EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 10 juin 2020, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, présidée par M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Jean-Marie Bockel et Mme Christine Prunaud.

Mme Christine Prunaud, rapporteure . - Nous le soulignons depuis des années, le service de santé des armées (SSA) a été l'éternel sacrifié des mesures successives d'économie appliquées au budget de la défense. Il a subi de plein fouet d'abord la révision générale des politiques publiques, puis les réductions de personnel dites « déflations » des précédentes lois de programmation militaires (LPM). La fermeture de l'hôpital du Val-de-Grâce, véritable traumatisme, a symbolisé toute l'ampleur du plan de réforme « SSA 2020 » mis en place pour s'adapter à l'attrition des moyens.

Avec moins de 15 000 personnes, et 1,4 milliard d'euros de budget, le SSA a perdu 1 600 postes en 5 ans. Il manque d'au moins 100 médecins et ne « tourne » aujourd'hui que grâce à ses 3 000 réservistes pour assurer ses missions auprès des 31 000 militaires en opérations sur les théâtres extérieurs.

Un véritable effet de ciseaux que nous avons déjà dénoncé s'est mis en place : la diminution des moyens a été concomitante à l'intensification des missions en OPEX d'une part, avec à partir de 2013 l'engagement au Sahel, et en OPINT d'autre part, avec à partir de 2015, la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre (FOT), conséquence des attentats sur le territoire national.

Ce sont les personnels déjà sur-engagés du SSA qui ont dû faire face, avec un taux de projection des équipes médicales de 106 % et de 200 % pour les équipes chirurgicales.

C'est dans ces conditions et alors qu'il ne représente que 1 % de l'offre de soins en France, que le SSA a mis ses compétences au service de la Nation sans se détourner de sa mission première : le soutien médical des forces armées.

Face à la pandémie, le SSA a donc fourni, à la mesure de ses moyens, une contribution significative à l'opération « Résilience », en mobilisant toutes ses composantes au service de la santé de nos concitoyens. Il a ainsi inventé et déployé en 7 jours un hôpital de réanimation de campagne à Mulhouse puis à Mayotte. Rappelons qu'à Mulhouse, le SSA a fourni l'équivalent de 600 jours d'hospitalisation ! Il a également mis en oeuvre un « service de réanimation volant » (Morphée) pour la première fois sur le territoire national prenant en charge non des patients blessés mais des malades hautement infectieux. Si l'on doit saluer la réactivité du SSA, son inventivité visait d'abord à pallier un manque cruel : en effet, l'« hôpital de campagne » dont le SSA devrait être pourvu, en application de la LPM, n'est toujours pas disponible faute de moyens budgétaires suffisants.

M. Jean-Marie Bockel, rapporteur . - Je vais pour ma part insister sur les moyens et le rôle du SSA.

Face à la tension extrême sur ses moyens, le SSA est aujourd'hui proche d'un point de rupture. Ses moyens et son rôle doivent être renforcés à l'occasion de l'actualisation de la LPM en 2021.

La LPM 2019-2025 a prévu l'arrêt de la déflation des effectifs du SSA, puis leur stabilisation jusqu'en 2023, et enfin leur remontée, modérée, au-delà. Cela paraît insuffisant. Si la revue stratégique a bien pointé le risque d'une crise pandémique, les chiches moyens accordés par la loi de programmation militaire au SSA montrent que les conséquences n'en ont pas réellement été tirées.

D'autres mesures doivent être envisagées pour permettre de fidéliser des personnels sur-engagés et attirer des personnels civils en attendant la formation des futurs médecins militaires dont le nombre doit être revu à l'aune des besoins. L'actualisation de la LPM l'année prochaine sera le moment de calibrer la rénovation du SSA.

Enfin, face à la crise sanitaire qui a frappé le porte-avions, le forçant à rentrer à Toulon, le rôle du SSA de conseil du commandement militaire, et l'organisation de la remontée d'information en son sein, doivent aussi sans doute être réexaminés.

Devant notre commission le 12 mai dernier, la secrétaire d'État auprès de la ministre des armées, Mme Geneviève Darrieussecq, a déclaré que « la transmission de l'information s'est avérée difficile (...) et nous devons l'améliorer. Nous avons aussi besoin de regards croisés pour prendre les décisions les plus adaptées. Les remontées d'informations ont été insuffisantes pendant quarante-huit heures, ce qui a favorisé la diffusion de l'épidémie. »

Le rôle de conseil du SSA doit donc être repensé à la faveur de cette expérience, afin qu'en des circonstances particulières, telles que celles que nous connaissons actuellement, son rôle de conseil puisse être renforcé, en veillant naturellement à l'articuler avec l'impératif d'autonomie et de responsabilité du principe de commandement. Sans remettre en cause cette responsabilité du commandement, en charge des opérations, des procédures complémentaires, permettant un « regard croisé » ou un « travail en plateau », évoqués par la ministre devant la commission, pourraient permettre d'éclairer davantage le commandement sur la conduite des opérations dans un cadre aussi exceptionnel que celui d'une pandémie mondiale.

Nous devrons être très attentifs aux propositions que l'Etat-major doit faire à la ministre en ce sens.

Après la présentation des rapporteurs, un débat s'est engagé.

M. Bruno Sido . - Je voudrais remercier nos deux rapporteurs pour leur rapport particulièrement intéressant sur lequel j'ai deux questions. Vous expliquez que la féminisation du corps médical pose certains défis, je voudrais savoir lesquels.

Ma deuxième question, qui demandera peut-être plus d'approfondissement, porte sur la crise du coronavirus sur le Charles-de-Gaulle. J'ai lu très attentivement les conclusions des deux rapports du Ministère des armées qui, de façon problématique, apportent peu d'éléments. On y emploie des expressions : « le commandement », qui n'ont pas cours dans les armées, surtout dans la Marine nationale, qui est très structurée. Il y a un commandant qui sait tout, qui signe tout. Cette affaire de covid-19 sur le Charles-de-Gaulle est une catastrophe opérationnelle et nous n'en connaissons pas les responsabilités. Je crois savoir qu'il y avait sept médecins à bord du Charles-de-Gaulle, pour un équipage de 7 000 membres jeunes et en bonne santé. C'est beaucoup plus encadré que dans nos milieux ruraux où nous avons un médecin pour 2 000 personnes vieillissantes. Dans ces médecins il y a des réservistes, c'est à dire des civils en uniforme qui connaissent parfaitement cette question de covid-19, si on peut penser que les médecins militaires avaient autre chose à penser. On ne me fera pas croire que le Service de Santé des Armés n'a pas prévenu le commandant qu'il y avait un problème, que le commandant n'a pas prévenu son supérieur direct qui était à bord, l'amiral, qui lui-même n'a pas prévenu le Chef d'Etat-major des Armées et le Chef d'Etat-major de la Marine puisque de toute façon, tout message qui part d'un bateau est envoyé en copie au Ministère des armées et au Chef d'Etat-major de la Marine. Par conséquent, je voudrais savoir quel est le rôle du SSA dans cette crise majeure sur le porte-avions.

M. Jean-Marie Bockel, rapporteur . - Je ne suis pas l'avocat de la Marine ni du commandement et d'ailleurs lors des auditions nos questions étaient assez directes sur ces sujets. Je voudrais néanmoins que nous ayons à l'esprit que les faits et réactions à ces faits se sont déroulés dans un contexte qui n'est pas celui d'aujourd'hui. La question n'est, à certains moments, pas d'avoir l'information, de voir arriver les documents, mais d'avoir la capacité, au vu des informations dont on dispose à un moment donné, de l'interpréter et d'en tirer des enseignements. Aujourd'hui, cela nous paraît évident, mais sur le moment cela ne l'a pas forcément été. Je reprends l'expression du ministère après l'enquête de commandement qui parle d'« erreur d'appréciation » mais pas de « faute ». On ne peut pas, de mon point de vue, considérer que le Ministère et le commandement ont fait preuve après coup de langue de bois. Ils ont essayé d'être honnêtes dans la compréhension de ce qu'il s'est passé. La chaîne de commandement a été, comme beaucoup d'autorités civiles et militaires dans un contexte donné, dans un entre-deux où la compréhension a été difficile. D'où d'ailleurs, nos propositions sur le rôle renforcé du SSA, non pour se substituer au commandement, mais pour être davantage dans la boucle, de manière que, en temps réel, il puisse y avoir les bonnes réactions au bon moment.

Pour ce qui est de la féminisation, c'est la question de la compatibilité des contraintes militaires avec les vies de famille, ou encore de la maternité, ce qui nous ramène en réalité à la question des effectifs. Ce sont des choses qui s'anticipent en termes d'effectifs globaux, permettant d'assumer cette dimension heureuse de la féminisation.

Mme Christine Prunaud, rapporteure . - Concernant la féminisation, il y a les arrêts liés à la maternité certes, mais le problème est en fait celui du manque de médecins. Pour y faire face, le SSA a recours à un nombre élevé de réservistes, comme nous l'avons rappelé. Pour les femmes comme pour les hommes, cela constitue des difficultés de travail du fait d'une pression constante, dont nous sommes peut-être moins conscients par rapport à celle que subit la médecine publique de nos hôpitaux. Le problème se situe également au niveau de la rémunération.

M. Jean-Marc Todeschini . - Je ne pouvais pas ne pas intervenir. Les choses sont claires. Nous avons assisté à une protection totale de la Ministre, qui s'est protégée dans toutes ses interventions. Il y a eu des modifications sous le gouvernement Hollande et il est très clair qu'en haut de la chaîne de commandement, c'est désormais la Ministre et personne d'autre. Ce n'est pas le chef d'état-major de la Marine, qui va peut-être payer les pots cassés. Je pense qu'il y a eu à ce niveau-là une communication et que celle-ci a fonctionné. Je pense qu'il y a des choses que nous ne savons pas et que nous saurons peut-être un jour. Il est vrai que de nombreux médecins étaient présents à bord. Je ne peux croire que le Chef d'Etat-major de la Marine ne soit pas informé immédiatement. Le Chef d'Etat-major particulier du Président de la République, je le rappelle, est un amiral et est l'ancien chef d'état-major de la Marine. Le directeur du cabinet militaire de la Ministre est un vice-amiral. De plus, le cabinet compte un conseiller santé. Comment est-ce possible que les informations ne leur soient pas remontées ? Je crois qu'il y a eu une faille. Le service de santé des armées a dû être avisé et faire son travail. Nous aurions dû immédiatement ramener le Charles de Gaulle à quai. Cela dit clairement pour l'avenir, que si nous ne réglons pas les problèmes de pandémie, si nous n'avons pas une reformulation totale de la sécurité à bord des navires, il ne servira à rien de faire un nouveau porte-avions. D'ailleurs le porte-avions sera peut-être inutile au moment où il faudra le changer puisque nous aurons peut-être un autre type de guerre.

M. Bernard Cazeau . - J'ai fait moi-même mon service dans la Marine et je connais bien la responsabilité des médecins dans la Marine. Il y avait sept médecins sur ce porte-avions, certainement de haut niveau. Je pense que la responsabilité leur incombait auprès du commandant de prendre des décisions plus rapides que celles qui l'ont été. La responsabilité n'a pas été peut-être suffisamment comprise sur quelque chose de tout à fait nouveau qu'a été le covid-19, par une équipe médicale qui n'a pas su faire preuve de la force du médecin dans un diagnostic, y compris sur un bateau.

Le rapport est adopté à l'unanimité.

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