B. UN CONSTAT PROPRE À SUSCITER INQUIÉTUDES ET CONTROVERSES

Les constats tendant à faire ressortir la contribution primordiale du prix à l'équilibrage économique des exploitations agricoles passés au bio (au-delà à la viabilité du projet de développement de l'agriculture biologique), et, ainsi, le rôle primordial du consentement des consommateurs à payer des surprix alimentaires conduisent à envisager plusieurs interrogations relatives à la solidité des dynamiques en cours.

Les professionnels de la distribution font valoir que la consommation de produits biologiques est en France sous-développée par rapport à ce qu'elle est dans des pays voisins : 140 euros par personne et par an en France, contre 180 euros en Allemagne et 230 euros en Suisse.

Ces éléments de comparaison sont certes utiles mais il n'empêche pas de faire faire ressortir que, facteur majeur de l'équilibre du bio, le prix des productions bio pourrait devenir un élément de limitation de l'essor de l'agriculture biologique.

En outre, il faut prendre en compte les perspectives très diversifiées de réaction des prix aux conditions de développement de l'offre de produits bio.

1. Le maintien d'un consentement à payer supérieur n'est pas assuré

Si, jusqu'à présent, les surprix des produits bio n'ont pas empêché un réel dynamisme de la demande, il ne faut pas perdre de vue que le prix demeure un facteur limitatif de l'essor de quantités consommées , propriété qui rend incertaine la longueur et le dynamisme du segment de la demande adressée par les ménages à la production biologique .

Ces derniers pourraient, de surcroît, être affectés par des perspectives, peut-être inhérentes au projet bio, de progressive dédifférenciation des produits de l'agriculture biologique.

a) Quelles perspectives de dynamique du segment de la demande de bio face à la contrainte de pouvoir d'achat ? Le plus facile est peut-être derrière nous

Selon un sondage mentionné dans une étude de l'association UFC-Que choisir ?, le consentement à payer sur lequel repose l'économie du bio serait vulnérable à une perception générale partagée par 77 % des consommateurs interrogés selon laquelle le prix élevé des produits bio constitue le frein le plus important à l'achat.

Si, jusqu'à présent les écarts entre les prix des produits bio et ceux de l'agriculture conventionnelle semblent n'avoir pas pesé sur la dynamique de la demande, cette enquête suggère l'existence d'un frein lié au prix du bio susceptible d'endiguer une demande potentielle contrainte par le pouvoir d'achat des consommateurs.

Il faut à cet égard observer que les décisions prises récemment par le Gouvernement dans le double sens d'une réduction des soutiens publics aux exploitants (voir infra ) et d'une obligation de renforcement de l'offre de produits biologiques dans la restauration collective pourraient conduire à resserrer la contrainte de pouvoir d'achat, notamment pour les consommateurs n'ayant pas accès à la restauration collective , l'équilibre des productions biologiques se trouvant davantage soumis à des surprix que dans la situation antérieure au durcissement des conditions d'octroi des soutiens publics aux agriculteurs.

b) Quelles perspectives du segment de la demande de bio dans un scenario de dédifférenciation des produits de l'agriculture biologique ?

L'analyse du consentement à payer des produits bio doit intégrer la question de la différenciation des produits de l'agriculture biologique, qui est, a priori , un fondement rationnel à l'acceptation des surprix acquittés par lui.

L'identification des produits bio comme réellement différents des produits plus conventionnels, si elle est au coeur de la différenciation de ces produits, n'en épuise pas les ressorts.

Dans ces conditions, s'il convient de garantir une totale crédibilité des produits bio, raison pour laquelle vos rapporteurs spéciaux souhaitent que des progrès de vigilance interviennent sur ce point, cette exigence pourrait n'être pas suffisante, dès lors que des progrès interviendraient encore dans le domaine de la production conventionnelle ou, à l'inverse, que les produits de l'agriculture biologique se trouveraient, même totalement conformes au cahier des charges de ce mode de production, concurrencés par des produits répondant à des normes encore plus élevées 38 ( * ) .

Mais, il faut encore considérer que dans le domaine de la consommation, des facteurs sans rationalité objective peuvent intervenir, le consommateur recélant des motivations personnelles susceptibles d'agir en dehors de tout processus de vérification objective.

La nouveauté d'un produit, le pouvoir de singularisation de l'acte d'achat fondé sur des processus d'identification peuvent, par exemple, jouer. On sait que le consommateur se projette aisément dans les objets qu'il acquière.

En bref, comme cela peut se produire dans d'autres domaines, la nouveauté si elle peut attirer, peut également se révéler volatile, le consommateur n'échappant pas à une certaine versatilité.

c) L'égal accès de tous aux produits de l'agriculture biologique est compromis par les surprix

Les effets contraignants des prix du bio révélés par l'enquête citée plus haut, qui ne fait que traduire l'impact sur la demande généralement associé aux prix, devraient en bonne logique s'accompagner d'une sélection par les revenus de l'accès au bio , hypothèse qui inviterait à accorder quelque crédit à une critique fréquemment adressée à la politique de développement de l'agriculture biologique, celle d'exercer un effet socialement discriminant .

Cet aspect de la politique du développement de l'agriculture biologique est fréquemment controversé.

On fait à cet égard souvent valoir que les études disponibles ne permettent pas de souscrire à la critique plus haut exposée, les produits bio étant consommés par des ménages très hétérogènes sous l'angle des revenus.

Mais, ces études, en nombre réduit, sont contrebattues par d'autres analyses allant dans un sens contraire.

Ainsi de celle communiquée par la fédération du commerce et de la distribution (FCD) qui fait ressortir une corrélation entre niveau de revenu et consommation de produits biologiques.

Part du marché des produits bio en fonction de la strate de revenu des consommateurs

Source : FCD

Si corrélation n'est pas causalité, on observera, une fois n'est pas coutume, une convergence des associations de consommateurs et de distributeurs pour affirmer que le niveau des prix du bio suscite un problème de pouvoir d'achat différencié selon les revenus.

On peut ajouter que les études établissant une diffusion du bio erga omnes n'atteignent pas un degré de granularité suffisant pour capter d'éventuels facteurs contrecarrant naturellement la contrainte financière ressentie par les ménages.

Par ailleurs, la généralisation de l'argument selon lequel un large accès au bio ressort comme une opportunité pour tous moyennant des modifications des rations alimentaires être sujette à caution.

On est ainsi plutôt conforté dans l'idée que les surprix du bio exercent un effet ambivalent, favorable sur l'offre, averse pour la demande.

Dans ces conditions, il existe un dilemme qu'il convient de résoudre .

d) La consommation de produits bio pourrait être perturbée par des évaluations tendant à remettre en cause les surprix du bio

Outre la prise en compte par les consommateurs de produits bio d'une éventuelle culpabilité tenant au phénomène évoqué ci-dessus, il convient de mentionner la possible montée d'une aversion face à ces surprix tenant au sentiment que le consommateur supporterait par ces derniers un « fardeau » inéquitable.

Le consommateur peut être amené à contester une situation où il finance des biens collectifs soit qu'il ne bénéficie pas de leurs retombées, soit qu'il considère inéquitable que ces biens ne soient pas financés à partir de bases contributives plus justement mesurées (voir infra ).

De la même manière, il peut être conduit à estimer sa contribution plus ou moins partiellement détournée, soit qu'il observe que l'État, à travers les recettes fiscales associées aux surprix bénéficie d'une dépense plutôt dirigée vers la rémunération des producteurs, soit qu'il s'inquiète des marges des chaînons de l'amont, dont la justification ne lui apparaîtrait pas évidente.

Ces éventualités plaident pour une adaptation des prélèvements obligatoires sur les produits biologiques destinée à prévenir tout phénomène de passager clandestin de la part de l'État mais également pour une vigilance quant au partage de la valeur ajoutée entre les différents échelons de la chaîne de l'offre alimentaire.

2. L'agriculture biologique victime de son succès ?
a) Quel impact sur les prix du développement de l'offre ?

Le développement de l'accessibilité de produits biologiques pourrait ne pas exercer que des effets psychologiques sur les consommateurs.

Il est généralement attendu que l'offre quand elle vient à se développer, à demande plus ou moins constante, provoque une baisse des prix .

Les études disponibles font état d'une volatilité des prix de l'agriculture biologique inférieure à celle des prix de l'agriculture conventionnelle.

Cependant, ces études se fondent sur des données historiques marquées par une certaine rareté de l'offre , qui peut avoir exercé un rôle important de soutien des prix.

Le graphique ci-dessous qui restitue les données de suivi des prix du lait en France, en Allemagne et en Autriche montre que ces derniers ne sont pas intangibles.

La volatilité des prix accompagnant l'expansion de l'offre est d'autant moins improbable que, dans une telle trajectoire, les rapports entre acteurs de marché tendent à se modifier.

La position des producteurs primaires en agriculture conventionnelle tend à en faire des « price takers », situation à laquelle ils sont moins souvent en agriculture biologique. La rareté de l'offre et l'objectif de conquérir une part de marché initiale, qui peut être déterminante à court comme à long terme pour les acteurs de l'aval, créent un environnement favorable aux producteurs de ce point de vue.

La prolongation d'une telle structure de marché est évidemment moins assurée dès lors que `offre se développe et que les parts de marché des intervenants de l'aval sont à peu près stabilisées.

b) Quel impact d'une réduction des prix sur le projet d'agriculture biologique ?

La capacité d'une politique visant à faire émerger un produit nouveau à maintenir ses effets dans le temps relève d'une analyse dont les enchaînements et les résultats n'ont rien d'évident .

À taux de soutien public inchangé, les enjeux des surprix des produits de l'agriculture biologique sont considérables pour le projet d'agriculture biologique et pour les entreprises en bio les plus fragiles .

Les avantages comparatifs de l'agriculture conventionnelle (une production de forts volumes réalisée à coûts unitaires de production inférieurs) demeurent, toute la question étant de savoir quelles positions sur le marché ceux-ci peuvent permettre de préserver.

Il faut encore sur ce point compter avec les comparaisons économiques auxquelles se livrent les producteurs.

Plus les prix des produits de l'agriculture conventionnelle se rapprochent de ceux de l'agriculture biologique, plus ces comparaisons invitent à des choix d'investissement plus riches en agriculture conventionnelle. Ces analyses ne sont pas purement théoriques : elles paraissent confirmées par les évolutions récentes des prix du lait.

On perçoit que la question n'est pas indépendante des évolutions propres au marché du bio, qui, en dehors même de la concurrence avec l'agriculture conventionnelle, sont susceptibles d'exercer une influence sur la capacité des opérateurs en bio à se maintenir leur offre.

Sur un marché émergent, marqué par une expansion de la demande supérieure à celle de l'offre, la concurrence entre les producteurs est atténuée, ce qui leur permet de fixer les prix.

À son tour, cette situation assure la viabilité de productions, qui autrement, ne seraient pas réalisées.

On peut ainsi anticiper un scenario où les producteurs de bio les plus marginaux rencontreraient des difficultés à la suite d'une normalisation des prix sur un marché plus mature.

Ce scenario n'est pas équivalent à une baisse de la production de bio même s'il n'est pas certain que les productions en bio délaissées puissent être reprises par les exploitations demeurées sur le marché.

3. Un dilemme à dépasser mais des solutions exigeantes
a) Assurer une meilleure contribution de la distribution au développement du marché du bio

L'étude de l'association UFC-Que choisir ?, déjà mentionnée, conclut que l'écart des prix entre les produits bio et les produits de l'agriculture conventionnelle observés (24 fruits et légumes représentant 88 % de la consommation en France), s'il provient en partie de coûts de production unitaires supérieurs en bio, résulte également de marges brutes de distribution deux fois supérieures sans que des surcoûts de distribution le justifient clairement .

Précisions sur la méthode suivie par l'étude

L'étude procède d'une confrontation entre les prix à l'expédition, c'est-à-dire les prix des produits après les premières opérations (lavage, triage, calibrage, conditionnement) préalables à la livraison aux distributeurs, de 24 fruits et légumes avec les prix des mêmes produits en rayons dans 150 grandes et moyennes surfaces réparties sur le territoire, d'où se déduisent des marges brutes qui n'intègrent pas la totalité des coûts de distribution (et ainsi ne doivent pas être assimilées à des profits nets).

Quelques observations s'imposent. Il n'est pas exceptionnel que les niveaux des marges brutes varient, même assez sensiblement, pour des produits alimentaires analogues, voire identiques, chaque enseigne pouvant déterminer différemment des autres sa stratégie de prix. Ainsi, pour deux fromages, le camembert et l'emmental, les marges relevées par l'Observatoire de la formation des prix et des marges en 2016 étaient respectivement de 1,66 euros par kilo et de 2,45 euros par kilo représentant l'une 27 % du prix en rayon, l'autre 35 %.

En outre, l'étude compare des niveaux de marges et non des niveaux de taux de marge. Or, à un même taux de marge correspondent nécessairement des niveaux de marge différents selon le prix d'achat des produits.

Les prix des produits concernés sont nettement supérieurs lorsqu'ils sont issus de l'agriculture biologique.

Les surprix en rayons vont d'un quart à plus du double selon les produits, avec une polarisation autour d'un surprix de 100 %.

Prix hors taxe en rayons dans la grande distribution
de quelques fruits et légumes

Source : UFC-Que choisir ?

Une partie des écarts de prix constatés peut s'expliquer par des prix à l'expédition des produits bio supérieurs, constat développé plus haut.

Toutefois, les surprix d'approvisionnement contribuent, plus ou moins aux surprix observés en rayons, mais n'expliquent généralement qu'une partie de ces derniers.

La contribution des surprix d'expédition aux surprix en rayons varie également nettement selon le produit considéré. Cependant, cette contribution (hors le cas singulier du chou-fleur) est toujours insuffisante pour expliquer la totalité du surprix en rayons.

Contributions des surprix d'approvisionnement aux surprix en rayons

(en euros par kilo)

Produits

Écart de prix en rayons entre le bio et l'agriculture conventionnelle (a)

Écart de prix à l'expédition entre le bio et l'agriculture conventionnelle (b)

Contribution du surprix de production au surprix de distribution b/a

Pêche

4

2,15

53,75 %

Nectarine

3,88

2,04

52,58 %

Poireau

3,04

0,98

32,24 %

Pomme

2,19

0,94

42,92 %

Abricot

3,85

1,58

41,04 %

Courgette

1,75

1,12

64,00 %

Carotte

1,16

0,86

74,14 %

Tomate

3,02

0,81

26,82 %

Concombre

3,06

2,17

70,92 %

Pomme de terre

1,05

0,71

67,62 %

Prune

3,45

0,97

28,12 %

Oignon

1,33

1,01

75,94 %

Melon

1,55

1,29

83,23 %

Salade

2,73

0,76

27,84 %

Ail

2,86

1,73

60,49 %

Chou-fleur

0,43

0,86

200,00 %

Source : commission des finances du Sénat à partir des données de l'étude d'UFC-Que choisir ?

Il s'ensuit que les surmarges entre les produits en bio et les produits de l'agriculture conventionnelle contribuent toujours 39 ( * ) , plus ou moins fortement, aux surprix des produits bio accessibles aux consommateurs.

Surmarges entre les produits en bio et les produits en agriculture conventionnelle

Produits

Agriculture biologique (en euro/kg) (a)

Agriculture conventionnelle (en euro/ kg) (b)

Écart a - b (en euro)

Écart a - b (en %)

Pêche

2,93

1,08

1,85

171

Nectarine

2,82

0,98

1,84

188

Poireau

3,13

1,07

2,06

195

Pomme

2,02

0,77

1,25

163

Abricot

3,67

1,4

2,27

162

Courgette

1,48

0,85

0,63

74

Carotte

1,09

0,79

0,3

38

Tomate

3,12

1,27

1,85

145

Concombre

2,48

1,59

0,89

56

Pomme de terre

0,88

0,54

0,34

63

Prune

4,31

1,83

2,48

135

Oignon

1,53

1,21

0,32

26

Melon

1,1

0,84

0,26

31

Salade

3,83

1,86

1,97

105

Ail

6,63

5,5

1,13

20

Chou-fleur

0,78

1,21

- 0,43

- 35,5

Source : commission des finances du Sénat à partir des données de l'étude d'UFC-Que choisir ?

Les surmarges brutes dégagées par les distributeurs sur les produits issus de l'agriculture biologique s'échelonnent entre 20 % (pour l'ail) et 195 % (pour le poireau).

Au total, selon l'étude, dans des proportions variables, mais souvent très significatives, les comportements de marge de la distribution s'ajoutent au surprix d'approvisionnement pour contribuer au surprix en rayon et ainsi au décrochage par le haut des prix des produits issus de l'agriculture biologique.

Décomposition des contributions aux surprix en rayons des produits bio

Produits

Écart de prix en rayons entre le bio et l'agriculture conventionnelle (a)

Écart de prix à l'expédition (a)

Surmarges (b)

Contribution de (a) en %

Contribution de (b) en %

Pêche

4

2,15

1,85

53,8 %

46,3 %

Nectarine

3,88

2,04

1,84

52,6 %

47,4 %

Poireau

3,04

0,98

2,06

32,2 %

67,8 %

Pomme

2,19

0,94

1,25

42,9 %

57,1 %

Abricot

3,85

1,58

2,27

41,0 %

59,0 %

Courgette

1,75

1,12

0,63

64,0 %

36,0 %

Carotte

1,16

0,86

0,3

74,1 %

25,9 %

Tomate

3,02

0,81

2,21

26,8 %

73,2 %

Concombre

3,06

2,17

0,89

70,9 %

29,1 %

Pomme de terre

1,05

0,71

0,34

67,6 %

32,4 %

Prune

3,45

0,97

2,48

28,1 %

71,9 %

Oignon

1,33

1,01

0,32

75,9 %

24,1 %

Melon

1,55

1,29

0,26

83,2 %

16,8 %

Salade

2,73

0,76

1,97

27,8 %

72,2 %

Ail

2,86

1,73

1,13

60,5 %

39,5 %

Chou-fleur

0,43

0,86

-0,43

NS

NS

Source : commission des finances du Sénat à partir des données de l'étude d'UFC-Que choisir ?

Une réplique a été produite par les entreprises concernées, qui ont en particulier, objecté que les taux de marge appliqués sur les approvisionnements en bio, n'étaient pas différents de ceux des produits plus conventionnels.

Cette controverse sur une question complexe (il conviendrait de tenir compte de l'ensemble des coûts des lignes de produits bio) mériterait d'être clarifiée 40 ( * ) .

Les retards pris par l'Observatoire des prix et des marges dans le suivi du segment bio n'ont pas permis de le faire jusqu'à présent et l'Agence bio n'a pas communiqué d'analyse de son côté. On doit le déplorer et souhaiter que le premier organisme s'étant enfin saisi du sujet puisse fournir les précisions qui s'imposent.

En toute hypothèse, l'analogie entre les taux de marge dégagés sur les produits agricoles, qu'ils soient bio ou non, invite à conclure, à ce stade, que le flux de « retour » du bio, exprimé en valeur nominale (en clair, en chiffre d'affaires) est supérieur à celui découlant de la distribution de produits plus conventionnels .

Dans ces conditions, on ne peut que constater qu'à défaut de pratiquer des surmarges sur ces produits, les distributeurs, qui se sont fortement engagés dans la distribution des produits bio, ne contribuent pas, en l'état, à en assurer l'attractivité par une politique de prix facilitante, qui pourrait, sous certaines conditions, favoriser l'essor des volumes vendus.

En l'état, le pilotage professionnel et politique du bio ne s'est pas saisi de ce sujet.

b) Élever les performances de la production en bio

Au regard du critère de cohérence entre les objectifs généraux de la politique agricole et les objectifs de la politique en faveur de l'agriculture biologique, il apparaît peu douteux que les tensions existantes appellent, plutôt que des confrontations termes à termes, des conciliations pragmatiques.

Les surprix nécessaires à l'équilibre économique d'exploitations biologiques subissant des rendements inférieurs à ceux de l'agriculture conventionnelle n'apparaissent pas pleinement cohérents avec l'objectif d'offrir une alimentation de qualité à bon marché.

Cet objectif consacré par les différentes lois « agricoles » et qui traduit des préférences collectives fortes, apparaît d'autant plus légitime si l'on raisonne dans les termes d'une prospective globale.

Dans la mesure où l'un des défis majeurs de l'humanité pourrait être de nourrir de plus en plus de pauvres 41 ( * ) , l'agriculture biologique ne devrait pas être une solution universelle au problème à résoudre sauf à connaître des transformations majeures.

Ce hiatus n'est peut-être pas aussi marqué qu'on peut le craindre.

Vos rapporteurs spéciaux souhaitent d'abord rappeler que les objectifs de la politique de développement de l'agriculture biologique ne consistent pas à éliminer l'agriculture conventionnelle, se limitant à une conversion au bio de 15 % de la surface agricole utile nationale.

Il faut encore considérer que cet objectif n'est pas purement discrétionnaire. D'une certaine manière, la France n'a pas le choix.

Compte tenu des forces de marché, très marquées par les préférences d'une fraction des consommateurs, le bio est une voie de valorisation obligée sauf à se résoudre à délaisser un segment déjà développé de la demande et qui, même si ces équilibres ne sont pas garantis (voir infra ), reste en progression et offre des prix rémunérateurs. Que le bio permette de satisfaire d'autres besoins n'en est que mieux.

Cependant, ces observations ne doivent pas dispenser de considérer les éléments susceptibles de modérer les contradictions pouvant exister entre les objectifs de la politique de développement du bio et les autres dimensions essentielles de la politique agricole.

En premier lieu, les effets d'offre, plutôt « contraignants » au regard des prix (plus élevés) et des rendements (plus faibles) peuvent être mitigés par des effets-volumes liés notamment à des modifications de ration alimentaire, à la lutte contre les gaspillages alimentaires et à l'augmentation des rendements de l'agriculture biologique.

Néanmoins, ces dernières perspectives appellent des mesures d'accompagnement très vigoureuses que la politique de développement de l'agriculture biologique semble ne pas assumer avec assez de force.

Ces enjeux devraient être au coeur des interventions de l'Agence Bio et de ce point de vue mieux portés par cette dernière qu'à ce jour.

Ils doivent également avoir plus leurs prolongements dans les politiques de recherche agricole (voir infra ). À cet égard, des clarifications préliminaires s'imposent afin de définir une stratégie stabilisée, plusieurs perspectives se présentant qui varient selon leur capacité à préserver intégralement les équilibres du projet d'agriculture biologique.

Celle ouverte par une étude de l'INRA, qui suggère qu'un assouplissement modéré des contraintes imposées à l'agriculture biologique pourrait, sans détériorer ses performances environnementales, améliorer les performances économiques des exploitations en agriculture biologique, ne doit pas être négligée. Cependant, ses contours doivent être précisés et demeurer cohérents avec les spécificités de l'agriculture biologique.

Sous cet angle, l'amélioration de la productivité de l'agriculture biologique présente en théorie davantage de perspectives mais seule la démonstration pratique de sa faisabilité permettra de valider l'intuition, à ce jour trop largement abstraite, sur laquelle elle repose.

c) Un renforcement des concours publics à l'agriculture biologique, sans doute inévitable à terme, pourrait favoriser une baisse des prix

La capacité des aides publiques attribuées aux secteurs d'activité à agir sur les prix est l'objet de débats. Ainsi, des études présentées ces dernières années sur les aides au logement ont pu suggérer que certaines d'entre elles étaient « captées », non par les bénéficiaires mais par les propriétaires. Sans doute ces études ont-elles joué un certain rôle dans les réaménagements des aides personnalisées au logement (APL).

Dans le domaine de l'agriculture, des analyses des effets des aides sur les revenus des différents intervenants manquent d'autant plus lourdement que l'agriculture est fortement soutenue par des aides publiques. L'agriculture biologique et les concours qui lui sont attribués ne fait pas exception dans ce panorama trop déserté.

Si les surprix sont aujourd'hui l'aliment principal des équilibres économiques de l'agriculture biologique, l'on pourrait attendre d'un renforcement des concours publics à la production biologique, appelé à être peu évitable et largement subie en cas de baisse des prix, une contribution permettant de réduire les prix des produits biologiques.

À supposer que l'élasticité de la demande de produits biologiques soit élevée, une telle évolution permettrait des gains de bien-être, la production biologique pouvant se développer au-delà des freins que représentent aujourd'hui les surprix.

Une augmentation des concours publics qui pourrait être modérée permettrait alors d'accroître les externalités attendues du développement de l'agriculture biologique.

Il faudrait cependant que des accords solides permettent de s'assurer que l'accentuation des concours publics au bio se retrouve dans les prix.

Parmi les solutions envisageables, si l'on peut établir une certaine analogie entre les dépenses publiques ou fiscales portant sur les revenus et les droits indirects, type TVA, les premiers instruments seraient sans doute préférables, en permettant de mieux cibler les soutiens.


* 38 Certaines entités importantes de diffusion du bio ou de promotion de la production biologique considèrent que le cahier des charges du bio est insuffisamment rigoureux et développent des offres alternatives, par exemple «garantis sans pesticides ».

* 39 Sauf pour le chou- fleur.

* 40 Les distributeurs tendent à mettre en avant des coûts de distribution supérieurs en bio. Par exemple, les dates limites de consommation sont plus courtes pour certains aliments (poulet).

* 41 La pauvreté étant ici appréciée en termes relatifs.

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