TABLE RONDE N° 3

LA LUTTE SUR LE WEB CONTRE LES DISCOURS DE HAINE, LA CYBERCRIMINALITÉ ET LE CYBERTERRORISME

Les intervenants à cette table ronde étaient :

- M. Jan Kleijssen, directeur, Société de l'information - Lutte contre la criminalité, Conseil de l'Europe ;

- M. Jean-Paul Lehners, président de la commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) ;

- Mme Béatrice Oeuvrard, manager chargée des affaires publiques de Facebook France ;

- M. Andrea Cairola, spécialiste du programme « section pour la liberté d'expression » au sein du secteur de la communication et de l'information de l'UNESCO ;

- M. Olivier Becht, député du Haut-Rhin, vice-président de la délégation française et rapporteur général sur l'évaluation de l'impact de la science et de la technologie à la commission de la culture, de la science, de l'éducation et des médias de l'APCE.

La table ronde a été animée par M. Olivier Becht.

I. M. OLIVIER BECHT, DÉPUTÉ DU HAUT-RHIN, VICE-PRÉSIDENT DE LA DÉLÉGATION FRANÇAISE ET RAPPORTEUR GÉNÉRAL SUR L'ÉVALUATION DE L'IMPACT DE LA SCIENCE ET DE LA TECHNOLOGIE À LA COMMISSION DE LA CULTURE, DE LA SCIENCE, DE L'ÉDUCATION ET DES MÉDIAS DE L'ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DU CONSEIL DE L'EUROPE

Bonjour à toutes et à tous. Au cours de cette table ronde, nous nous intéresserons à la manière dont le Conseil de l'Europe et, plus généralement, nos États et nos sociétés luttent contre les discours de haine, la cybercriminalité et le cyber-terrorisme.

En guise de propos liminaire, je voudrais rappeler le contexte dans lequel s'inscrit cette problématique. Notre époque vit quatre grandes révolutions technologiques : celle de l'informatique (Internet, l'ordinateur quantique, l'intelligence artificielle), les nanotechnologies, les biotechnologies et les neuro-technologies. Je pense que Facebook ne me contredira pas sur ce dernier point puisque cette société travaille à l'élaboration d'une technologie qui permettra peut-être demain de transférer directement ses pensées sur le réseau. Il est fascinant de constater que ces évolutions ne se caractérisent pas seulement par des ruptures technologiques majeures, mais aussi par leur vitesse de diffusion et leur capacité à se combiner entre elles. Je citerai la capacité de l'informatique à penser extrêmement rapidement grâce à la combinaison du numérique et des nanotechnologies. Sur la largeur d'un cheveu, nous sommes aujourd'hui capables de graver 10 000 transistors. Il y a un peu plus de 60 ans, un ordinateur réalisait une opération par seconde. Dorénavant, les ordinateurs les plus puissants effectuent 100 millions de milliards d'opérations par seconde. Vraisemblablement, cette capacité sera portée l'année prochaine à un milliard de milliards d'opérations par seconde.

La vitesse est telle que le droit court après la technologie. Ces révolutions ouvrent un formidable champ d'activité pour les humains, qu'elles soient positives ou négatives. Chaque fois que l'Homme a conquis un espace, il y a apporté le meilleur comme le pire. Il est donc normal que la conquête du cyberespace s'accompagne de l'exploitation de nouvelles menaces, à commencer par la diffusion de la haine. Ce qui constituait autrefois des propos de comptoir se diffuse en quelques secondes sur la Terre entière. Les mafias, autrefois locales, peuvent désormais se livrer à tous les trafics (armes, drogues, prostitution, traite des êtres urbains, trafic d'organes) à partir de territoires qui sont quelquefois des zones de non-droit. Enfin, les terroristes communiquent leurs messages de haine, recrutent et forment sur les réseaux. Bientôt, ils lanceront probablement des bombes technologiques dont les dégâts sur les systèmes bancaires ou les réseaux électroniques feront sans doute plus de morts que les attentats du 11 septembre 2001. Nous voyons bien le défi à la fois juridique et technique qui est le nôtre.

Dans ce contexte, le Conseil de l'Europe a été précurseur dans de nombreux domaines. En particulier, en matière de cybercriminalité, nous avons mis en place, à travers la convention de Budapest, des conférences Octopus, ainsi que divers mécanismes visant le cyber-terrorisme, la lutte contre la haine et le contre le blanchiment d'argent. Monsieur Lehners nous en dira sans doute plus.

Je voudrais souligner l'un des défis qui sera le nôtre aujourd'hui : traiter la masse et la vitesse à laquelle se propagent un certain nombre de messages sur les réseaux. Face à l'utilisation criminelle ou délictuelle de la technique, il est du ressort du droit et de la technique de s'adapter pour préserver nos valeurs. De nombreux États, comme la France avec la proposition de loi Avia, ont fait le choix de prescrire aux entreprises du Web de procéder à l'effacement rapide des propos pouvant se révéler haineux, xénophobes, antisémites, injurieux. Les algorithmes rendent possible l'effacement des propos. Il existe évidemment un risque que l'on finisse par renoncer à la poursuite judiciaire de ces propos. Si nous devions poursuivre chaque propos haineux sur le Web, les tribunaux seraient rapidement engorgés par des milliards de procédures. Néanmoins, nous devons rester très vigilants. Le risque est de se retrouver dans la même situation que face aux tagueurs. Faute de pouvoir identifier les auteurs des tags, nous nous sommes résolus à engager des brigades qui repeignent les murs. De la même manière, l'effacement des propos sur le Web reviendrait à repeindre tous les jours la page en blanc, sans autre incidence, si bien que l'on pourrait considérer que le fait de professer des propos haineux n'est finalement pas si grave. Il faut donc veiller à ne pas banaliser ce type de propos et assurer leurs auteurs qu'ils seront poursuivis. Nous devrons donc inventer des algorithmes qui courent plus rapidement que les algorithmes de la haine. Il s'agit autant d'un défi technologique que d'une nécessité politique.

Je passe la parole à Jan Kleijssen.

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