C. LE SPECTRE DU POPULISME

« Un spectre hante l'Europe. Le spectre du communisme », ainsi commence le « Manifeste du Parti Communiste » de Marx et Engels.

C'était en 1848.

Un siècle et demi plus tard, le spectre qui hante l'Europe, certainement et probablement tout l'Empire américain, c'est le populisme.

Un populisme aux formes très diverses : d'extrême droite ou de droite extrême (cas les plus fréquents) mais aussi parfois de gauche (France insoumise par certains côtés et Mouvement des Gilets jaunes en France, Podemos en Espagne) ou d'extrême gauche ou difficile à qualifier comme le mouvement « Cinq étoiles » italien.

Le dénominateur commun est la contestation du système tel qu'il fonctionne et de ceux qui l'ont jusque-là fait fonctionner.

À considérer les résultats des dernières élections européennes où dans de nombreux pays les partis alternant parfois depuis la Libération au pouvoir ont été pulvérisés, on peut se demander s'ils n'ont pas atteint déjà leur but.

En Europe continentale, pas de trimestres, et parfois de mois, sans que l'extrême droite marque des points à l'occasion d'élections nationales ou locales.

Leurs gains apparaissent en termes de suffrages et de plus en plus de sièges : Rassemblement National en France (présidentielles et dernières élections européennes où il arrive en tête devant tous les autres partis, y compris celui actuellement au pouvoir), Vox en Espagne, AfD en Allemagne qui marque des points début septembre puis en octobre 2019 aux élections régionales dans quatre Länder de l'ex RDA, Vrais Finlandais en Finlande, Aube dorée en Grèce, PDS Slovène, etc.

Des gains en termes de pouvoir dans des coalitions avec la droite comme en Autriche, avec le centre (Estonie), avec des formations de gauche antilibérales (Matteo Salvini, leader de la Ligue coalisée avec Cinq étoiles). Cette coalition ayant éclaté, elle sera remplacée par une autre : Cinq étoiles - Parti démocrate.

Sans compter les partis de droite extrême déjà au pouvoir en Pologne, Hongrie ou, comme en Slovaquie, y participant au sein d'une coalition hétéroclite.

Mais le plus surprenant est venu de là où on l'attendait le moins, des parrains du néolibéralisme mondialisé : le Royaume-Uni et les USA.

Le Royaume-Uni avec le « Brexit » - et dont le parti arrivé en tête aux européennes est d'extrême droite (l'UKYP de Nigel Farage).

Depuis le référendum d'avril 2016, une confusion jamais connue règne au Gouvernement britannique et aux Communes. Les deux partis de gouvernement Conservateurs et Labour sont chacun clivés entre pro et anti Brexit. Theresa May n'ayant réussi à trouver un accord ni avec l'UE, ni avec les Communes a dû démissionner de ses fonctions de Premier ministre. Son successeur Boris Johnson n'a réussi à faire adopter ni sa proposition de Brexit dur avec sortie de l'UE au 31 octobre 2019, ni celle d'un Brexit négocié !

En même temps, les Communes refusent la tenue d'élections anticipées, auxquelles il sera difficile d'échapper.

Les USA avec l'élection de Donald Trump qui donne des sueurs froides aux libres échangistes de stricte observance. Passées les turbulences post-électorales il semble avoir la situation en main malgré l'opposition des Démocrates, d'une partie des Républicains et les réticences de la Fed à abandonner sa politique d'assainissement par l'augmentation des taux directeurs.

Il est significatif, comme le dit James K. Galbraith, que Donald Trump ait « gagné son pari dans les États "oubliés" des États-Unis. (...) Les États qui ont voté pour Trump ont été ignorés par les démocrates depuis des années. D'autres, enfin, ont toujours été conservateurs 276 ( * ) . »

Même le Canada lors des élections provinciales québécoises a apporté sa contribution au mouvement avec la victoire de la Coalition avenir Québec (CAQ) et l'élection d'un Premier ministre - François Legault - « hors normes ».

S'il refuse l'étiquette de « populiste », constatons qu'il a d'abord été élu contre les appareils en place et que son programme vise à renforcer les spécificités québecoises.

Conclusion : le « populisme » semble partout installé et pour longtemps.

Mais, qu'est-ce que le « populisme » ? Que peuvent avoir de commun des formations et des formes d'expression aussi disparates ?

1. Qu'est-ce que le « populisme » ?
a) Une essence insaisissable

La réponse la plus courante c'est que serait populiste tout régime fondant sous une forme ou sous une autre, la légitimité de son action sur le peuple, toute formation critiquant le néolibéralisme au nom du peuple.

Ainsi, pour Konrad Adam, cofondateur du parti AfD (Alternative pour l'Allemagne), populisme et démocratie se confondent.

Pour lui « la démocratie est en son essence un phénomène populiste, car elle donne le dernier mot au peuple : au peuple, comme je l'ai dit et non à ses représentants. » 277 ( * )

Certes, mais que dit le peuple, sinon ce que d'une manière ou d'une autre, ses représentants élus ou autoproclamés lui font dire ?

Quel que soit le mode d'organisation politique, il faut un intermédiaire qui recueille, voire interprète la volonté du peuple dès lors qu'à la différence de la démocratie antique, il ne peut être en totalité rassemblé en un lieu.

Même là d'ailleurs, les démagogues venaient brouiller et influencer son expression.

Quant aux foules, elles sont rarement représentatives d'un peuple dans sa totalité (voir l'usage qu'en a fait le fascisme).

Et puis, comment savoir ce que veut une foule ?

Que voulait la foule des Parisiens rassemblés devant l'Hôtel de Ville pour acclamer le maréchal Pétain, chef de l'État français le 28 avril 1944 ? Que voulait celle des Parisiens rassemblés en ce même lieu pour acclamer le Général de Gaulle, chef de la « France libre » quatre mois plus tard ? Pour partie des choses différentes mais probablement pour une autre la même : la fin de la guerre et des privations.

Difficile donc de transformer en volonté et en action politique de telles manifestations d'adhésion, fussent-t-elles sincèrement enthousiastes.

Dans le même ordre d'idée, quelle représentativité peuvent bien avoir les échantillons de sondés, de ceux qui s'expriment lors de « grands débats » ? Que disent leurs réponses et leurs avis synthétisés, sinon ce que l'organisateur croit bon de leur faire dire, comme on l'a vu plus haut ?

Les deux autres caractéristiques du populisme, selon Jan-Werner Müller, seraient l'anti-élitisme et l'anti-pluralisme.

Curieux anti-élitisme que celui du fascisme et de tous « les populismes autoritaires » qui de tous temps ont fourni des occasions de carrières sociales fulgurantes. Le culte du chef, du leader, du guide est-il un antiélitisme ? Renouveler les élites n'est pas supprimer l'élitisme.

À contrario, à en juger sur le cas français, le libéralisme centriste a été lors de son installation et reste encore aujourd'hui un terrain fertile pour les carrières et les enrichissements fulgurants. Curieux anti-pluralisme pour le « populisme de gauche » qui, au contraire, se donne pour objectif le respect des opinions politiques individuelles.

Ainsi, pour Chantal Mouffe, soutien et théoricienne du « populisme de gauche », l'une de ses tâches essentielle est de fournir un cadre institutionnel réglé aux conflits qui sont l'essence même du politique. La caractéristique de ces conflits étant d'opposer non pas des ennemis mais « des adversaires entre lesquels existe un consensus conflictuel » 278 ( * ) .

Ce sont des conflits de forme « agonistique », entre adversaires qui reconnaissent la légitimité de la revendication de l'autre et non de forme « antagonistique » entre des ennemis dont l'un doit être éliminé.

Pour Chantal Mouffe, « le conflit agonistique est ce qui caractérise la démocratie pluraliste ».

À contrario, quelle est la caractéristique de la « démocratie libérale occidentale » sinon, comme on l'a vu, le refus du pluralisme réel et le rejet dans l'insignifiance des opinions et des mouvements qui contestent le consensus néolibéral ?

C'est même là son point faible car en réussissant trop bien la « démocratie Potemkine » a rendu impossibles les changements substantiels que nécessiteraient la stagnation économique, le risque de répétition d'un Krach financier dévastateur et la désespérance actuels.

Pour Jean-Yves Camus, si le populisme, est « avant tout un style politique, plus qu'une idéologie », une manière de faire campagne, « c'est aussi un mode de gouvernement » selon deux principes : « Le peuple, conçu comme une entité organique, a toujours raison, parce qu'il a la préscience de l'intérêt général » et « le peuple, ce n'est pas tout le monde mais Nous opposé à Eux. »

D'où, par exemple dans le discours du FN, la distinction entre les Français de souche et les immigrés.

Le problème, encore une fois, c'est que ces constats souvent exacts s'agissant d'une formation particulière ne sont pas généralisables.

Et puis tous les populismes de gauche, comme on l'a vu, ne conçoivent pas le peuple comme une entité organique.

Une « hégémonie » telle que la conçoit Chantal Mouffe se construit, et s'agissant des populismes de droite, la place et le culte du chef montrent assez que c'est plutôt lui qui a toujours raison.

Quant à la distinction entre « Eux » et « Nous », c'est une thématique de tous les conquérants politiques populistes ou non.

Le « peuple de gauche » de François Mitterrand, « ceux qui se lèvent tôt » de Nicolas Sarkozy, « les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien » d'Emmanuel Macron ne sont-ils pas une manière de trier ceux au nom desquels on agit et les autres ?

Il est d'autant plus difficile de définir de manière convaincante et univoque ce qu'est le « populisme », ce qui le différencierait substantiellement des autres formes d'organisations politiques modernes que très probablement n'importe quelle structure institutionnelle, n'importe quel régime, à un moment ou à un autre voire plusieurs fois au cours de son histoire sera amené à invoquer le peuple et à faire appel à lui pour contourner ceux qu'il juge usurper la volonté populaire, amené, en un mot, à fonctionner sur le mode populiste.

Ainsi, paradoxalement, la V e République gaulliste, plébiscitaire, autrement dit « populiste » des premières années - ce qui lui fut vivement reproché par les Républicains historiques d'alors - malgré les apparences était alors nettement plus démocratique que la V e République crépusculaire actuelle qui n'hésite pas à passer par pertes et profits un référendum dont les résultats lui déplaisent.

La première se préoccupait de problèmes essentiels (décolonisation de l'Algérie, mode d'élection du président de la République, caractère bicaméral ou non du régime...), traités par referendums engageant la responsabilité du chef de l'État.

La seconde oublie soigneusement les questions essentielles, le chef de l'État devenant un as de l'esquive et n'ayant même pas à prendre le risque de dissoudre l'Assemblée nationale comme le fit Charles de Gaulle puisqu'il est devenu le chef de sa majorité.

Une sorte de « populisme chic », comme on l'a vu, est même aujourd'hui de rigueur dans la « communication » des responsables politiques néolibéraux, comme celle de Silvio Berlusconi ou dans un genre très différent Emmanuel Macron.

Et puis, il est difficile de mettre dans le même panier des formations antilibérales-antiracistes partisanes d'une régulation ouverte des flux migratoires, et des formations libérales ouvertement racistes et xénophobes à moins que le but soit de déconsidérer l'une par l'autre.

La conclusion c'est donc que « populisme » est un « mot valise » susceptible de transporter n'importe quelle idéologie, un concept vide ce qui explique la mise en échec de tous ceux - ils sont nombreux - qui se sont risqués à lui donner un contenu invariant.

Ce n'est pas un concept mais une arme politique, offensive ou défensive.

b) Une arme politique

Traiter une organisation ou un leader politique de « populiste » ou inversement se flatter de l'être est une arme tactique, ce n'est ni un programme ni une forme d'organisation politique suffisamment bien définie, ni même un « idéal type » au sens de Max Weber comme l'aurait voulu Jan-Werner Müller permettant de comprendre, malgré sa plasticité ou grâce à elle, un ensemble de phénomènes très divers.

L'appel au peuple des organisations dites populistes est d'abord et essentiellement une arme dans le combat pour le pouvoir, nullement un programme de gouvernement ayant une chance d'être appliqué tel quel, même si les programmes sont aussi des armes politiques utiles.

Désigner l'ennemi, les dispense d'indiquer précisément comment elles entendent répondre réellement aux attentes populaires.

Pas étonnant donc que les programmes et le discours populiste évoluent en fonction des circonstances, des affects changeants des cibles populaires visées ou, pour les partis au pouvoir, des alliances.

Ainsi, Victor Orbán, le champion hongrois de la démocratie « illibérale » peut-il, pour cultiver ses bonnes relations avec la Turquie, assurer lors de la visite du président Erdogan à Budapest pour la rénovation du mausolée de Gül Baba - poète ottoman et derviche qui a accompagné le sultan Soliman le Magnifique dans sa campagne de conquête de l'Europe -, que « l'image de ce saint derviche vit encore dans la mémoire du peuple hongrois » , caresser le projet, abandonné dès que révélé par la presse, de construire, dans la capitale hongroise, la plus grande mosquée d'Europe et prendre la tête de la croisade anti immigration des musulmans en Europe de l'Est 279 ( * ) .

Tout aussi étonnante la capacité de Jean-Marie Le Pen à soutenir des positions contraires selon les besoins du moment, même sur des sujets qu'on pouvait croire absolument fondamentaux pour lui, comme l'immigration, son increvable cheval de bataille.

En réalité, selon les moments et les buts poursuivis, accueillir quelques centaines de milliers d'Algériens musulmans en France est une calamité alors qu'en intégrer cinq ou six millions est une chance pour la France, comme le défendit le député Le Pen, à l'Assemblée nationale le 28 janvier 1958 : « Ce qu'il faut dire aux Algériens, ce n'est pas qu'ils ont besoin de la France, mais que la France a besoin d'eux. C'est qu'ils ne sont pas un fardeau ou que, s'ils le sont pour l'instant, ils seront au contraire la partie dynamique et le sang jeune d'une nation française dans laquelle nous les aurons intégrés. J'affirme que dans la religion musulmane rien ne s'oppose au point de vue moral à faire du croyant ou du pratiquant musulman un citoyen français complet... je ne crois pas qu'il existe plus de race algérienne que de race française [...].

Je conclus : offrons aux musulmans d'Algérie l'entrée et l'intégration dans une France dynamique. Au lieu de leur dire comme nous le faisons maintenant : « Vous nous coûtez très cher, vous êtes un fardeau », disons-leur : « Nous avons besoin de vous. Vous êtes la jeunesse de la Nation [...] Comment un pays qui a déploré longtemps de n'avoir pas assez de jeunes pourrait-il dévaluer le fait d'en avoir cinq ou six millions ? »

Historiquement, comme l'a observé Polanyi, dans la phase de conquête les positions des organisations fascistes ont été largement opportunistes : bellicisme/ pacifisme ; anti ou pro capitaliste ; nationalistes isolationniste/internationalistes ; question sociale au premier plan/oubli de la question sociale ...

« Dans sa lutte pour le pouvoir politique, le fascisme est complètement libre de négliger ou d'utiliser les questions locales, à son gré. Son objectif transcende le cadre politique et économique : Il est social. Il met une religion politique au service d'un processus de dégénérescence. Dans sa période de montée, il n'exclut dans le char de la victoire qu'un très petit groupe de motivations, des motivations fort caractéristiques ». (La Grande Ttransformation)

Si on définit le « populisme » comme l'appel au peuple (imaginaire) selon des modalités diverses pour forcer des systèmes politiques bloqués à régler les problèmes qu'il ne veut pas ou ne peut pas régler, il ne peut qu'être un moment d'un processus que l'on n'a jamais vu durer sans changements profond, sans s'institutionnaliser.

Tel est aussi le point de vue de Bertrand Badie pour qui il n'y a pas de « populisme substantiel », seulement « des situations populistes » reconnaissables à leurs techniques de mobilisation spécifiques.

« Le populisme n'est ni une idéologie politique, ni une doctrine, ni un programme, ni une politique publique. Il ne désigne pas, contrairement à ce qu'on lit fréquemment dans la presse, un régime politique, non plus qu'un système politique.

C'est une "pathologie" politique au sens de dysfonction profonde de la société ou du système politique, le signe d'une profonde "crise de confiance" à l'égard des institutions. Une pathologie politique grave, ce moment où s'opère une coupure profonde entre les gouvernés et les gouvernants, ce dernier terme désignant aussi bien les personnes que les institutions. »

c) Populisme et mondialisation

Selon Bertrand Badie, les caractéristiques de la dernière « vague populiste » seraient d'être universelle et « d'inverser l'hégémon pour contester l'ordre du monde et la mondialisation ».

« C'est ce bouleversement du monde que nous ne savons pas regarder en face : depuis un an et demi, les États-Unis sont devenus la première puissance contestataire mondiale, et c'est une révolution absolument considérable, et le sera davantage encore si M. Trump est réélu en 2020 ! Outre les États-Unis, signalons le cas de la Russie, de la Turquie, ou encore des Philippines, dont le président Duterte a traité le Saint-Père de « fils de pute » - je me permets de le citer pour illustrer l'incroyable exceptionnalisme populiste, qui se permet tout : jamais Staline ni Hugo Chavez n'auraient parlé ainsi ! »

Or nos institutions ne nous ont pas protégés du cortège de maux économiques et sociaux que la mondialisation a amené avec elle.

« Nos institutions ne nous défendent pas contre la mondialisation, en laquelle nous ne voyons donc que délocalisations, commerce international et vulnérabilité de notre appareil industriel. »

D'où le repli sur la Nation, sur l'Europe chrétienne, l'identité, les racines instrumentalisées pour les besoins de la cause.

Si, historiquement, toutes les vagues de populisme ont eu une cause internationale (première mondialisation et Première Guerre mondiale, décolonisation, mondialisation actuelle), en l'espèce les institutions n'ont pas conduit le changement qu'appelait l'adaptation à la seconde mondialisation.

Celle-ci a donc été prise comme épouvantail alors qu'elle représente aussi un facteur de progrès pour peu qu'on la maîtrise. « La mondialisation est un processus qui échappe à tout le monde, et qui est d'ailleurs plus technologique qu'économique. Il faut savoir non seulement s'y adapter, mais la façonner, car elle est façonnable. »

Le diagnostic est bon à ceci près que la « fièvre » populiste n'a pas pour origine une impréparation à une évolution fatale et trop rapide. Ni la première ni la seconde mondialisation n'ont été le produit d'une quelconque fatalité.

Elles sont le résultat, à la fois d'un équilibre géopolitique et de politiques de libéralisation conformes aux intérêts, pour la première des nations industrielles commerçantes - Grande-Bretagne en tête - et des multinationales, toutes américaines au début, au bénéfice dans les deux cas d'une petite minorité et avec des dégâts collatéraux passés pour profits et pertes. En un mot, le produit d'une volonté politique.

La mondialisation actuelle, en effet, n'est ni le « club Med » du petit épargnant, des PME et des PMI pour peu qu'elles fassent l'effort de la qualité et de l'innovation, ni la « mondialisation heureuse » 280 ( * ) dont Alain Minc réservait les fruits juteux aux « bons élèves de la modernité ». C'est tout autre chose : 20 à 30 banques mondiales systémiques dont le bilan agrégé est passé entre 2011 et 2017, de 46 859 Md$ à 51 676 Md$ 281 ( * ) . En ajoutant les banques influentes à l'échelle d'un pays c'est de l'ordre de 140 grandes institutions financières au total.

Il est significatif que la première comme la seconde mondialisation aient commencé par celle des banques.

Significatif qu'une grosse poignée de multinationales et leurs filiales réalisent l'essentiel du trafic international.

Selon Martine Orange (Médiapart) et la Cnuced « 1 % des grands groupes faisaient 57 % du total des échanges en 2014. La part des 5 % des premières entreprises exportatrices s'élève à plus de 80 % des échanges. Et le groupe des 25 % des premiers groupes exportateurs réalise 100 % du commerce mondial. »

« De véritables rentes et monopoles mondiaux se sont constitués », insiste la Cnucted.

Ces situations « sont le résultat de barrières nouvelles et plus intangibles, reflétant les protections renforcées dont disposent les grands groupes et leur capacité à exploiter les lois et les règles nationales pour augmenter leurs profits et éviter l'impôt » , analyse-t-elle.

Ces mastodontes ont donc un poids politique énorme dans un grand nombre de pays.

Ainsi, sur les 193 pays reconnus par le FMI, moins de 25 ont un PIB supérieur au chiffre d'affaires de la société Walmart (quelque 500 Md$ en 2017).

Il ne faut pas cependant se laisser prendre par cet effet de grossissement.

Après avoir atteint 30 % en 2007, le taux d'ouverture commerciale mondiale en comptant la Chine est redescendu à 27 % en 2015, 25 % sans la Chine, ce qui montre que pour être important le commerce international ne représente qu'un quart de l'activité économique mondiale ; moins encore si on considère que le commerce entre maison mère et filiales ou entre filiales - souvent pour des motifs « d'optimisation fiscale », représente entre 30 % et 40 % de leur trafic selon les estimations disponibles.

De fait, l'activité économique est essentiellement réalisée localement par des PME-PMI.

L'autre caractéristique de la mondialisation, pourtant, c'est de n'avoir profité qu'à certaines couches sociales minoritaires, voire très minoritaires en occident, et dégradé les conditions d'existence de la majorité. Comme le montre Branko Milanovic (voir partie III), les gagnants de la seconde mondialisation sont les classes moyennes de quelques pays en développement (Chine et Inde) et de l'ordre de 5 % au grand maximum des catégories aisées des pays développés. Les grands gagnants une infime minorité (entre 1 % et 0,1 %) des pays développés.

Les grands perdants sont les classes moyennes en général et l'essentiel des territoires ne bénéficiant pas des retombées de l'enrichissement des zones très urbanisées (voir partie III).

Ce n'est pas un hasard si en Grande-Bretagne les partisans du Brexit, aux USA, les traditionnels électeurs démocrates qui ont voté pour Trump, le gros des troupes de l'AfD en Allemagne, les électeurs les plus denses du FN en France, etc., vivent dans les zones perdantes de la mondialisation néolibérale.

Il est très facile de voir que c'est là que la contestation du nouvel ordre a été la plus forte.

Il n'y a pas, d'un côté, un phénomène quasi naturel, commandé par le progrès scientifique et technologique et de l'autre ceux qui en profiteraient plus ou moins selon leurs situations ou leurs vertus.

La mondialisation est le résultat des politiques néolibérales décidées et conduites par ses bénéficiaires.

La logique de cette politique est de produire de l'inégalité et de dissoudre tout ce qui peut ressembler à des solidarités, surtout celles qui appellent une redistribution de la richesse produite, par l'État.

Elle est aussi de générer des krachs financiers dont le dernier s'est transformé en une crise générale qui s'éternise depuis plus de dix ans sans recevoir de réponse.

Si toute mondialisation n'est pas mauvaise par essence, une mondialisation dans l'unique but d'améliorer les retours sur investissement d'une oligarchie ne peut pas donner d'autres résultats que ceux qu'on observe.

Des institutions comme la FAO, l'OMS, le PNUD créés respectivement en 1945, 1948 et 1965, en réaction au fiasco de la première mondialisation libérale, marquent un progrès considérable, pas l'OMC créée, en pleine conquête néolibérale (1995), en tous cas pas telle qu'elle fonctionne.

Comme dit Adam Tooze, ce système mondialisé est fondamentalement en déséquilibre de manière permanente :

« L'interdépendance de l'ère mondialisée est omniprésente, mais elle est très loin d'être symétrique. Certains accusent les coups et d'autres les distribuent. » 282 ( * )

En prenant pour hypothèse que l'aventure fasciste catastrophique de l'entre-deux-guerres présente sous un verre grossissant une situation sur des points significatifs comparable à celle d'aujourd'hui, tout particulièrement le blocage politique et la perte de confiance, au risque de paraître anachronique, la grille utilisée par Polanyi pour l'analyser, reste encore la plus stimulante pour celle de la crise de la démocratie néolibérale finissante : comme au moment de l'entre-deux-guerres, la situation critique actuelle est le résultat de la contradiction entre la globalisation du marché, l'application de la concurrence à toutes les dimensions de l'existence humaine, assorties du refus de toute régulation d'origine politique, le système étant réputé autorégulateur.

Dans l'entre-deux-guerres, les conséquences politiques des dysfonctionnements explosifs résultant de cette contradiction furent le socialisme puis le communisme, les fascismes en général avec l'hitlérisme en particulier puis in fine, la démocratie politiquement libérale mais économiquement et socialement interventionniste.

Le New Deal et ses variantes social-démocrates furent alors la seule solution ayant réussi à concilier économie et institutions démocratiques alors que le fascisme, après avoir sauvé l'économie de marché dans sa phase d'installation, la transformait en économie de guerre dirigée, et surtout extirpait dans le sang et les larmes toutes les institutions démocratiques.

« Le fascisme, comme le socialisme, dit Polanyi, étaient enracinés dans une société de marché qui refusait de fonctionner . » 283 ( * )

Pour la faire fonctionner il aurait fallu des interventions de la puissance publique contraires au crédo libéral.

D'où la conclusion de Polanyi : « L'obstruction faite par les libéraux à toute réforme comportant planification, réglementation et dirigisme a rendu pratiquement inévitable la victoire du fascisme. » 284 ( * )

Jusque-là, les néolibéraux au pouvoir refusent toutes les réformes qui permettraient de mobiliser les ressources financières nécessaires à la relance économique dont dépend le niveau de chômage plutôt que de continuer à les engloutir dans une machine à laver spéculative transformée en bombe financière à retardement.

Ils refusent les réformes de la répartition de la richesse dont dépend la relance économique par la consommation et toute réduction des inégalités, comme ils refusent les réformes sociales qui redonneraient à la majorité des populations confiance en l'avenir.

Surtout, ils ne veulent pas entendre parler de la réforme qui conditionne toutes les autres : la réforme politique qui remplacerait la démocratie Potemkine par une authentique démocratie représentative.

2. La tentation populiste

Le régime démocratique libéral centriste que Fukuyama pronostiquait éternel, le sera-t-il ?

Rien n'est moins sûr à voir la fragilité de plus en plus grande des systèmes gouvernementaux les plus importants de l'Empire américain, à commencer par le principal, celui des USA.

Beaucoup ont du mal à constituer des majorités de gouvernement durables non conflictuelles, partout les mouvements populistes se renforcent, parvenant même au pouvoir, en coalition voire seuls comme en Europe de l'Est.

L'alternative est donc claire : ou l'abandon du néolibéralisme et un New Deal sous une forme renouvelée, ou sa survie sous la forme d'un mercantilisme plus ou moins agressif à l'extérieur porté par un régime autoritaire à l'intérieur soutenu par une coalition libéraux-populistes de droite.

Bien que la plus souhaitable parce que la seule à pouvoir restaurer la démocratie, apporter une réponse durable au blocage économique, à la dérive financière explosive actuelle et à susciter un nouvel espoir en l'avenir, la solution New Deal a peu de chance, à moyen terme en tous cas, d'aboutir. Parce que les forces politiques susceptibles de conduire une telle réforme sont encore absentes.

La social-démocratie, selon les pays, est soit divisée, soit totalement déconsidérée et ce qui reste de la gauche non social-démocrate, encore à l'état pulvérulent.

Quant à l'électorat de « gauche », découragé, une bonne partie s'est réfugiée sur l'Aventin de l'abstention.

La sortie de crise, temporaire en l'espèce parce qu'aux questions de fond non résolues s'ajouteront de nouveaux problèmes, la plus probable c'est, comme on l'a dit, un mercantilisme plus ou moins agressif à l'extérieur, porté par un régime autoritaire à l'intérieur, résultant d'une coalition des libéraux avec des populistes de droite.

Tout simplement parce qu'en dépit des conflits actuels pour le leadership des forces néolibérales, une partie des libéraux et la plupart des populistes de droite sont d'accord sur l'essentiel : pas question de réintroduire l'État et encore moins la démocratie dans le jeu économique.

Les partisans du Brexit sont loin d'être tous des anti-libéraux. De même que Donald Trump, l'ultra droite du parti Républicain et bon nombre de formations qui entendent mettre un frein au libre-échange, à l'immigration et restaurer l'intérêt national n'en sont pas non plus.

Ils ne remettent pas en question le système, seulement ce qu'ils tiennent pour des excès, des déviances, ou la manière dont est traité leur pays, ou la moralité des dirigeants au pouvoir.

Les anciens présidents péruvien (Alberto Fujimori) ou argentin (Carlos Menem) étaient d'authentiques néolibéraux, comme l'actuel président du Brésil (Jair Bolsonaro). Sous la houlette de Jean-Marie Le Pen, le FN était libéral et aucunement anti européen comme la Ligue du Nord qui gouverna d'abord avec Silvio Berlusconi, néolibéral populiste s'il en fut.

Matteo Salvini, le nouveau leader de la Ligue, malgré ses démêlés avec Bruxelles et son recentrage national n'est pas non plus un antilibéral. Néolibéral aussi est le FPÖ autrichien et son leader.

Donald Trump qui refuse de freiner l'endettement, moteur de la croissance américaine, fait la politique souhaitée par Wall Street etc. etc.

C'est au nom du système lui-même que sont condamnées ses déviances.

Sarah Palin et les néoconservateurs du Tea Party américain, restent des libéraux convaincus condamnant ce qu'ils tiennent pour des déviances du néolibéralisme - capitalisme de connivence, sauvetage des banques avec l'argent public, puissance de l'oligarchie financière - tout en prêchant le retour aux valeurs morales et religieuses, le refus de l'impôt comme les Pères fondateurs rêvés des USA, ce que montre la référence à la « Boston Tea Party ».

Ils participent, par ailleurs, de la nébuleuse libertarienne professant, elle aussi, un individualisme radical, anti-état et antifiscal. Que l'institut qui a présidé à la naissance du Tea Party ait été financé par deux milliardaires - les frères Charles et David Koch - n'est pas un hasard.

Leur proximité avec les églises évangélistes non plus.

L'hitlérisme, aujourd'hui modèle d'épouvantail anti-populisme, n'était pas non plus anticapitaliste même si la logique de « l'État total » dont il rêvait l'y a conduit.

« Jamais ni nulle part , rappelle Polanyi, Hitler a promis à ses partisans d'abolir le système capitaliste. Le trait fondamental à son programme est bien plus sa croyance en un fonctionnement sain du système capitaliste dans l'État nationaliste. » (La Grande Transformation) D'où la facilité avec laquelle les intérêts industriels se sont ralliés à lui, les secteurs les plus retardataires (industries extractives et sidérurgie) et ceux qui profitaient de la politique de réarmement (chimie), les premiers.

Ensuite, progressivement, les autres pourtant défavorables à l'interventionnisme économique de l'État, l'ont fait, pour des raisons politiques : faire barrage au communisme et au syndicalisme qui nuit aux affaires.

Dans ses attaques contre le capitalisme, de rigueur dans la phase de conquête pour se rallier les masses, Hitler n'en distingue pas moins soigneusement le « capitalisme prédateur juif » du « capitalisme créateur de richesse non juif ».

Le pouvoir conquis, ces critiques disparaîtront même si, pour lui, fondamentalement, « i l n'y a pas d'économie libre dans l'État total » 285 ( * ) .

Elles eussent d'ailleurs été inutiles, tous les capitaines d'industrie appréciant l'éradication brutale des partis de gauche et des syndicats.

Quant à l'économie dirigée, nécessaire à la guerre, elle était finalement un moindre mal - le mal étant la suppression de la propriété des moyens de production promise par le communisme - avec pour bon côté de fournir des débouchés aux entreprises et rapidement de la main d'oeuvre servile quasiment gratuite.

Que tous les populismes ne soient pas anti libéraux, tant s'en faut, signifie qu'une alternative libérale de droite et plus probablement de droite extrême, au libéralisme centriste est tout à fait possible, sinon probable vu ce qui reste de la gauche non libérale sur le continent européen et aux USA.

« Pour moi, l'accession au pouvoir des populistes dans tous les pays d'Europe traduit la défiance des masses et l'épuisement d'un système aveugle à ces grandes remises en cause. En Europe, nous voyons donc l'arrivée concomitante au pouvoir des libéraux autoritaires.

« C'est la nouvelle expression du néolibéralisme 286 ( * ) . »

Si une telle réorganisation des forces politiques ne réglera rien - les raisons structurelles de l'échec du système étant toujours là - reculer pour mieux sauter n'en est pas moins gagner du temps et au moins provisoirement protéger à moindre frais les intérêts d'une oligarchie prête à accueillir ses sauveurs, comme elle le fit il y a moins d'un siècle.

Comme nous l'avons dit, on ne peut pas ne pas trouver - avec les précautions qu'impose le siècle des extrêmes qui les séparent - quelques ressemblances entre la situation actuelle et celle de l'entre-deux-guerres telle qu'elle ressort de l'analyse de la réforme fasciste de l'économie de marché par Polanyi.

« On peut, dit Polanyi, décrire la solution fasciste à l'impasse où s'était mis le capitalisme libéral comme une réforme de l'économie de marché au prix de l'extirpation de toutes les institutions démocratiques. » 287 ( * )

Le fascisme est pour lui « la solution catastrophe » à l'incapacité de la démocratie libérale de surmonter la contradiction entre liberté totale du marché et démocratie.

Il n'est en rien une réponse à des problèmes locaux mais une réponse à celui qui tourmente l'ensemble des sociétés libéralisées :

« Si jamais mouvement politique répondit aux besoins d'une situation objective, au lieu d'être la conséquence de causes fortuites, c'est bien le fascisme. En même temps, le caractère destructeur de la solution fasciste était évident. Elle proposait une manière d'échapper à une situation institutionnelle sans issue qui était pour l'essentiel, la même dans un grand nombre de pays, et pourtant, essayer ce remède, c'était répandre partout une maladie mortelle. Ainsi périssent les civilisations. » 288 ( * )

Comme l'écrit Mussolini « seul un État autoritaire peut affronter les contradictions inhérentes au capitalisme. » ( La doctrine du fascisme, 1933)

Pour Hitler aussi, la cause principale de la crise, c'est l'incompatibilité entre l'égalité démocratique et le principe de propriété privée des moyens de production (Discours de Düsseldorf).

Une thèse que l'on retrouve chez le très libéral Von Mises 289 ( * ) , pour qui l'interférence de la démocratie représentative avec le système des prix fait baisser la production, tout en maintenant le principe que seul le libéralisme total est compatible avec la liberté tout court. Reste à savoir de quelle liberté et de qui on parle.

Au final, nombre de pays préfèreront le fascisme au nom de la sauvegarde de l'économie libérale, confondue avec la propriété privée des moyens de production.

La solution socialiste à la crise, c'est l'extension de la démocratie à la sphère économique, celle du fascisme, l'abolition de la sphère politique démocratique pour sauver l'économie libéralisée, explique Polanyi.

Dans la théorie fasciste, le capitalisme organisé en branches de l'industrie devient la seule réalité sociale qui se réduira dans les faits à une économie de guerre administrée. Les êtres humains n'y sont considérés que comme des producteurs.

« Dans cet ordre structurel [fasciste], les êtres humains sont considérés comme des producteurs et seulement des producteurs. Les différentes branches de l'industrie sont reconnues légalement en tant que corporation et on leur accorde le privilège de prendre en charge les problèmes économiques, financiers, industriels et sociaux qui surviennent dans leur sphère. Elles se transforment en dépositaire de presque tous les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires qui relevaient auparavant de l'État politique. L'organisation effective de la vie sociale repose sur le fondement professionnel. La représentation est accordée à la fonction économique : elle devient alors technique et impersonnelle. Ni les idées ni les valeurs ni le nombre des êtres humains concernés ne trouve d'expression dans ce cadre . » (La Grande Transformation).

Décidément les vieilles recettes sont immortelles. Constatons donc que la tentation « corporatiste » existe encore aujourd'hui en France, comme le montrent les tentatives récurrentes de transformer la Chambre Haute, le Sénat, en CESE et les appels à l'expression et à la représentation de la « société civile », au nom du renouveau démocratique.

Avant de renoncer à la conception révolutionnaire de la représentation du citoyen en tant que citoyen, par celle des différences, avant de remplacer la démocratie représentative - la seule qui ait réussi tant bien que mal à fonctionner - par une démocratie plus consultative et participative ou une démocratie directe dont on ignore qui en serait le maître réel, encore faudrait-il leur permettre de fonctionner correctement, ce qui, on l'a vu, n'est plus le cas aujourd'hui.

Il faut se rappeler ce que dit Sieyès : « Le droit de se faire représenter n'appartient aux citoyens qu'à cause des qualités qui leur sont communes, et non par celles qui les différencient. Les avantages par lesquels les citoyens diffèrent entre eux sont au-delà du caractère civil de citoyen » 290 ( * ) , ce qui signifie que le rôle du représentant est d'exprimer son intime conviction éclairée par le débat au risque d'être désavoué par ceux qui l'ont élu au moment de lui renouveler leur confiance.

Ce qui signifie qu'un système où de fait et généralement les parlementaires s'expriment et votent au nom d'un groupe, d'un parti, ne correspond ni au principe révolutionnaire de la représentation ni à l'article 27 de la Constitution de la V e République, ce dont le Conseil constitutionnel, toujours prompt à censurer les élus du peuple, se moque éperdument.

Au fil de cette longue analyse, on a vu ce qu'il faudrait faire pour éviter la reproduction d'un krach financier dévastateur, sortir de la stagnation économique, réduire les inégalités sociales et territoriales, enrayer la dérive oligarchique de systèmes politiques désormais sous tutelle des marchés et des intérêts privés, ce qu'il faudrait faire pour débloquer un système incapable de prendre les décisions permettant d'éviter la catastrophe générale qui se profile.

L'électeur conscient qui n'en continue pas moins à maintenir sous perfusion une démocratie Potemkine qui fabrique des électeurs populistes sous prétexte d'empêcher l'accession au pouvoir du populisme porte sa part de responsabilité.

La politique de Gribouille reste encore le meilleur moyen de se noyer.

Mais, que faire d'autre face à un système politique qui a neutralisé toute possibilité de modification substantielle de ses objectifs, de ses bénéficiaires et de ses modalités d'exercice du pouvoir, en un mot qui a rendu la démocratie aboulique, sinon le récuser en bloc et soutenir toutes les initiatives visant à débloquer ce système politique donc à le rendre démocratique parce que le succès passe par là ?

À l'époque de Tocqueville pour qui le modèle de la démocratie était américain, la supériorité de la démocratie sur l'aristocratie était de permettre la correction des erreurs. « Le grand privilège des Américains, écrit-il, est de pouvoir faire des fautes réparables. » 291 ( * )

Impossible de dire mieux : si l'on entend mettre fin au blocage actuel, la priorité c'est de rendre les institutions politiques européennes et de celles de l'Empire, démocratiques.


* 276 Voir son audition.

* 277 Cité par Jan-Werner Müller dans Qu'est-ce que le populisme ? (Gallimard).

* 278 Chantal Mouffe - Agonistique - Beaux-Arts Paris Edition.

* 279 Viktor Orbán ou le pragmatisme autoritaire , Médiapart (20 mars 2019).

* 280 Edition Pocket.

* 281 Ce qui prouve que la tentative (éphémère) de Ben Bernanke de faire maigrir cet oligopole financier dominant en limitant ses capacités d'endettement a échoué.

* 282 Adam Tooze : Crashed, Éditions Les belles lettres, 2 août 2018.

* 283 La Grande Transformation

* 284 Idem

* 285 La Grande Transformation, 1944.

* 286 Martine Orange (Audition)

* 287 La Grande Transformation, 1944.

* 288 La Grande Transformation (page 322)

* 289 Selon Von Mises (1861-1973) économiste américain d'origine autrichienne « L'insoluble contradiction de la politique des partis de gauche en Angleterre, en France et aux États-Unis est qu'ils s'adonnent à l'économie dirigée, sans se rendre compte que, par-là, ils préparent les voies à la dictature et à la suppression des droits civiques. La confusion de toutes les notions est arrivée à ce point qu'ils se proposent de sauver la démocratie avec l'aide des soviets... Il faut s'en rendre compte : le monde a le choix entre la démocratie politique et le système économique basé sur la propriété privée, d'une part, et de l'autre, l'économie dirigée et la dictature. La démocratie et l'économie dirigée sont inconciliables. » (Économie dirigée et démocratie)

Se trouve ainsi balayé, commente Michel Foucault, « dans une même critique, aussi bien ce qui se passe en Union soviétique que ce qui se passe aux USA, les camps de concentration nazis et les fiches de la sécurité sociale. » (Biopolitique)

Il s'agit là d'un couplet pris parmi les nombreux qui se retrouveront sous la plume des ultras et néo libéraux qui monopoliseront progressivement la scène académique et médiatique.

Ce que ne dit pas Von Mises c'est que la dictature et un système économique basé sur la propriété privée sont parfaitement compatibles. L'Histoire a montré qu'en cas de difficulté c'était généralement le choix des propriétaires du système.

* 290 Sieyès, Qu'est-ce que le tiers état, PUF.

* 291 De la démocratie en Amérique (Tocqueville, 1935).

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