II. METTRE EN OEUVRE LA POLITIQUE DE PRIORISATION TERRITORIALE AU NIVEAU ACADÉMIQUE

A. SORTIR D'UNE LOGIQUE BINAIRE, TOUT EN CONSERVANT L'EFFORT EN FAVEUR DES REP+

1. Une politique en faveur de l'éducation prioritaire insuffisamment ciblée

S'il existe un consensus sur la nécessité d'allouer plus de moyens aux élèves les plus défavorisés et les plus confrontés à l'échec scolaire, l'éducation prioritaire fait l'objet de nombreuses critiques .

Le rapport de la Cour des comptes sur l'éducation prioritaire d'octobre 2018 43 ( * ) rappelle que cette politique concerne 20 % des élèves et 30 % des élèves défavorisés dans plus de 1 000 réseaux d'éducation prioritaire, réunissant collèges et écoles, dont 350 en éducation prioritaire renforcée (REP+). Malgré les moyens importants investis - 1,7 milliard d'euros en 2017 -, cette politique n'a pas atteint son objectif de limiter à 10 % l'écart de niveau entre les élèves scolarisés en zone prioritaire et ceux scolarisés hors REP. Pire, la Cour a constaté que les écarts ne se resserrent pas : ils restent de 20 à 35 %, selon les disciplines. Elle estime notamment que cette politique publique est trop étendue, trop rigide, et n'assure pas une priorisation réelle des établissements les plus défavorisées. Cette politique doit donc être plus ciblée. D'ailleurs comme le rappellent l'inspection générale de l'éducation nationale et l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la Recherche, « l'éducation prioritaire n'a jamais eu vocation à aider tous les élèves de PCS défavorisés . », mais « vise à compenser les manques dans les territoires qui concentrent les difficultés sociales et scolaires » 44 ( * ) .

Le constat dressé par M. Marc Douaire 45 ( * ) , président de l'observatoire des zones prioritaires est encore plus sévère : « cette politique publique n'a pas bénéficié d'une continuité suffisante » et la priorité dont doivent bénéficier les élèves n'a plus aucun sens dès lors que les REP regroupent 20 % de la population scolaire.

2. Éviter les effets de seuils par une politique de priorisation progressive

Comme pour toutes les politiques publiques sectorisées se créent des effets de seuil , de stratégies d'évitement, ou au contraire d'inclusion. La mission d'information ne peut ainsi que constater, comme beaucoup de personnes auditionnées, la création d'une binarité entre l'éducation prioritaire d'un côté et les écoles hors éducation prioritaire de l'autre.

Ainsi, les avantages dont bénéficient les établissements labellisés en éducation prioritaire (moyens supplémentaires, scolarisation précoce des enfants, dédoublement des classes de CP et de CE1, indemnités spécifiques des enseignants, pondération des heures d'enseignement, bonification de points pour les demandes de mutation, avancement dans la carrière,...) rendent difficile toute modification de la carte, risquant d'exclure tel ou tel établissement de cette labellisation.

D'ailleurs, la précédente révision de la carte scolaire fin 2014 pour la rentrée 2015-2016, avait suscité de nombreuses inquiétudes et protestations de la part des parents d'élèves, du personnel enseignants et des élus locaux, dont plusieurs de nos collègues se sont fait l'écho. Notre collègue Dominique Estrosi-Sassone expliquait que dans les Alpes-Maritimes, « certains établissements craignent que le travail pédagogique accompli depuis des années ne soit plus soutenu », avec notamment la fin du bénéfice « de l'accompagnement scolaire après les cours ou des classes allégée s », en raison de leur sortie du dispositif 46 ( * ) . Cette binarité entre « éducation prioritaire » - « hors éducation prioritaire » conduit les acteurs et usagers de l'école hors zone en éducation prioritaire à un sentiment de non-prise en compte par les pouvoirs publics de leurs difficultés pourtant réelles .

En outre, cette dimension binaire du système de l'éducation prioritaire est perçue comme très rigide , d'autant plus qu'elle dépend d'un label national . À titre d'exemple, notre ancienne collègue Brigitte Gonthier-Maurin citait le cas en 2015 à Gennevilliers de « l'école élémentaire « Langevin A » qui devait sortir de l'éducation prioritaire quand sa jumelle, l'école élémentaire « Langevin B », relèverait du réseau d'éducation prioritaire (REP+), alors qu'elles accueillent les élèves du même bassin de vie » 47 ( * ) .

Aussi, la mission d'information appelle à une politique plus progressive et actualisable en fonction des évolutions territoriales ou sociales. La nécessité d'un changement de paradigme est revenue à plusieurs reprises dans la bouche des personnes auditionnées. Tel est le cas de Mme Ariane Azéma et M. Pierre Mathiot qui ont appelé de leurs voeux une politique « différenciée et progressive ».

Le cas des écoles dites orphelines illustre la nécessité de ce continuum . Ces écoles connaissent en effet des difficultés sociales et d'échec scolaire importants ou sont situées dans un quartier relevant de la politique de la ville, mais elles ne peuvent bénéficier des moyens de l'éducation prioritaire, car elles sont rattachées à un collège non labellisé REP ou REP +, celui-ci présentant une mixité sociale importante. Or, les écoles rurales sont particulièrement concernées par ce phénomène : comme l'ont expliqué Mme Hélène Insel, recteur de l'académie de Reims, et M. Jean-Roger Ribaud, DASEN des Ardennes, les collèges ruraux ont souvent une mixité sociale supérieure à ceux de villes, mais cela peut masquer l'existence d'écoles défavorisées dont proviennent les collégiens. La mission d'information souhaite rappeler que 70 % des élèves socialement défavorisés ne sont pas scolarisés en REP.

S'ils saluent les initiatives locales mises en place à la suite d'une politique volontariste de certaines académies - à l'image de l'académie de Reims où le dédoublement des classes de CP et CE1 a été étendu à 42 écoles rurales aux caractéristiques analogues aux écoles en éducation prioritaire - ils estiment qu'un portage politique et des directives nationales en faveur d'une meilleure prise en compte de la diversité des situations de nos écoles nécessaires. De même, la mission d'information alerte le Gouvernement sur la nécessité de ne pas oublier les écoles ne relevant ni des REP ou REP +, ni d'une politique qui verrait le jour en faveur de l'école rurale. À cet égard, la politique de priorisation progressive prônée par la mission permettrait d'éviter les écueils que connaissent toutes les politiques faisant appel à des zonages.

Consciente des difficultés fortes des élèves scolarisés en REP+, la mission d'information appelle à une sancturarisation des moyens consacrés à ces établissements, dans le cadre de la politique de priorisation académique qu'elle préconise. En revanche, pour les autres établissements, elle préconise une approche progressive afin de répondre à leurs besoins spécifiques de la manière la plus optimale possible.

Proposition : Avoir une approche plus différenciée des moyens en faveur de l'éducation prioritaire, tout en sanctuarisant ceux alloués au REP +


* 43 Cour des comptes, l'éducation prioritaire , rapport d'évaluation d'une politique publique, octobre 2018.

* 44 Rapport n° 2018-11, évolutions des politiques publiques éducatives relatives aux territoires prioritaires , IGEN-IGAENR, mais 2018.

* 45 Audition du 3 juillet 2019.

* 46 Question écrite n° 13890 du 27 novembre 2014 de Mme Estrosi-Sassone, JO Sénat.

* 47 Question orale n° 0951S du 21 janvier 2015 de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, JO Sénat.

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