D. UNE PRÉOCCUPATION RENOUVELÉE À L'ÉGARD DES MIGRANTS ÉCONOMIQUES ET DES RÉFUGIÉS

Populations vulnérables par essence, les migrants suscitent en permanence l'intérêt de l'APCE. En ce mois d'octobre 2019, elles ont été évoquées selon trois problématiques distinctes : en premier lieu, le statut juridique des réfugiés climatiques, catégorie malheureusement appelée à prendre de plus en plus d'ampleur à mesure des changements liés au réchauffement de la planète ; en deuxième lieu, le sauvetage des migrants en Méditerranée ; enfin, l'impact sociodémographique en Europe de l'Est de l'émigration économique.

1. La recherche d'un statut juridique pour les réfugiés climatiques

Jeudi 3 octobre 2019, l'APCE a adopté, sur le rapport de Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas (Tarn - La République en Marche) , au nom de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, une résolution sur la définition d'un statut pour les « réfugiés climatiques ».

Après le rejet par 23 voix contre 17 d'une motion de renvoi en commission présentée par M. Martin Graff (Autriche - Non inscrit) et plusieurs de ses collègues, la discussion générale a été ouverte par la rapporteure. Celle-ci a insisté sur le volontarisme et les attentes de la jeunesse à l'égard des décideurs politiques, qui ne prennent pas leurs responsabilités assez vite. En effet, aucun pays n'est au rendez-vous des exigences et des objectifs fixés en matière de lutte contre le réchauffement climatique et de préservation de la biodiversité.

Pourtant, le monde possède tout ce qui est nécessaire pour répondre à ces défis : la connaissance, tout d'abord, grâce à la science ; les financements, ensuite, pour préparer la transition écologique et renforcer la résilience des États ; des cadres multilatéraux ou régionaux, enfin.

Que manque-t-il, alors ? Du « courage », pour reprendre les termes du Président de la République française.

Le courage de bâtir la paix, en premier lieu, parce qu'il en faudra lorsque d'ici 2050, si les objectifs en matière de lutte contre le réchauffement climatique ne sont pas tenus, 200 millions de personnes se retrouveront déplacées à l'échelle du globe à cause des facteurs environnementaux. Dépasser le réflexe de défense des intérêts premiers ou la tentation du repli national, dans un monde où les ressources seront plus rares qu'aujourd'hui et la concurrence plus féroce, sera d'autant moins aisé.

Le courage de la responsabilité, en deuxième lieu, en assumant que l'Europe n'a pas vocation à accueillir toute la misère du monde mais doit fidèlement en prendre sa part. Indéniablement, les États européens sont en partie responsables des changements climatiques dont les peuples d'autres pays subiront les conséquences. En effet, ce sont les pays les plus forts économiquement qui déclenchent le plus de réchauffement climatique et ce sont les populations des pays les plus pauvres qui en sont les premières victimes.

Dans ce cadre-là, la France prendra ses responsabilités. Elle a d'ores et déjà arrêté toute nouvelle exploration d'hydrocarbures sur son territoire et les dernières centrales à charbon auront fermé leurs portes avant 2022. De même, elle ambitionne que son agenda commercial et économique ne soit pas contraire à l'agenda climatique, aucune nouvelle ouverture de négociations commerciales avec des pays en contradiction avec l'Accord de Paris ne pouvant désormais être admise.

Ce courage de la responsabilité consiste aussi à savoir regarder les faits en face. Le nombre de migrants a été divisé par cinq en Europe depuis 2015 mais, en même temps, les demandes d'asile ont augmenté dans certains de nos pays, une hausse des demandes de protection qui s'explique, en grande partie, par le report des flux migratoires pour motifs économiques vers l'asile. Aussi, ouvrir le statut de réfugié aux populations déplacées pour cause environnementale est une « fausse bonne idée » car il faut d'abord harmoniser les conditions requises pour bénéficier de l'asile et mettre en place une réforme du règlement de Dublin, qui conserve le principe de la responsabilité de l'examen de chaque demande d'asile du pays d'entrée et organise une solidarité européenne dans la gestion des frontières extérieures.

Les faits montrent également que la plupart des personnes déplacées par les catastrophes naturelles et les changements climatiques le sont à l'intérieur de leur pays. Le problème réside donc davantage dans la capacité des États à gérer ces catastrophes et à assurer la sécurité des populations, ainsi que la résilience.

Pour concilier les agendas liés à la lutte contre le changement climatique avec ceux liés aux migrations, aux actions humanitaires ainsi qu'à l'aide au développement, il est indispensable de prendre des mesures spécifiques aux niveaux local, national et international. De même, l'obligation de protéger les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays pour des raisons environnementales doit être considérée comme le premier niveau de protection juridique dans la législation de chaque État membre. Enfin, l'accueil des victimes de catastrophes naturelles sur le territoire des États membres devrait être prévu en droit interne, notamment avec l'octroi d'un permis de séjour temporaire.

Sur le plan législatif, une proposition de loi a déjà été déposée en France pour mieux anticiper les déplacements des populations victimes du changement climatique et de la perte de biodiversité. D'autres pays doivent suivre cet exemple.

Il importe aussi d'élever le seuil de résilience des communautés locales, d'améliorer la préparation aux catastrophes au niveau local en ciblant spécialement les populations vulnérables, comme les enfants et les personnes en situation de handicap, ou encore d'améliorer la capacité de réaction et de gestion des catastrophes au niveau national.

Enfin, il faut approfondir les connaissances sur les interactions entre le changement climatique et les conflits ou violences, mais aussi améliorer la coordination et les financements. À cet effet, la création d'un fonds international de solidarité pour assurer la protection des personnes contraintes d'émigrer à la suite de catastrophes climatiques devrait être étudiée. Par ailleurs, la coopération avec la Banque de développement du Conseil de l'Europe pourrait être envisagée, dans un effort commun de mise en oeuvre du droit fondamental des générations présentes et futures de vivre dans un environnement sain.

Il y a dix ans de cela, les responsables politiques avaient pour rôle d'être des lanceurs d'alerte face au réchauffement climatique. Il y a cinq ans, ils ont commencé à élaborer des plans d'action sans pour autant les concrétiser. Aujourd'hui est venu le temps de l'immédiateté et il faut donc engager l'action.

Pour mémoire, il y a quatre ans était signé l'Accord de Paris sur le climat, qui visait à contenir l'élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 degrés par rapport à l'ère préindustrielle, et à poursuivre les actions pour la limiter à 1,5 degré. Cet accord s'inscrit clairement dans une logique de développement durable de notre planète et de lutte contre la pauvreté. Certains pays en développement sont en effet tout particulièrement vulnérables aux conséquences néfastes des dérèglements climatiques. Cet accord est important et la rapporteure s'est félicitée que la Russie ait annoncé la semaine dernière sa ratification. Il faut, au minimum, que chaque État tienne ses engagements et, si possible, qu'il aille au-delà. Le Parlement français vient ainsi d'adopter définitivement, la semaine dernière, un projet de loi permettant à la France de s'engager dans une démarche visant la neutralité carbone à l'horizon 2050.

Au cours de la discussion générale qui s'en est suivie, M. Jacques Le Nay (Morbihan - Union Centriste) a relevé que l'APCE s'était déjà intéressée à ce sujet puisque, dès 2008, avait été présenté un rapport intitulé « Migrations et déplacements environnementaux : un défi pour le XXI ème siècle », avant que la question soit réexaminée en 2016.

En onze ans, le sujet a gagné en intensité. Le tout récent rapport spécial du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) concernant les océans et la cryosphère souligne que la hausse du niveau des océans pourrait à terme entraîner le déclin des réserves de poissons et la multiplication des cyclones, avec des conséquences directes pour les populations vivant sur les littoraux.

Même si les déplacements liés aux catastrophes naturelles et au changement climatique interviennent aujourd'hui le plus souvent à l'intérieur d'un pays, ces migrations peuvent déboucher sur des turbulences politiques. Et demain, les migrations liées aux dérèglements climatiques pourraient aussi avoir un impact sur l'Europe et sur sa cohésion politique. La gestion des flux migratoires en Méditerranée le montre cruellement.

Il n'existe pas, aujourd'hui, d'accord sur une définition des réfugiés climatiques. De même, il est fondamental de préserver le statut de réfugiés et le droit d'asile. Dans ce contexte, il apparaît essentiel que les États se préparent à l'enjeu des migrations liées aux dérèglements climatiques et que la réduction des risques soit intégrée dans les politiques de développement et d'aménagement durables, afin d'augmenter le seuil de résilience des communautés locales. Pour ce faire, il leur faut adopter des stratégies claires pour les populations victimes des dérèglements climatiques. La convention de Kampala sur la protection et l'assistance aux personnes déplacées en Afrique, qui pousse les États à insérer dans leur législation des obligations d'accueil pour les personnes déplacées internes, semble constituer à cet égard une voie intéressante, tout comme le renforcement des actions de solidarité internationale.

2. Le besoin d'une réponse rapide pour sauver des vies en Méditerranée

Sur proposition du groupe des socialistes, démocrates et verts, l'Assemblée parlementaire a tenu, lors de sa première séance plénière du jeudi 3 octobre 2019, un débat d'urgence sur le thème « Sauver des vies en Méditerranée : le besoin d'une réponse rapide ». Sur la base du rapport de M. Domagoj Hajdukoviæ (Croatie - SOC), au nom de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, elle a adopté une résolution sur le sujet.

Présentant ses conclusions, le rapporteur a constaté que, même maintenant, beaucoup de gens continuent d'oser traverser la Méditerranée pour atteindre la côte européenne. Beaucoup, malheureusement, ne pourront rejoindre l'Europe vivants. Selon les registres de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), du Haut commissariat aux Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) et de Frontex, au cours des six dernières années, 18 888 personnes ont ainsi perdu la vie alors qu'elles tentaient de traverser la Méditerranée. L'APCE a déjà débattu de ce sujet, la dernière fois en juin 2018.

L'objectif du rapport n'est pas d'accuser qui que ce soit mais plutôt d'exhorter chacun à l'action. Pas seulement les pays méditerranéens car ce n'est pas uniquement leur problème. Trouver de manière urgente une solution pour le partage des responsabilités dans l'ensemble de l'Union européenne est nécessaire mais ce n'est pas l'objectif d'un tel débat d'urgence.

Des opérations telles que Mare Nostrum des garde-côtes italiens, Sophia et Triton, ainsi que les efforts des gardes-côtes de Malte ont permis de sauver des milliers de vies. Néanmoins, malgré tous ces efforts, les noyades se poursuivent. C'est pourquoi il convient désormais de demander le lancement d'une nouvelle mission de sauvetage de l'Union européenne pour éviter la perte de vies humaines. Les ONG et autres initiatives privées, ainsi que ceux appliquant le droit maritime international ont aussi un rôle à jouer et il doit être reconnu.

Soulignant que les membres de l'APCE sont fiers des principes qu'ils défendent, le rapporteur s'est demandé en conclusion s'il existait un droit humain plus important que celui du droit à la vie. Citant le Talmud, il a insisté sur le fait que « celui qui sauve une vie sauve le monde tout entier ». Chacun, face au miroir, devrait pouvoir se dire qu'il a pu faire une différence en sauvant une ou des vies, et par là, finalement, sauver le monde.

Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas (Tarn - La République en Marche) a jugé que l'objet dramatique de ce débat d'urgence justifiait que l'APCE réagisse. Reprenant les propos du Président de la République française, M. Emmanuel Macron, indiquant que « quand les migrants sont sur les bateaux, c'est déjà trop tard », elle a plaidé pour une action en amont, ce qui n'est pas si simple.

Tous les États membres du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne doivent être unis, d'abord dans la lutte contre les passeurs, et ensuite dans une préoccupation d'accueil aussi digne que possible, qui fait défaut actuellement. Il est heureux que la France soit le pays qui a accueilli le plus de migrants issus des bateaux de la Méditerranée mais il faut faire plus.

Pour ces raisons, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas a interrogé le rapporteur sur plusieurs points. Par quel mécanisme serait-il possible de renforcer l'exclusion de la responsabilité pénale des ONG qui oeuvrent dans le cadre d'opérations de sauvetage en mer : par un protocole État-ONG propre à chaque pays fixant le cadre des opérations ou par la reconnaissance aux ONG d'un droit à l'ingérence humanitaire ? De même, quels sont les points de blocage constatés aujourd'hui pour une relocalisation plus efficace des migrants ? Enfin, concernant l'accueil dans les ports les plus proches, compte tenu de leur proximité géographique des lieux de départs de migrants, ces mêmes ports risquent d'absorber la majorité des flux ; en conséquence, quels sont les mécanismes de financement européens envisageables afin que l'accueil dans ces ports soit amélioré, ce que tous les membres de l'APCE souhaitent ?

3. L'impact sociodémographique en Europe de l'Est de l'émigration économique

Lors de son ultime séance de la session, le vendredi 4 octobre 2019, l'Assemblée parlementaire a tenu une discussion, après la présentation par M. Martin Whitfield (Royaume-Uni - SOC), rapporteur suppléant, du rapport de M. Ionut-Marian Stroe (Roumanie - PPE/DC) au nom de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, sur une résolution concernant l'émigration de travail en Europe de l'Est et son impact sur l'évolution sociodémographique dans ces pays, qui a été adoptée.

Le rapporteur suppléant a particulièrement insisté sur les défis auxquels les pays d'Europe de l'Est sont confrontés du fait des migrations de main-d'oeuvre, à savoir : l'exode des cerveaux, le déclin démographique, la baisse des cotisations de Sécurité sociale et les problèmes sociaux au sein des familles et des communautés. Ces phénomènes appellent des mesures spécifiques dans les pays d'origine des travailleurs migrants et dans les pays où ceux-ci viennent travailler.

Ces mesures pourraient inclure un renforcement de l'assistance aux familles restées dans les pays d'origine, en particulier les enfants, ainsi qu'une information claire sur les opportunités et les risques pour les travailleurs migrants de même que des aides pour ceux qui souhaitent rentrer chez eux. Les pays d'accueil, quant à eux, devraient agir contre les migrations de travail illégales tout en insistant sur l'intégration des travailleurs migrants arrivés légalement.

Des propositions concrètes, découlant d'expériences réussies, montrent qu'il est possible d'aider les familles laissées pour compte par des initiatives sociales ciblées.

À titre d'illustration, les pays d'origine sont invités à notamment prévenir et remédier à l'abandon des enfants laissés par leurs parents qui partent travailler à l'étranger, via des dispositifs tels que « familles SOS ». L'accent devrait également être porté sur l'éducation de ces jeunes et, si nécessaire, sur un soutien psychologique. Enfin, d'autres actions spécifiques, à l'image de la création de structures de connexion entre les diasporas et leurs communautés d'origine, méritent elles aussi d'être étudiées.

Pour ce qui concerne les pays d'accueil, de nombreux exemples montrent qu'une intégration réussie des travailleurs migrants conduit à une plus grande cohésion sociale et à une meilleure coopération avec les États voisins. Ce faisant, les institutions de l'Union européenne sont appelées à accorder une plus grande attention à cette question. Les États d'accueil, pour leur part, devraient s'efforcer d'intensifier leurs efforts pour lutter contre les migrations de travail clandestines, mais aussi pour promouvoir l'intégration sociale des travailleurs migrants en situation régulière ainsi que la diversité, y compris par des programmes d'apprentissage des langues.

M. Martin Whitfield a jugé qu'il était également souhaitable de renforcer la coopération entre le Conseil de l'Europe, l'OIM, l'OCDE et, bien sûr, l'Union européenne, afin de promouvoir une image positive des migrants en Europe ainsi que des activités communes de développement humain, économique et social. Il a, dans cette optique, appelé les membres de l'Assemblée parlementaire à relayer ses travaux auprès de leurs Parlements respectifs.

M. André Reichardt (Bas-Rhin - Les Républicains) a observé que les déplacements de populations ont toujours fait partie de l'histoire européenne. Au sein de l'Union européenne, la libre circulation des travailleurs est un droit reconnu par les traités européens, notamment au sein de l'espace Schengen. L'idée, ici, est de considérer le travail comme une ressource nécessaire à la production de biens et services et de favoriser une allocation efficiente de celle-ci au sein de l'espace européen. Mais les États de l'Union européenne accueillent également des populations venues d'États européens tiers tels que l'Ukraine, la Géorgie ou la Moldavie. Cette main-d'oeuvre bon marché s'installe dans les États de l'Union où le taux de croissance est plus élevé et les conditions d'emploi meilleures.

Le travail de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées pointe les déséquilibres économiques, sociaux et démographiques induits par cette situation. Il met également en lumière la situation des enfants laissés au pays par des parents partis travailler à l'étranger. Celle-ci a des conséquences néfastes sur leur éducation avec des difficultés scolaires plus importantes, voire des problèmes de délinquance. Le sort de ces enfants est particulièrement préoccupant en Ukraine ou en Moldavie notamment.

M. André Reichardt a jugé illusoire de considérer le travail comme une ressource économique comme une autre. Il s'agit de femmes et d'hommes qui se déplacent et ceci n'est pas sans conséquences sur les familles, mais aussi sur les États, que ce soient ceux de départ ou ceux d'accueil. Ainsi, les États de départ sont privés de ressources humaines nécessaires à leur développement économique. De plus, les conséquences démographiques à long terme participent à appauvrir durablement certaines régions rurales de ces pays. Au sein des États d'accueil, l'arrivée de cette main-d'oeuvre bon marché peut engendrer des tensions sociales, notamment en matière d'emploi et de logement.

Face à cette situation, il est nécessaire que les États d'Europe orientale prennent des mesures fortes pour inciter leurs populations à rester. Si les migrations sont essentiellement de nature économique, il est indispensable de créer un contexte politique favorable au développement. La lutte contre la corruption ou le renforcement de l'indépendance de la justice doivent permettre d'accroître les investissements. Des mesures sociales doivent également être prises pour assurer des salaires décents et une véritable protection sociale aux travailleurs.

Sur le plan politique, le Conseil de l'Europe doit jouer son rôle pour aider ces pays à créer des institutions garantissant la sécurité juridique des investisseurs. Sur le plan économique, le rôle de l'Union européenne est indispensable. La politique de voisinage doit favoriser une croissance inclusive qui permette la création d'emplois. L'avenir de ces pays est d'abord entre leurs mains mais les instances européennes doivent s'en préoccuper également.

M. Jacques Le Nay (Morbihan - Union Centriste) a salué le caractère très documenté du travail de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées, notamment s'agissant des exemples de la Moldavie, la Pologne, la Roumanie et l'Ukraine. Il a relevé que les conséquences de ce phénomène se font sentir à la fois dans les pays d'origine et dans ceux d'accueil.

Il semble, toutefois, que les effets négatifs l'emportent sur les effets positifs, et cela pour les deux parties. Certes, la circulation des travailleurs est un principe fondamental, garanti en particulier par les traités de l'Union européenne. Les bénéfices en sont évidents, au-delà même des questions économiques. La culture française a ainsi été marquée par l'arrivée de travailleurs polonais, italiens ou portugais. Néanmoins, cette libre circulation, pour produire ses effets bénéfiques, doit s'exercer de façon réciproque. C'est dans cet échange que le fonctionnement du marché intérieur sera amélioré.

Or, la situation actuelle n'est pas satisfaisante, un déséquilibre important et persistant se faisant jour pour les pays d'Europe centrale et orientale. Plusieurs de ces pays se vident en effet de leur jeunesse. Le taux de chômage se réduit sans doute mais le financement du système social en pâtit fortement, dans un contexte de vieillissement démographique. Cette évolution transforme le phénomène en cercle vicieux et compter sur les transferts de fonds des diasporas ne présente que des avantages de court terme ; cela peut même retarder les indispensables réformes à entreprendre. Quant aux États européens d'accueil, ils souffrent trop souvent d'une concurrence déloyale, un dumping social et fiscal causé par les insuffisances et le contournement de la réglementation européenne relative au détachement des travailleurs. Il est regrettable, d'ailleurs, que cette question soit à peine évoquée lors de ce débat.

Des solutions aux problèmes posés par l'émigration de travail sont essentiellement à trouver au sein des pays d'Europe de l'Est qui, pour se rendre plus attractifs auprès de leurs propres populations, doivent conduire des réformes pour moderniser leurs économies et leurs infrastructures mais aussi contre la corruption et la criminalité organisée. Beaucoup de migrants de travail ne quittent pas leur pays de gaieté de coeur ; ils fuient d'abord des conditions de vie difficiles et sans doute également, dans certains pays, un contexte répressif.

M. Claude Kern (Bas-Rhin - Union Centriste) a, lui aussi, noté que les conséquences démographiques, sociales et économiques des migrations de travail des pays d'Europe orientale vers les pays d'Europe occidentale sont particulièrement importantes pour les pays de départ, en particulier dans les zones rurales. Sont ainsi apparus, dans certains cas, des « villages fantômes ».

En outre, un pays obère ses perspectives de développement si toutes ses ressources vives migrent. L'absence de débouchés et d'opportunités de carrière pousse les plus diplômés à aller travailler dans d'autres pays. Cette fuite des cerveaux est d'autant plus préjudiciable qu'elle aura des conséquences à long terme. Certes, ces migrants envoient de l'argent dans leur pays d'origine, ce qui contribue à réduire la pauvreté et à stimuler l'investissement. Mais cela ne suffit pas à contrebalancer les effets négatifs : du point de vue budgétaire, la main-d'oeuvre émigrée contribue à soutenir la balance des paiements mais ne permet pas d'augmenter les recettes fiscales, alors que ces États doivent financer les infrastructures nécessaires à leur développement économique.

Il est donc indispensable, pour l'avenir de ces États, de créer les conditions d'un retour de cette main-d'oeuvre émigrée. La première des conditions est de permettre aux entrepreneurs de travailler et de profiter des fruits de leur travail. Cela implique de lutter contre la corruption. Le GRECO formule des propositions à cet effet ; il aide les États à les mettre en oeuvre. En Moldavie, par exemple, la coalition actuellement au pouvoir entend faire de la lutte contre la corruption une priorité. En outre, la charte sociale européenne doit être appliquée pour garantir aux populations la protection sociale nécessaire et des revenus décents. Cela suppose aussi de renforcer la lutte contre le travail illégal et la traite d'êtres humains.

Parmi les États d'émigration, le cas de la Pologne est particulier. Si nombre de Géorgiens ou d'Ukrainiens vont travailler dans ce pays dans des secteurs comme l'agriculture ou le bâtiment, beaucoup de Polonais partent travailler en Allemagne ou au Royaume-Uni. Ce constat montre que, dans ces secteurs d'activité, les conditions de travail sont peu attractives. Des mesures devraient donc être prises pour y améliorer la protection sociale et revaloriser les salaires. De plus, lorsque le Royaume-Uni quittera l'Union européenne, que se passera-t-il pour les ressortissants polonais ? Devront-ils revenir dans leur pays ? Et dans quelles conditions ? Des programmes ambitieux de soutien au retour de la diaspora devront, donc, être mis en place.

Enfin, s'il appartient essentiellement aux pays d'origine de trouver des solutions adéquates pour limiter l'émigration, cela ne dispense pas les États membres du Conseil de l'Europe qui ont ratifié la charte sociale européenne d'appliquer son article 19, relatif à l'accueil des travailleurs migrants.

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