C. AGIR APRÈS L'AGRESSION POUR RÉPARER SES CONSÉQUENCES

1. Développer le soutien psychologique des pompiers victimes

Comme le souligne l'AEPSP, « les sapeurs-pompiers volontaires et professionnels sont soumis régulièrement à des événements à haut risque , mettant à mal leur résilience et leur opérationnalité mentale durant l'exécution de leurs missions » 72 ( * ) . Il peut s'agir d'évènements déprimants exposant, par exemple, les sapeurs-pompiers à la mort violente de victimes. Il peut s'agir d'évènements propices à l'épuisement physique et psychique des pompiers, tels que la gestion de crises de longue durée. Il peut enfin s'agir d'évènements potentiellement traumatisants, tels que les violences et agressions dont ils peuvent faire l'objet.

Afin de prendre en charge les sapeurs-pompiers victimes, des unités de secours psychologique (USP) ont progressivement été mises en place à l'initiative de chaque SDIS depuis le début des années 1990. Elles sont le plus souvent rattachées au service de santé et de soin médical (SSSM) du SDIS et sont composées d'infirmiers sapeurs-pompiers, de médecins sapeurs-pompiers et de psychologues.

Un des principaux obstacles au développement des USP réside cependant dans le statut juridique encore flou des psychologues au sein des SDIS . Une majorité d'entre eux - 303 73 ( * ) - sont recrutés en tant que sapeurs-pompiers volontaires experts. Ce statut autorise les SDIS à employer « les personnes disposant de compétences spécifiques dans un domaine lié aux missions des services d'incendie et de secours » 74 ( * ) . Il rend possible un engagement altruiste de certains psychologues mais ne leur permet pas de faire de cette activité une composante à part entière de leur activité professionnelle. D'autres psychologues sont recrutés par les SDIS en tant que fonctionnaires territoriaux puisque « psychologue territorial » est un des métiers de la filière médico-sociale de la fonction publique territoriale 75 ( * ) . Ces personnels sont toutefois recrutés sur la base d'un concours sur titre qui ne tient pas compte des spécificités de cette profession lorsqu'elle est exercée auprès d'un SDIS.

Face à ce constat, vos rapporteurs souhaitent la création d'un cadre d'emplois ad hoc pour les psychologues de SDIS. Un tel cadre concourra à l'attractivité de ce métier et permettra de s'assurer de l'adéquation des compétences des psychologues avec les besoins spécifiques des SDIS.

Proposition n° 13 : Créer un cadre d'emplois spécifique aux psychologues de SDIS.

Enfin, vos rapporteurs souhaitent que l'action des USP des SDIS puisse être coordonnée à l'échelle nationale et qu'un référentiel national des pratiques du secours et du soutien psychologique au sein des SDIS soit mis en oeuvre sous l'égide de la DGSCGC en se basant sur les retours de psychologues de SDIS et, le cas échéant, sur les travaux de l'AEPSP.

Proposition n° 14 : Mettre en place une coordination des unités de secours psychologique et un référentiel national des pratiques du secours et du soutien psychologique au sein des SDIS.

2. Garantir la protection fonctionnelle des sapeurs-pompiers

En leur qualité respective de fonctionnaires territoriaux et d'agents territoriaux non-titulaires, les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires bénéficient des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 dite loi « Le Pors » 76 ( * ) qui prévoient que « le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploi e à la date des faits en cause [...] La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté » .

Dans le cadre de cette protection fonctionnelle, le sapeur-pompier victime a donc le droit de voir son préjudice directement réparé par le SDIS en application de l'article 11 précité, le SDIS étant alors subrogé aux droits de la victime pour obtenir la restitution des sommes concernées par le responsable du dommage subi.

La protection fonctionnelle ouvre également le droit à la prise en charge par le SDIS des frais exposés par le pompier victime dans le cadre d'une instance civile ou pénale. Ces frais couvrent principalement les honoraires de l'avocat qu'il aura librement choisi 77 ( * ) mais également les frais de déplacement ou d'hébergement liés à l'instance 78 ( * ) .

Malgré la clarté du droit, les sapeurs-pompiers rencontrés ont témoigné d'une application inégale de la protection fonctionnelle par certains SDIS. Vos rapporteurs appellent donc à une meilleure information des sapeurs-pompiers et des SDIS sur le contenu et les modalités de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle.

Proposition n° 15 : Assurer l'information des sapeurs-pompiers et des SDIS sur le contenu et les modalités de mise en oeuvre de la protection fonctionnelle.

À l'inverse, d'autres SDIS, tel que celui des Bouches-du-Rhône, vont plus loin que les obligations que la loi impose et mettent en oeuvre une véritable assistance juridique au bénéfice du sapeur-pompier victime, tant lors du dépôt de plainte que dans le suivi de son dossier. Vos rapporteurs souhaitent que ces bonnes pratiques soient partagées.

Proposition n° 16 : Généraliser l'assistance juridique des SDIS au bénéfice des sapeurs-pompiers victimes, tant lors du dépôt de plainte que dans le suivi de leur dossier.

3. Systématiser la saisine du juge pénal

Comme le soulignait déjà Loïc Hervé dans son rapport sur la proposition de loi déposée par Patrick Kanner sur la sécurité des sapeurs-pompiers, le taux de dépôt de plainte des sapeurs-pompiers victimes d'une infraction est relativement modeste 79 ( * ) . Pour l'année 2017, l'ONDRP estime que le taux moyen à l'échelle du territoire ne s'élève qu'à 62 %. Malgré une augmentation de trois points par rapport à l'année précédente, ce taux révèle que plus d'un tiers des sapeurs-pompiers agressés renoncent à donner suite à leurs agressions.

En plus d'être globalement faible, le taux de dépôt de plainte des sapeurs-pompiers agressés est particulièrement variable d'une zone du territoire à une autre. Ainsi, ce taux atteint 100 % pour les départements d'outre-mer alors qu'il n'est que de 22 % en Nouvelle-Aquitaine.

Nombres et taux de plainte des sapeurs-pompiers professionnels, militaires et volontaires suite à leur agression (2017)

Régions

Total de sapeurs-pompiers agressés en 2017

Dépôts de plainte en 2017

Taux de plainte

Auvergne-Rhône-Alpes

271

225

83 %

Bourgogne-Franche-Comté

251

62

25 %

Bretagne

56

44

79 %

Centre-Val-de-Loire

61

52

85 %

Corse

0

0

-

Départements d'Outre-mer

5

5

100 %

Grand Est

298

230

77 %

Hauts-de-France

326

184

56 %

Île-de-France*

327

302

92 %

Normandie

104

59

57 %

Nouvelle Aquitaine

527

116

22 %

Occitanie

228

154

68 %

Pays de Loire

52

44

85 %

Provence-Alpes-Côte-D'azur*

307

266

87 %

Total

2 813

1 743

62 %

Source : ministère de l'Intérieur, direction générale de la sécurité civile
et de la gestion de crise - Traitement ONDRP. Champ : France entière

Pour lutter contre ce phénomène souvent induit par la peur des représailles , Patrick Kanner avait déposé une proposition de loi tendant à permettre un dépôt de plainte anonyme pour les sapeurs-pompiers 80 ( * ) . Le rapport de Loïc Hervé a néanmoins soulevé des problèmes constitutionnels et conventionnels 81 ( * ) . La proposition de loi a donc été réécrite, avec l'accord de son auteur, afin de faciliter l'anonymat, non-plus des sapeurs-pompiers eux-mêmes, mais des témoins d'agressions de sapeurs-pompiers. Cette proposition de loi a été adoptée par le Sénat le 6 mars 2019 mais n'a toujours pas été inscrite à l'ordre du jour à l'Assemblée nationale . Vos rapporteurs appellent donc de leurs voeux l'adoption de ce texte par le Parlement dans les délais les plus brefs.

Proposition n° 17 : Mener à son terme la proposition de loi relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers.

Les protocoles de prévention et de lutte contre les agressions visant les sapeurs-pompiers précités ont aussi vocation à favoriser le dépôt de plainte. C'est principalement le cas depuis la circulaire du 13 mars 2018 précitée, qui encourage des dépôts de plainte sur rendez-vous, des auditions dans les locaux du SDIS et prévoit qu'un compte rendu détaillé de l'officier de police judiciaire soit transmis dans les délais les plus brefs au magistrat de permanence du parquet lorsque des faits graves sont commis à l'encontre d'un sapeur-pompier 82 ( * ) .

De son côté, la Chancellerie invite les parquets à la fermeté : « Au-delà des questions de terrorisme et de radicalisation, défendre la Nation impose aussi de protéger ceux qui, dans l'exercice de leurs fonctions au service de l'État, subissent des agressions ou des actes d'intimidations beaucoup trop fréquents. Vous continuerez donc à porter une attention particulière aux atteintes contre les personnes représentant l'autorité publique , en particulier les surveillants pénitentiaires, les fonctionnaires de police, les militaires de la gendarmerie, les sapeurs-pompiers et les huissiers de justice » 83 ( * ) .

Vos rapporteurs rappellent que les agressions commises à l'encontre des sapeurs-pompiers les affectent en premier lieu et que toutes les mesures doivent être prises pour faciliter leur dépôt de plainte . Ils constatent également que ces agressions représentent un acte insupportable pour l'ensemble des fonctionnaires, du service public et de ses usagers. En cas d'absence de dépôt de plainte par le sapeur-pompier victime, ils incitent les directeurs de SDIS à saisir systématiquement la justice, que ce soit au travers d'un dépôt de plainte du SDIS , comme le préconise le ministre de l'intérieur 84 ( * ) , ou à travers l'obligation qui leur est faite par le code de procédure pénale de « donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs » 85 ( * ) lorsqu'est acquise la connaissance d'un crime ou d'un délit.

Proposition n° 18 : Prévoir la saisine systématique de la justice par le SDIS en cas de violence contre un sapeur-pompier, par l'intermédiaire d'un dépôt de plainte ou d'un signalement.


* 72 Contribution écrite transmise le 29 juillet 2019.

* 73 Les statistiques des SDIS, ministère de l'intérieure, édition 2018, page 24.

* 74 Article 1 er de l'arrêté du 30 mars 2006 relatif aux sapeurs-pompiers volontaires experts.

* 75 Décret n° 92-853 du 28 août 1992 portant statut particulier du cadre d'emplois des psychologues territoriaux

* 76 Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

* 77 Article 4 du décret n° 2017-97 du 26 janvier 2017 relatif aux conditions et aux limites de la prise en charge des frais exposés dans le cadre d'instances civiles ou pénales par l'agent public ou ses ayants droit.

* 78 Ibidem , article 8.

* 79 Rapport n° 351 (2018-2019) de Loïc Hervé, fait au nom de la commission des lois, déposé le 21 février 2019, pages 10 et suivantes.

* 80 Proposition de loi relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers déposée de M. Patrick Kanner et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 30 octobre 2018, adoptée le 6 mars 2019 qui n'a, pour l'heure, pas été examinée en première lecture à l'Assemblée nationale.

* 81 Rapport n° 351 (2018-2019) enregistré le 21 février 2019, fait au nom de la commission des lois par Loïc Hervé sur la proposition de loi relative au renforcement de la sécurité des sapeurs-pompiers.

* 82 Circulaire du ministre de l'intérieur du 13 mars 2018 relative à l'évaluation et au renforcement des protocoles de prévention et de lutte contre les agressions visant les sapeurs-pompiers, page 2.

* 83 Extrait de la circulaire de politique pénale du ministère de la justice du 21 mars 2018.

* 84 Mesures annoncée le 5 septembre 2019 par le ministre de l'intérieur.

* 85 Article 40 du code de procédure pénale.

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