N° 502

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 juin 2020

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le suivi de la cybermenace pendant la crise sanitaire ,

Par MM. Olivier CADIC et Rachel MAZUIR,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Bernard Cazeau, Olivier Cigolotti, Robert del Picchia, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, M. Olivier Cadic , secrétaires ; MM. Jean-Marie Bockel, Gilbert Bouchet, Michel Boutant, Alain Cazabonne, Pierre Charon, Mme Hélène Conway-Mouret, MM. Édouard Courtial, René Danesi, Gilbert-Luc Devinaz, Jean-Paul Émorine, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, MM. Jean-Louis Lagourgue, Robert Laufoaulu, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Rachel Mazuir, François Patriat, Gérard Poadja, Ladislas Poniatowski, Mmes Christine Prunaud, Isabelle Raimond-Pavero, MM. Stéphane Ravier, Hugues Saury, Bruno Sido, Rachid Temal, Raymond Vall, André Vallini, Yannick Vaugrenard, Jean-Pierre Vial, Richard Yung .

Rapport de suivi de la cybermenace pendant la crise sanitaire de MM. Olivier Cadic et Rachel Mazuir

Avertissement : Pendant le confinement lié à la crise sanitaire du coronavirus, les sénateurs rapporteurs de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ont poursuivi activement leur travail d'information et de contrôle du Gouvernement, via des entretiens en téléconférence, destinés à mesurer l'impact de la crise sanitaire sur les secteurs dont ils avaient la charge, et à proposer des mesures pour y faire face.

Publié d'abord sous forme de communication écrite le 16 avril 2020, ce rapport d'information a été adopté par la commission des affaires étrangères et de la défense, lors de sa réunion plénière du 10 juin 2020.

DÉSINFORMATION, CYBERATTAQUES ET CYBERMALVEILLANCE :
« L'AUTRE GUERRE DU COVID 19 »

(Situation au 16 avril 2020)

La crise sanitaire, course au « tout digital », a considérablement accru l'exposition au risque informatique. Elle s'accompagne d'un accroissement des « fausses nouvelles » (fake news) aux effets potentiellement délétères, accompagnant parfois les campagnes d'influence de certaines puissances étrangères. Elle met à l'épreuve les systèmes d'information des établissements de santé, cibles qui doivent être mieux protégées. Elle force à une utilisation massive et rapide du télétravail. Cette bascule en urgence vers le « tout digital » accentue le risque d'actes de cyber malveillance.

Les situations de crises sanitaires sont propices à la diffusion massive de fausses nouvelles qui peuvent être dangereuses pour la santé et perturber la mise en place des politiques publiques. La crise du Covid 19 montre de façon plus inquiétante le déploiement de stratégies d'influence ambigües, voire agressives de puissances étrangères comme la Chine, pouvant utiliser des informations inexactes ou tronquées afin de valoriser de son modèle social comme clef du succès de la lutte contre la pandémie et son caractère indispensable pour apporter les produits sanitaires nécessaires, critiquer ouvertement les mesures mises en oeuvre par les autres Etats et faire pression sur tous ceux qui dévoilent les objectifs de cette communication. Une guerre de la communication a été enclenchée, destinée à réécrire l'histoire et à dénigrer les démocraties pour préparer la reconfiguration du paysage géopolitique de l'après-crise.

Les systèmes d'information des acteurs de la santé doivent être mieux protégés : on y observe une concentration de cyber-attaques (18 en un an, d'après l'ANSSI), fruit d'un sous-investissement chronique en dépense de sécurité informatique.

La crise sanitaire a précipité 8 millions de Français vers le télétravail, contre 5,2 millions en télétravail partiel auparavant. Des compromis ont été faits avec la sécurité des réseaux. Les cyberattaquants ont tout de suite exploité l'inquiétude en multipliant les opérations d'hameçonnage 1 ( * ) . Les sites de vente en ligne proposant médicaments, masques, gels hydro-alcooliques et autres produits de santé 2 ( * ) ont proliféré, avec pour objectif, outre une escroquerie à la vente, de récupérer des numéros de cartes bancaires. Désormais les attaques par « rançongiciel » (déblocage contre rançon des systèmes d'information d'une entreprise) se développent.

La situation est particulièrement propice au développement de l'espionnage économique, même s'il reste à ce stade difficile à déceler.

Ce rapport formule 5 recommandations concrètes :

Mettre en oeuvre une force de réaction cyber afin de répondre aux fausses informations dans le domaine sanitaire et aux attaques contre les valeurs démocratiques et pour lutter contre les campagnes de désinformation ou d'influence de certains acteurs étrangers.

Investir dans la sécurité informatique des acteurs de la santé ;

Lancer sans tarder une campagne de communication à grande échelle pour promouvoir la plateforme « cybermalveillance .fr» et diffuser les « gestes barrière numériques » ;

Initier une communication régulière, au travers des médias, d'un top 10 des cyber-crimes constatés sur le territoire ;

Unifier la chaîne de recueil et de traitement des plaintes en ligne, aujourd'hui de la compétence des autorités de police et de gendarmerie locales ;

I. UN CONTEXTE PROPICE À LA MULTIPLICATION DES « FAUSSES INFORMATIONS » ET DES STRATÉGIES D'INFLUENCE

? Lutte contre les « Fake news » : une stratégie française qui repose avant tout sur le dialogue avec les grandes plateformes d'Internet

La crise sanitaire aussi a vu se multiplier la diffusion des fausses informations, dans le climat propice d'isolement et de grande anxiété. Ces fausses informations relèvent majoritairement de la bêtise ordinaire, mais peuvent avoir des conséquences graves, lorsqu'elles touchent à la santé publique 3 ( * ) , au complotisme, voire à la fraude. D'autres, enfin, procèdent d'intentions malveillantes visant à déstabiliser l'action publique ou à développer des stratégies d'influence . Il est donc important pour les autorités publiques de suivre cette situation et de combattre ses effets.

Les autorités publiques ont mis en place une stratégie différenciée de réponse et d'entrave. La situation est suivie au niveau interministériel. L'Ambassadeur du numérique , qui a pour mission de garantir la sécurité internationale du cyberespace, à travers la promotion de la stabilité et de la sécurité internationale dans le cyberespace et la régulation des contenus diffusés sur internet, est un des principaux acteurs.

Dans un système démocratique fondé sur la liberté d'expression et la liberté de la presse, la stratégie qui consiste d'abord à distinguer ce qui relève de la liberté d'opinion des fausses informations, diffusées plus ou moins intentionnellement. Il s'agit ensuite d'une action de responsabilisation des diffuseurs, pouvant déboucher sur un encadrement juridique.

S'agissant des fausses informations concernant la santé publique, le secrétaire d'État au numérique, comme d'ailleurs la Commission européenne, dialoguent avec les principales plateformes en les incitant à jouer les régulateurs dans un esprit civique, en enlevant systématiquement les messages dangereux et en mettant en avant les messages des sources référencées (institutions, organes de presse).

Sur certaines on voit s'afficher des bandeaux qui pointent vers une actualité Covid 19 référencée et vérifiée (voir ci-contre).

Dans le même esprit, les autorités publiques ont souhaité développer une politique de communication claire et transparente en distinguant, la communication institutionnelle 4 ( * ) et la communication politique 5 ( * ) et rendre accessibles toutes les données selon le principe de l'open data sans cacher les difficultés rencontrées à faire remonter certaines informations et améliorant progressivement le dispositif afin d'éviter un débat sur la réalité des informations diffusées, ce qui n'empêche pas un débat public intense sur les réponses apportées à la crise. Les autorités publiques devraient préparer de façon plus intense la déclinaison de l'expertise scientifique dans des contenus en ligne fiables et didactiques.

Le développement d'une règlementation appropriée (élections, lutte contre le harcèlement, lutte contre le terrorisme) a permis d'établir un dialogue avec les responsables opérationnels des grandes plateformes, mais en l'absence d'une véritable transparence sur les algorithmes qui permettent de pousser telle information vers tel utilisateur, ce qui permettrait d'avoir une régulation plus efficace, ce dialogue reste imparfait.

? Une action diplomatique cohérente et réactive nécessaire face aux stratégies d'influence parfois fondées sur la désinformation

Sur le plan international, nous assistons au développement d'une stratégie d'influence particulièrement active de la Chine, tendant à occulter ses erreurs dans la gestion initiale de l'épidémie 6 ( * ) , sous un « narratif » vantant l'efficacité du modèle chinois de surveillance généralisée et le bienfondé de son organisation sociale pour réduire l'épidémie. La Chine insiste également sur sa générosité par la mobilisation de ses capacités industrielles recouvrées au service des autres États, pour les aider à surmonter la crise, démontrant de façon de moins en moins implicite son caractère de « puissance indispensable ».

Cette stratégie se déploie ouvertement sur internet et les réseaux sociaux, avec l'utilisation de méthodes sophistiquées qui vont au-delà de la simple propagande allant jusqu'à la diffusion fréquente de fausses informations, tronquées ou manipulées 7 ( * ) . Dans un contexte où la critique de cette stratégie est parfois difficile, du fait de la dépendance de la plupart des États aux produits de santé fabriqués en Chine ; elle fait l'objet de ripostes plutôt agressives des autorités chinoises 8 ( * ) .

La Russie et les médias « patriotes » qui la soutiennent, sont moins actifs dans le contexte de la crise sanitaire. Ils n'en continuent pas moins d'utiliser toutes les opportunités pour susciter des sentiments de défiance à l'égard de l'Union européenne. En revanche, ils se montrent actifs en Afrique pour dénigrer la présence française et critiquer ses initiatives. Se diffusent également sur ce continent des rumeurs et fausses informations attribuant la responsabilité de l'épidémie ou ses conséquences aux Français et aux Occidentaux, plus généralement.

Tant que cette situation ne porte pas atteinte à la sécurité nationale, les autorités françaises réagissent par les canaux diplomatiques habituels et par des prises de positions publiques 9 ( * ) . Ainsi, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian a-t-il convoqué l'ambassadeur de Chine pour lui signifier sa "désapprobation" vis-à-vis de "certains propos récents" critiquant la réponse occidentale à la pandémie de nouveau coronavirus 10 ( * ) , publiés sur le site de l'ambassade ou sur son compte Twitter.

Elles soutiennent aussi les initiatives prises par certains médias et ONG pour identifier et dénoncer les fausses informations en mettant des outils à la disposition des chercheurs et des journalistes 11 ( * ) .

Il est clair qu'une guerre de la communication a été enclenchée, destinée à réécrire l'histoire et à dénigrer les démocraties pour préparer la reconfiguration du paysage géopolitique de l'après-crise. Dans cette bataille des opinions, les démocraties européennes ne doivent pas se montrer naïves . Elles doivent au contraire accroître la défense et la promotion de leurs valeurs en renforçant leur vigilance et en se dotant d'instruments efficaces.

Nous recommandons la mise en place une force de réaction cyber afin de répondre aux fausses informations dans le domaine sanitaire, aux attaques contre les valeurs démocratiques et pour lutter contre les campagnes de désinformation ou d'influence de certains acteurs étrangers.


* 1 Diffusion de messages contenant des liens ou des pièces jointes corrompues afin de recueillir des données personnelles ou s'introduire dans les systèmes d'exploitation des ordinateurs

* 2 Le 31 mars, l'OMS a mis en garde sur l'existence de sites web non enregistrés commercialisant des produits soi-disant efficaces contre la COVID-19 et susceptibles d'être falsifiés

* 3 par exemple une rumeur selon laquelle la consommation de cocaïne immuniserait contre le Covid 19 ou en Iran la consommation d'alcool avec de nombreux cas d'intoxication mortels au méthanol

* 4 Exemple point de presse quotidien et très factuel du directeur général de la santé, le Professeur Salomon.

* 5 Portée par le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de la santé et de solidarités.

* 6 Allant parfois jusqu'à contester le lieu d'apparition du virus ( https://twitter.com/AmbassadeChine/status/1242011628608118786 ) ou à occulter l'aide reçue de l'Europe

* 7 http://www.amb-chine.fr/fra/zfzj/t1768712.htm : « Or, dans le même temps, en Occident, on a vu des politiciens s'entredéchirer pour récupérer des voix ; préconiser l'immunisation de groupe, abandonnant ainsi leurs citoyens seuls face à l'hécatombe virale; s'entre dérober des fournitures médicales ; revendre à des structures privées les équipements achetés avec l'argent public pour s'enrichir personnellement ; on a fait signer aux pensionnaires des maisons de retraite des attestations de « Renonciation aux soins d'urgence »; les personnels soignants des EHPADs ont abandonné leurs postes du jour au lendemain, ont déserté collectivement, laissant mourir leurs pensionnaires de faim et de maladie... ».

* 8 N'hésitant pas à prendre à partie certains chercheurs ou parlementaires français et les médias qui relaient leurs opinions ou à faire pression sur des hauts fonctionnaires allemands pour qu'ils diffusent des positions favorables à la Chine AFP 14 avril 2020 14:28. « Les autorités taiwanaises, soutenues par plus de 80 parlementaires français dans une déclaration co-signée, ont même utilisé le mot « nègre » pour s'en prendre à lui (le directeur de l'OMS ndlr). Je ne comprends toujours pas ce qui a pu passer par la tête de tous ces élus français.» http://www.amb-chine.fr/fra/zfzj/t1768712.htm

* 9 Le 24 mars, le Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell s'est inquiété de la "bataille mondiale des narratifs" et "des luttes d'influence" en cours via la "distorsion" des faits et la "politique de générosité" chinoise. Le 29 mars, la secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, Amélie de Monchalin, a reproché à la Chine, mais aussi à la Russie, "d'instrumentaliser" leur aide internationale et de la "mettre en scène 30 Mars 2020, 16h00, AFP

* 10 https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/chine/evenements/article/communique-de-jean-yves-le-drian-14-04-20

* 11 ex : https://disinfo.quaidorsay.fr/fr , qui, en source ouverte, fournit des outils permettant l'identification des émetteurs, de voir s'ils sont soutenus par une usine de robots...

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