CPOM ne constitue pas encore le levier d'une politique de prévention de proximité au bénéfice des entreprises.

Plus de sept ans après l'entrée en vigueur de la loi du 20 juillet 2011, seulement 77 % des SSTI ont signé un CPOM, bien qu'il s'agisse d'une obligation légale. La négociation et la conclusion des CPOM se caractérisent par un temps de coordination conséquent, chaque CPOM devant être préalablement soumis pour avis aux partenaires sociaux au niveau du Croct et à l'ARS. Les CPOM ne font, en outre, pas l'objet d'une homogénéisation dans leur contenu au niveau d'un territoire ou d'un bassin d'emploi. La très grande diversité d'indicateurs utilisés dans différents CPOM ne permet pas une démarche partagée entre les signataires dans l'objectivation des moyens nécessaires à la réalisation des objectifs fixés.

Les actions de coordination entre les SST et les Carsat se font alors parfois en dehors du cadre des CPOM, ce qui tend à nier l'utilité de cet outil contractuel. Certaines expérimentations se mettent en effet en place en l'absence de cadre réglementaire ou contractuel, ce qui ne garantit pas leur évaluation et encore moins leur capitalisation au niveau du territoire ou de la branche.

Il convient, par conséquent, de charger la future agence nationale de la santé au travail d'élaborer une trame nationale des CPOM, qui tiendra compte de l'avis et de l'expertise des agences sanitaires et des organisations patronales et syndicales au niveau du COCT. Cette trame devra proposer à l'ensemble des SST un socle commun d'indicateurs nationaux obligatoires afin d'homogénéiser la mise en oeuvre d'un certain nombre de prestations incontournables dans la prise en charge de problématiques prioritaires (suivi des travailleurs les plus exposés, prévention de la désinsertion professionnelle, prévention des risques psychosociaux, amélioration de l'organisation du travail et accompagnement à la conduite du changement...).

Cette trame pourra être déclinée territorialement afin de tenir compte des besoins des bassins d'emploi au moyen d'indicateurs complémentaires, spécifiques aux enjeux de certaines branches professionnelles ou de certaines catégories de travailleurs. À titre d'exemple, un projet de CPOM régional pour l'Île-de-France est en cours de réflexion entre la Direccte, la caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France et les SSTI. Elle pourrait s'inspirer d'une trame commune de CPOM déjà élaborée pour plusieurs SSTI adhérant à l'Alliance pour la santé au travail en Île-de-France (Astif).

Proposition n° 6 : Confier à l'agence nationale de la santé au travail le soin d'élaborer une trame nationale des CPOM avec un socle commun d'indicateurs nationaux obligatoires.

Proposition n° 7 : Permettre une prise en compte dans les CPOM des particularités des bassins d'emploi au moyen d'indicateurs complémentaires déclinés, le cas échéant, par branches professionnelles et/ou catégories de travailleurs.

Par ailleurs, le CPOM doit être véritablement mis à profit afin de coordonner efficacement les interventions des organismes de sécurité sociale et celles du SST. Si l'article L. 422-6 du code de la sécurité sociale prévoit la conclusion de conventions entre la Carsat et le SST, annexées au CPOM, ces conventions n'ont pas encore en pratique permis la mise en cohérence de leurs actions respectives dont certaines peuvent apparaître redondantes. Le partenariat établi entre la future caisse régionale de la santé au travail et le SST doit permettre d'articuler la complémentarité de leurs interventions. Les conventions devraient ainsi préciser les moyens que la caisse régionale de la santé au travail est prête à mettre à disposition du SST pour la réalisation d'objectifs partagés, ce qui constitue du reste l'essence même d'un CPOM.

Ces conventions devraient être l'occasion d'établir un protocole d'intervention graduée entre le SST et de la caisse régionale de la santé au travail pour la prévention de risques prioritaires, que vos rapporteurs appellent de leurs voeux, selon un schéma en cinq étapes :

1ère étape : analyse de la sinistralité par la caisse régionale de la santé au travail pour l'identification des entreprises nécessitant des actions prioritaires et transmission de l'information aux SST concernés ;

2e étape : diagnostic partagé entre l'employeur, les instances représentatives du personnel et le SST pour identifier le contexte et les causes du risque professionnel accru ;

3e étape : élaboration d'un plan d'action par le SST et l'entreprise, comprenant des actions de correction ou de prévention, le cas échéant avec le soutien de la caisse régionale de la santé au travail ( via , par exemple, le dispositif des aides financières simplifiées ou des contrats de prévention pour l'acquisition d'équipements ou la mise en place d'un programme de formations) ;

4e étape : définition d'un rythme de contrôles périodiques par la caisse régionale de la santé au travail afin de vérifier la mise en place du plan d'action ;

5e étape : uniquement en dernier ressort, déclenchement de mesures d'injonction ou correctives par la caisse régionale de la santé au travail (mise en demeure, injonction, pénalités financières, arrêt de l'activité...).

Un tel protocole d'intervention graduée établira clairement la répartition des responsabilités entre le SST et la caisse régionale de la santé au travail et permettra une meilleure distinction entre les activités de diagnostic, de conseil et de contrôle, souhaitée par les employeurs.

Proposition n° 8 : Définir dans les conventions de partenariat entre les caisses régionales de la santé au travail et les SST un protocole d'intervention graduée dans la prévention de risques professionnels prioritaires.

Enfin, vos rapporteurs proposent la création d'un dispositif d'expérimentations en santé au travail analogue aux expérimentations de l'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 pour la mise en oeuvre d'innovations dans l'organisation nationale et régionale du système de santé et la dispensation des soins 52 ( * ) .

En matière de santé au travail, un tel dispositif permettrait d'adapter l'organisation et le fonctionnement du système de prévention des risques professionnels aux spécificités de certaines collectivités, des bassins d'emploi ou encore des branches professionnelles. Le potentiel d'innovation en santé au travail est en effet considérable, notamment en matière :

- de prévention de la désinsertion professionnelle, dans le cadre du suivi et de l'accompagnement des salariés à la suite d'un arrêt de travail de longue durée ;

- de suivi médical de certaines catégories de travailleurs, pour la réalisation des visites médicales des travailleurs indépendants, des intérimaires, des salariés d'entreprises de sous-traitance ou encore des apprentis 53 ( * ) ;

- de modalités du suivi médical, en recourant à des techniques innovantes comme la télémédecine ;

- de délégations de tâches au sein de l'équipe pluridisciplinaire de santé au travail, pour la mise en place de protocoles encadrant la réalisation de visites délégables, comme les visites à la demande ou les visites de pré-reprise ou de reprise pour certains métiers ;

- de mutualisation de la ressource médicale et de collaboration entre les SSTI et les SSTA ;

- d'amélioration de la qualité de vie au travail.

À titre d'exemple, M. Denis Garnier, conseiller social à Saint-Pierre-et-Miquelon, a présenté, lors des assises des outre-mer de 2018, un projet d'expérimentation d'un SSTI qui prendrait en charge dans cette collectivité la santé au travail de tous les travailleurs, salariés, non-salariés, fonctionnaires et agents publics, afin de tenir compte de l'absence de médecin de prévention ou de médecin agréé pour le suivi médical des agents publics dans l'archipel. Au-delà de l'élargissement du public suivi, ce projet préconise une collaboration renforcée entre la caisse de prévoyance sociale, organisme de sécurité sociale à Saint-Pierre-et-Miquelon, et le service de santé au travail existant.

Dans le cadre du dispositif d'expérimentations en santé au travail proposé par vos rapporteurs, le CPOM déterminerait les modalités de financement des expérimentations. Une évaluation de chaque expérimentation permettrait, au sein d'un conseil stratégique des innovations en santé au travail placé auprès de l'agence nationale de santé au travail, d'examiner l'opportunité de sa généralisation au niveau national ou à d'autres régions et, le cas échéant, les modifications réglementaires qui s'imposeraient.

Ces expérimentations seraient financées par des crédits issus d'une enveloppe dédiée au sein du FNPAT et d'une partie des crédits de prévention du programme 111 de la mission « Travail et emploi ». Ces crédits seraient répartis entre les régions par l'agence nationale de la santé au travail. Le financement de chaque expérimentation serait accordé par la caisse régionale de la santé au travail.

Proposition n° 9 : Instituer un dispositif d'expérimentations en santé au travail analogue aux expérimentations de l'article 51 de la LFSS pour 2018, financé par une enveloppe dédiée au sein du FNPAT et une partie des crédits du programme 111 de la mission « Travail et emploi ».

Nouveau schéma de gouvernance de la santé au travail proposé par vos rapporteurs


* 47 Odoxa, « Regard des actifs sur la santé au travail », sondage réalisé pour Service aux entreprises pour la santé au travail, 4 juin 2019 ( http://www.odoxa.fr/sondage/regard-actifs-sante-travail/ ).

* 48 La protection de la santé des travailleurs est inscrite au 11 e alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui proclame que la nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. »

* 49 Qui elles-mêmes doivent s'inscrire en cohérence avec les politiques régionales d'agrément présentées chaque année devant le conseil régional d'orientation des conditions de travail (Croct).

* 50 Dont la dénomination, déterminée par décret, pourrait utilement reprendre celle proposée par le rapport « Lecocq » à savoir « France Santé au travail ».

* 51 Article 103 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit.

* 52 Ce dispositif ouvre en effet la possibilité de déployer des expérimentations dérogeant à un certain nombre de dispositions du code de la sécurité sociale et du code de la santé publique, par exemple en matière de tarification et de prise en charge par l'assurance maladie ou encore d'autorisation d'activités de soins. Un comité technique, composé de représentants de l'assurance maladie, des ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé et des agences régionales de santé, émet un avis sur les projets d'expérimentations, leur financement, leurs modalités d'évaluation et leur champ territorial d'application. Un conseil stratégique est en outre chargé de formuler des propositions sur les innovations en santé.

* 53 L'article 11 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel prévoit que, jusqu'au 31 décembre 2021, la visite d'information et de prévention d'un apprenti peut être réalisée par un médecin de ville en cas d'indisponibilité des professionnels de santé spécialisés en médecine du travail dans un délai de deux mois (décret n° 2018-1340 du 28 décembre 2018).

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