B. UNE STAGNATION CONSENTIE

« La régulation de l'activité économique est sans aucun doute la plus inélégante et la plus ingrate des entreprises d'intérêt général »

John K. Galbraith

Pour passer de la stagnation, du chômage de masse, du sous-emploi et de la précarité au plein emploi et à une rémunération du travail décente, les États disposent de plusieurs sortes de leviers : sur le court terme, des interventions financières épaulées ou non par le système bancaire pour sauver des entreprises de la faillite ou améliorer leur compétitivité, sur le long terme, l'amélioration de la formation, de la qualité des transports, etc.

Cet ensemble de dispositions relèvent de la politique de l'offre.

À l'autre bout de la chaîne, l'objet de ces interventions peut être la stimulation de la demande : amélioration du pouvoir d'achat des consommateurs, investissements publics ou conflits armés, si on est américain.

La règlementation pour mobiliser l'épargne et orienter le système bancaire prioritairement vers le financement de l'économie réelle constitue un autre levier, tout comme la baisse des taux d'intérêt pour faciliter l'emprunt et l'équipement des entreprises ou la dépréciation de la monnaie pour faciliter les exportations.

La mise en oeuvre de ces politiques et la manière dont elles seront conduites dépendent cependant d'une condition préjudicielle : la volonté d'agir.

Or, la volonté d'agir dépend à son tour, certes du nombre et de l'importance des obstacles à contourner pour avoir une chance de réussir mais d'abord de l'idéologie qui anime les décideurs, et de leur psychologie.

C'est sur cette dimension idéologique et psychologique, prudemment passée sous silence, que nous nous arrêterons d'abord, en nous interrogeant sur le caractère proprement obsessionnel qu'ont pu prendre en France et en Allemagne - donc dans la zone euro - le dogme de la dette publique minimum, de l'équilibre budgétaire à tous prix et de la monnaie forte - ce qui n'est pas le cas de pays comme les USA ou le Japon par exemple.

Nous analyserons ensuite ce qu'ont été et ce que sont les politiques de l'offre, et accessoirement de la demande, dans la zone euro, enfin la question essentielle du financement de l'économie réelle.

1. Une aboulie d'origine idéologique
a) Le frein néolibéral

Selon les canons du néolibéralisme - en pratique on verra qu'il en va très différemment - l'interventionnisme étatique, même quand il sert à corriger les ratés d'un système économique concurrentiel, n'a aucun sens.

C'est même une faute qui retardera le retour naturel à la normale.

Les marchés, en effet, sont autorégulateurs et les crises des moments de « destruction créatrice », nécessaires à la régénération de l'appareil économique.

Tout au plus, comme on l'a vu, l'ordolibéralisme européen admet-il les interventions permettant d'assurer une concurrence non faussée par les monopoles, les ententes voire « les déséquilibres de l'information » selon le jargon en vigueur.

D'où, au tout début de la crise de 2007-2008, encore circonscrite au secteur immobilier, les manifestations d'incompréhension des plus zélés croyants de l'église libérale devant les opérations de sauvetage par l'État des grands établissements bancaires spécialisés dans l'immobilier.

« Quand j'ai ouvert mon journal hier, dira le sénateur républicain du Kentucky, Jim Bunning lors d'une audition au Capitole, j'ai cru que je m'étais éveillé en France. Mais non, il se trouve que le socialisme règne en maître en Amérique » ! C'était le 13 juillet 2008.

La leçon de la faillite de Lehman Brothers, deux mois plus tard, portera, et c'est à une restructuration du système bancaire tout entier que les pouvoirs publics étasuniens (État et Fed) devront se livrer en urgence.

Dès septembre 2008, le plan Paulson ou TARP ( Troubled Asset Relief Program) engagera 600 puis 700 Md$ dans le sauvetage de l'économie américaine 107 ( * ) .

Après le rachat des créances douteuses bloquant le circuit interbancaire (la Fed rachetant pour 2 300 Md$ de dettes), la crise s'approfondissant, le plan évoluera vers des apports en capitaux aux institutions bancaires et aux entreprises, accompagnés de crédits à la consommation.

L'opération emblématique de ce plan est la nationalisation en 2009 de Général Motors 108 ( * ) .

Comme quoi, les Étasuniens, avec Tartuffe, savent « trouver avec le ciel » libéral des accommodements : un exemple d'interventionnisme décomplexé que l'église libérale européenne ne s'autorise pas, en tous cas de manière aussi voyante.

Au même moment, en effet, sur le vieux continent, alors même qu'une crise immobilière d'origine endogène (en Espagne et en Irlande), ainsi qu'une crise du crédit à la consommation en Europe de l'Est et en Islande avaient débuté fin 2007, et que s'étaient manifesté dès août 2007 les premiers signes de la crise des subprimes , la mobilisation fut plus hésitante.

Il faudra attendre le 12 octobre 2008, près d'un mois après la faillite de Lehman Brothers pour que la BCE et les États de la zone euro, jusque-là intervenus en ordre dispersé pour sauver leurs meubles nationaux, aiguillonnés par les Américains, se mettent d'accord, non sur un plan d'intervention commun, mais sur un « plan d'action concerté » de traitement à la fois de la crise de liquidité et de la crise de solvabilité 109 ( * ) !

La BCE, pour sa part, injectera d'abord 50 Md€ puis 250 Md€ dans le circuit interbancaire 110 ( * ) , sans qu'aucune intervention n'advienne - évidemment - en matière économique.

Ce scénario est le même lors de la seconde crise grecque, trois ou quatre ans plus tard, alors que la spéculation bat son plein contre les emprunts des États européens (« dettes souveraines »).

Début juillet 2011, le Président de la République française d'alors - Nicolas Sarkozy - demande au président français de la BCE, ancien inspecteur des finances, ancien banquier, en fin de mandat, l'intervention de la banque centrale pour faire cesser la spéculation qui faisait rage sur la dette grecque et menaçait tous les pays de la zone euro (Portugal, Espagne voire Italie), mettant en péril la monnaie unique.

C'est une fin de non-recevoir de Jean-Claude Trichet, les statuts de la BCE le lui interdisant. La Banque de l'Europe passe avant l'Europe !

Un an plus tard, Mario Draghi, ancien employé de Goldman Sachs 111 ( * ) , citoyen des USA, devenu entre-temps président de la BCE par l'un de ces miracles dont le monde de la finance a le secret, faisait cesser instantanément l'offensive sur les titres souverains en une phrase, en anglais évidemment : « La BCE fera tout ce qui est nécessaire pour sauver la zone euro » . Tout le monde respire et les médias européens couvrent de fleurs le sauveteur de l'euro !

Entre-temps, vu le refus de la BCE de financer directement la dette publique, ce qui aurait mis les États à l'abri de la spéculation, les responsables de la zone euro bricolent un système de financement collectif complexe qui mettra du temps à se stabiliser : le mécanisme européen de solidarité financière (MESF), le fonds européen de stabilité financière (FESF), et le mécanisme de stabilité financière (MES), validé par le « Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l'Union économique et monétaire (TSCG) ».

Il en résultera une augmentation de l'endettement des États de la zone et la réduction des étroites marges budgétaires consenties à Maastricht.

Puis, comme si cela ne suffisait pas, s'en suivit le contrôle des projets de budgets et de leur exécution par la bureaucratie bruxelloise, et diverses bureaucraties « indépendantes » nationales. 112 ( * )

Le piège s'est refermé sur les États de la zone euro, paralysés sans même l'espoir qu'une autorité européenne légitime puisse un jour intervenir à leur place.

b) Une austérité budgétaire et sociale mortifère

Ainsi sera installée durablement en Europe une austérité budgétaire et sociale mortifère, en Grèce évidemment mais aussi dans le reste de la zone euro. On y reviendra.

Reste que, ces interventions « illibérales » massives aux USA, hésitantes en Europe se justifiaient par le caractère catastrophique de la situation et parce qu'il s'agissait essentiellement de sortir d'affaire les banques, leurs actionnaires, leurs créanciers et, pour certaines de leurs déposants ou de leurs sociétaires.

S'agissant d'une crise économique rampante, aux conséquences essentiellement sociales, plus difficiles à apprécier et touchant une population généralement oubliée des médias, il en est évidemment allé différemment.

C'est en devenant politique que cette crise rampante est devenue visible : par l'élection de Donald Trump aux USA, puis l'élection hasardeuse d'Emmanuel Macron et la crise des « gilets jaunes » en France, la montée du « populisme » un peu partout en Europe comme on le verra plus loin.

Mais l'heure est encore à « l'endiguement » du phénomène, pas encore à son traitement de fond.

Faute d'un sentiment d'urgence, c'est l'orthodoxie et la logique des institutions en place qui s'imposeront.

Reste que si les résultats en matière de croissance et d'emploi (voir ci-dessus) sont sensiblement meilleurs aux USA qu'en Europe à partir des années 1980-1983, que si la réactivité des responsables étasuniens aux situations de crise et à la stagnation économique est nettement plus vive que celle de leurs homologues européens, tous partagent le même crédo libéral.

Face aux problèmes économiques et sociaux, ils n'hésitent pas à abandonner des théories utilisées d'abord comme instruments de pouvoir.

On peut en déduire que l'idéologie néolibérale n'explique qu'imparfaitement le peu d'entrain des responsables européens pour les interventions économiques, pour eux sources d'endettement, de déséquilibre budgétaire et indirectement de fragilisation monétaire, et que cette aversion du « couple » franco-allemand pour l'interventionnisme économique renvoie d'abord à une commune appétence pour la rigueur budgétaire et la monnaie forte plus ancienne.

2. Le « syndrome franco-allemand » de la monnaie forte : mark, franc, euro forts
a) Les racines du mark fort

Contrairement à ce qui se raconte, l'origine de l'attachement à un mark stable, donc fort, n'est pas l'hyperinflation du début des années 1920 du temps de la République de Weimar, censée expliquer, par ailleurs, l'arrivée d'Hitler au pouvoir.

Même si son souvenir fut vivace, l'hyperinflation fut jugulée dès la fin de 1923 par le directeur de la Reichsbank, le docteur Schacht (futur ministre d'Hitler) et le ministre indépendant des Finances, futur chancelier, Hans Luther.

Le remplacement du Reichsmark par le Rentenmark, qui ruina une foule de rentiers, marque le début d'une période florissante jusqu'à la crise de 1929 que le Chancelier Brüning eut la mauvaise idée de traiter par la déflation, le retour à l'équilibre budgétaire, la baisse des salaires, des allocations, et des augmentations d'impôts.

L'accession d'Hitler au pouvoir s'explique en partie par les effets calamiteux de cette politique de déflation et non par l'hyperinflation antérieure de dix ans comme le colporte la pensée unique.

L'attachement allemand actuel au mark fort s'explique lui d'abord par les conditions dans lesquelles l'État allemand a pu renaître après la Seconde Guerre mondiale et l'effondrement moral que fut le nazisme.

Comme le montre Michel Foucault dans son cours au Collège de France 113 ( * ) , à la fin de la guerre, faute de pouvoir installer un État acceptable par les vainqueurs, c'est autour d'une économie concurrentielle régulée par le droit seul que va se reconstruire l'Allemagne et que pourra exister un État uniquement préoccupé au départ de créer les conditions d'existence d'un marché libre.

C'est le modèle « ordolibéral » qui inspirera les refondateurs de la nouvelle Allemagne, tout particulièrement Ludwig Erhard.

Selon Michel Foucault, pour l'ordolibéralisme allemand, « entre une économie de concurrence et un État [...], le rapport ne peut [...] être de délimitation réciproque de domaines différents. Il ne va pas y avoir le jeu du marché qu'il faut laisser libre, et puis le domaine où l'État commencera à intervenir, puisque précisément le marché, ou plutôt la concurrence pure, qui est l'essence même du marché, ne peut apparaître que si elle est produite, [...] par une gouvernementalité active [...] Le gouvernement doit accompagner de bout en bout une économie de marché [...] Il faut gouverner pour le marché plutôt que gouverner à cause du marché ».

Le bon fonctionnement d'une économie suppose donc, en priorité, une monnaie suffisamment forte pour rester stable.

Au final, ce ne fut pas un nouvel État allemand démocratique et dénazifié qui reconstruira l'économie allemande, mais la réussite 114 ( * ) économique allemande qui permit la renaissance de l'État allemand. Créateur du Deutsche Mark en juin 1948 115 ( * ) et réduisant ainsi la masse monétaire en circulation, il stoppe l'inflation en rétablissant la liberté des prix (contre l'avis des Américains), une opération qui supposait pour réussir une monnaie stable.

Reconnu comme « le père de la réussite économique allemande », Ludwig Erhard, d'abord vice-chancelier, deviendra chancelier de la République fédérale.

C'est ce modèle qui inspirera la construction de l'UE. La « concurrence libre et non faussée » étant produite et garantie par le droit, des organismes indépendants et des cours de justice, l'État devient inutile au fonctionnement social tout entier.

Tel est le principe fondamental de la construction européenne. Rien à vois avec la volonté de réunir les peuples !

On aura compris qu'un tel système, privé d'instances décisionnelles étatiques ne peut fonctionner que par le strict respect des règles budgétaires et grâce à une monnaie stable et donc suffisamment forte pour résister à la spéculation.

L'existence d'instances décisionnelles dotées d'une légitimité démocratique faible - Conseil européen, Parlement -, aux pouvoirs bridés par le nombre et des règles strictes - par exemple, le Parlement n'a pas de pouvoir d'initiative -, ne sont que des concessions passagères, témoignant du caractère encore imparfait d'une construction, censée se maintenir par ses seules règles.

Une fois cette construction achevée, l'observation des règles, une monnaie reconnue suffiront à faire fonctionner l'Union, sans que rien ne puisse venir perturber le cours des choses.

Mais, comme on sait, les contradictions d'intérêts des pays étant trop fortes, le projet s'enlisera, personne ne voulant prendre l'initiative, soit de le faire évoluer vers une Fédération dotée d'une légitimité politique, soit de le faire échouer. En attendant, la seule solution est de faire « comme si », en se crispant sur le respect des règles, art dans lequel excellent les allemands.

On en est là.

b) L'obsession du franc fort

« Le franc fort est intéressant pour ceux qui ont des francs »

John Kenneth Galbraith

Cette obsession est repérable dès la fin de la Première Guerre mondiale comme l'atteste cette conclusion de Keynes, analysant en 1926 la politique monétaire française : « La première vérité, c'est que le franc ne retrouvera jamais son ancienne parité et qu'il doit être dévalué ». (Réflexions sur le franc et sur quelques autres sujets)

Pour les auteurs de « La guerre de sept ans » 116 ( * ) dont on ne saurait trop recommander la lecture, les racines idéologiques de cette quête impossible du franc fort, ne sont pas rationnelles mais religieuses.

En témoigne l'abondance des métaphores religieuses dans les discours de ses défenseurs, bon nombre se revendiquant d'ailleurs chrétiens : « Le dogme du franc fort a poussé sur un terreau fortement chrétien.

A la direction du Trésor [comme dans divers organismes liés à la Banque de France] de nombreux responsables sont des catholiques pratiquants . »

Il y un côté sacrificiel dans cette quête d'une monnaie forte.

« Ce qui est immoral c'est de se satisfaire tout de suite. Ce qui marche bien à long terme est toujours plus moral que le court terme. L'idée qu'un pays comme l'Allemagne puisse se faire du mal, en réévaluant pour le bien du plus grand nombre à long terme, a été une révélation pour moi » pourra écrire Michel Albert, économiste, auteur de bestsellers économiques, inspecteur des finances, membre du conseil de la politique monétaire de la Banque de France et chrétien convaincu (Le Nouvel économiste, 29 juillet 1994).

Sauf que, comme aimait à dire Keynes, « à long terme nous serons tous morts » ... Et lyophilisés, ce qui semble être le destin que se prépare l'Europe.

Mais le christianisme n'est certainement pas le seul terreau sur lequel a germé l'idéologie du franc fort. Elle plonge évidemment aussi ses racines au coeur même de la chose financière.

Qu'est-ce qu'une monnaie « forte » sinon une monnaie qui ne se dévalue pas, dont la valeur défie le temps. Et donc la garantie que les sacrifices de l'épargnant, fondement moral mythique du capitalisme, ne seront pas vains.

Le système capitaliste remarque Keynes « reposait pour se développer sur une double supercherie. [...] Le devoir d' « épargner » représenta bientôt les neuf-dixièmes de la vertu, et l'agrandissement du gâteau l'objet de la vraie religion. Autour de la non-consommation du gâteau s'épanouirent tous les instincts d'un puritanisme qui, en d'autres temps, s'était retiré du monde... » (cité par Gilles Dostaler dans Keynes et ses combats , chez Albin Michel).

On retrouve, sous une forme laïcisée, cette croyance dans les vertus rédemptrices du combat pour une monnaie forte chez celui qui a donné le plus de lui-même dans cette entreprise dont dépendait la monnaie unique - Pierre Bérégovoy- peut-être jusqu'à y perdre l'espoir.

Ce qui sous-tend ce combat touche à l'irrationalité de toute croyance, en l'espèce la foi dans un « bon capitalisme », dans un capitalisme pas seulement destructeur et créateur d'inégalités mais vecteur de stabilité et d'égalité.

Pierre Bérégovoy, fier de son origine populaire, de son passé d'autodidacte et de militant, aimait à dire qu'une monnaie que ne rongeait pas l'inflation, qu'une monnaie forte, protégeait d'abord les plus vulnérables, les moins riches.

L'argument a beaucoup servi et continue à servir mais si, comme le remarque J. K. Galbraith, le franc fort est intéressant pour ceux qui ont des francs, plus ils en ont, plus il est intéressant pour eux.

Il faut cependant reconnaître à Pierre Bérégovoy une lucidité que le partisan de l'Europe unie à tous prix, que le « visionnaire » comme ses amis aiment à présenter François Mitterrand, n'a pas eue.

Conscient des faiblesses de l'économie française par rapport à l'économie allemande, que l'une et l'autre évoluaient dans des contextes très différents, conscient que la seule monnaie capable de rivaliser avec le dollar était le mark, il était partisan de renforcer le système monétaire européen (SME), d'unifier les fiscalités européennes avant de passer à la zone euro, en un mot de créer une monnaie commune avant de passer à la monnaie unique.

Il apparaît que l'avenir a plutôt donné raison à Pierre Bérégovoy et qu'aujourd'hui, s'il reste une voie pour sauver la monnaie unique, elle passe par le retour à une monnaie commune avec des possibilités de réajustements périodiques des parités entre ses composantes.

À l'autre bout du spectre des croyances, il n'est pas non plus douteux que l'idolâtrie de la monnaie forte est avant tout une idéologie de rentiers à usage des rentiers, c'est-à-dire de ceux dont les revenus, assurés par leurs débiteurs, dépendent de la valeur du capital dont ils sont propriétaires.

Tout ce qui en fait baisser la valeur (inflation, dévaluation, doutes quant à la solvabilité du débiteur, susceptibles de réduire la valeur d'échange des titres de créances) ou les revenus qu'il procure (hausse de la part du travail par rapport à celle du capital dans la répartition de la valeur ajoutée, impôts, cessation des paiements du débiteur) doit donc être proscrit.

Les intérêts de ceux qui vivent de leur travail sont donc clairement antagonistes de ceux des rentiers.

Rien d'étonnant qu'aujourd'hui, alors que triomphent les fonds de placements et l'enrichissement spéculatif, comme sous la Monarchie de Juillet, la garantie d'une monnaie forte, qui ne se dévalue pas, est nécessaire à la tranquillité de la grande majorité des rentiers.

C'est aussi l'idéologie des tenants de l'étalon or - élément essentiel à la stabilité du premier libéralisme - des dévots de l'or, car l'or, qui peut être stocké, protège ceux qui en possèdent des aléas de la vie, et garantit la pérennité des fortunes et celle des rapports sociaux.

Mais la suite austéritaire de l'étalon-or, en cas de crise, comme on l'a vu en 1929, c'est aussi la catastrophe assurée.

Paul Reynaud pourra écrire en 1936 : « La bourgeoisie meurt sans le savoir, du franc à 65 mg d'or, comme le nègre de l'Afrique meurt de la tuberculose sans savoir que c'est le bacille de Koch qui le ronge. Mais du moins, le nègre ne crie pas : « Vive le bacille de Koch ! » (In Jeunesse, quelle France veux-tu ? Gallimard 1936).

À quelques corrections mineures près, le propos demeure d'une étrange actualité.

c) Du franc fort à l'euro

C'est le projet européen qui permettra de donner forme au rêve du franc fort et à la réforme morale qu'il véhicule, un rêve partagé par une partie de la classe politique et nombre de hauts fonctionnaires en charge des finances publiques.

La stabilisation de la parité franc-mark, voire un franc dont la valeur serait supérieure à celle du mark fut l'une des obsessions permanentes de la classe politique française, jusqu'à la création de l'euro, qui réglait la question en pérennisant les contraintes qui vont avec : l'équilibre, idéalement l'excédent budgétaire, l'absence d'endettement et le sous-emploi.

Dans cette logique, en effet, la dynamique économique et l'emploi ne sont pas des objectifs en soit, mais les sous-produits espérés d'une bonne politique monétaire.

Faute de pouvoir parvenir au but directement par le développement d'une économie capable de rivaliser avec celle d'outre Rhin, il s'agissait au fond, pour Valéry Giscard d'Estaing puis pour François Mitterrand, de « ligoter » l'Allemagne en fondant son Deutsche Mark dans une monnaie européenne, ce dont elle se serait bien passé n'était, pour elle, l'absolue nécessité d'obtenir l'accord de la France à sa réunification 117 ( * ) .

L'affaire se conclura en plusieurs étapes :

- création du serpent monétaire européen par les accords de Bâle en 1972 dans le but de limiter les variations de parité entre les monnaies européennes consentantes ;

- entrée en vigueur du système monétaire européen (SME) en 1979, réduisant les marges de variation et créant une monnaie de compte commune l'Ecu ;

- création de la zone euro et de l'euro par le traité de Maastricht (1992) pour une entrée en vigueur au 1 er janvier 1999.

Le moindre des paradoxes n'est pas que cette tentative, pour empêcher le flottement des monnaies européennes, coïncide avec le triomphe du néolibéralisme sur le vieux continent, néolibéralisme qui s'accommode mal d'une telle contrainte.

Comme le remarque Jacques Sapir, en effet : « Il ne peut y avoir une finance, des marchés de biens libéralisés et un système de change fixe, ce qui est le cas avec l'euro. L'euro n'est pas une monnaie, c'est un système de changes fixes, facteur de rigidités insupportables. Cela bloque la parité des changes entre les pays à un niveau donné. » 118 ( * )

Bien sûr, les déséquilibres ressortiront ailleurs. Faute de transferts entre les pays excédentaires et déficitaires, faute de pouvoir faire varier administrativement les taux d'intérêt entre pays, les membres de la zone ne peuvent plus que constater les variations du spread de la dette de chacun au gré des manoeuvres spéculatives des « investisseurs » et du jugement qu'ils portent sur son niveau d'endettement ou son déficit budgétaire. Des taux d'intérêt trop élevés dans les pays qui, comme la France, avaient dû défendre la parité de leur monnaie jusqu'à la création de la zone euro, puis leur équilibre budgétaire et leur niveau d'endettement au prix de la croissance et de l'emploi !

La morale enfin sauve, les moralistes avaient de beaux jours devant eux 119 ( * ) !

3. Les faux-semblants de la politique de l'offre
a) La théorie de l'offre

« Il est très difficile d'amener quelqu'un à comprendre une chose quand son salaire dépend précisément du fait qu'il ne la comprend pas »?!

Upton Sinclair

Dans la vulgate libérale, les seules interventions extérieures au marché, théoriquement et moralement acceptables, sont celles qui augmentent ou améliorent l'offre.

Selon la vieille « loi des débouchés » formulée par Jean Baptiste Say en 1803, mais partagée par beaucoup d'autres (Jos Mill, Ricardo...), à l'échelle de l'économie, l'offre crée sa demande, « c'est la production qui ouvre des débouchés aux produits ».

Dans les échanges mercantiles en effet, la monnaie ne joue qu'un rôle facilitateur, de véhicule de la valeur des marchandises déjà produites. La production constitue une demande pour d'autres produits.

Dans ce schéma, une augmentation de la production crée un surplus de revenu (salaires, dividendes, intérêts) donc de monnaie appelant une production nouvelle et donc plus de travail.

À ceci près que, pour Keynes, la théorie n'est valable qu'autant que le supplément de revenu créé est dépensé ou investi au lieu d'être épargné ou de finir dans une « trappe à liquidité » pour reprendre son expression. Trappe d'autant plus profonde que les revenus de la production sont inégalement répartis.

Pour lui, c'est une part de l'explication du chômage, dans la mesure où, selon la conjoncture, les « investisseurs », par prudence, préfèrent garder leur capital sous forme liquide plutôt que de l'investir sous formes d'équipements ou d'usines. Attitude d'autant plus tentante que les occasions de spéculation à court terme sont nombreuses comme aujourd'hui.

Bien que la réalité se soit chargée de montrer qu'il ne suffisait pas de produire pour trouver des débouchés à la production et que la production pouvait ralentir du seul fait du manque de volonté d'investir, la « loi de Say » n'a rien perdu de son prestige et continue à s'imposer.

« La loi de Say, dira John K. Galbraith, demeure le cas le plus célèbre de stabilité des idées économiques même fausses » 120 ( * ) .

À moins que sous couvert de relance économique, le patronage de Say ne serve à dissimuler des transferts financiers publics vers des « investisseurs » devenus rentiers (voir partie V).

b) La théorie de l'offre appliquée

« Les allègements fiscaux sont la manière la moins efficace de stimuler l'économie. »

J. Stiglitz

Les interventions des pouvoirs publics en faveur de la production et de l'emploi sont financières et/ou réglementaires (c'est essentiellement la flexibilisation du « marché du travail »), plus rarement orientées vers la formation.

Que ce soit aux USA, au Royaume-Uni ou dans la zone euro, tout gouvernement qui se respecte entend régler la question du chômage par une réforme du marché du travail, réforme se réduisant largement à un habillage du chômage en sous-emploi.

Quant à la formation, si elle figure rituellement en fin des plans anti-chômage, les réformes qui ont dépassé le stade de l'intention se résument à un bricolage bureaucratique sans portée réelle.

Ces interventions directes ou induites sont essentiellement financières :

- apports en capital à l'entreprise sans spécification ;

- aides financières à la modernisation de l'équipement ou au développement de produits d'avenir ;

- subventions à la production de matériels stratégiques ;

- aides directes ou indirectes à la formation ;

- baisse des cotisations sociales et/ou des impôts ;

- interventions sur la production : baisse du taux de l'impôt sur les sociétés, suppression de la taxe professionnelle ;

- interventions sur les revenus de la production : taux des impôts sur les dividendes, sur les cessions d'action etc. ; interventions sur le patrimoine financier susceptible de s'investir même s'il s'agit essentiellement de placements boursiers sans portée économique réelle ;

- transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière par exemple ;

- interventions sur le niveau d'imposition des hauts revenus pour attirer les « investisseurs ».

Cette politique de l'offre, en faveur de l'emploi, masque de moins en moins un transfert financier de l'État, donc de la collectivité, aux plus riches.

Pratiquée par Ronald Reagan (parmi les mesures emblématiques, entre 1982 et 1986, le taux marginal d'imposition passe de 75 % à 28 %) et par Margaret Thatcher (baisse du taux marginal de l'impôt sur le revenu de 98 % à 40 % par exemple), cette politique sera un produit d'exportation vers tous les pays néolibéralisés, notamment la France.

Comme on le verra dans la partie V, de libéral, l'État néolibéral s'est ainsi transformé en garant d'un système de rentes de positions, acquises largement à crédit et de la maîtrise du pouvoir financier.

Ainsi, entre 1983 et 2018, le taux marginal de l'impôt sur le revenu baisse-t-il en France de 65 % à 45 % en même temps que baissait l'impôt sur les sociétés (permettant de distribuer plus de dividendes), et sur les dividendes et que l'ISF se transformait en impôt sur la fortune immobilière.

Moins voyantes, les aides à l'investissement sans contreparties et...sans grands résultats, comme le CICE, se développaient aussi.

Créé par amendement à la loi de finances pour 2013, en l'absence de toute étude d'impact, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), fut présenté comme une aide aux entreprises employant des salariés - avant de devenir en 2019, un classique allégement de charges sociales - afin d'élargir leurs marges et ainsi stimuler leurs investissements et leur capacité d'embauche.

Dès juillet 2016 un rapport de la commission des finances du Sénat, présenté par la sénatrice (PC) Marie-France Beaufils montrait que, si les marges des entreprises ont été améliorées 121 ( * ) , ce ne fut pas le cas de l'emploi, en tout cas pas de manière significative.

L'échec du CICE que confirmera l'évaluation tardive de France Stratégie (octobre 2018) retenant « un effet net qui serait proche de 100 000 emplois créés et sauvegardés qui se serait matérialisé sur 2014 et 2015 dans les entreprises les plus exposées au CICE » .

Et d'ajouter que le rapport « n'exclut pas que cet effet puisse être plus important en se référant aux résultats obtenus par une équipe qui concerneraient les entreprises moyennement exposées au CICE » .

Par l'usage du conditionnel : des résultats qui « seraient proches », et par l'amalgame entre emplois créés et emplois « sauvegardés » dont le nombre est parfaitement invérifiable, ce rapport montre qu'en fait on ne peut attester un quelconque effet sur l'emploi de ce cadeau fiscal de 36 Md€ aux entreprises.

Et quand bien même, 36 Md€ pour 100 000 emplois au démarrage et au final 110 Md€ (2013 et 2018), soit 1 % du PIB par an pour des résultats improbables, on devrait pouvoir trouver un meilleur usage des deniers publics pour développer l'emploi ! 122 ( * )

Le rapport sénatorial montrait en outre que les principales entreprises bénéficiaires étaient commerciales, notamment la grande distribution aux côté de l'industrie, les deux secteurs y entrant pour 19%, ce qui est peu, vu l'importance stratégique de l'industrie. Le CICE devait aussi être un outil de soutien aux petites entreprises.

Au final, l'aide sera « majoritairement captée par les entreprises de taille intermédiaire et les grandes entreprises, alors même que celles-ci représentent moins de 1 % des dossiers » .

Ainsi, en 2014, les grandes entreprises ont bénéficié de 30,2 % des crédits d'impôt, les PME de 32,7 %.

L'effet fut réduit aussi sur l'exportation, près de 80 % des aides étant allées aux entreprises réalisant moins de 10 % de leur chiffre d'affaires à l'exportation.

Rappelons que le CICE avait été plébiscité par le MEDEF alors présidé par M. Pierre Gattaz, qui prévoyait la création d'un million d'emplois comme le montre un célèbre Pins édité à cette occasion par l'organisation patronale !

Devant le tollé suscité par ces révélations, le CICE sera remplacé, à partir de janvier 2019, par un classique « allégement des charges sociales », autre mesure dont l'efficacité n'a pas non plus été clairement prouvée, sauf pour les bas salaires et dont l'effet sur l'investissement et la compétitivité internationale est nul. 123 ( * )

Ainsi, l'apport de l'investissement à la faible croissance est toujours aussi bas. Paradoxalement, selon Romaric Godin 124 ( * ) plus bas même après la suppression de l'ISF et l'instauration de la « flat tax » sur les revenus du capital (PFU) qu'avant.

L'une des explications pourrait être que le redressement des marges des entreprises est venu renforcer les capitaux propres des entreprises sous forme de liquidités utilisables pour des opérations d'acquisitions.

Au final, contrairement au théorème de Schmidt (voir partie I A1), les avantages fiscaux ne se transforment pas en investissements et encore moins en emplois, mais en endettement pour acquérir des entreprises généralement étrangères.

Le choix est celui d'un développement externe et non celui de l'investissement susceptible d'améliorer la productivité de l'entreprise.

4. Les plans de relance par l'investissement

Les marchés dont dépend l'activité économique étant censés autorégulateurs, les seules interventions des pouvoirs publics licites pour la doxa néolibérale sont celles visant l'amélioration ou la stimulation des marchés :

- rétablissement et optimisation du fonctionnement des marchés financiers dont dépendent tous les autres échanges ;

- interventions sur l'offre visant à améliorer la concurrence en levant les obstacles au libre jeu des marchés ;

- baisses de la fiscalité et des cotisations sociales obligatoires ;

- amélioration de la « flexibilité » du marché de l'emploi ;

- suppression des contraintes réglementaires favorables aux employés, etc.

Si des interventions sur la demande (consommation et investissement) sont envisagées, c'est en cas d'extrême urgence et, sauf exception, elles doivent rester modestes, ponctuelles.

En réalité, avant d'être économiques, il s'agit d'opérations politiques de secours immédiat surtout destinées à montrer que les responsables publics ne restent pas inertes devant la crise.

C'est ce qu'on appelle vulgairement de la gesticulation politique 125 ( * ) .

Telle est la situation en zone euro et en France.

Aux USA - pourtant champions du libéralisme - les choses sont plus compliquées et surtout plus ambigües, dans la mesure où la pensée économique y est beaucoup moins monolithique qu'en Europe, où un pragmatisme politique traditionnel tempère sensiblement les lubies idéologiques et où le souvenir du New Deal et de Roosevelt n'a pas totalement disparu.

Si, politiquement, les républicains sont de farouches libéraux quand ils s'opposent à un Président démocrate, ils peuvent être hétérodoxes dans d'autres situations. Ainsi l'ARRA ( American Recovery & Reinvestment Act ) d'Obama, le plan de relance occidental le plus ambitieux de l'après-crise (839 Md$ au final seront dépensés) prend-il la suite du plan Paulson (TARP) sous mandat de George W. Bush, qui, de facture libérale, évoluera vers un interventionnisme économique plus net.

Quant à l'ARRA, c'est plus un plan de relance composite - baisses d'impôts, protection sociale, aides aux collectivités - qu'un plan massif d'investissement public.

Un plan qui sera partiellement saboté par les gouverneurs républicains largement majoritaires dans les états. Les quelque 158 Md€ sur trois ans d'aides fédérales y seront utilisés pour se désendetter plutôt que pour sauver les emplois publics ou investir.

Même ambigüité du plan de relance de Donald Trump qui correspond à un besoin criant, vu le délabrement des infrastructures publiques étasuniennes : 2 000 Md$ consacrés aux routes, à la réfection des ponts, aux écoles et au développement du réseau numérique haut débit... Mais il s'agit de 2 000 Md$ en 25 ans, soit 80 Md$ par an et 0,4 % du PIB étasunien. Pas vraiment de quoi changer la face du pays. D'autant moins que les Républicains, dont l'électorat est essentiellement non urbain, se moquent de ces investissements destinés d'abord à relier les grandes cités.

Le moteur de la croissance actuelle des USA reste bien le classique moteur libéral : l'abondance de liquidité et l'endettement.

Seule petite nouveauté dans ce paysage familier, une sorte de frémissement des oracles de la pensée unique qui, constatant les insuffisances de la politique de l'offre, en viennent à murmurer que l'heure pourrait être venue de stimuler la demande par une relance de l'investissement public.

Ainsi voit-on régulièrement des organismes officiels de stricte obédience néolibérale - FMI, OCDE et même BCE et Commission européenne - revenir sur le sujet dans des déclarations certes alambiquées, mais révolutionnaires dans leurs bouches.

Celle de Mario Draghi lors d'un discours à la BCE, gardien sourcilleux de la doctrine, le 18 juin 2019 en est un bon exemple : « La politique monétaire peut toujours atteindre son objectif seule, mais surtout en Europe, où les secteurs publics sont importants, elle peut le faire plus rapidement et avec moins d'effets secondaires si les politiques budgétaires sont alignées sur celle-ci. » On n'imagine pas son prédécesseur, Jean-Claude Trichet, dire de telles horreurs même en langage codé.

On peut cependant douter que ces hirondelles suffisent à faire le printemps de la relance.

Mais qu'est-ce qu'une relance par l'investissement « keynésienne », et pourquoi constitue-t-elle un outil de relance économique, à quelles conditions l'est-elle et pourquoi les plans de relance des trois Présidents de la République française qui se sont succédé depuis le krach de 2008 n'entrent-ils pas dans cette catégorie ?

a) La relance keynésienne par l'investissement

Il s'agit, en période de sous-emploi, de financer des travaux et des investissements publics de toute nature en vertu du principe qu'une dépense nouvelle de l'État de ce type, engendre une hausse de la production supérieure à la dépense initiale, ce qu'on appelle l'effet du « multiplicateur keynésien ».

Cette relance par l'investissement gagne, par ailleurs, à s'accompagner d'une redistribution des produits de l'activité économique vers les ménages les plus pauvres, dont la propension à consommer est la plus forte.

Selon Keynes, ce n'est pas l'épargne des riches qui permettra de relancer l'économie mais la consommation des pauvres et l'augmentation de la richesse collective par l'investissement.

Cela signifie donc que la solution à la stagnation économique ne passe pas par un enrichissement des plus riches (baisse de leurs impôts ou augmentation des revenus financiers susceptibles de leur revenir) mais par une augmentation des capacités de consommation, donc des revenus des moins aisés.

Côté investissement, la réussite de l'opération suppose que l'injection de liquidités par l'État n'engendre pas l'effet multiplicateur hors du pays (ou de la zone euro si c'est le niveau d'intervention choisi), en clair n'appelle pas une forte hausse des importations.

Ce qui suppose un bon ciblage des investissements engagés.

Ainsi, annoncer un plan de « relance vert » n'a aucun sens en termes économiques si on ne dit pas quelles seront les filières directement concernées et leurs effets en termes d'importations.

Comme le disait le FMI dès 2014, l'investissement public est absolument indispensable si l'on veut sortit l'économie mondiale de la stagnation, mais sa réussite est soumise à des conditions précises :

« L'augmentation de l'investissement public a un effet particulièrement fort sur la production si : 1. Cet investissement intervient en période de ralentissement économique et de politique monétaire accommodante, cette dernière limitant la hausse des taux d'intérêt face à l'accroissement de l'investissement. 2. L'efficience de l'investissement public est élevée, en ce sens que le surcroît de dépenses d'investissement n'est pas gaspillé, mais alloué à des projets ayant un rendement élevé . 3. L'investissement public est financé par l'emprunt, et non par une augmentation d'impôts ou la réduction d'autres dépenses, les deux options entraînant des baisses similaires du ratio dette publique/PIB. » 126 ( * )

Il faut aussi évidemment que le réamorçage de la machine économique ne soit pas immédiatement bloqué par une hausse des taux d'intérêt et une raréfaction monétaire, pour conjurer tout effet inflationniste, comme ce fut le cas pour la reprise de 2011, tuée dans l'oeuf par la BCE alors présidée par Jean-Claude Trichet.

Ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est qu'une « relance keynésienne par l'investissement public » n'a rien à voir avec un arrosage général et non ciblé de liquidité type « quantitative easing » ou « hélicoptère monétaire » façon Milton Friedman, un « quantitative easing pour le peuple » a-t-on dit à l'époque !

Elle n'a rien à voir non plus avec un saupoudrage de mesures destinées au sauvetage d'entreprises en difficultés, du fait de la crise, opération certes louable, voire nécessaire, mais d'une autre nature.

Rien à voir enfin avec la politique néolibérale de développement par l'endettement sans contrôle, de krach financier en krach financier pratiquée aujourd'hui par les USA.

Pour Keynes, la relance doit intervenir à certains moments -ralentissement économique - et cesser, lorsqu'un niveau d'emploi suffisant est reconquis. C'est alors la limitation de l'endettement et la réduction de la masse monétaire qui s'imposent.

L'efficacité de la relance dépend enfin de la rapidité de sa mise en oeuvre. S'il faut attendre plusieurs années avant que les crédits prévus ne soient engagés, il y a fort à parier qu'elle se réduise à un effet d'annonce.

Dans un article intitulé Comment éviter la récession 127 ( * ) , Keynes expose ce que pourrait-être une politique permanente du plein emploi :

« Pour maintenir la prospérité, il faut qu'une juste proportion des ressources nationales, ni trop, ni trop peu, soit consacrée à l'investissement productif (...)

Il n'y a aucune raison de supposer qu'il existe quelque « main invisible », un mécanisme d'autocontrôle du système économique qui assure que le montant de l'investissement productif soit constamment au bon niveau. Il est même extrêmement difficile d'y parvenir délibérément, au moyen de ce qu'on appelle aujourd'hui la « planification ». Le mieux que nous puissions espérer est d'utiliser certains investissements, qu'il est relativement facile de planifier, comme compléments pour assurer dans la mesure du possible, la stabilité de l'investissement global au niveau approprié. Il y a trois ans, il importait d'utiliser la politique publique pour soutenir l'investissement. Il sera peut-être bientôt tout aussi important de retarder certains types d'investissement, afin de disposer des munitions nécessaires quand nous en aurons le plus besoin. »

« De même qu'il a été judicieux que le Gouvernement s'endette en période de crise, la politique inverse serait, pour les mêmes raisons, judicieuse aujourd'hui...C'est au moment d'un boom et non d'une crise, qu'il est opportun, pour le Trésor, de mener une politique d'austérité » .

Pour Keynes, le déficit budgétaire est un instrument de politique économique contra-cyclique et de plein emploi.

L'équilibre budgétaire n'est pas un objectif en soi, comme dans la théorie néolibérale où c'est d'abord un moyen de neutraliser le pouvoir économique de l'État et de peser sur les salaires.

Son objectif c'est le plein emploi.

« De même qu'il était judicieux de la part des autorités locales d'activer les dépenses de capital durant la crise, il le serait aujourd'hui qu'elles différent tous les nouveaux investissements qui peuvent raisonnablement l'être. »

« Une politique avisée de l'encouragement à investir exige (....) une longue préparation. Il est temps d'instituer un conseil de l'investissement public pour préparer des projets sérieux qui seront disponibles au moment où on en aura besoin. Si nous attendons que la crise soit là, il sera trop tard. Il faut mettre immédiatement en place une autorité dont la tâche ne sera pas d'entreprendre quoi que ce soit pour l'instant, mais de s'assure que des plans détaillés seront prêts. Aux compagnies de chemins de fer, aux autorités portuaires et fluviales, aux compagnies de gaz, d'eau et d'électricité, aux promoteurs immobiliers, aux autorités locales et, peut-être par-dessus tout, au London County Council et aux autres grandes municipalités réunissant de grandes concentrations de population, on devrait demander d'examiner quels projets pourraient utilement être mis en oeuvre si le capital était disponible à certains taux d'intérêt : 3,5%, 3%, 2,5%, 2%. La question de l'opportunité des projets et leur ordre de priorité devraient être examinés plus tard. »

La clef de la régulation du système, selon Keynes, c'est l'investissement.

L'un de ses déterminants est le taux d'intérêt qui en période normale parvient relativement à s'autoréguler. Mais la régulation par le taux d'intérêt ne suffit pas.

Si à la fin de la théorie générale, Keynes écrit qu' « aussitôt que les contrôles centraux auront réussi à établir un volume global de production correspondant aussi près que possible au plein-emploi, la théorie classique reprendra tous ses droits ». Il ajoute : « Au surplus, il est improbable que l'influence de la politique bancaire sur le taux de l'intérêt suffise à amener le flux d'investissement à sa valeur optimum. Aussi pensons-nous qu'une assez large socialisation de l'investissement s'avèrera le seul moyen d'assurer approximativement le plein-emploi (...) ».

Depuis le début de la Grande crise, trois Présidents de la République se sont succédé en France, donc trois plans de relance par l'investissement public. On en attend toujours les effets.

b) Les faux plans de relance français
(1) Le plan de relance Sarkozy

C'est évidemment chronologiquement le premier puisque engagé en décembre 2008. Disons à la décharge de l'intéressé que c'était la première fois qu'un chef d'État français se trouvait confronté à un pareil problème et qu'il était entouré de banquiers qui, comprenant encore moins que lui ce qui se passait, - comme Jean-Claude Trichet, président de la BCE - ne voulaient rien faire, pensant que la situation se normaliserait d'elle-même.

« Face à une crise mondiale qui va tout changer, expose Nicolas Sarkozy , c'est la seule manière de préparer les emplois de demain », avant d'ajouter « nous avons des retards d'investissements considérables depuis des décennies, car la France sacrifie depuis trop longtemps l'investissement au fonctionnement. »

En fait de plan « audacieux et ambitieux », il s'agit d'un plan trop modeste pour être autre chose qu'un calmant passager des douleurs les plus vives : montant 26 Md€ sur 2 ans (soit 13 Md€ annuels en moyenne et 0,6 % du PIB).

Globalement les investissements de l'État (logements sociaux, rénovation urbaine, réseaux de transport et investissement des collectivités territoriales, ne dépasseront pas 7,5 Md€ soit moins de 30% des engagements financiers.

Le reste des dispositions est un bric-à-brac d'assouplissements réglementaires (en matière d'urbanisme et du code des marchés, notamment), de mesures de soutien aux constructeurs et sous-traitants de l'automobile (mesure phare : une « prime à la casse » des vieux véhicules), d'exonération de charges patronales, et surtout d'accélération du paiement de dettes de l'État envers les entreprises, 11,5 Md€, soit beaucoup plus que les aides à l'investissement !

Compter le paiement de ce qu'on doit pour une aide, il fallait oser !

Selon le bilan du Plan de relance fait par la Cour des comptes en septembre 2011, son impact sur la croissance aurait été d'environ 0,5 point de PIB sur 2009 et 2010, pour une dépense de 1,4% du PIB. C'est que ce plan étant essentiellement centré sur le soutien à la trésorerie des agents économiques, ses effets ont été « diffus », dixit Didier Migaud - tout récemment nommé président de la Cour par Nicolas Sarkozy - pour qui le plan « a sans conteste permis d'atténuer les effets de la crise ». Voilà qui est beaucoup s'avancer !

Sur quoi reposent ces évaluations dont la précision dépasse celle de l'outil ayant servi à les établir et comment des dépenses annoncées de 0,4% du PIB par an se sont-elles transformées en dépenses de 0,7% ? Mystère...

D'autant plus grand que beaucoup de bons esprits pensent qu'en réalité c'est la Chine qui a permis à l'époque le sursaut de l'économie mondiale par un plan de relance massif de l'ordre de 1 000 Md$ et, par ricochet, de celle des autres pays en leur ouvrant des débouchés.

(2) Les plans de relance Hollande

Les plans de relance européens de François Hollande seront nettement plus ambitieux mais encore plus évanescents que le précédent.

Dès juin 2012 François Hollande milite pour un plan européen de 120 Md€ (moins de 1 % du PIB de l'UE) :

- 55 Md€ de fonds structurels en direction des régions pauvres non utilisés ;

- recapitalisation de la BEI de 10 Md€ (dont 1,6 Md€ pour la France et l'Allemagne) ce qui doit lui permettre d'emprunter 60 Md€ pour financer des projets d'infrastructures ;

- création de 4,5 Md€ de « project bonds » 128 ( * ) , d'emprunts contractés en commun par les pays européens pour garantir des chantiers de grandes entreprises.

En réalité, seuls 10 Md€ seront réellement mobilisés par les États européens, le reste du plan se limitant à réorienter des fonds existants et à des dispositions censées attirer l'investissement privé.

Même fiasco s'agissant de la proposition de financement des « projets d'avenir » par le budget européen qui d'ailleurs baissera durant le quinquennat de François Hollande.

Fin juin 2014, le Président français voit encore plus grand. Après concertation avec les chefs d'État socio-démocrates européens, il dévoile son "agenda pour la croissance et le changement en Europe".

C'est un programme d'investissements de cinq ans, financé par l'Europe, les nations, l'épargne privée et les grands « investisseurs ». Un plan à hauteur de 2 % du produit intérieur brut, soit environ 240 Md€ par an 1 200 Md€ en cinq ans.

Les secteurs concernés sont les infrastructures, la recherche, l'énergie, la formation des jeunes et la santé.

Le projet se perdra dans les sables européens.

En fait, si, selon le lieu commun, en Europe, il n'y a pas de solution à la crise sans l'Europe, constatons qu'il n'y en a pas non plus avec l'Europe et que poser ainsi le problème c'est se condamner, en l'état, à la gesticulation et à l'impuissance.

Le néolibéral François Hollande le sait très bien, lui qui n'hésitait pas à déclarer que « c'est l'offre qui crée la demande » 129 ( * ) et dont l'action économique s'est résumée à alléger les charges des entreprises (voir plus haut l'exemple du CICE), soit un coût d'environ 10 Md€ par an pour les finances publiques durant le quinquennat et la principale dépense fiscale de l'État. Avec pour résultat une augmentation de 560 000 chômeurs entre mai 2012 et juin 2017.

(3) Le plan de relance d'Emmanuel Macron

Figure imposée de tout début de présidence, dès août 2017, le Premier ministre d'Emmanuel Macron annonce un « grand plan d'investissement » (GPI) de 50 ou 57 Md€ selon les annonces, sur cinq ans, promptement présenté par les commentateurs médiatiques comme un New Deal à la française.

La comparaison est étrange puisque, conformément au principe de « l'en même temps », cher à la pensée complexe du président Macron, ces dépenses s'accompagneront, selon le Premier ministre, d'une politique de baisse des dépenses publiques.

D'autant plus étrange, qu'à en croire les experts du FMI (voir ci-dessus l'extrait de leur rapport de 2014), l'une des conditions de la réussite d'un plan de relance est justement que « l'investissement public est financé par l'emprunt, et non par une augmentation d'impôts ou la réduction d'autres dépenses, les deux options entraînant des baisses similaires du ratio dette publique/PIB. »

Plutôt habituelle cette fois, la modestie de l'engagement financier théorique de 11,4 Md€ par an dans le meilleur des cas, soit moins de 0,4% du PIB, à comparer avec les sommes engagées par l'ARRA d'Obama - 839 Md$ sur trois ans - soit près de 2% du PIB par an (5 fois plus) chaque année.

Habituel aussi le recyclage des fonds de tiroirs budgétaires et des moyens existants comme le soutien à la rénovation des bâtiments ou le « geste en direction des collectivités » pour reprendre l'expression d'Édouard Philippe.

Si l'on tient compte en outre du fait que 6 Md€ viendront du recyclage des fonds du « Programme d'investissement d'avenir » de François Hollande, l'effort financier supplémentaire réel se monte à 24 Md€. Tout simplement risible. 130 ( * )

Quand on examine le détail des domaines concernés on se perd encore plus en conjecture.

Il s'agit, précise Édouard Philippe, de financer des actions « à caractère non pérenne, en vue d'effets durables, mesurables à horizon de la fin de la mandature ».

Exemple : développer les compétences facilitant l'accès à l'emploi des chômeurs de longue durée et des jeunes sans qualification, d'accélérer la transition écologique, de redéfinir la politique de transports, de stimuler la montée en gamme des filières agricoles, de transformer l'action publique et de moderniser le système de santé, de valoriser l'enseignement supérieur et la recherche, de stimuler l'innovation et la modernisation des entreprises.

On a un peu de mal dans ce catalogue à repérer ce qui relève des dépenses de fonctionnement et ce qui relève de l'investissement. Il faut avouer que comprendre ce que pourraient être des investissements non pérennes n'est pas à la portée de n'importe qui.

Il est donc clair que le plan de relance d'Emmanuel Macron n'en est pas un, ce que confirme le rapport de Jean Pisani-Ferry 131 ( * ) qui l'accompagne. Dès l'avant-propos, il vend la mèche : ce n'est pas un plan de relance, tout simplement parce que « la nécessité d'un programme de relance ne s'impose pas aujourd'hui ».

Inutile donc de s'arrêter aux chiffres ! Il faut quand même oser !

5. Un système financier parasite (voir annexe 4 de cette partie)

« La création de crédits est une chose trop importante pour être laissée aux banques »

Adair Turner

Une autre cause de la stagnation économique, alors même que liquidités banque centrale et scripturales abondent, que les taux d'intérêt restent très bas, c'est que précisément l'essentiel de la masse monétaire se perd dans la sphère spéculative sans venir irriguer l'économie réelle.

Ainsi, par exemple, nombre de grandes entreprises préfèrent, plutôt qu'investir, utiliser leurs excédents dans le rachat de leurs propres actions pour en faire monter le cours et leur fortune avec, ou pour racheter leurs concurrents.

Quant aux « fonds d'investissement », la plupart n'ont d'autre objectif que la plus-value spéculative, souvent à crédit.

a) Les sources de financement de l'économie « réelle »

Il existe deux sources de financement extérieures d'inégale importance : les prêts bancaires (un peu plus de 1 000 Md€) et le marché selon deux modalités, les émissions d'actions (de l'ordre de 30 Md€ en 2017, année exceptionnelle !) et d'obligations (de l'ordre de 600 Md€ en 2017) 132 ( * ) .

Des chiffres généralement réservés aux initiés et très volatiles car dépendant surtout des opérations des grandes entreprises. Les autres devront se débrouiller autrement.

Ainsi, en 2015, les entreprises high tech dans lesquelles le Gouvernement voit le salut de la France n'ont-elles pu lever que quelque 330 M€ auprès des investisseurs boursiers.

Le financement par les marchés (en hausse depuis quelques temps) est essentiellement pratiqué par les grandes entreprises multinationales, surtout en vue du rachat d'entreprises concurrentes (fusions acquisitions) ou pour doper la valeur boursière de l'entreprise, comme on l'a dit.

Ainsi la valeur boursière de LVMH était-elle fin 2018 de 186 Md€ avec un endettement de 5,48 Md€, un chiffre d'affaires de 46,8 Md€ et un bénéfice de 6,4 Md€

S'y ajoute l'autofinancement : 197 Md€ dont 41,8 Md€ pour les activités immobilières 133 ( * ) .

Si maintenant on compare le volume des échanges boursiers et ce qui concerne spécifiquement les investissements relatifs aux entreprises, on a quelques surprises.

Ainsi, sur les quelques 2 223 Md€ de transactions sur Euronext en 2017, 630 Md€ seulement (actions + obligations), soit 28,3 % des transactions, concernent le financement de l'économie au sens large.

Si on tient compte du fait qu'au moins 60 % des transactions s'effectuent sur le marché secondaire 134 ( * ) , le ratio est très probablement inférieur à 20 %.

Moins encore si on tient compte du fait que le rachat de ses propres actions par une entreprise est devenu courant.

Compte tenu de l'opacité du système, il est difficile d'être plus précis ou a contrario de dire si les études concluant que pas plus de 5% de l'activité boursière a pour objet le financement de l'économie a quelque fondement.

En tout cas, « ces montants donnent la mesure de ce que sont devenus les marchés boursiers, la place de Paris s'inscrivant dans un mouvement mondial.

Ce ne sont plus des places - des marchés primaires - dont la fonction est de permettre à des sociétés d'accéder à des capitaux disponibles mais des marchés secondaires, d'occasion, où se négocient des titres sans relation directe avec les sociétés. Le lien avec les entreprises n'est désormais que subalterne. » 135 ( * )

Autrement dit, ce sont des instruments de spéculation.

Ce qui vaut pour les marchés financiers vaut aussi pour l'activité bancaire dont les prêts aux entreprises passent pour être la principale préoccupation de l'institution.

Sauf que les quelques chiffres dont on dispose disent le contraire.

Ainsi selon Stat Info (juillet 2019), publication officielle de la Banque de France : « À la fin mai 2019, les crédits [bancaires] mobilisés par les entreprises atteignent 1 023,1 Md€, en hausse de 6,2 % sur un an... »

Premier constat : les crédits d'équipement représentent seulement 448 Md€ d'euros, les crédits immobiliers, de trésorerie (court terme) et autres, le reste.

Deuxième constat : l'ensemble des crédits aux 1 119 630 PME représente 433 Md€.

Troisième constat : le rapport montant des crédits aux entreprises en général/bilan 2016 du système bancaire français est de 13,75%, celui des crédits d'équipement aux entreprises en général / bilan 2016 du système bancaire français est de 6,02 % et celui des crédits d'équipement aux petites et moyennes entreprises (PME) / bilan 2016 du système bancaire français est de 2,52 %. 136 ( * )

Tout en gardant présent à l'esprit l'impossibilité de savoir ce que recouvrent exactement les chiffres publiés par les banques - un prêt à une entreprise non financière peut, par exemple, financer ses investissement mais aussi une opération immobilière ou le rachat de ses propres actions - ces évaluations sont cohérentes avec la majorité de celles dont on dispose.

En tout cas, la conclusion est toujours la même, le financement de l'économie réelle n'est pas davantage la première préoccupation du système bancaire qu'elle n'est celle des systèmes boursiers.

Lors de son audition au Sénat en février 2016, Jézabel Couppey-Soubeyran a donné les ordres de grandeur suivants : « La part du crédit aux entreprises au bilan agrégé du secteur bancaire français s'élève à 10 %. La part du crédit aux PME à 5 %, alors que les banques sont censées financer les entreprises qui ont le moins de possibilités alternatives de financement. On se demande ce qu'il en est des 95 % restants... L'activité des grandes banques européennes n'est plus tournée vers l'activité de crédit aux entreprises de taille moyenne et intermédiaire » 137 ( * ) .

Selon France Stratégie, l'investissement productif en France se monte à 360 Md€, tandis que l'ensemble actifs placés sur les marchés (actions cotées + obligations) + crédits bancaires aux entreprises (hors immobilier) + fonds propres représente 3 007 Md€, soit pour l'investissement 11,9 %. (voir annexe 2 de cette partie)

On retrouve le même ordre de grandeur.

Un ordre de grandeur que l'on retrouve ailleurs qu'en France, au Royaume-Uni et ailleurs où, selon Alan Turner « la part du crédit qui finance l'investissement dans des actifs autres qu'immobiliers n'est que de 14 % ; dans les grandes lignes on observe le même phénomène dans toutes les économies avancées et, de plus en plus, dans les économies émergentes. »

Il s'agit donc d'un phénomène général inhérent au système néolibéral et non spécifique de tel pays.

Ce dont, évidemment, se défendent vigoureusement les premiers intéressés.

Ainsi la Fédération bancaire française et la Banque de France, évitant de donner des chiffres qui pourraient remettre en cause la privatisation du pouvoir et des moyens de financement de l'économie, préfèrent regarder ailleurs et braquer le projecteur sur la hausse en pourcentage (relativement récente) des crédits bancaires aux entreprises.

La dernière plaquette publicitaire de la Fédération bancaire française (janvier 2019), par exemple, s'intitule avec le plus grand sérieux : « Entreprises et PME : première priorité des banques françaises ». 138 ( * )

À l'intérieur de la plaquette, outre les variations classiques sur l'augmentation des pourcentages de crédits aux entreprises (sur un an, par jour, par heure), un savant brouillage des chiffres mêlant prêts aux ménages (sans spécification de quels types de ménages il s'agit) et crédits aux entreprises (sans précision non plus), transformés ainsi en crédits à l'économie, et surtout des affirmations dont on ignore le fondement :

- que moins de 2 % des PME et TPE ne demandent pas de crédits bancaires par peur d'un éventuel refus ;

- qu'avec 20 % du total des actifs des banques 139 ( * ) , les crédits aux entreprises représentent l'une des premières [ce qui signifie que ce n'est pas la première !] expositions des établissements de crédit français.

Par conséquent, on ne peut que prévenir les PME et les entreprises et défendre les banques françaises contre les méfaits de Bâle III !

Outre les chantres officiels du système bancaire français, Patrick Artus est, à notre connaissance, l'un des rares économistes à contester que le système bancaire français contribue peu au financement de l'économie du pays :

« Si on regarde les chiffres de la Banque de France, la masse des crédits bancaires aux entreprises représente 60 % du PIB et ça augmente de 6 % par an. Tous les ans on met 3,6 points de PIB en crédit supplémentaire dans l'économie. C'est beaucoup. Les investissements des entreprises c'est à peu près un tiers des investissements. Un tiers des investissements se fait par le crédit bancaire ... »

Outre que 1 043 Md€ de crédit bancaire aux entreprises en 2019 représente seulement 45,7 % du PIB 2018, les crédits d'équipement (hors immobilier et crédits de trésorerie à court terme) représentent 19,7 % du PIB et les crédits aux PME 1,9 % de ce même PIB.

Ce que Patrick Artus reconnaît d'ailleurs : « le vrai sujet est le financement des petites entreprises, les TPE et les start-up. »

Plus surprenante, l'affirmation selon laquelle « dans le bilan de l'ensemble des banques françaises, le crédit représente à peu près 80 % du bilan de la banque. Le crédit aux ménages et aux entreprises, c'est à peu près moitié-moitié. Ça fait 80 % du bilan des banques. Que font-elles d'autre les banques ? »

Sauf qu'en admettant que le crédit aux entreprises représente 40% du bilan de l'ensemble des banques françaises, on prétend que l'encours bancaire du crédit aux entreprises est de 2 920 Md€, ce qui n'est évidemment pas le cas.

L'argument en défense le plus courant, cependant, c'est que la modestie de la contribution du système bancaire au financement de l'économie renvoie à l'absence de la demande des entreprises elles-mêmes, réticence dont l'origine - comme entend le prouver le sondage rappelé plus haut - n'est pas la crainte d'un refus.

Une explication qui est loin de faire l'unanimité. « Si l'on se fie à ce que disent les statistiques, nous dit Pierre-Charles Pradier 140 ( * ) , évidemment, tout va bien : le volume de prêts aux entreprises augmente plus vite que l'inflation et les taux des prêts aux entreprises sont les plus bas de l'Union européenne. Les statistiques disent qu'il n'y a pas de contrainte.

Mais, on n'arrive pas à rapprocher ces chiffres de la demande potentielle.

Et en effet, il y a des centaines de milliards de volume de prêts, mais ce que l'on ne peut mesurer, ce sont les demandes insatisfaites : il y a des entreprises qui ne vont même plus voir les banques, tellement elles savent qu'elles n'obtiendront pas ce qu'elles demandent. Beaucoup d'entrepreneurs français pensent à des stratégies non-bancaires pour monter ou augmenter leurs boites. »

Et quand bien même la faiblesse de la demande expliquerait la modestie de l'engagement du système bancaire dans le financement de l'économie, resterait à expliquer ce manque de confiance des chefs d'entreprises dans l'avenir et surtout pourquoi continuer à entretenir un système bancaire aussi énorme et dangereux que peu utile à la collectivité ?

Pourquoi accepter cette bombe à retardement sans utilité sociale évidente ? Et pour reprendre l'interrogation de Patrick Artus, si elles ne financent pas l'activité productive « que font-elles d'autre les banques » ?

Si on entend par spéculation tout placement d'argent visant l'acquisition de tout ou partie d'un bien, d'une action, d'un titre de créance, d'une entreprise existante, dans l'espoir de voir monter son prix, la réponse est : elles spéculent. Et ce sont ces activités spéculatives multiformes, plus ou moins directes et officielles, qui expliquent l'importance des bilans bancaires qui, en France, représentent 3,25 fois le PIB national et, en Europe, 2 fois le PIB européen !

À part ça, la première préoccupation du système bancaire, comme du système financier en général d'ailleurs, c'est le financement de l'économie !

b) Un système financier qui fonctionne sur lui-même et pour lui-même

Le signe le plus évident de la déconnexion entre les sphères financière et économique, c'est :

1- l'écart entre le volume de la richesse économique mesurée par le PIB et celui des bilans bancaires, de la dette ou des produits financiers (voir tableau partie I).

Pour prendre le seul exemple de la France : la dette totale représente 2,75 fois le PIB ; le bilan consolidé du système bancaire 3,25 fois le PIB et la valeur des sous-jacents des produits dérivés, 33 fois le PIB français.

En fait, 7 % seulement des produits dérivés couvrent des risques économiques, ce qui signifie « que 93 % de ces produits servent à spéculer ou faire des jeux qui ne servent à rien pour l'économie réelle. » 141 ( * )

2- l'écart considérable entre les taux de croissance de la richesse réelle et de la valeur des produits financiers.

Selon Jean Michel Naulot, la déconnexion entre bourse et économie réelle date des années 1980. Avant ce tournant, la progression du PIB et de l'indice Dow Jones allaient de pair.

Les délocalisations et les paradis fiscaux ne suffisent pas à tout expliquer. En tous cas, entre les années 1990 et 2017, le Dow Jones a été multiplié par 30, le PIB des USA se contentant lui de doubler !

En France, si le phénomène est moins spectaculaire, il n'en existe pas moins. Sur une longue période, entre 1988 142 ( * ) et 2018, le Cac 40 a été multiplié par 5,52 et le PIB par 2,45. Sur une courte période, entre le point bas de l'indice après la crise en 2009 et juillet 2019, l'indice a été multiplié par 205 %, pendant que le PIB progressait de l'ordre de 19,5 %.

Comme on le voit, la stagnation économique n'empêche pas les actions de monter.

La crise n'a rien changé puisque depuis, en neuf ans, les indices boursiers à Wall Street ont augmenté de 300 %, alors que l'économie réelle peinait à enregistrer une croissance moyenne de 2 % par an. 143 ( * )

Depuis l'élection de Donald Trump, les marchés d'actions ont progressé de 30 %, l'argent de sa réforme fiscale en faveur des entreprises ayant servi essentiellement au rachat de leurs actions : doublement des mouvements (1 000 Md$) en 2017 et +20 % sur les dividendes.

Le principal gouffre qui aspire la production monétaire, qu'elle provienne des banques commerciales ou des banques centrales, c'est l'immobilier 144 ( * ) .

« Dans la plupart des systèmes bancaires modernes, l'essentiel du crédit ne sert pas à financer de nouveaux investissements , soutient Adair Turner . Il finance l'achat d'actifs déjà existants, au premier rang desquels des biens immobiliers anciens. » 145 ( * ) Immobilier pour le logement, immobilier d'entreprise et de bureaux.

C'est inévitable dans la mesure où l'immobilier constitue la majorité de toute la richesse dans toutes les économies développées.

Le prêt immobilier individuel est utile socialement et le prêt hypothécaire ou la garantie de l'existence d'un patrimoine sont une garantie incomparable pour le banquier.

Toujours selon Adair Turner, la proportion des crédits immobiliers spéculatifs, c'est-à-dire utilisés à l'acquisition d'actifs déjà existants, a considérablement augmenté depuis 45 ans.

Elle passe de quelque 32 % en 1950 à près de 60 % en 2008, une part importante des 40 % restant étant allouée à l'immobilier commercial.

« En 2007, les banques de la plupart des pays étaient devenues des prêteurs immobiliers. L'intermédiation de l'épargne des ménages vers l'investissement productif dans les entreprises - le rôle normal du secteur financier, à en croire les manuels - ne constitue qu'une part mineure de l'activité foncière aujourd'hui. » 146 ( * )

Apparemment le krach de 2007-2008, d'origine immobilière, n'a rien changé.

« En France, la dette immobilière a atteint 1 000 Md€ : soit un doublement depuis 2008, un quadruplement depuis 2000 ! Quand on sait que ces crédits sont accordés au taux de 1,5 % avec une durée moyenne de 20 ans, cela laisse rêveur... Et au Canada, c'est le double ! » (Jean-Michel Naulot)

On pourrait peut-être se satisfaire de cette situation si elle avait apporté un début de solution à la crise endémique du logement en France, si elle ne reflétait pas la croissance de la valeur du foncier plutôt que celle du bâti.

Tel est le cas, particulièrement, dans les grandes métropoles où 80 % de l'augmentation de la hausse du prix de l'immobilier entre 1950 et 2012 renvoie à celle du prix du m², les 20 % restant à l'augmentation des surfaces construites.

Avec des effets proprement surréalistes 147 ( * ) et un démenti au lieu commun, selon lequel notre économie serait de plus en plus immatérielle !

Comme au Moyen-Âge, la richesse et la puissance, c'est la possession du sol au bon endroit.

Le nouveau mode d'urbanisation (partie IV) ne signifie pas autre chose.

L'immobilier est devenu une « classe d'actifs » dans laquelle on investit non seulement pour améliorer le logement sous toutes ses formes mais aussi pour les plus-values qu'on en espère. Pour les banques, c'est le type même de l'investissement sûr, bien plus en tous cas que les prêts aux entreprises.

Pas étonnant donc si, comme le note encore Turner, « dans l'histoire économique moderne, crédit et prix immobilier évoluent en parallèle. De 2000 à 2007, avant la dernière crise, le crédit hypothécaire aux États-Unis a augmenté de 134 % et le prix de l'immobilier de 90 % ; en Espagne, les hausses ont été de 254 % et 120 % ; en Irlande de 336 % et de 109 %. »

L'autre grand gouffre spéculatif dans lequel disparaît l'essentiel de la création monétaire, ce sont les marchés financiers.

Une solution de facilité pour les banquiers, comme le fait remarquer Thierry Philipponnat, parce que c'est plus lucratif et moins fatigant que le financement de l'économie.

Les agences fournissent des évaluations toutes prêtes des risques d'investissement financier, ce qui n'est pas le cas du risque entrepreneurial. Des robots, comme on l'a vu, peuvent même se charger de la gestion de votre portefeuille.

La Bourse elle-même n'est qu'un rouage de la machine spéculative.

« Les entreprises lèvent leurs capitaux auprès des investisseurs privés, et lorsqu'elles vont en Bourse, c'est pour permettre aux actionnaires de vendre. La Bourse n'est pas le lieu où l'on finance, mais où l'on encaisse, par le biais des cessions, des dividendes et surtout des rachats d'actions (qui n'entraînent pas de frottement fiscal, à la différence des dividendes), qui ont dépassé les 800 Md$ en 2018. » 148 ( * )

Il en résulte le détournement du flux monétaire du financement de la production de richesses nouvelles. « C'est un système qui non seulement crée de l'instabilité financière - parce que c'est évidemment fragile - mais surtout détourne, stérilise, des masses de capitaux de l'économie réelle vers un jeu - je concède ne pas l'appeler spéculation... Ça stérilise tout, je suis totalement d'accord. » ( Thierry Philipponnat)

Dans la langue diplomatique de Mario Draghi, s'interrogeant sur les effets économiques de la première émission de 1 000 Md€ de crédits à bas coûts, cela donne : « nous avons peu de preuves que cela ait atteint l'économie réelle ».

Constatons, en tous cas, que les instances européennes ont préféré ignorer ce problème et que ce n'est pas le projet européen d'union bancaire et des marchés de capitaux européens qui, bien que l'une des « grandes priorités de l'UE », en l'absence de volonté des principaux acteurs, y changera quelque chose

Cette déconnexion des sphères n'est pas nouvelle, mais, comme le fait remarquer Romaric Godin, aujourd'hui, si « la sphère financière se porte bien, si les marchés sont à des niveaux historiquement élevés (...) tout cela s'est fait avec un sous-jacent économique très faible. »

Ce qui était moins le cas avant la crise des valeurs internet, dans les années 1999-2000.

« Vous aviez certes une déconnection entre les marchés financiers et la réalité économique mais on avait quand même une croissance qui s'était très fortement accélérée à la fin des années 90 ».

La nouveauté donc, c'est qu'on ne peut même plus prétendre que la spéculation est le prix à payer du développement, quels qu'en puissent être les risques.

C'est toujours un prix à payer mais exclusivement pour l'enrichissement d'une minorité.

Une mécanique d'autant plus difficile à démonter qu'apparemment -en tous cas selon la « science » économique - la débauche de création monétaire ne semble créer aucune inflation sérieuse.

Constatons cependant que les actifs étant convertibles par le canal boursier, voire de gré à gré, en monnaie banque centrale, ils fonctionnent comme une quasi-monnaie, laquelle permet la captation de biens rares au détriment de ceux qui ne disposent pas de la même faculté.

Cet effet d'éviction est particulièrement évident en matière immobilière.

Il s'agit en fait d'un transfert de richesse des actifs vers les rentiers de la spéculation, sans effet apparent d'inflation, vu le mode de calcul de celle-ci, ce qui l'aurait rendu plus visible.

Le jeu spéculatif est peut-être à somme nulle, les pertes des uns équilibrant les gains des autres, mais à « somme sociale non nulle », dans la mesure où ceux qui gagnent n'appartiennent pas aux mêmes catégories économiques (actifs/non actifs) ou sociales que ceux qui perdent.

Il ne s'agit plus de simples jeux de casino marginaux, comme les décrivait Keynes, mais d'une mécanique de captation des biens rares par le biais d'enrichissements réalisés largement à crédit, autrement dit par la grâce de ceux qui ont le pouvoir de le distribuer.

Cela donne l'impression que la sphère financière, fonctionnant selon ses propres règles, dominant les pouvoirs politiques, ne pèse pas seulement sur la société par son incapacité à jouer son rôle économique naturel mais plutôt comme le parasite qui perturbe et dévitalise son hôte.

Ce qui rejoint la réflexion de Gunther Capelle-Blancard : « Même s'il est difficile de les quantifier, on a légitimement l'idée qu'on a affaire à des activités presque parasitaires, qui se développent, au sens biologique du terme. Il n'y a pas de déconnexion [entre finance et économie réelle] : le parasite se nourrit de la bête, le développement du parasitaire n'a pas d'utilité, il n'y a pas de déconnexion, il y a même une symbiose entre eux. Si on coupe ce lien, le parasite meurt. » 149 ( * )

Le constat d'Adair Turner est édifiant : en Grande-Bretagne, en 1960, le bilan bancaire typique était constitué à 90 % par des prêts à l'économie réelle (entreprises et ménages), des obligations d'État, et les réserves à la banque d'Angleterre.

« En 2008, l'interbancaire représentait bien plus de la moitié des bilans de la plupart des grandes banques du monde (...) : liens contractuels, sous la forme de prêts/dépôts ou de produits financiers dérivés, entre ces banques et leurs homologues, ou entre elles et d'autres établissements financiers, comme les fonds du marché monétaire, les investisseurs institutionnels ou les fonds spéculatifs. » 150 ( * )


* 107 Il s'agit en fait d'une enveloppe d'autorisation de crédits utilisés finalement au coup par coup sous forme d'apports en capital. Une partie de ces crédits sera utilisée pour le plan de relance -ARRA- engagé par Barack Obama dès sa prise de fonction à la présidence. Ainsi, des entreprises, comme General Motors et Chrysler, seront-elles-renflouées.

Au final seulement 421 Md$ seront déboursés et intégralement remboursés selon les autorités étasuniennes, banques et entreprises étant « revenues à bonne fortune. » (Challenge du 11 septembre 2013)

* 108 GM rachètera son capital quatre ans plus tard. En difficulté de nouveau, l'entreprise recevra une aide de l'État sous forme de subventions pour sa voiture électrique. À l'annonce de la suppression de 8 000 emplois, Donald Trump menacera de les supprimer.

* 109 Essentiellement des garanties payantes interbancaires, l'enveloppe destinée aux recapitalisations se limitant à une centaine de Md€ pour les trois plans principaux : France, Allemagne, Espagne.

* 110 Suspension temporaire des transactions pour trois des fonds de BNP Paribas adossés à des titres immobiliers étasuniens.

* 111 Le même qui en 1999, alors employé de Goldman Sachs, avait orchestré le maquillage des comptes de la Grèce pour lui permettre de réduire artificiellement sa dette et ainsi de remplir les conditions d'adhésion à la zone euro. Les responsables européens regardant ailleurs, la manoeuvre a consisté à faire passer en hors bilan une partie de cette dette.

Comme répondit Roosevelt à ceux qui lui reprochaient d'avoir nommé un escroc à la tête de la SEC, l'organe de contrôle de la bourse nouvellement créé - en l'occurrence Joseph Kennedy, le père du futur président - : « il en faut un, pour en attraper un » (« Takes one to catch one »).

* 112 En France, le « Haut conseil des finances publiques », présidé non par un élu, mais par le président de la Cour des comptes, un irréprochable libéral.

* 113 Naissance de la biopolitique - 1979.

* 114 Avec l'aide active des USA pour lesquels la reconstruction et la résurrection de l'Allemagne, poste avancé de leur conflit avec l'URSS, est indispensable.

* 115 Le Deutsche Mark (DM) remplacera le Reichsmark (RM).

* 116 « La guerre de sept ans - Histoire secrète du franc fort 1989-1996 » d'Eric Aeschimann et Pascal Riché (Calmann Lévy 1996).

* 117 « Avec la construction de la monnaie unique, la doctrine du franc fort a trouvé son plus bel écrin, sa plus belle justification. L'une et l'autre ont vite été présentées comme l'avers et le revers de la même médaille. Toutes les tautologies rhétoriques sont devenues possibles. Le franc fort était la seule clé pour ouvrir la voie à la monnaie unique ; la monnaie unique, à l'inverse était le seul moyen de « sortir par le haut » des contraintes du franc fort » (« La guerre de sept ans » p. 86).

* 118 « Une crise en quête de fin », rapport d'information Sénat n° 393 (2016-2017), audition de Jacques Sapir (p. 195)

* 119 Ainsi, lors de la conférence nationale des territoires du 4 juillet 2017, au Sénat, transparaissait à travers les interventions de François Baroin, ancien ministre du Budget de Jacques Chirac venu, en principe, plaider la cause des communes, et du ministre du Budget d'Emmanuel Macron, Gérald Darmanin, une commune fierté d'avoir assumé pour l'un ou d'assumer pour l'autre, le rôle impopulaire de gardien de la rigueur, la fierté du sacrifice assumé pour une noble cause !

* 120 L'Argent - Gallimard Idées

* 121 Ainsi dès le premier trimestre 2016, le taux de marge des entreprises était-il de 32,1 %, son plus haut niveau depuis le début de la crise financière de 2008 (Insee), sans que l'on sache combien a été consacré à l'investissement.

* 122 Constatons que cette gabegie d'argent public a moins scandalisé les « grands médias » que les agapes entre amis du Ministre d'État en charge de l'écologie, plus pittoresques certes, mais incontestablement moins coûteuses.

* 123 « CICE : Pour 110 milliards, t'as (presque) rien » Justin Delépine ( Alternatives économiques du 19 octobre 2018).

* 124 Romaric Godin, Médiapart du 30 janvier 2019

* 125 Voir notamment la réforme Pénicaud de 2018 en France dont nous ne recommandons la lecture qu'aux connaisseurs.

* 126 « Le moment est-il propice à une relance des investissements dans les infrastructures ? Les effets macroéconomiques de l'investissement public - Perspectives de l'économie mondiale - Octobre 2014. »

* 127 Article publié dans La pauvreté dans l'abondance (Gallimard)

* 128 Ces « project bonds » - emprunts contractés en commun - succèdent aux « euro-obligations », dont la création avait été proposée par François Hollande à Angela Merkel et refusée sèchement par la chancelière : « des euro-obligations ? Pas de mon vivant ».

* 129 Conférence de presse organisée en janvier 2014, lors de la présentation du Pacte de responsabilité.

* 130 Romaric Godin, Médiapart du 25 septembre 2017.

* 131 Économiste europhile, ancien membre de l'équipe de campagne d'Emmanuel Macron.

* 132 La Tribune du 26 juin 2018

* 133 À comparer avec Renault : pour une capitalisation boursière 2018 de 33,9 Md€, un chiffre d'affaires de 40,9 Md€ et un bénéfice de 0,58 Md€. Le ratio bénéfice/ valeur boursière pour LVMH est de 3 % et pour Renault de 0,4 %. Ce qui montre bien que la valeur boursière reflète autre chose que les performances des entreprises.

* 134 Marché des titres déjà existants.

* 135 Martine Orange

* 136 Mode de calcul : la dernière évaluation du bilan total du système bancaire français, un chiffre qui ne court pas les rues, remonte à 2016 (voir Finances et Stratégie le 7 mars 2018). Elle est cohérente avec les évaluations des bilans des 6 plus grandes banques françaises dont on dispose par ailleurs : 7 300 Md€ en 2017.

Pour calculer le dernier ratio, nous avons considéré que l'encours des crédits bancaires aux PME représentant 42 % du total des crédits aux entreprises, il en allait de même des seuls crédits d'équipement.

* 137 Rapport d'information n° 393 (2016-2017) « Une crise en quête de fin » (p.106)

* 138 La plaquette ne dit pas que le taux moyen des prêts aux grandes entreprises est de 1,25 % et celui accordé aux petites de 2 % (HCSF rapport 2018)

Le rapport cité note que : « Une large part de l'endettement des grands groupes finance des acquisitions, en particulier vers l'international... De plus, certaines de ces acquisitions se font au moyen de financements à effet de levier (ou LBO), avec un endettement très conséquent. »

* 139 Faute d'explications, on se demande d'où sort ce chiffre. Une hypothèse : il s'agit non pas des actifs tels qu'ils ressortent des bilans mais des actifs affectés d'un coefficient de risque évalué par les banques. Les investissements dans les entreprises étant tenus par les agences de notation pour plus risqués que les autres, il ne serait pas étonnant que l'exposition ainsi recalculée soit supérieure au montant des actifs eux-mêmes !

* 140 Pierre-Charles Pradier : professeur d'économie Paris 1 Panthéon Sorbonne, co-directeur du Labex ReFi.

* 141 Thierry Philipponnat

* 142 L'indice Cac 40 a été créé en 1987

* 143 Martine Orange

* 144 Selon la Banque de France (publication mai 2019), l'encours des crédits aux particuliers dévolus aux logements se monte à 1 032 Md€, soit en ajoutant les 290 Md€ consacrés à l'immobilier d'entreprise 1 322 Md€ affectés au financement de l'immobilier, à comparer aux 448 Md€ consacrés à l'investissement des entreprises : 3 fois moins.

* 145 Alan Turner op cit

* 146 Selon une étude de Jordà et divers auteurs, citée par Turner

* 147 Ainsi, en 1990 - en pleine bulle immobilière dont l'Empire du soleil levant ne s'est jamais remis - le foncier japonais valait 5,2 fois le PIB du pays. La valeur des jardins du palais impérial de Tokyo, s'ils avaient été constructibles, équivalait à celle du foncier de toute la Californie, celle du quartier de Chiyoda dans le centre de Tokyo, la valeur du foncier de tout le Canada. Après le Krach tout s'est effondré, de 80 % dans certains cas. Ce fut la catastrophe pour les entreprises japonaises qui avaient misé sur une hausse infinie des prix de l'immobilier. Pour se désendetter, elles se mirent à thésauriser, réduisant d'autant leurs investissements, d'où la récession dont le Japon n'est pas encore sorti. On ne tira, évidemment, aucune leçon de l'expérience, renvoyant ces péripéties aux spécificités japonaises.

* 148 Le Monde du 13 mai 2019.

* 149 Audition au Sénat le 28 janvier 2016 - Gunther Capelle-Blancard est professeur des universités en sciences économiques

* 150 Adair Turner : Reprendre le contrôle de la dette.

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