III. M. CAMILLE GRENIER, CHARGÉ DE MISSION « INFORMATION ET DÉMOCRATIE » CHEZ REPORTERS SANS FRONTIÈRES

Les solutions que promeuvent Reporter sans Frontières et ses partenaires visent à relever trois défis.

Le premier porte sur le financement. Reporter sans Frontières participe à la création, à l'initiative des Britanniques, du Fonds international pour les médias d'intérêt public. Il existe aussi une initiative lancée par la BBC, Local News Partnership, qui tente d'enrayer la disparition du journalisme local qui contribuait au lien de confiance entre les citoyens et les médias. Cela consiste à financer des journalistes pour qu'ils participent à des événements locaux, comme des conseils municipaux pour en rapporter des histoires et tenir comptables les dirigeants politiques.

Quant à l'action Journalism Trust Initiative, déjà évoquée par Patrick Chaize, elle vise à promouvoir les médias qui respectent certaines normes éthiques et professionnelles du journalisme. Nous l'avons lancée il y a un an et demi et elle rassemble aujourd'hui une centaine d'organisations, des médias comme l'AFP ou l' Associated Press , Gazeta Wyborcza en Pologne ou la BBC, mais aussi des plateformes comme Facebook et Google. Elle s'opère dans le cadre du Comité européen de normalisation, qui est le niveau européen des normes ISO. Son objectif est de définir des standards de la profession au travers d'un processus ouvert, inclusif et transparent, et d'intégrer le facteur de l'intégrité dans la curation algorithmique. Ainsi, les plateformes pourront favoriser sur cette base le référencement de certains producteurs de contenus (et non du contenu lui-même, dont l'évaluation est toujours problématique). Le dernier workshop de la Journalism Trust Initiative aura lieu dans huit jours à Bruxelles et sera l'occasion d'adopter la dernière version du standard, au terme d'une consultation qui a eu lieu au cours des deux derniers mois, avant une phase d'implémentation en lien avec les plateformes.

Le deuxième défi concerne la régulation et l'autorégulation. Nous avons lancé, il y a 14 mois, l'Initiative internationale sur l'information et la démocratie, qui a eu un écho la semaine dernière, lors du Forum mondial de la démocratie du Conseil de l'Europe, où nous étions invités. Son objectif est de partir du constat que les grands standards internationaux, comme l'article 19 de la Déclaration des droits de l'Homme ou l'article 10 de la convention 108, qui ont jusque-là été traduits par des normes ou des régulations adoptées au plan national, doivent désormais, avec l'éclosion des plateformes et la globalisation de l'espace de l'information et de la communication, relever de grands standards internationaux.

À cette fin, nous avons rassemblé une commission internationale sur l'information à la démocratie, qui rassemble des grands penseurs, des journalistes, des Prix Nobel d'économie et de la paix, des activistes des droits digitaux, des spécialistes des plateformes, etc., qui ont rédigé une déclaration internationale sur l'information et la démocratie en novembre 2018.

Cette déclaration définit l'espace global de l'information et de la communication comme un bien commun de l'Humanité, qui doit être gouverné selon des principes démocratiques. Elle rappelle les grands principes de liberté d'expression et de liberté d'opinion. Elle crée un droit à l'information. Elle appelle les entités structurantes de l'espace global, à savoir les plateformes, à plus de responsabilité et plus de transparence dans la façon dont elles structurent cet espace. Enfin, elle appelle à la création d'un nouveau cadre de réflexion et d'action pour trouver des solutions à la hauteur de ces enjeux.

Cette déclaration a été publiée il y a un an, à l'occasion du 1 er Forum de Paris pour la Paix. Elle a reçu un soutien politique très fort puisque 12 chefs d'État et de gouvernement se sont engagés pour lancer un processus politique sur la base des précédents principes. Cela a débouché sur un partenariat négocié avec 20 démocraties libérales, le 12 juin 2019. Portée au G7 par le Président Macron, la déclaration a été signée en marge de l'Assemblée annuelle de l'UNESCO par 130 États qui ont appelé à la création de la nouvelle organisation. Celle-ci a été inaugurée il y a deux jours, à l'occasion du 2 ème Forum de Paris pour la Paix et l'information, et s'appelle le Forum sur l'information et la démocratie. Nous l'avons créé avec dix autres organisations de la société civile, dont le Human Rights Center de Berkeley, la Digital Rights Foundation au Pakistan, l'Institut de la Paix d'Oslo ou Civicus, une ONG d'Afrique du Sud, ce qui confère à l'organisation une empreinte globale. La nouvelle organisation va travailler en groupes de travail pour proposer des recommandations très concrètes de régulation et d'autorégulation.

Enfin, le denier défi porte sur la définition de l'espace public à l'ère du numérique. À Reporters sans Frontières nous sommes convaincus que la gestion de l'espace public numérique ne doit pas être laissée entre les mains de Mark Zuckerberg et de quelques milliardaires de la baie de San Francisco, ni d'ailleurs entre celles de Xi Jiping qui s'efforce, comme l'a montré l'un de nos derniers rapports, d'exporter son modèle informationnel. Nous pensons qu'il incombe aux démocraties libérales et aux Parlements de se ressaisir de leur espace public, alors que celui-ci se déplace de plus en plus vers les plateformes de messageries privées. À ce propos, on peut s'interroger : une chaîne WhatsApp comportant 2 000 abonnés fait-elle toujours partie de l'espace privé ? Or, ce type d'espaces semi-privés, auxquels il est difficile d'accéder, sont aussi ceux où sévit le plus la désinformation et où circulent le plus de contenus haineux. Cette problématique a d'ailleurs obligé WhatsApp à prendre des mesures assez fortes pour lutter contre ces dérives lors des élections générales de mai dernier en Inde.

Nous comptons évidemment sur le Conseil de l'Europe pour continuer à faire vivre ces espaces de discussion et de recommandation, à l'image du Forum mondial sur la démocratie, qui s'est tenu la semaine dernière. Nous avons besoin de lui pour continuer à soutenir une presse indépendante, plurielle et fiable auprès de l'ensemble de ses États membres, qui peuvent rejoindre notre Forum sur l'information et la démocratie et renforcer les capacités de la société civile à apporter des initiatives et des solutions très concrètes, car Reporter sans Frontières est loin d'être seul à oeuvrer dans ce domaine.

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