CONCLUSION

« Il s'agit de faire comme si on avait affaire à une fatalité, afin de mieux en détourner le cour »

Jean Pierre Dupuy

Pour un catastrophisme éclairé (Seuil)

« Une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur », voilà à quoi font irrésistiblement penser les deux premières décennies de ce XXI e siècle.

Sa seule différence avec l'histoire de Macbeth est qu'elle signifie quelque chose : la faillite de la restauration néolibérale commencée il y a une cinquantaine d'années.

Tout laisse à penser, en effet, qu'à l'image de son illustre prédécesseur, le Titanic II néolibéral, laissé à lui-même, court droit au naufrage.

Quand et après quelles péripéties ? Nul ne le sait, mais sûrement.

Prisonnier de ses contradictions et des intérêts qui le dominent, de l'insuffisance des réformes qui ont suivi le krach de 2008, conjuguée à l'aveuglement idéologique et à l'inconséquence de ses responsables politiques et techniques, on ne voit pas comment le système financier pourrait ne pas imploser.

On ne voit pas non plus comment la crise politique, résultant de la stagnation économique, de la désintégration progressive de l'État-Providence ni comment la crise morale née du constat de l'incapacité des gouvernements occidentaux à répondre aux attentes légitimes des électeurs et de la perte de confiance dans les institutions, pourraient laisser intacte « la démocratie en trompe-l'oeil » à quoi se résume la « démocratie libérale » réelle.

On voit encore moins où peuvent conduire la remise en cause par Donald Trump au nom de « l' America first » de l'ordre international ou l'éventuelle réorganisation de celui-ci avec l'apparition d'un pôle concurrent de l'Empire américain autour de la Chine, de la Russie et du Brésil.

I. DIX ANS D'ÉCHECS

A. ÉCHEC DE LA RÉGULATION DU SYSTÈME BANCAIRE

Dix ans après la crise des « subprimes », force est de constater que non seulement le système bancaire, unique préoccupation des réformateurs mobilisés pour éviter la réédition d'un nouveau krach, n'est ni moins vulnérable à une crise de l'ampleur de celle 2008, ni plus résilient.

Les demi-réformes dont il a été l'objet, très en-dessous des engagements pris aux G20 de 2009 et 2011, au terme d'interminables manoeuvres de retardement menées par le lobby bancaire, ont été contournées puis effacées, les unes après les autres.

Pour s'en tenir au plus essentiel, ainsi en fut-il :

- de la séparation des banques de dépôts des banques d'affaires, nécessaire au financement à crédit de la spéculation sous protection des contribuables 292 ( * ) ;

- du ratio obligatoire de fonds propres (Accords de Bâle III) notoirement insuffisant pour faire face à une crise systémique 293 ( * ) et calculé par les banques elles-mêmes 294 ( * ) .

La tentative de régulation des produits dérivés 295 ( * ) par des « plateformes de compensations centrales » ne concerne que les transactions de gré à gré et surtout pourrait, à son corps défendant et par ricochet, créer un nouveau risque systémique.

D'où le dilemme : rendre obligatoire pour tous les types de transactions la médiation, augmentant ainsi le risque systémique, ce qui, vu l'augmentation du coût, réduirait l'activité sur les dérivés, ou taxer purement et simplement ceux-ci.

Quand on sait qu'il n'y a pas plus de 7 % des dérivés qui garantissent des transactions sur des produits réels, il ne devrait pas être impossible de neutraliser ces « armes de destruction massive » selon l'expression de Warren Buffett.

À condition de le vouloir, ce qui est loin d'être certain.

En fait, les régulateurs, du moins leurs mandants, sont restés prisonniers d'objectifs contraires : améliorer la stabilité du système bancaire, ce qui supposerait réduire la capacité de production de crédit et les échanges internes au système, et éviter de ralentir le business, donc la production de crédit et limiter la liberté de son affectation !

Cette contradiction explique aussi le caractère jugé trop accommodant, même par des observateurs officiels des « stress tests » de la Banque centrale européenne.

Il ne faut désespérer ni l'épargnant ni « l'investisseur ».


* 292 Constatons qu'en même temps les États européens ont limité la garantie des dépôts en cas de faillite bancaire à 100 000 € par déposant.

* 293 On peut faire le même reproche au système de résolution européen censé mettre à la charge des banquiers et des déposants le coût de la faillite de leur établissement. Sauf que les fonds qui y sont consacrés (y compris les fonds propres obligatoires) sont notoirement insuffisants pour faire face à une crise de magnitude significative. Rien ne garantit qu'en ce cas les garants, par ailleurs en difficulté, soient en capacité d'intervenir. C'est d'ailleurs l'un des reproches essentiels faits aux stress tests de la BCE, d'évaluer la résilience comme si les établissements ne faisaient pas partie d'un système dont les unités interfèrent entre elles.

* 294 Un ratio de levier de 10 aurait au moins l'avantage de la clarté et d'une meilleure efficacité.

* 295 Valeur consolidée des sous-jacents au niveau mondial en 2018, 1 500 000 Md$.

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