IV. DES RENÉGOCIATIONS COMMERCIALES EN COURS D'ANNÉE TROP PEU SOLLICITÉES

A. LA LOI EGALIM A LÉGÈREMENT ASSOUPLI LA CLAUSE DE RENÉGOCIATION

Depuis la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, la plupart des contrats portant sur des denrées alimentaires entre un fournisseur et un distributeur doivent contenir une clause de renégociation afin de mieux répercuter les variations de prix des matières premières sur les prix de vente dans un contexte où les prix agricoles sont de plus en plus volatils.

Constatant une faible application dans les faits, l'article 9 de la loi Egalim a entendu faciliter le recours à la renégociation du contrat en cours d'année en :

- intégrant la prise en compte de la fluctuation des coûts de l'énergie dans la clause ;

- réduisant le délai de la négociation de 2 à 1 mois ;

- prévoyant le recours à une médiation obligatoire préalablement à une saisine du juge en cas d'échec de la renégociation.

B. PASSER DANS CERTAINS CAS D'UNE CLAUSE DE RENÉGOCIATION DES PRIX À UNE CLAUSE DE RÉVISION DES PRIX APPARAÎT SOUHAITABLE

L'article 9 de la loi Egalim entendait moderniser la clause de renégociation pour la rendre plus opérationnelle et plus facilement mobilisable par les acteurs.

Toutefois, cela n'a pas suffi. Pour quelles raisons ?

La mesure elle-même ne paraît pas assez incitative puisqu'elle oblige à négocier sans garantir une quelconque obtention d'un résultat.

Or ce manque d'efficacité est aggravé par des blocages provenant, aux termes de certains auditionnés, de la « lourdeur procédurale » inhérente à l'activation de la clause .

Plusieurs semaines, voire mois, se déroulent avant d'officialiser la demande de renégociation auprès du distributeur. La renégociation en tant que telle dure un mois. Si elle n'aboutit pas, et qu'une partie souhaite poursuivre la négociation, une médiation préalable à toute saisine du juge est obligatoire. En comptant les délais d'instruction, les conclusions de la médiation peuvent apparaître près de 6 mois après la hausse des prix supportée par le fournisseur... soit pour les produits concernés au début des négociations commerciales annuelles suivantes.

Compte tenu de ces délais, les acteurs préfèrent ne pas jouer le jeu.

Enfin, la clause de renégociation entraîne la réouverture de l'ensemble des points du contrat et place le fournisseur, qui entendait obtenir une simple révision à la hausse de ses tarifs pour compenser un coût de revient plus élevé, dans une situation déséquilibrée face à son distributeur qui peut exiger de lui de nombreuses contreparties.

La clause de renégociation n'est donc, en pratique, pas du tout opérationnelle . Cet état de fait est d'autant plus regrettable qu'elle pénalise les filières les plus concernées par une évolution du coût de la matière première.

Pour ces produits, la non-revalorisation en cours d'année et lors des négociations annuelles se traduit directement par une contraction des marges qui réduit les capacités d'investir et d'innover et, partant, la compétitivité des industries concernées.

L'exemple des pâtes alimentaires

Le prix de revient d'une pâte alimentaire de qualité supérieure est constitué à 75 % du prix du blé dur.

Selon le Syndicat des Industriels Fabricants de Pâtes Alimentaires de France, alors que le cours du blé dur a augmenté de plus de 50 % depuis 20 ans, le prix de la coquillette en grande surface n'a pas évolué : il est toujours à 0,75 euro le kilogramme.

Les industriels ont financé cette hausse non compensée du coût de leur matière première sans pouvoir répercuter celle-ci dans leur prix de vente.

Cette contraction de leurs marges, qui a réduit leur capacité d'investir, a, sans doute, contribué à l'érosion de la compétitivité de ces industries alimentaires françaises.

Alors qu'il y avait 200 fabricants de pâtes en France dans les années 1960, il n'y en a plus que 7 aujourd'hui.

En 20 ans, la France a considérablement accru ses importations de pâtes alimentaires, puisqu'elle importe 2/3 de sa consommation de pâtes contre environ 1/3 en 2000.

La mesure apparaît donc insuffisante pour certains acteurs (charcuterie, fabricants de pâtes alimentaires notamment) et mériterait de prendre en compte, a minima , la situation des produits finis dont le coût de revient est principalement constitué du coût d'une matière première dont le cours est public.

Le Sénat, par l'intermédiaire de son rapporteur, avait défendu cette position lors de la loi Egalim en proposant, pour ces produits, d'introduire une clause de révision des prix obligatoire s'activant en cas de choc conjoncturel sur les matières premières.

Cette clause n'avait pas vocation à être radicalement asymétrique. Certes, elle prévoyait un déclenchement uniquement en cas de hausse significative du cours de la matière première, au-delà d'un seuil déterminé en avance.

Le fait de ne pas le retenir à la baisse se justifiait par le fait que le distributeur pouvait alors déclencher la clause de renégociation lui-même, dans un contexte où le rapport de force lui était favorable.

Toutefois, cette solution n'avait pas été retenue à l'Assemblée nationale.

Depuis, le médiateur des relations commerciales agricoles a pris officiellement position en faveur d'une clause de révision des prix pour certains produits, notamment au regard de la hausse des cours du porc sur le marché mondial.

Entre janvier et juin 2019, le cours du porc a augmenté de + 23 % en France (et plus généralement partout en Europe) en raison de la peste porcine africaine qui décime une part importante du bétail chinois.

Conformément à l'article L. 441-8 du code de commerce, les industriels charcutiers, dont le coût de revient est composé à plus de 70 % par le coût de la matière première, ont demandé une renégociation des prix aux distributeurs mais... sans activer la clause !

2/3 des demandes ont abouti. Parmi elles, seules 15 % des hausses couvrent intégralement la hausse des cours, contre 85 % de revalorisation partielle comprise entre 40 et 95 % de la hausse du coût de revient.

Il n'en demeure pas moins que trois mois après la hausse des cours, 1/3 des demandes n'ont pas reçu de réponses.

Constatant ces délais, qui viennent rapidement télescoper le début d'autres négociations, le médiateur des relations commerciales agricoles a préconisé, dans un avis du 1 er juillet 2019, « d'introduire une clause de révision du prix d'achat dans leurs contrats de fourniture de produits à marques propres et leurs contrats à marque distributeurs. Cette clause librement négociée entre les parties prévoirait les modalités d'un ajustement automatique du prix d'achat contractuel, qui devrait fonctionner à la hausse comme à la baisse par référence à un ou des indicateurs de marché. »

Auditionné par le groupe de suivi de la loi Egalim, le médiateur a réaffirmé son soutien à une clause de révision des prix dans les contrats entre fournisseurs et distributeurs. Loin d'une clause d'indexation des prix sur le cours des matières premières, une telle clause permettrait, selon lui, dans l'esprit de la loi Egalim, de réduire l'importance du facteur « prix » dans les négociations annuelles pour le recentrer sur les autres points du contrat, davantage créateurs de valeur.

Certes, plusieurs difficultés techniques restent à lever selon lui. Faut-il retenir des prix de marché ou des indicateurs de coûts de production ? Comment articuler la clause de révision des prix avec la clause de renégociation ? Comment retenir un coût matière fiable et simple ? Dans le cas du porc, doit-on par exemple retenir le coût de la pièce ou le cours du porc ?

Au-delà de ces questions, il convient d'ores et déjà de rappeler que ces clauses peuvent d'ores et déjà être mises en place par les filières.

La biscuiterie a par exemple déjà eu recours à de telles clauses lors de la crise du fipronil ou du beurre. De même, certains produits sous marque distributeur comme des lardons sont généralement soumis à une telle clause.

Toutefois, ces exemples sont trop rares. Se pose dès lors la question de l'opportunité de l'intervention du législateur afin de favoriser le développement de ces clauses, dont les caractéristiques seraient précisées par voie réglementaire.

Pour garantir l'efficacité d'une telle mesure, deux conditions seront à respecter :

- que la lisibilité de la clause soit assurée et que la mécanique demeure simple ;

- qu'elle ne trouve à s'appliquer, au départ, qu'à un nombre limité de produits finis, sélectionnés en fonction de la dépendance de leur coût de revient au cours public d'une matière première.

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