B. LE RÉGIME « CATNAT », UN SYSTÈME SOLIDE ET UTILE OUTRE-MER

1. Les outre-mer, territoires partiellement intégrés au dispositif national
a) Un régime de droit commun étendu progressivement à la majeure partie des territoires

Créé par la loi du 13 juillet 1982 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophe naturelle , le nouveau régime juridique des catastrophes naturelles n'était pas applicable 28 ( * ) aux départements d'outre-mer .

Le régime catnat

Le régime d'assurance des risques liés aux catastrophes naturelles est aujourd'hui codifié aux articles L. 125-1 à L. 125-6 du code des assurances. Il prévoit l'extension obligatoire des garanties « dommages », au sein des contrats d'assurance classiques, des risques liés aux catastrophes naturelles ; il en va de même pour les pertes d'exploitation.

La reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle permet en outre aux assureurs de se réassurer auprès de la Caisse centrale de réassurance (CCR), société détenue à 100 % par l'État qui supporte au moins la moitié du coût des dommages « catnat ». La CCR bénéficie de la garantie illimitée de l'État .

Comme l'expliquait Laurent Montador 29 ( * ) , directeur général adjoint des réassurances et des fonds publics de la Caisse centrale de réassurance (CCR), « ce régime n'est pas un régime assurantiel mais un régime d'indemnisation qui repose sur le secteur assurantiel . L'État a fait le choix de s'appuyer sur son expertise, notamment pour diffuser la garantie catastrophes naturelles et expertiser les sinistres, en fixant de nombreuses caractéristiques du dispositif, notamment le tarif. L'État décide des éléments couverts par ce régime, ce qui est contraire aux principes de l'assurance où l'assureur décide du tarif, des éléments couverts et des franchises » .

Le taux de surprime est aujourd'hui unique pour l'ensemble des assurés sur le territoire français, avec un taux de surprime de 12 % pour les biens autres que les automobiles et de 6 % pour les automobiles.

Source : Délégation sénatoriale aux outre-mer d'après les réponses au questionnaire des rapporteurs

Alors que la loi de 1982 annonçait une loi ultérieure chargée de fixer « un régime adapté aux particularités de ces départements » 30 ( * ) , il a fallu attendre 1990 31 ( * ) pour que le régime de droit commun soit étendu aux départements ultramarins ainsi qu'à Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Aujourd'hui intégré au code national des assurances, le régime est bien applicable dans les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution ainsi que dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, régies, elles, par l'article 74. Il est également applicable à Clipperton.

Le territoire des îles Wallis et Futuna est le dernier en date à avoir le régime de droit commun, depuis l'ordonnance du 19 avril 2000 32 ( * ) .

b) La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française demeurent hors du champ du régime national

Au titre de leurs statuts d'autonomie, la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie demeurent en dehors du champ de ce dispositif de droit commun. Cependant, les deux territoires ont pu développer des dispositifs relatifs aux catastrophes naturelles, bien que très différents du régime national.

(1) En Nouvelle-Calédonie, des dérogations ponctuelles

En Nouvelle-Calédonie, aucun cadre réglementaire consolidé ne semble pouvoir être assimilé au régime national, tant dans la procédure de déclenchement par les autorités que par les conséquences qu'il emporterait.

Ainsi, si un « état de catastrophe » prévu par certains textes peut intervenir par un arrêté du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, il ne semble pas déclencher de dispositifs de soutien financier.

Les catastrophes naturelles sont cependant mentionnées dans différentes dispositions du droit local calédonien. Elles sont souvent une condition d'adaptation ou d'appréciation de certains dispositifs, que ceux-ci relèvent de la fiscalité ou encore de dérogations à certaines règles d'urbanisme 33 ( * ) . Ce type de dispositions peut également se retrouver au niveau des textes relatifs à l'habitat dans les codes des différentes provinces.

Un texte existe cependant concernant les modalités d'assurance en matière de vents cycloniques , avec des seuils au-delà desquels l'obligation d'assurance n'est plus effective. Ainsi, selon la délibération n° 591 du 1 er décembre 1983, « l'obligation d'assurance s'applique à la réparation des dommages résultant des effets du vent :

- lorsqu'il n'excède pas la vitesse de 150 km/h ;

- lorsqu'il n'excède par la vitesse de 200 km/h, en ce qui concerne les seuls éléments structuraux, y compris la couverture, pour les seules constructions, à structure en béton armé ».

(2) En Polynésie française, un cadre normatif dédié aux aides du pays

Dans le cas de la Polynésie française, le cadre juridique relatif aux catastrophes naturelles se trouve de manière plus unifiée mais n'est pour l'essentiel pas assimilable au régime national.

Un état de catastrophe naturelle existe également en Polynésie française. Si des textes territoriaux ont ainsi pu prévoir que « l'état de calamité naturelle ou accidentelle, sur tout ou partie du territoire, est constaté par arrêté du conseil de gouvernement » 34 ( * ) , le statut de la Polynésie française dispose aujourd'hui qu'il est de la compétence du conseil des ministres du pays de « constater l'état de catastrophe naturelle » 35 ( * ) .

Alors que la loi organique utilise la terminologie nationale, les textes adoptés au niveau du pays lui préfèrent la désignation de « calamité naturelle ».

Les textes relatifs aux catastrophes naturelles au niveau de la Polynésie française sont, pour la plupart, non pas liés à des mécanismes assurantiels comme dans l'hexagone mais bien à des mécanismes de solidarité territoriaux 36 ( * ) . Le cadre juridique polynésien se distingue en cela largement du cadre national.

2. Une prise en compte au départ restreinte des risques présents outre-mer
a) Une extension de la couverture aux risques liés aux vents

La loi de 1990 37 ( * ) , qui a étendu le régime de couverture des catastrophes naturelles aux départements d'outre-mer, a également créé une extension obligatoire des garanties des contrats contre les dommages d'incendie. Les risques liés « aux effets du vent dû aux tempêtes, ouragans et cyclones » sont ainsi pris en compte par ces contrats. Ils sont en revanche exclus du régime des catastrophes naturelles .

Il a fallu attendre la loi d'orientation pour l'outre-mer 38 ( * ) en 2000 pour que le risque cyclonique soit intégré au régime des catastrophes naturelles . Sont ainsi distingués les régimes applicables selon les seuils de vents : les effets du vent dû à un événement cyclonique « pour lequel les vents maximaux de surface enregistrés ou estimés sur la zone sinistrée ont atteint ou dépassé 145 km/h en moyenne sur dix minutes ou 215 km/h en rafales » basculent dans le régime des dispositions des articles L. 125-1 et suivants du code des assurances relatifs aux catastrophes naturelles.

b) Une préoccupation des territoires côtiers et insulaires : l'exclusion des véhicules aériens et maritimes

Le régime de droit commun exclut les véhicules aériens et maritimes de la couverture , en cas de catastrophe naturelle, par la Caisse centrale de réassurance. Si ce cadre n'est pas propre aux outre-mer, il se fait plus important compte tenu de la configuration des territoires. Les territoires ultramarins sont en effet tous insulaires à l'exception de la Guyane qui dispose cependant d'une large bande littorale.

Aussi, les rapporteurs ont été sensibles aux préoccupations des propriétaires de bateaux, notamment, et de leurs assureurs. Lors du passage de l'ouragan Irma dans les Îles du Nord, de nombreux bateaux n'ont pas pu être mis hors de la zone et ont été mis hors d'usage par la catastrophe. Le coût a été important pour les assureurs.

3. Une forte sinistralité des outre-mer
a) Les déclarations de l'état de catastrophe naturelle outre-mer

Les territoires ultramarins sont exposés fréquemment à un nombre important de risques. Le tableau ci-après recense le nombre de déclarations de l'état de catastrophe naturelle dans les territoires où le code des assurances s'applique.

Nombre de déclarations de l'état de catastrophe naturelle depuis 1990
dans les départements d'outre-mer

Année

Guadeloupe

Guyane

La Réunion

Martinique

Mayotte

Total général

1990

34

34

1991

9

3

12

1993

52

19

71

1994

25

11

36

1995

52

3

55

110

1996

4

2

6

1997

1

1

1998

11

11

1999

29

11

40

2000

3

6

6

15

2002

1

46

47

2003

2

2

2004

3

3

2005

54

7

6

67

2006

11

2

13

2007

21

1

28

34

84

2008

2

2

15

19

2009

12

5

25

2

44

2010

4

1

1

6

2011

10

9

12

31

2012

1

1

8

2

12

2013

18

2

2

3

25

2014

27

5

2

34

2015

16

16

2016

2

15

4

21

2017

78

27

105

2018

3

34

12

49

2019

1

1

Total général

296

18

270

310

21

915

Source : Base Gaspar

Pour ce qui est des trois dernières années, le ministère des outre-mer indique qu'en 2017, 130 demandes de déclarations ont été recensées outre-mer , dont 98 ont reçu un avis favorable (dont 45 pour inondations et coulées de boues et 45 pour submersion marine). Ce chiffre a atteint 57 en 2018, avec 38 avis favorable (dont 21 pour mouvement de terrain). En ce qui concerne l'année en cours, la dernière commission interministérielle du 12 mars 2019 a prononcé un avis favorable et 2 refus pour 3 dossiers déposés par la commune de Miquelon-Langlade de Saint-Pierre-et-Miquelon pour une tempête qui a touché ce territoire les 28 et 29 novembre 2018.

Le ministère des outre-mer considère que, s'agissant du processus de reconnaissance et de la constitution des dossiers, en dépit de l'existence de dossiers techniquement complexes (submersion marine à Miquelon-Langlade), aucune difficulté propre à l'outre-mer n'est à signaler. Au contraire, la procédure simplifiée de reconnaissance a pu être déclenchée en outre-mer de manière circonstanciée en 2017 lors du passage de l'ouragan Irma.

Des difficultés avaient été mentionnées dans certains cas en Guadeloupe après l'ouragan Maria en 2017 , du fait de lacunes dans les données disponibles sur les vitesses de vents constatés à certains endroits.

L'administration supérieure des îles Wallis et Futuna indique 39 ( * ) cependant que « si les services du cabinet disposent de très peu d'archives sur la gestion administrative et financière post-crise, il semblerait que les échanges avec l'administration centrale aient souvent été houleux en raison de la lourdeur des procédures administratives, de l'arrivée tardive des aides sur le territoire et des divergences d'interprétation sur l'importance des dégâts . Il a aussi fréquemment été reproché à l'État de sous-estimer l'impact des catastrophes au regard des difficultés d'approvisionnement et de l'extrême isolement du territoire ».

b) Une sinistralité largement captée par le risque cyclonique
(1) Une plus forte sinistralité des outre-mer

Si Irma demeure emblématique des catastrophes connues outre-mer, celles-ci sont malheureusement fréquentes. Les outre-mer apparaissent, avec cet événement majeur de 2017, comme une part non négligeable du coût de la sinistralité nationale . Directeur au sein de la Fédération française de l'assurance, Stéphane Pénet expliquait 40 ( * ) que « l'historique des indemnisations des assureurs depuis 1995, c'est-à-dire sur une période assez longue pour prendre en compte la forte volatilité des risques existants, montre une indemnisation moyenne en matière de dommages de 130 millions d'euros par an au titre des catastrophes naturelles, pour les Antilles et La Réunion . Cela représente près de 6 % de ce qui est versé sur l'ensemble de l'hexagone en la matière. Cela illustre bien la surexposition des territoires, sachant que les dommages sont sans doute supérieurs, compte tenu de la sous-assurance ».

Thierry Cohignac 41 ( * ) , précisait à l'appui des données de la CCR, « sur la période 2000-2017, le coût cumulé des catastrophes naturelles en outre-mer s'établissait à 2,7 milliards d'euros - dont 2 milliards d'euros correspondant à Irma. Sur la même période, le coût cumulé de la sinistralité assurée en métropole s'établissait à 19 milliards d'euros » .

Cependant, ce coût est également à mettre en relation avec les primes perçus sur les assurances outre-mer. Selon les calculs de la Caisse centrale de réassurance, les outre-mer représentent depuis 2000 près de 1,5 % des primes « catnat », contre 13,5 % des sinistres . Laurent Montador 42 ( * ) précisait ainsi devant la délégation que, « concernant le paysage assurantiel, en France, la prime catastrophes naturelles s'établit à 1,6 milliard d'euros et dans les outre-mer à 25 millions d'euros, soit 1,5 % des primes ». Selon la CCR 43 ( * ) , en excluant l'ouragan Irma des calculs, les outre-mer représentent 3,6 % de la sinistralité globale .

Il faut noter dans ce constat que, au-delà d'une moyenne sur le coût des catastrophes naturelles outre-mer, ces chiffres peuvent très fortement varier selon les événements. Ainsi, l'ouragan Irma représente, seul, plus des deux tiers du coût des catastrophes naturelles enregistré outre-mer depuis 2000 .

(2) Le risque cyclonique en tête des dommages estimés

Les outre-mer ne se distinguent pas du reste du territoire national en matière de sinistralité, comme le souligne le ministère des outre-mer : la sinistralité outre-mer est, comme dans l'hexagone, d'abord due aux phénomènes d'inondations (par ruissellement, remontée de nappes phréatiques, coulées de boue), responsables de près de 60 % des dégâts depuis 1982. La sécheresse (retrait-gonflement des argiles), qui représente près de 30 % des dégâts annuels moyens en historique pour l'hexagone, ne concerne, elle, pas les outre-mer. Thierry Cohignac 44 ( * ) insistait sur une caractéristique des outre-mer en ce qui concerne la volatilité des risques de catastrophes naturelles qu'ils connaissent , là où l'hexagone connaît des phénomènes d'inondations réguliers.

Le cas des vents cycloniques appelle à être souligné : ceux-ci représentent en effet 8 % de la sinistralité globale . Le ministère des finances insiste sur cet élément : « si Irma constitue néanmoins un événement exceptionnel par son ampleur, l'étude de la sinistralité depuis 1995 et surtout depuis 2000 (année de leur inclusion dans le régime) montre que les cyclones de catégories 4 et 5 sont de loin le type d'événement le plus destructeur ». Les vents représentent ainsi selon Bercy plus de 90 % de la sinistralité marché en outre-mer.

Pour les assurances, les coûts les plus importants (dont 80 % à la charge de la Caisse centrale de réassurance) dus à des sinistres majeurs en outre-mer ont été à ce jour : Irma en 2017, pour près de 2 milliards d'euros ; Dean en 2007, pour 200 millions d'euros ; Dina en 2002, pour 90 millions d'euros ; les séismes aux Saintes de 2004, pour 60 millions d'euros ; Bejisa en 2014, pour 3 millions d'euros. Le ministère des finances nuance cependant ces informations : « ces chiffres historiques diffèrent toutefois de l'exposition de ces territoires. Par exemple, si les séismes ont causé, depuis 2000, 5 % des dommages assurés, les "pertes moyennes annuelles" estimées pour l'avenir sont supérieures ».

Les chiffres de la sinistralité par péril outre-mer sont fournis , par année , en annexe du présent rapport.


* 28 Article 6 de la loi du 13 juillet 1982 relative à l'indemnisation des victimes de catastrophe naturelle.

* 29 Audition de la Caisse centrale de réassurance (CCR), le 14 février 2019.

* 30 Article 6 de la loi de 1982.

* 31 Loi n° 90-509 du 25 juin 1990 modifiant le code des assurances et portant extension aux départements d'outre-mer du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles.

* 32 Compte-tenu de partage de compétence entre l'État et cette collectivité, l'article L. 194-1 du code des assurances prévoit que les articles L. 125-1 à L. 125-6 du code des assurances sont applicables dans les îles Wallis et Futuna dans leur rédaction en vigueur le 1 er juillet 2000, à l'exception du quatrième alinéa de l'article L. 125-6 et sous réserve de deux adaptations :

- la suppression des mots : « et les dommages mentionnés à l'article L. 242-1 » dans le deuxième alinéa de l'article L. 125-5 ;

- le remplacement des mots « L'obligation prévue au premier alinéa de l'article L. 125-2 ne s'impose pas » par les mots « Cette obligation ne s'impose pas non plus » au deuxième alinéa de l'article L. 125-6.

* 33 Exemple de l'article LP 112-17 du code de l'urbanisme de la Nouvelle-Calédonie.

* 34 Délibération n° 83-68 du 28 avril 1983 portant création d'un établissement public territorial dénommé « agence territoriale de la reconstruction ».

* 35 29° de l'article 91 de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.

* 36 Ceux-ci font l'objet de développements dans la partie C du présent III.

* 37 Loi n° 90-509 du 25 juin 1990 modifiant le code des assurances et portant extension aux départements d'outre-mer du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles.

* 38 Loi n° 2000-1207 du 13 décembre 2000 d'orientation pour l'outre-mer.

* 39 Réponses de l'administration supérieure du territoire des îles Wallis et Futuna au questionnaire des rapporteurs.

* 40 Table ronde sur la problématique assurantielle, le 15 mai 2019.

* 41 Audition de la Caisse centrale de réassurance (CCR), le 14 février 2019.

* 42 Ibid.

* 43 Lors de la 10 ème journée CCR CAT qui a eu lieu le 3 juin 2019.

* 44 Audition de la Caisse centrale de réassurance (CCR), le 14 février 2019 .

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