IV. MME BÉATRICE OEUVRARD, MANAGER CHARGÉE DES AFFAIRES PUBLIQUES DE FACEBOOK FRANCE

Les interrogations formulées à l'instant par M. Lehners me paraissent pertinentes. Que l'on soit du côté de la plateforme, de l'utilisateur ou du Conseil de l'Europe, nous avons tous pour objectif de lutter contre les propos haineux. Je serai très claire : nous ne faisons pas business sur les discours haineux qui font d'ailleurs fuir les annonceurs.

Ce matin, vous avez souligné qu'il ne fallait pas laisser les plateformes décider seules. Dans bien des cas, malheureusement, nous sommes seuls. Par exemple, la loi allemande, assortie d'une clause de « revoyure » au bout de trois ans, est questionnée dès à présent sur son opérabilité. Nous en discutons avec le gouvernement allemand. Nous pourrions également nous interroger sur l'efficacité du texte français.

Le critère de la « viralité » doit effectivement être pris en considération. Or, ce critère ne semble avoir été retenu ni dans la loi allemande ni dans la proposition de loi Avia. Chez Facebook, 35 000 personnes sont chargées de la modération et de la cybersécurité, dont 23 000 recrutées en 2018. Nous avons également fortement investi dans l'intelligence artificielle. Les textes actuels ne prennent pas en compte la granularité qui est pourtant importante. Faut-il mettre tous les contenus au même niveau ? Une plateforme comme Facebook a certes des moyens pour recruter des modérateurs, mais ce n'est pas le cas de toutes les plateformes. Il faut prendre aussi en considération les petites plateformes.

Comme vous avez pu le lire dans des articles publiés par Marc Zuckerberg, nous sommes extrêmement favorables à la mise en place d'un organisme de régulation, comme l'a proposé Madame Avia, de manière à adopter une approche systémique à l'égard des manquements constatés par les plateformes. Il sera alors possible d'identifier les moins bons élèves. Cette approche systémique me semble essentielle. En effet, le rôle du judiciaire a son importance. Un parallèle a été effectué avec l'effacement des tags. J'appelle néanmoins votre attention sur la nécessité de conserver les preuves, de sensibiliser et responsabiliser les auteurs.

En début d'année, nous dénombrions près de 4 millions de contenus haineux retirés au niveau mondial. C'est finalement assez peu au regard du milliard de photographies diffusées chaque jour sur Facebook. Tous les contenus diffusés sur Internet ne sont pas haineux, mais nous recensions 7 millions de contenus haineux retirés au 3 ème trimestre. Cela ne signifie pas que les contenus de ce type ont augmenté, mais simplement que nous avons investi davantage dans nos outils de détection. S'agissant du terrorisme, le taux de prévalence s'élève à 0,04 % : sur 10 000 contenus, 4 contenus à caractère terroriste sont identifiés. Ces chiffres sont le résultat de nos investissements humains et technologiques.

Avec le Forum mondial d'Internet contre le terrorisme, les plateformes leaders sur Internet partagent avec les plus petites plateformes les hashtags des contenus qu'elles ont repérés comme devant être supprimés, et ce, pour éviter leur propagation. Nous avons eu recours à ce dispositif lors de l'attentat de Christchurch. En l'occurrence, la tâche était particulièrement difficile car nous avions plus de 800 formats vidéo différents à traiter. J'espère que personne n'a effectivement déclaré que la machine n'avait pu détecter immédiatement ce contenu parce qu'il n'était « pas assez sanglant ». Si de tels propos ont été exprimés, je m'en excuse au nom de notre société. La machine n'était pas suffisamment mature pour repérer que l'arme n'était pas celle d'un jeu vidéo, mais utilisée pour commettre de vrais meurtres. Nous avons montré aux sénateurs notre méthodologie, qui est certes perfectible.

Je ne pense pas que la machine puisse tout gouverner. Nous accorderons toujours une place importante à l'humain sur ce type de dispositif. Cela est d'autant plus important en matière de lutte contre les contenus haineux. Je citerai une affaire qui a été jugée : lorsqu'un artiste dit « je vais te Marie-Trintigner la gueule » , je suis touchée en tant que femme. Pour autant, la Cour a jugé que ce type de contenu n'était pas haineux au motif que la citation émanait d'un rappeur bien connu, Orelsan, et que cela faisait partie de la création artistique. Nous voyons là toute la difficulté à trancher. Il nous est demandé d'apprécier la gravité des propos en 24 heures. La Cour, elle, n'a pas pris 24 heures pour juger !

Les plateformes sont donc responsables, mais seulement en partie. Chacun doit jouer son rôle (le régulateur, les autorités judiciaires) de manière cohérente, qu'il s'agisse du versant judiciaire ou éducatif. Nous avons lancé un fonds d'un million d'euros pour aider les associations à diffuser des contre-discours. La lutte contre les discours haineux ne pourra se faire uniquement au travers d'une plateforme. Son efficacité ne pourra être assurée qu'avec le concours de l'ensemble des acteurs.

M. Olivier Becht . - Merci. Je donne la parole à Andrea Cairola.

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