LISTE DES RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1 : Transposer aux travailleurs indépendants ayant recours à des plateformes les dispositions du code du travail relatives à l'interdiction des discriminations à l'embauche.

Recommandation n° 2 : Créer un système de caisses de congés payés pour les travailleurs utilisant de manière régulière une plateforme numérique.

Recommandation n° 3 : Imposer la motivation écrite de toute rupture temporaire ou définitive de la relation entre un travailleur indépendant et une plateforme numérique à l'initiative de celle-ci.

Recommandation n° 4 : Imposer aux plateformes numériques de proposer aux travailleurs qui ont recours à leurs services d'intermédiation un contrat collectif d'assurance complémentaire santé répondant à un cahier des charges défini par l'État.

Recommandation n° 5 : Imposer aux plateformes d'assurer les travailleurs contre le risque d'accident du travail.

Recommandation n° 6 : Remettre à plat les règles applicables au régime de la micro-entreprise afin de limiter les effets d'aubaine et de renforcer la protection des travailleurs indépendants.

Recommandation n° 7 : Accompagner le développement du modèle coopératif en créant sous forme de SCIC des entreprises porteuses pour certains travailleurs de plateformes.

Recommandation n° 8 : Dans les secteurs où un régime d'autorisation préalable s'avèrerait nécessaire, introduire dans l'agrément des critères sociaux liés notamment à la santé et à la sécurité ainsi qu'au revenu des travailleurs.

Recommandation n° 9 : Inscrire dans le code du travail que, dans certaines activités considérées comme peu qualifiantes, le fait pour une plateforme de prévoir des formations obligatoires pour les travailleurs indépendants ne peut pas être un indice de lien de subordination.

Recommandation n° 10 : Créer à destination des plateformes une procédure de rescrit portant sur le caractère salarié ou non de la relation avec les travailleurs.

Recommandation n° 11 : Rendre obligatoire le mandatement par les travailleurs d'une plateforme pour la réalisation de leurs démarches déclaratives et le paiement de leurs charges sociales.

Recommandation n° 12 : Créer des instances de dialogue social à un niveau à la fois sectoriel et local réunissant des représentants des travailleurs indépendants et des représentants des plateformes, voire le cas échéant des entreprises utilisatrices.

Recommandation n° 13 : Définir des thèmes de négociation obligatoires au sein de ces instances, tels que les modalités de fixation du tarif, les modalités de développement des compétences professionnelles et l'amélioration des conditions de travail.

Recommandation n° 14 : Prévoir un mécanisme d'extension des accords conclus dans ce cadre à l'ensemble des travailleurs indépendants du secteur.

I. LES TRAVAILLEURS INDÉPENDANTS ÉCONOMIQUEMENT DÉPENDANTS : UNE PROBLÉMATIQUE HÉTÉROGÈNE D'UNE AMPLEUR À PRÉCISER

A. UNE QUESTION ANCIENNE QUI CONNAÎT UNE NOUVELLE ACTUALITÉ

1. Le travail indépendant défini par opposition au salariat, sous le contrôle du juge

Un travail peut être exercé par un salarié, dans le cadre d'un contrat de travail, ou par un travailleur indépendant, dans le cadre d'une prestation de service.

Selon la définition classique, est salarié celui qui exécute un travail rémunéré au profit d'un tiers auquel il est subordonné.

Dans la plupart des cas, il existe un contrat de travail, permettant de conclure sans équivoque possible à la nature salariale de la relation professionnelle.

Certaines activités pour lesquelles l'existence d'un lien de subordination n'est pas toujours évidente sont régies par le code du travail, sous réserve d'adaptations, en vertu de dispositions législatives progressivement insérées dans la septième partie du code. Sont ainsi assimilés à des salariés les voyageurs, représentants et placiers (VRP), les journalistes ou encore les travailleurs à domicile.

A l'inverse, le code du travail prévoit une présomption de non-salariat pour le travailleur « dont les conditions de travail sont définies exclusivement par lui-même ou par le contrat les définissant avec son donneur d'ordres » 4 ( * ) ainsi que pour les commerçants immatriculés au registre du commerce et des sociétés, les artisans immatriculés au répertoire des métiers et les professions libérales immatriculées auprès des Urssaf notamment 5 ( * ) .

Cette présomption n'est toutefois pas irréfragable, et il appartient au juge de requalifier en relation salariée une activité économique exercée sous la forme juridique d'une prestation de service lorsqu'il apparaît qu'un lien de subordination existe . La faculté qu'a le juge de requalifier une relation de travail n'est pas limitée par la qualification donnée à cette relation par les parties elles-mêmes, la qualification de contrat de travail étant d'ordre public.

Pour apprécier l'existence d'un lien de subordination, le juge examine des éléments de fait : d'une part, l'autorité et le contrôle exercés par le donneur d'ordres 6 ( * ) et, d'autre part, les conditions matérielles d'exercice de l'activité (lieux de travail, horaires, fourniture de matériel...) 7 ( * ) . Le fait que le travail soit effectué au sein d'un service organisé peut constituer un indice de l'existence d'un lien de subordination lorsque l'employeur en détermine unilatéralement les conditions d'exécution.

En revanche, un lien de dépendance économique ne permet pas de caractériser l'existence d'une relation salariale , conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation : « La condition juridique d'un travailleur à l'égard de la personne pour laquelle il travaille ne saurait être déterminée par la faiblesse ou la dépendance économique dudit travailleur [...] la qualité de salarié implique nécessairement l'existence d'un lien juridique de subordination du travailleur à la personne qui l'emploie » 8 ( * ) .

La notion de travailleur en droit de l'Union européenne

L'analyse du droit européen en matière de définition de la notion de travail est rendue difficile par la sémantique utilisée.

En effet, le droit de l'Union européenne retient la notion de « travailleur » qui, selon la jurisprudence de la Cour de Luxembourg, désigne « la personne qui accomplit, pendant un certain temps, en faveur d'une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération » 9 ( * ) .

La notion de travailleur en droit de l'Union européenne s'approche donc de la notion de salarié en droit français en ce qu'elle est conditionnée par l'existence d'une relation de subordination mais elle la dépasse. En revanche, un travailleur indépendant français n'est pas un « travailleur » au sens du droit de l'Union européenne.

2. Un regain d'intérêt pour le travail indépendant

Au cours du XX e siècle, les évolutions socio-économiques et notamment le déclin du secteur agricole ont conduit à une baisse continue de la part des travailleurs indépendants parmi les actifs.

Cette tendance s'est inversée depuis les années 2000, en raison d'un recours accru au travail indépendant dans l'industrie et, surtout, dans le secteur des services.

Cette évolution a plusieurs causes, dont une évolution du rapport au salariat mais également un recours accru à l'externalisation par un nombre croissant d'entreprises cherchant à réduire leurs coûts.

Source : Insee

Les travailleurs indépendants représentent toutefois une part toujours largement minoritaire de l'emploi en France (12 %), le salariat demeurant de loin la principale forme d'emploi.

Source : Insee

3. La question protéiforme de la dépendance économique

La question de la dépendance économique de travailleurs non-salariés n'est pas nouvelle. Elle ne correspond toutefois à aucune définition juridique.

L'Insee 10 ( * ) définit comme économiquement dépendants les travailleurs indépendants qui :

- soit disent avoir recours à un intermédiaire comme unique mode d'accès à leur clientèle ;

- soit ont une relation amont (coopérative, centrale d'achat...) ou un client principal représentant au moins 75 % de leur chiffre d'affaires et anticipent des difficultés importantes en cas de perte de cette relation ou de ce client.

Il ressort de l'enquête Emploi de 2017 que près d'un indépendant sur cinq, soit 2,3 % des 26,88 millions d'actifs occupés, se trouvait dans une telle situation de dépendance , dont la moitié vis-à-vis d'un client.

Indépendants ayant une relation dominante ou de dépendance, en 2017

Effectifs
(en milliers)

Part parmi les indépendants (en %)

Part parmi les personnes en emploi (en %)

Indépendants

3 103

100

11,5

Ayant une relation dominante 1

916

30

3,4

Dépendance à cette relation 2

619

20

2,3

Dépendance à un client

295

10

1,1

Dépendance à une relation amont

203

7

0,8

Dépendance à un intermédiaire

121

4

0,5

1 Client ou relation amont représentant au moins 75 % du revenu, ou intermédiaire parmi les principaux modes d'accès aux clients.

2 Client ou relation amont dominant dont la perte entraînerait des difficultés importantes pour poursuivre l'activité, ou intermédiaire comme unique mode d'accès aux clients.

Source : Insee

De telles relations de dépendance sont particulièrement fréquentes dans le secteur primaire, les agriculteurs étant relativement nombreux à dépendre d'une relation amont ou d'un client, alors que la dépendance à un intermédiaire est relativement fréquente dans les secteurs des transports, de l'information-communication ou des services immobiliers.

Source : Insee

La dépendance vis-à-vis d'un intermédiaire, dont les plateformes de mise en relation, concerne ainsi aujourd'hui 4 % des indépendants, soit 0,5 % des actifs occupés selon les critères retenus par l'Insee.


* 4 Art. L. 8221-6-1 du code du travail.

* 5 Art. L. 8221-6.

* 6 L'appréciation de ce critère varie en fonction de la nature de l'activité exercée et de la qualité du travailleur.

* 7 Cass. soc. 13 nov. 1996, 94-13.187 (« Société Générale ») : « le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ».

* 8 Cass. civ. 6 juill. 1931, DP 1931, 1, 131.

* 9 CJCE, 3 juillet 1986, Lawrie-Blum c/ Land Baden-Württemberg, n° 66/85.

* 10 Insee Première n° 1748, avril 2019.

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