N° 181

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 décembre 2019

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation française à l' Assemblée parlementaire du Conseil de l' Europe (1) sur les actes du colloque « Droits de l' Homme et démocratie à l' ère numérique », organisé le 14 novembre 2019, dans le cadre de la présidence française du Comité des ministres du Conseil de l'Europe,

Par Mme Nicole DURANTON,

Sénateur.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Maryvonne Blondin, M. Bernard Cazeau, Mme Nicole Duranton, MM. Bernard Fournier, François Grosdidier et Claude Kern, délégués titulaires ; MM. Arnaud Bazin, André Gattolin, Guy-Dominique Kennel, Jacques Le Nay, André Reichardt et André Vallini, délégués suppléants.

AVANT-PROPOS

Dans le prolongement du célèbre discours de Winston Churchill, prononcé le 19 septembre 1946, à l'université de Zurich, qui appelait à la création des « États-Unis d'Europe », puis du Congrès de La Haye de 1948 en faveur de l'unification européenne, le Conseil de l'Europe a été officiellement créé et installé à Strasbourg le 5 mai 1949. Il s'agissait alors de la première organisation européenne ayant pour objectif officiel, selon son Statut, « de réaliser une union plus étroite entre ses membres ».

En cette année 2019, synonyme de 70 ème anniversaire de l'Organisation, la France, qui en est par ailleurs le pays hôte, a eu le privilège d'assumer la présidence semestrielle du Comité des Ministres, du 17 mai au 27 novembre. Cette coïncidence, fruit du hasard mais hautement symbolique, a légitimement conduit les autorités nationales à avoir des objectifs ambitieux pour leurs responsabilités à la tête de l'organe exécutif du Conseil de l'Europe.

Le Parlement français, par l'intermédiaire de sa délégation à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), se devait de ne pas rester à l'écart de ce rendez-vous important pour notre pays. Il s'est donc associé aux initiatives de la présidence française du Comité des Ministres, de multiples manières : en recevant à l'Assemblée nationale, tout d'abord, le Bureau et la Commission permanente de l'APCE, en ouverture de la présidence française, les 23 et 24 mai derniers ; en s'impliquant activement, ensuite, dans le déroulé des parties de session de juin et d'octobre de l'APCE, où pas moins de sept rapports de parlementaires français sur des sujets divers ont été débattus ; en organisant, enfin, des événements divers, telle la conférence du 14 novembre 2019 qui s'est tenue au Sénat sur cette question ô combien d'actualité : « Les droits de l'Homme et la démocratie à l'ère numérique : quelles garanties pour les données personnelles et quelles réponses aux discours de haine et à la désinformation sur Internet ? »

Après avoir organisé précédemment des colloques sur l'avenir du Conseil de l'Europe, en décembre 2011 et en septembre 2016, puis plus récemment sur l'exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, véritable bras armé de l'Organisation, en mars 2019, la délégation française a souhaité nourrir le débat sur la légitimité et l'utilité du Conseil de l'Europe, 70 ans après sa création. Pour autant, la délégation française a retenu cette fois-ci un angle d'approche bien particulier : celui de la contribution concrète de l'Organisation à la protection des droits des quelque 840 millions de ressortissants de la Grande Europe face aux risques induits par le développement accéléré des nouvelles technologies de l'information et de la communication, ainsi que de l'intelligence artificielle.

De fait, si les nouveaux outils de communication et d'information nés des formidables progrès d'Internet ont contribué à l'avènement de sociétés nouvelles, ouvertes et transparentes, force est également de constater qu'ils ont aussi engendré des dangers inédits dans leur impact et dans leur étendue, plus que dans leur finalité.

La révélation par Edward Snowden, à partir du 5 juin 2013, de l'existence de dispositifs gouvernementaux de surveillance généralisée a mis clairement en évidence que la technique, aujourd'hui, facilite considérablement les intrusions dans la vie privée et dans les données personnelles, à l'insu des citoyens. De légitimes questions se posent, plus que jamais, sur l'accès des services de renseignement gouvernementaux et des géants d'Internet - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft (GAFAM) et leurs équivalents - aux données personnelles et, surtout, à l'usage qu'ils en font. Cette question, d'une prégnance indéniable, n'est pas sans rappeler le combat des défenseurs de la vie privée à l'encontre des régimes totalitaires.

De la même manière, la désinformation qui gangrène les médias et les réseaux sociaux n'est pas sans similitudes avec les ressorts traditionnels de la propagande. Ce phénomène de fake news est parfois même instrumentalisé par des États désireux de s'immiscer dans des processus électoraux démocratiques afin d'en biaiser les résultats, ainsi que l'ont illustré les élections présidentielles américaines de 2016, celles en France de 2017 ou plus récemment les élections européennes de 2019. Or, à la différence de l'« agit'prop » de naguère, les effets se trouvent désormais démultipliés par l'instantanéité et la massification des connexions sur les réseaux sociaux.

Enfin, comme l'ont tragiquement rappelé les tueries de Christchurch, en Nouvelle-Zélande le 15 mars 2019, et de Halle, en République fédérale d'Allemagne, le 9 octobre dernier, les auteurs d'actes racistes et antisémites n'hésitent plus à recourir aux supports de communication numériques pour véhiculer leur haine et leur rejet des droits humains les plus élémentaires. Le discours xénophobe et radical ne se dissimule plus nécessairement derrière l'anonymat des réseaux sociaux ; il s'affiche ouvertement pour porter délibérément atteinte aux libertés et aux droits les plus fondamentaux, pourtant érigés en valeurs sacrées de l'Humanité au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Devant ces évolutions inquiétantes, la délégation française à l'APCE a souhaité remettre l'action du Conseil de l'Europe en perspective.

Le colloque qui s'est tenu au Sénat, le 14 novembre 2019, sous le haut patronage du Président du Sénat, a ainsi donné lieu à une réflexion collective sur trois problématiques cruciales pour la défense des droits de l'Homme à l'avènement du numérique :

- en premier lieu, les droits numériques des citoyens sont-ils la « nouvelle frontière » - au sens de John Fitzgerald Kennedy lors de sa campagne de 1960 - des droits de l'Homme, c'est-à-dire la nouvelle ambition que le Conseil de l'Europe doit porter au XXI ème siècle auprès de ses États membres ?

- en deuxième lieu, quelles réponses le Conseil de l'Europe et ses États membres peuvent-ils apporter, à leurs niveaux, face à l'expansion et à la banalisation des fake news dans les démocraties européennes ?

- enfin, l'impératif d'une action multilatérale, dans le cadre du Conseil de l'Europe, mais aussi au-delà, pour lutter sur le Web contre les discours de haine, la cybercriminalité et le cyber-terrorisme est-il suffisamment pris en compte par les États, seuls tenants de l'autorité légitime pour prévenir et réprimer ces fléaux ?

Chacun de ces sujets a donné lieu à la confrontation des analyses de plusieurs intervenants aux compétences, aux responsabilités ou aux rapports officiels reconnus. À chaque fois, au moins un représentant du Conseil de l'Europe a été amené à en présenter l'action, tandis que d'autres intervenants d'organisations internationales, d'administrations nationales ou experts de la société civile et universitaires ont apporté l'éclairage de leurs expériences respectives au débat.

Grâce à une certaine interactivité avec l'assistance, les échanges, passionnants en dépit parfois de leur grande technicité, ont permis de démontrer que la fatalité ne doit pas avoir cours. En effet, le Conseil de l'Europe, comme d'autres organisations internationales, ne reste pas passif devant les enjeux et les défis du monde d'aujourd'hui.

À bien des égards, néanmoins, les travaux et les actions de l'Organisation restent encore trop méconnus, de sorte qu'il est utile et important de les valoriser, mais aussi de les vulgariser, à travers des initiatives comme celle de ce colloque du 14 novembre 2019 sur les droits de l'Homme et la démocratie à l'ère numérique.

Le présent rapport, qui synthétise les échanges de cette journée de réflexion, s'inscrit dans le même dessein. À travers cette publication, la délégation française à l'APCE souhaite apporter sa pierre à un édifice indispensable au quotidien de nombreux citoyens. Le Conseil de l'Europe, en dépit de ses 70 ans, est une organisation internationale en phase avec l'air du temps ; il importe donc de la faire connaître davantage, et notamment ses réalisations concrètes, pour mieux asseoir sa visibilité et mettre en avant ses résultats au bénéfice du plus grand nombre sur le continent européen.

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