Rapport d'information n° 535 (2019-2020) de M. Alain CHATILLON et Mme Valérie LÉTARD , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 17 juin 2020

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N° 535

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 juin 2020

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le plan de relance de la commission des affaires économiques ,

Tome V : Industrie

« Pour une relance industrielle stratégique »

Par M. Alain CHATILLON, Mme Valérie LÉTARD et M. Martial BOURQUIN*

Sénateurs

* Le mandat de M. Martial BOURQUIN a pris fin le 15 juin 2020.

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas, présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool, vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard, secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Bernard Buis, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, Agnès Constant, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mme Annie Guillemot, MM. Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mmes Patricia Morhet-Richaud, Sylviane Noël, Guylène Pantel, MM. Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, Patricia Schillinger, M. Jean-Claude Tissot.

L'ESSENTIEL

La crise soudaine, mais durable, qui a frappé la France au mois de mars dernier est un rappel à l'ordre : la désindustrialisation progressive du territoire français a fragilisé non seulement son économie, mais aussi sa souveraineté. Le plan de relance de l'État devra donc, au-delà d'un simple choc de demande, traduire une véritable réflexion stratégique sur les capacités nationales et l'avenir des filières .

I. LA CRISE EXACERBE LES DÉFIS DE L'INDUSTRIE FRANÇAISE

- 24 %
d'activité industrielle au mois de mai 2020 par rapport au mois de mai 2019

L'arrêt soudain de la vie économique lié à la situation sanitaire et aux mesures de confinement s'est traduit en quelques jours par une baisse de moitié de l'activité industrielle française (- 52 % en mars selon l'INSEE). Bien que les entreprises aient désormais, dans leur ensemble, retrouvé un niveau d'activité de 80 % environ, l'avenir n'en est pas moins incertain.

- 11 % d'exportations industrielles au mois de mai 2020

D'abord, la chute vertigineuse de la production française a été bien plus marquée que celle de ses voisins européens, y compris l'Italie et l'Allemagne. Les industriels ont mené un effort important pour permettre une reprise rapide ; mais l'absence de commandes pèsera pour longtemps sur leur résultat, tandis que l'interruption des échanges fragilise leur position sur certains marchés (l'INSEE enregistre déjà - 11 % d'exportations industrielles au 1 er trimestre 2020).

Ensuite, la forte imbrication des chaînes de valeur et des écosystèmes industriels, ainsi que la dépendance des PME industrielles à un nombre réduit de grands donneurs d'ordre, peut provoquer des défaillances en cascade. L'organisation des filières peut s'en trouver durablement bouleversée.

142 milliards d'euros
d'encours de crédit par l'industrie française

30 %
des entreprises industrielles craignent pour
leur survie
à moyen terme

De plus, cette crise vient percuter de plein fouet un secteur industriel déjà confronté à de nombreux défis. Les entreprises industrielles françaises, en particulier les plus petites, restent caractérisées par une faiblesse en fonds propres qui limite leur croissance. Dans plusieurs secteurs, le niveau d'endettement n'a pas baissé depuis plusieurs années, tandis que les marges sont faibles. L'outil industriel français est aussi plus ancien que la moyenne des pays européens.

Les évolutions réglementaires et sociétales font cependant de la transition environnementale l'une des priorités de transformation de l'industrie, ce qui nécessite un effort de recherche et d'investissement considérable, soutenu sur plusieurs décennies. Les défis de l'industrie française se trouvent exacerbés par le creux de trésorerie, les perspectives d'activité réduite, et les prêts contractés lors des dernières semaines : l'INSEE prévoit ainsi une chute de près de 10 points de l'investissement des entreprises industrielles en 2020.

- 10 points
de dépenses d'investissement prévues en 2020

L'industrie française a pourtant plusieurs cartes à jouer. L'attractivité du pays pour les investisseurs s'est redressée, et le déficit de compétitivité du pays vis-à-vis des économies comparables se réduit. L'emploi industriel s'était stabilisé avec de nouvelles ouvertures de sites. Surtout, la France est une terre de recherche et d'innovation, prometteuses pour les entreprises industrielles.

19 ans
d'âge moyen de l'outil industriel français

Pour affronter les grands défis des années à venir, la France doit mettre sur pied, sans attendre, une relance d'ampleur exceptionnelle. En lien avec l'échelon européen et les collectivités territoriales, l'État doit prendre des mesures fortes pour soutenir aussi bien la demande que l'offre.

II. POUR UNE RELANCE INDUSTRIELLE STRATÉGIQUE

La relance que nous appelons de nos voeux doit donc aller plus loin que les précédentes : elle doit être empreinte d'une véritable réflexion stratégique.

Le rôle essentiel de certains secteurs durant la crise sanitaire a apporté la preuve, s'il en était besoin, que l'industrie est la fondation de l'économie et de la résilience de la Nation. C'est le cas bien sûr de la fabrication d'équipements médicaux, de principes actifs et d'équipements de protection sanitaire ; mais aussi de l'industrie agroalimentaire ou encore de la production de pièces détachées et de machines.

Au-delà d'une simple injection de financement et d'une seule relance par la consommation , susceptibles de bénéficier autant aux compétiteurs de pays tiers qu'à l'industrie française, les mesures prises par l'État devront encourager et faciliter la réimplantation d'industries stratégiques sur le sol national , prolongeant et renforçant les efforts entrepris au niveau européen pour mettre sur pied de nouvelles filières, comme celle des batteries automobiles.

Le maintien, voire le développement, d'une capacité nationale minimale de production de certains biens stratégiques ne peut être relégué au second plan d'une relance économique : il doit en être une part intégrante. Les incitations à relocalisation, objectif fréquemment évoqué depuis le mois de mars dernier, doivent s'appuyer sur deux piliers : la poursuite de l'effort d'égalisation des conditions concurrentielles de toutes les entreprises françaises - par le biais de la fiscalité bien sûr, mais aussi de la simplification réglementaire, de la politique de concurrence ou de la politique commerciale - et une politique volontariste visant à garantir la pérennité des activités industrielles les plus stratégiques .

RÉCAPITULATIF DES PROPOSITIONS
DE LA CELLULE « INDUSTRIE »

Les mesures du plan de relance proposé par la cellule de veille, de contrôle et d'anticipation « Industrie » traduisent ces orientations, qui s'articulent autour de cinq grands axes :

1. Soutenir l'investissement dans l'outil de production et dans l'innovation

1) Pérenniser le suramortissement pour la numérisation des PME et TPE industrielles

2) Instaurer un crédit d'impôt à la modernisation des PME et TPE en difficulté

3) Restaurer le niveau de la dotation des centres techniques industriels (CTI)

4) Renouveler l'ambition des pôles de compétitivité

2. Renforcer et protéger le capital des entreprises industrielles

5) Transformer une partie de la dette des entreprises en quasi-fonds propres

6) Intensifier temporairement le contrôle de l'investissement étranger en France

7) Renforcer les fonds d'investissement en fonds propres associant public et privé

3. Encourager la réindustrialisation et la relocalisation industrielle

8) Offrir aux territoires une « boîte à outils » pour encourager la relocalisation

9) Supprimer au plus vite la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S)

10) Promouvoir les projets importants d'intérêt européen commun (PIEEC)

11) Favoriser la commande publique de produits locaux et nationaux

4. Assurer une concurrence mondiale équitable

12) Promouvoir la réciprocité dans l'accès à la commande publique

13) Opérer rapidement une réforme de la politique européenne de la concurrence

14) Muscler la politique commerciale de l'Union européenne

15) Harmoniser et mieux faire respecter les règles du marché intérieur

5. Poursuivre la transition environnementale de l'industrie française

16) Inscrire dans le temps les soutiens à la mobilité propre

17) Instaurer un crédit d'impôt pour le verdissement des PME et TPE industrielles

18) Soutenir la mise en place rapide de la « taxe carbone » aux frontières de l'Union européenne

I. SOUTENIR L'INVESTISSEMENT DANS L'OUTIL DE PRODUCTION ET L'INNOVATION

1. Pérenniser le suramortissement pour la numérisation des PME et TPE industrielles

La numérisation et la robotisation sont des axes essentiels de modernisation de l'industrie française, incontournables pour qu'elle continue à améliorer sa compétitivité. Les usines françaises accusent un retard important en stock de robots industriels (32 000 environ en 2014 contre 176 000 en Allemagne la même année). Si de nombreux efforts ont été depuis déployés, notamment par les régions et dans le cadre du programme « Industrie du Futur », l'effort de soutien public à l'investissement dans la numérisation doit être inscrit dans la durée : en 2017, seules 11 % des TPE et PME françaises étaient équipées d'outils digitaux, ce qui les place au 17 e rang européen en la matière. L'âge moyen de l'outil industriel français est aujourd'hui de près de 19 ans.

Pourtant, des études estiment que près de 10 points de produit intérieur brut (PIB) pourraient être gagnés si la France doublait son investissement dans le numérique (étude Roland Berger, 2016) . Outre les gains directs de production et de compétitivité, un niveau d'investissement plus élevé dans la robotisation et la numérisation permettrait de soutenir la consolidation de la filière française des machines, de la mécanique et du numérique.

La cellule « Industrie » propose donc de pérenniser le dispositif de suramortissement pour la numérisation des PME et TPE industrielles françaises, qui leur permet de déduire de leur résultat imposable 40 % de l'investissement dans des robots, logiciels, ou encore imprimantes 3D. Il est actuellement prévu que le dispositif s'éteigne en décembre 2020. Les difficultés de trésorerie et l'endettement consécutifs à la crise économique liée à la pandémie de coronavirus ne permettront pas aux entreprises industrielles de s'engager dans des projets de modernisation si le dispositif n'est pas maintenu. Sa pérennisation, gage de visibilité et de lisibilité, représentera un stimulus important pour l'investissement industriel.

2. Instaurer un crédit d'impôt à la modernisation des PME et TPE en difficulté

En outre, le bénéfice du dispositif de suramortissement est limité aux entreprises faisant preuve d'un résultat positif. Au regard de la crise économique qui s'annonce, il est probable que de nombreux établissements industriels ne puissent pas en bénéficier si leur activité marque le pas en 2020.

La cellule « Industrie » préconise donc d'instaurer un crédit d'impôt à la modernisation des PME en difficulté, qui vise le même objectif que le dispositif de suramortissement existant. Exclusif de ce dernier, il permettrait de soutenir l'ensemble des entreprises dans leur démarche d'investissement dans la numérisation et de robotisation, quel qu'ait été l'effet de la crise économique liée à la pandémie de coronavirus sur leur performance.

En outre, l'instauration d'un tel crédit d'impôt pourrait permettre, dans un second temps, d'étendre le soutien à la modernisation à d'autres dépenses, telles que le conseil et la formation aux outils numériques et robotiques, qui n'entrent actuellement pas dans le champ du suramortissement. En 2016, 42 % des entreprises françaises relevaient en effet des difficultés à recruter ou former des travailleurs qualifiés en matière de compétences numériques.

3. Restaurer le niveau de la dotation des centres techniques industriels (CTI)

Les treize centres techniques industriels (CTI) des différentes filières sont un acteur indispensable de l'investissement collectif dans la R&D industrielle et de la diffusion du progrès technique et accompagnent près de 50 000 entreprises françaises dans 50 implantations territoriales. Auparavant financés par des taxes affectées et acquittées par les industriels eux-mêmes, ainsi que par dotation de l'État, les CTI ont vu leurs financements réduits d'année en année. En 2012, une partie des taxes qui leur sont affectées a été reversée au budget de l'État, tandis que les dotations budgétaires se sont réduites de près de 71 % entre 2012 et 2018.

Si le Parlement a obtenu le déplafonnement de plusieurs des taxes affectées aux CTI lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2020, la relance de l'investissement des entreprises industrielles doit passer par un fort regain de soutien public à la R&D.

La cellule « Industrie » propose donc de déplafonner toutes les taxes affectées aux centres techniques industriels (celle du centre technique de l'industrie des papiers, cartons et celluloses faisant toujours l'objet d'un écrêtement) et de revaloriser fortement la dotation budgétaire des CTI. Sans revenir sur le mécanisme de contractualisation mis en place l'année passée, qui peut permettre d'orienter l'effort de R&D vers la transition environnementale et la modernisation de l'industrie, un véritable choc d'investissement est nécessaire : les centres techniques industriels représentent une piste prometteuse - et collective - pour pallier la forte baisse attendue de l'investissement des PME et ETI industrielles.

4. Renouveler l'ambition des pôles de compétitivité

La diffusion de l'innovation et le développement d'écosystèmes compétitifs s'appuient aussi sur les 56 pôles de compétitivité français . Dans la crise sanitaire, ceux-ci ont démontré leur efficacité en mettant en oeuvre de nombreuses initiatives, par exemple dans le domaine de la fabrication d'équipements de santé. La récente création d'un pôle dédié aux plastiques et au caoutchouc démontre la prise en compte croissante des grands enjeux, en lien notamment avec l'économie circulaire ou l'industrie du futur.

En outre, les pôles de compétitivité peuvent représenter un véritable atout pour les relocalisations, offrants aux entreprises qui souhaitent réimplanter des activités en France un écosystème dynamique et innovant. Leur gouvernance et leur financement ont toutefois été bouleversés par le passage en phase IV, la régionalisation des financements et la réduction du nombre de pôles labellisés.

La cellule « Industrie » appelle donc à renouveler l'ambition des pôles de compétitivité, en prévoyant un financement supplémentaire, soit par le biais d'une dotation de l'État - sans remettre en cause le passage à un guichet unique, soit par le biais d'un abondement des crédits dédiés aux « projets structurants pour la compétitivité » du Programme d'investissements d'avenir (PIA). Ces financements supplémentaires devraient être orientés vers des projets de recherche collaborative dans des secteurs prioritaires, notamment ceux considérés comme stratégiques au niveau national et européen. Le dialogue entre l'État et les Régions doit continuer à être amélioré , ainsi que l'articulation entre les pôles de compétitivité et les filières industrielles placées sous l'égide du Conseil national de l'industrie (CNI).

II. RENFORCER ET PROTÉGER LE CAPITAL DES ENTREPRISES INDUSTRIELLES

5. Transformer une partie de la dette des entreprises en quasi-fonds propres

L'arrêt quasi-total de l'activité industrielle française dans les premiers jours de la crise sanitaire a fortement pesé sur la trésorerie des entreprises. Si un soutien public s'est rapidement organisé afin de leur permettre de contracter des prêts garantis par l'État pour faire face à leurs échéances les plus proches ; il n'en reste pas moins que l'endettement qui en résulte sera un poids durable au bilan des entreprises. L'industrie française, en particulier les PME, se caractérisait dès avant la crise par un taux d'endettement important, avec un encours de crédit total de près de 142 milliards d'euros. Dans le secteur sidérurgique par exemple, caractérisé par des coûts fixes très importants, près d'une entreprise sur quatre était endettée à plus de 50 % de ses actifs en 2018.

L'endettement additionnel provoqué par la crise économique liée au coronavirus - estimé à environ 66 milliards d'euros de prêts garantis par l'État sur l'ensemble des secteurs économiques, contractés à 81 % par des PME et des TPE - risque donc de compliquer durablement l'accès des petites entreprises industrielles aux marchés bancaires - certaines ayant déjà, on l'a vu, peiné à obtenir des prêts en dépit de la garantie publique - et surtout d'obérer leur capacité d'investissement . L'INSEE prévoit ainsi une chute de près de 10 points de l'investissement des entreprises industrielles en 2020.

Afin de rendre leur bilan plus lisible, et d'assurer leur solidité financière à long terme, la cellule « Industrie » propose de transformer une partie de la dette des PME et TPE, contractée en raison des pertes d'activité liées à la pandémie au cours des derniers mois, en quasi-fonds propres. Cette solution pourrait être mise en oeuvre soit à l'échelle de chaque entreprise ; soit par l'intermédiaire d'un fond public garanti par l'État qui reprendrait ces créances, voire les titriserait à long terme. Elle pourrait cibler en priorité les secteurs industriels stratégiques et prioritaires pour la relance, tels que l'automobile, l'aéronautique ou encore les équipements électriques et électroniques.

6. Intensifier temporairement le contrôle de l'investissement étranger en France

La crise économique liée à la pandémie de coronavirus, de même que la relance à venir, s'inscrivent dans un contexte de concurrence mondiale exacerbée entre les grandes puissances économiques , en particulier les États-Unis, la Chine et l'Union européenne. Le regain de fragilité de certaines entreprises industrielles, lié à un nouvel encours de crédit, à une moindre performance commerciale ou encore à un trop faible niveau de fonds propres les exposera à un risque accru de prédation par des acquéreurs opportunistes.

Si l'investissement étranger peut contribuer au développement des PME et ETI françaises, en consolidant leurs fonds propres et en leur offrant de nouveaux marchés, il peut aussi avoir pour objet le transfert de savoir-faire ou de technologies vers des compétiteurs et des pays tiers. La France compte de nombreuses entreprises industrielles innovantes, positionnées sur des segments de marchés stratégiques ou essentiels à la souveraineté économique. Par exemple, les équipementiers automobiles ou aéronautiques comptent parmi les plus performants au monde et approvisionnent toute une filière, engageant souvent d'énormes montants dans la R&D. L'industrie de défense française repose aussi sur un petit nombre de producteurs de pièces stratégiques, dont il importe de conserver la fabrication sur le sol national.

Au vu de la situation exceptionnelle, et de la fragilité accrue d'un certain nombre de ces entreprises, la cellule « Industrie » recommande d'intensifier temporairement le contrôle de l'investissement étranger dans les entreprises françaises. Elle propose un abaissement du seuil de prise de participation dans une société déclenchant le contrôle du ministre de l'économie, en le portant à 10 % contre 25 % actuellement. Cette mesure temporaire permettra d'affiner le maillage du dispositif d'autorisation préalable, en faisant entrer dans son champ des opérations d'acquisition de participations même à faible hauteur.

7. Renforcer les fonds d'investissement en fonds propres associant public et privé

Les petites et moyennes entreprises industrielles françaises se démarquent par la faiblesse de leurs fonds propres. Pourtant, l'accroissement des fonds propres représente un moyen de financement au même titre que la dette. Cette faiblesse est souvent citée comme l'une des raisons pour lesquelles les PME françaises peinent à se développer, à se transformer en ETI et à conquérir de nouveaux marchés.

Si Bpifrance intervient de longue date auprès des industriels afin d'apporter des fonds propres aux entreprises en développement, la fragilité accrue des entreprises en raison de la crise économique liée à la pandémie de coronavirus appelle à augmenter la « force de frappe » du soutien public en fonds propres, aux côtés des grands industriels français.

La cellule « Industrie » appelle donc à développer davantage et dans tous les secteurs industriels verticaux les fonds d'investissement en fonds propres associant acteurs publics et privés.

Ceux-ci ont déjà démontré leur efficacité, comme « Aerofund » dans l'aéronautique ou le Fonds Avenir Automobile (FAA). Dotés à la fois par les grands constructeurs, comme Airbus ou PSA, par les principaux équipementiers, mais aussi par la Caisse des dépôts et Bpifrance, ils ont pour but d'investir dans les fournisseurs de rangs 1 et 2, dans un esprit de renforcement de la filière dans son ensemble. L'annonce du Président Emmanuel Macron d'un fonds d'investissement public-privé de 600 millions d'euros dans la filière automobile s'inscrit dans cette logique, de même que l'étude d'un « Aerofund 4 » de près de 500 millions d'euros. Il faut reproduire ce modèle d'investissement partenarial en fonds propres et le diffuser à d'autres secteurs industriels, par exemple dans le secteur de l'électronique ou l'approvisionnement en pièces détachées qui sont d'importance stratégique.

Plusieurs fonds d'investissement existent déjà à l'échelle régionale, comme l'Institut régional de développement industriel de Midi-Pyrénées (IRDI), partenaire de Bpifrance. Ceux-ci pourraient être abondés par l'État ou Bpifrance afin d'augmenter leurs capacités dans le contexte de la relance .

III. ENCOURAGER LA RÉINDUSTRIALISATION ET LA RELOCALISATION INDUSTRIELLE

8. Offrir aux territoires une « boîte à outils » pour encourager la relocalisation

La crise sanitaire, puis économique, liée à la pandémie de coronavirus a mis en évidence l'impératif de réindustrialisation de certains segments stratégiques, voire de relocalisation des activités déplacées sur un autre site de production. La France n'est pas le seul pays à réfléchir à la relocalisation : le Japon, par exemple, a annoncé en avril dernier dédier près de 2 milliards d'euros , dans le cadre du plan de relance, aux entreprises japonaises souhaitant rapatrier leurs productions depuis la Chine vers le territoire national. Les règles européennes relatives aux aides d'État ne permettent cependant pas le recours massif à des subventions, dont l'efficacité reste en outre discutée.

D'autres outils de relocalisation existent toutefois. D'abord, l'amélioration de la compétitivité de l'industrie française sera bien entendu le principal axe d'attractivité du territoire industriel français. Les réformes visant à égaliser le « level-playing field » entre les entreprises françaises et leurs concurrentes restent donc une priorité.

Ensuite, dans le cadre d'une politique volontariste de soutien à la relocalisation, la cellule « Industrie » propose par ailleurs la mise en place d'une « boîte à outils » dédiée, à la main des préfets et des collectivités territoriales. Au plus proche des réalités du terrain, les élus et les représentants de l'État pourraient par exemple être autorisés à consentir des dérogations limitées au droit de l'urbanisme, aux délais applicables, à intégrer ces projets aux pôles de compétitivité existants, ou encore à mobiliser certains leviers d'incitation fiscale, tels qu'une modulation temporaire des impôts ou une bonification du crédit d'impôt recherche conditionnée au maintien de l'activité sur le territoire.

Ces initiatives locales, sur la base du volontariat et en « mode projet », s'articuleraient très bien avec le programme « Territoires d'Industrie » lancé en 2018 , visant à accompagner les projets des entreprises industrielles à l'échelle intercommunale. Alors que certaines initiatives de « Territoires d'Industrie » ont été mises en pause durant la période de crise, il importe de les relancer au plus vite. Le dialogue entre l'État et les collectivités doit être une priorité pour que la relance pénètre au plus vite dans les territoires.

9. Supprimer au plus vite la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S)

Parmi les pistes d'égalisation des conditions de concurrence entre les entreprises françaises et leurs concurrentes - européennes ou internationales - figure la réforme de la fiscalité de production. En Europe, seule la Grèce prélève davantage, les impôts sur la production français représentant 3,6 % de la valeur ajoutée des entreprises contre 0,5 à 1,5 % en Allemagne ou aux Pays-Bas (Conseil d'analyse économique, 2019).

Le Gouvernement entend faire peser le coût de cette réforme sur les collectivités territoriales en ciblant la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et la cotisation foncière des entreprises (CFE). Priver les collectivités territoriales de ces ressources, utilisées pour l'aménagement économique du territoire, les infrastructures, et le développement régional serait contre-productif.

En revanche, la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), assise sur le chiffre d'affaires, ne compte aucun équivalent en Europe. Perçue par l'État, elle représentait en 2019 près de 3,8 milliards d'euros de prélèvement sur les entreprises, pesant en majorité sur les entreprises de l'industrie manufacturière (à hauteur de 25 %) Alors que le Gouvernement s'était engagé à de nombreuses reprises à la supprimer, cette suppression n'est pas intervenue.

Facteur majeur de compétitivité, la suppression rapide de la C3S est considérée par la cellule « Industrie » comme une priorité. Elle permettra aux entreprises industrielles d'investir près d'un milliard d'euros supplémentaire dans la modernisation et la décarbonation de leur outil industriel ou dans l'innovation.

10. Promouvoir les projets importants d'intérêt européen commun (PIEEC)

Si dans certains cas, un effort important de compétitivité peut suffire à déclencher la relocalisation d'activités industrielles en France, il est d'autres cas où le développement d'une filière ne peut passer que par une politique industrielle volontariste, notamment lorsque les coûts fixes nécessaires au « rattrapage » des concurrents sont trop importants pour être supportés par une entreprise seule (création d'infrastructures, investissement de R&D, émergence d'un écosystème...). D'autre part, lorsqu'une filière équivalente existe déjà et est bien plus compétitive ailleurs dans le monde, les clients préfèrent se tourner vers l'importation à plus bas coût.

La puissance publique et toutes les parties prenantes industrielles intéressées doivent alors s'associer pour faire naître une telle filière, qui bénéficiera ainsi de la massification de la demande et de la mise en commun des investissements. Au vu des montants et des volumes en jeu, une telle stratégie doit être menée au niveau européen. Pourtant, le droit européen a longtemps limité les subventions publiques à l'industrie et les initiatives sectorielles.

La cellule recommande donc de poursuivre l'effort sans précédent mené au niveau européen dans le cadre des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) , récemment autorisés par la législation européenne. Dans les secteurs stratégiques identifiés, comme les nanotechnologies ou les batteries électriques, ils permettront de faire émerger des filières européennes compétitives. Le projet European Battery Alliance (EBA) bénéficiera par exemple de près de 8,2 milliards d'euros de financement européens, nationaux, et privés, afin de concurrencer les batteries automobiles asiatiques. La cellule recommande donc de répliquer rapidement ce modèle pour d'autres technologies stratégiques telles que l'hydrogène - à laquelle le plan de relance allemand a dédié 7 milliards d'euros - ou les procédés industriels bas-carbone. La France, elle, doit s'investir dans ces PIIEC pour défendre l'implantation sur son territoire des usines prévues dans leur cadre.

11. Favoriser la commande publique de produits locaux et nationaux

L'investissement public représente un levier fondamental de relance par la demande. Touchant aux secteurs de la construction, de l'équipement, de l'aménagement, il mobilise de nombreuses filières industrielles françaises. Outre un choc d'investissement par l'État et un soutien à la capacité d'investissement des collectivités territoriales frappées par la baisse des rentrées fiscales, la relance doit se saisir des opportunités offertes par la commande publique. Davantage d'achats publics en France, c'est davantage de marchés pour les entreprises françaises et de nouvelles opportunités de croissance.

Un recours plus stratégique à la commande publique est d'autant plus nécessaire que les grands blocs économiques concurrents de l'Union européenne, en particulier la Chine et les États-Unis, savent jouer de la préférence nationale pour favoriser leurs industriels. Le droit européen encadre fortement les clauses pouvant être insérées dans les appels d'offre passés par les personnes publiques, interdisant la discrimination par des critères de nationalité ou géographiques. À l'inverse, les grands constructeurs américains, notamment dans le secteur aéronautique, n'hésitent pas à écarter des entreprises européennes au profit de leurs fournisseurs locaux.

En l'attente d'un éventuel desserrement du cadre européen, les autorités publiques doivent exploiter toutes les marges de manoeuvre offertes par le droit existant . En particulier, les normes de qualité et de sécurité représentent un levier puissant, qui permet d'exiger des standards minimums établis au niveau européen. En outre, la loi dite « Économie circulaire » a récemment permis d'intégrer des critères environnementaux aux cahiers des charges. L'avantage comparatif de l'industrie européenne, et particulièrement française, en matière de décarbonation peut leur permettre d'emporter ces marchés face à leurs concurrents chinois ou américains. Enfin, la commande publique dans le secteur de la défense est un fort levier de soutien à la demande , un grand nombre d'entreprises actives dans le secteur de l'aéronautique, de la construction navale ou de l'électronique conduisant des activités duales, source de diversification.

La cellule « Industrie » propose donc de réaliser un effort de sensibilisation pour encourager la commande publique locale et nationale grâce aux possibilités existantes, tout en continuant à défendre auprès de l'Union européenne une évolution du cadre européen aujourd'hui trop restrictif. Les collectivités territoriales, qui portent près de 70 % de l'investissement public, seront à la tête de cet effort de soutien à l'industrie française.

IV. ASSURER UNE CONCURRENCE MONDIALE ÉQUITABLE

12. Promouvoir la réciprocité dans l'accès à la commande publique

La crise économique mondiale liée à la pandémie de coronavirus exacerbe la concurrence entre États et entre grands blocs économiques , déjà au point haut après plusieurs années de tensions commerciales et de remise en cause du multilatéralisme. Pour que la France et l'Europe disposent des mêmes armes que leurs concurrents dans la bataille mondiale, l'égal accès aux marchés doit être défendu avec encore davantage de vigueur par la politique commerciale européenne.

En particulier, la réciprocité dans l'accès à la commande publique doit être effective . Tandis que les entreprises chinoises, en particulier, accroissent d'années en années leurs parts dans les marchés publics européens, mais aussi sur les marchés traditionnellement occupés par les industriels français, l'immense marché chinois reste verrouillé aux entreprises étrangères et affiche une préférence nationale affirmée. Dans le monde, seul un quart des marchés publics seraient ouverts , la grande majorité des opportunités étant donc fermées aux entreprises industrielles de l'Union européenne, pour un préjudice estimé par la Commission européenne à près de 12 milliards d'euros .

Pour que tous les pays jouent à armes égales dans la relance, l'Europe doit réaffirmer l'impératif de réciprocité qui s'impose à ses échanges commerciaux, mais aussi à l'accès à la commande publique . La cellule « Industrie » propose donc que l'Union européenne porte une voix plus forte auprès de ses partenaires afin que la réciprocité ne soit pas négociable. La France dispose d'acteurs d'envergure internationale dans les domaines de l'énergie, du ferroviaire ou de la construction à même de saisir ces opportunités.

13. Opérer rapidement une réforme de la politique européenne de la concurrence

La politique européenne de la concurrence figure parmi les plus strictes au monde. Touchant aussi bien à l'encadrement des aides d'État que le contrôle des concentrations ou des positions dominantes, elle contraint le cadre dans lequel les entreprises industrielles de l'Union européenne opèrent et se développent : c'est un déterminant clé de leur compétitivité.

Le récent échec de la fusion entre Alstom et Siemens, qui auraient pourtant pu constituer un champion européen à même de rivaliser avec les géants chinois et américain ; l'échec de la régulation du secteur digital là aussi dominé par des géants étrangers ; ou encore l'impossibilité à faire respecter l'interdiction de subventions d'entreprises tierces sur le marché intérieur doivent être vus comme des rappels à l'ordre. D'ailleurs, dès les premiers jours de la crise, l'Union européenne n'a pas eu d'autres solutions que de revoir de manière conséquente ses règles relatives aux aides d'État, qui n'auraient pas permis de mettre en place les mesures d'urgence économique depuis adoptées.

Pour que la relance de l'économie française et européenne puisse compter sur des investissements publics stratégiques, pour que des leaders européens puissent émerger sur la scène mondiale, et pour restaurer des conditions de concurrence égales, la politique de concurrence européenne doit évoluer. Cela passera par des évolutions de la pratique, comme un meilleur dialogue au sein de la Commission européenne entre politiques industrielle, commerciale et de la concurrence ; mais aussi par des nouveaux outils législatifs comme un mécanisme de sauvegarde en cas de pratiques anti-concurrentielles. La réforme qui doit être présentée dans quelques jours par la commissaire Margrethe Vestager doit moderniser ce pilier du droit européen pour l'adapter aux nouveaux défis économiques .

14. Muscler la politique commerciale de l'Union européenne

La compétitivité des entreprises françaises dans la phase de relance de l'économie qui s'annonce passera aussi par un renforcement de la politique commerciale afin de faire respecter par tous les règles du marché intérieur.

La cellule « Industrie » propose d'abord de réduire les délais d'examen par la Commission européenne des plaintes à l'encontre de produits importés subventionnés ou de produits faisant l'objet de dumping . Les importations provenant de pays usant de pratiques commerciales déloyales, comme l'acier, qui fait déjà l'objet de nombreux cas, doivent être sanctionnées plus efficacement par l'Union européenne afin de rétablir une concurrence juste pour les producteurs européens. À la fin de l'année 2019, seules 140 mesures antisubventions et antidumping étaient en vigueur dans l'Union. L'évaluation a priori et le suivi des accords commerciaux négociés et signés par l'Union doivent aussi être améliorés. La ratification du CETA qui n'a pas encore abouti dans plusieurs pays de l'Union, ainsi que les réticences relatives au traité de libre-échange avec le Mercosur, sont la preuve du manque d'évaluation préalable de ces accords.

15. Harmoniser et mieux faire respecter les règles du marché intérieur

La cellule « Industrie » propose aussi de compléter cette politique commerciale plus réactive par un meilleur contrôle du respect des normes du marché intérieur. À l'échelle européenne, mais aussi en France, des moyens plus importants doivent être dédiés au contrôle des produits importés par la DGDDI et la DGCCRF, notamment en matière de normes sanitaires et de normes de qualité. La proportion de produits industriels contrôlés pourrait être temporairement accrue pour offrir une plus grande protection durant la crise économique : les exigences réglementaires françaises et européennes doivent s'appliquer également à tous les producteurs , a fortiori au vu du renforcement des normes applicables, par exemple en matière environnementale.

L'effort d'harmonisation des règles applicables au sein du marché intérieur doit également être poursuivi. La France se caractérise toujours par un niveau de surtransposition des règles européennes parmi les plus importants de l'Union. L'égalisation de l'environnement réglementaire, et la poursuite de la simplification des normes est l'un des principaux chantiers de compétitivité des entreprises industrielles .

V. POURSUIVRE LA TRANSITION ENVIRONNEMENTALE DE L'INDUSTRIE FRANÇAISE

16. Inscrire dans le temps les soutiens à la mobilité propre

Au-delà d'un simple soutien temporaire à la demande de véhicules ou d'appareils aéronautiques, tels qu'annoncés par le Gouvernement dans le cadre des plans de relance déjà esquissés, c'est surtout la transformation à moyen terme de l'industrie française vers une production décarbonée qui doit être visée par l'effort d'investissement.

La mobilité propre apparaît comme l'un des piliers de cette transition : aussi bien le secteur automobile que la construction navale, ferroviaire ou aéronautique sont déjà engagés dans cette voie. Les véhicules électriques feront l'objet d'investissements supplémentaires dans le cadre du projet européen de batteries et du développement d'une filière française. Les propulsions alternatives à l'hydrogène offrent des perspectives très intéressantes pour les avions et les trains : les entreprises françaises Alstom ou Chantiers de l'Atlantique font figure de leaders européens. Environ 30 000 emplois supplémentaires pourraient être créés en 10 ans.

La cellule « Industrie » propose donc de cibler l'investissement des prochaines années sur la mobilité propre, au-delà du seul secteur automobile. L'effort de R&D doit être soutenu dans le cadre de partenariats publics privés et d'incitations fiscales, la mise en place d'une infrastructure dédiée - telles que les bornes de recharge - encore facilitée. En outre, un secteur français dynamique de la mobilité propre soutiendra, par ricochet, de nombreuses autres filières , par exemple la construction d'équipements de production d'énergies décarbonées.

17. Instaurer un crédit d'impôt pour le verdissement des PME et TPE industrielles

Le verdissement de l'industrie française passera d'une part par la modernisation de l'outil industriel, allant vers des procédés plus propres, mais aussi par la conception de nouveaux produits.

Les obligations récemment prévues par la loi dite « Économie circulaire » - incorporation de matière recyclée, réparabilité, écoconception - vont dans le bon sens. Elles placent toutefois de nombreuses entreprises face à une refonte d'ampleur de leur activité. Les plus petites entreprises industrielles ne disposent pas nécessairement des compétences internes et de la vision stratégique indispensables pour mettre en oeuvre un plan de transformation. Les efforts tels que le programme « Prorefei » de l'Ademe, qui forme des « référents énergie » au sein des entreprises, vont dans le bon sens, mais ne disposent pas d'une force de frappe suffisante. Pour les entreprises qui n'en bénéficient pas, le coût des études de transformation verte peut représenter jusqu'à 15 % de l'investissement total.

La cellule « Industrie » propose donc de faire de l'accompagnement des entreprises un pilier de la transformation de l'industrie, en mettant en place un crédit d'impôt pour l'accompagnement de la transition environnementale des PME industrielles qui permettra de déduire des montants imposables 40 % du coût des prestations d'audit, de conseil ou d'ingénierie visant à verdir les procédés ou produits industriels. Sont notamment visées les démarches permettant d'améliorer l'écoconception des produits, l'efficacité énergétique, la gestion des déchets ou l'économie des ressources. Plafonné, ce crédit d'impôt réservé aux PME serait limité aux prestations d'organismes agréés par l'État, qui pourraient inclure entre autres l'Ademe, Bpifrance ou les réseaux consulaires.

18. Soutenir la mise en place rapide de la « taxe carbone » aux frontières de l'Union européenne

L'Europe est à la tête de l'effort mondial de décarbonation de l'industrie. Cette ambition se traduit par une réglementation environnementale stricte, mais aussi par les diverses mesures de fiscalité du carbone. En particulier, le marché européen des émissions carbone, le marché ETS, est pour l'instant sans équivalent en ce qu'il prévoit un « prix » des émissions de carbone, acquitté par les entreprises productrices. Équilibré au niveau européen, ce dispositif de marché du carbone est néanmoins source de déséquilibres à l'échelle mondiale. Le renchérissement des produits européens qui en résulte détériore la compétitivité des producteurs du marché intérieur vis-à-vis de leurs compétiteurs moins regardants.

Sous peine de pénaliser les producteurs les plus vertueux en matière environnementale et d'obérer l'investissement dans des technologies et procédés plus propres encore, une concurrence plus juste doit être restaurée aux frontières de l'Europe. La cellule « Industrie » demande donc la mise en place rapide, à l'entrée au marché intérieur, d'une « taxe carbone » sur les produits importés. En fonction des émissions générées lors de la production du bien, un droit de douane correspondant au prix du carbone devrait être acquitté. Ce « malus » écologique aux frontières rééquilibrera les échanges de l'Europe et protégera son industrie contre les « délocalisations antiécologiques ». En outre, il dégagera de nouvelles sources de financement pour le « Green Deal » européen. Ce mécanisme, qui vient d'être mis à l'étude au niveau européen, doit figurer parmi les priorités de la nouvelle Commission européenne.

TRAVAUX EN COMMISSION

Réunie le mercredi 10 juin 2020, la commission des affaires économiques a adopté le plan de relance de la cellule de veille, de contrôle et d'anticipation du secteur « Industrie ».

Mme Sophie Primas , présidente . - Nous commençons cette réunion par la présentation du plan de relance élaboré par la cellule de veille, de contrôle et d'anticipation « Industrie », co-pilotée par nos trois collègues Alain Chatillon, Valérie Létard et Martial Bourquin.

M. Alain Chatillon . - La crise soudaine qui a frappé la France en mars dernier, telle que nous n'en avions pas connu depuis de nombreuses années, a touché particulièrement durement le secteur industriel. Les entreprises ont malgré tout dû continuer à assurer les activités les plus essentielles pour notre pays, comme la fourniture d'énergie et d'équipements médicaux. Afin d'assurer la continuité de notre activité industrielle, nous devons désormais faire des propositions constructives de relance.

C'est là à mon sens une priorité de politique publique, d'abord, parce que la crise du coronavirus a montré que nous ne pouvons pas nous résoudre à dépendre d'un approvisionnement unique ou d'importations lointaines. D'autre part, car la fragilité des entreprises, à la fois en trésorerie et en capital, peut encore détériorer leur compétitivité. Enfin, il faut être conscient que cette crise intervient dans un moment déjà difficile pour l'industrie française.

Ce n'est donc pas une simple relance ou un simple « retour à la normale » que nous appelons de nos voeux, mais bien une relance stratégique, tournée vers le futur. Avec ces objectifs, et au regard des spécificités françaises, la cellule Industrie que nous co-pilotons a formulé dix-huit propositions concrètes pour une relance industrielle stratégique que nous allons vous présenter, rassemblées en cinq axes forts.

Je vous présenterai d'abord le premier axe, qui vise à soutenir l'investissement dans l'outil de production et dans l'innovation.

Nos deux premières propositions visent à accélérer la modernisation des usines françaises, dont l'âge moyen est de 19 ans, et qui accusent un important retard sur leurs voisins. Notre productivité en pâtit : il faut investir davantage dans la numérisation. Nous proposons donc de pérenniser le dispositif de suramortissement pour la numérisation des PME et TPE industrielles françaises. Pour celles d'entre elles qui ne pourraient pas en bénéficier car elles ne réaliseraient pas de résultat sur l'année, nous souhaitons créer un crédit d'impôt à finalité équivalente. Il s'agit de fournir aux entreprises des moyens de financement dont elles ne disposent pas aujourd'hui.

Notre troisième mesure propose de renforcer les moyens des centres techniques industriels (CTI), qui doivent bénéficier d'un meilleur accompagnement car ils réalisent des actions collectives de recherche et de développement dans des sujets qui profitent à l'ensemble de la filière. La dotation versée par l'État a été réduite de 71 % entre 2012 et 2018. Nous proposons donc de revaloriser fortement la dotation budgétaire des CTI dans la prochaine loi de finances, et de déplafonner toutes les taxes qui leurs sont actuellement affectées.

Enfin, nous souhaitons renouveler l'ambition des pôles de compétitivité, qui font figure de grands oubliés de la politique industrielle de ce Gouvernement. En Occitanie, par exemple, nous comptons trois pôles de compétitivité d'ampleur extrême importante dans les secteurs de l'aéronautique, de la santé et de l'agroalimentaire. Outre leur action en matière d'innovation et de recherche collaboration, ils peuvent être un véritable moteur pour les relocalisations que nous appelons de nos voeux. Il faut donc que l'État amplifie son soutien aux pôles de compétitivité.

Mme Valérie Létard . - J'en profite pour saluer le travail accompli avec notre collègue Martial Bourquin dont c'est aujourd'hui la dernière réunion en commission des affaires économiques. Je lui souhaite tout le meilleur pour la suite.

Notre second axe vise à renforcer et protéger le capital des entreprises industrielles. Le capital est le déterminant de la gouvernance d'une entreprise, mais aussi de leur capacité de développement ; or, l'industrie française a, en moyenne, moins de fonds propres que ses concurrentes européennes. En outre, nos « pépites » sont prisées des investisseurs étrangers : avant la crise, nous étions la première destination en Europe pour l'investissement. Notre objectif est donc double : permettre aux entreprises industrielles de se développer grâce à un capital renforcé, mais aussi les protéger d'acquisitions « prédatrices ».

Notre première proposition vise à transformer une partie de la dette contractée par les entreprises ces dernières semaines, pour les convertir en quasi-fonds propres ou en dette à long terme. Alors que leur trésorerie a été mise à rude épreuve, elles ont eu recours au prêt garanti par l'État ou à des crédits bancaires. Mais ce nouvel endettement sera un poids durable au bilan des entreprises, surtout pour les PME industrielles déjà fortement endettées. Il empêchera d'investir et compliquera l'accès aux marchés bancaires. Nous proposons donc de convertir une partie de cet « endettement Covid » en quasi-fonds propres ou en dette à long terme. Cela pourrait se faire soit à l'échelle de l'entreprise, soit via un fonds en partie public qui reprendrait ou titriserait ces créances.

Deuxièmement, nous souhaitons intensifier temporairement le contrôle de l'investissement étranger. Nos entreprises sont actuellement vulnérables. Il faut à tout prix éviter que leurs concurrents profitent de cette faiblesse pour faire main basse sur nos atouts industriels, comme cela avait été le cas lors de la crise financière de 2008. Nous proposons donc, temporairement, d'abaisser le seuil qui soumet les opérations d'investissement à contrôle préalable, le portant à 10 % contre 25 % aujourd'hui. Le maillage de ce contrôle en sera renforcé et contribuera à éviter les transferts de savoir-faire et de technologie.

Enfin, il nous apparaît nécessaire de renforcer les fonds d'investissements français en fonds propres qui associent acteurs publics et acteurs privés. De tels fonds existent de longue date, notamment à l'échelle régionale ou auprès de Bpifrance dans le secteur automobile ou aéronautique. Lorsque des acteurs nationaux se mobilisent sur le long terme pour renforcer le capital d'entreprises industrielles prometteuses, on voit que leur performance en est améliorée, qu'elles se développent et qu'elles embauchent. Le partenariat public/privé permet une plus grande force de frappe, et contribue à développer la solidarité de filière. Nous voulons donc renforcer les initiatives telles que le Fonds avenir automobile et un « Aerofund IV », et nous nous félicitons que le Gouvernement soit allé dans ce sens lors des dernières annonces relatives au secteur aéronautique et automobile.

Notre troisième axe a pour objet de poursuivre la réindustrialisation et d'encourager la relocalisation industrielle. Nous avons déjà débattu en commission de ce sujet : il ne sera probablement pas possible ni souhaitable de « tout » relocaliser. Mais il faut remettre l'accent sur l'amélioration de notre compétitivité, l'égalisation des conditions concurrentielles, et faciliter les choses pour les industriels qui souhaiteraient se réimplanter sur notre territoire.

D'abord, nous proposons d'offrir aux territoires une « boîte à outils » pour encourager la relocalisation. Les collectivités territoriales et les préfets devraient disposer d'outils incitatifs pour faciliter les projets de réimplantation - à défaut des 2 milliards mobilisés par le Japon pour relocaliser son industrie... Par exemple, on peut imaginer des dérogations au droit de l'urbanisme et aux délais applicables ; des articulations avec les pôles de compétitivité ; ou encore certains leviers d'incitation fiscale comme un « bonus » de crédit d'impôt recherche conditionné au maintien de l'activité en France, ou une entrée progressive dans l'impôt de production. Le programme « Territoires d'Industrie » pourrait constituer le cadre approprié pour déployer cette « boîte à outils ». Pour l'instant toutefois, l'État ne semble pas prêt à vouloir dédier de nouveaux moyens à ces « Territoires d'Industrie ».

Deuxièmement, nous souhaitons que le Gouvernement tienne enfin sa promesse de suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Plutôt que d'insister sur une baisse des impôts locaux, qui nous le savons, financent l'aménagement économique du territoire et la politique de développement régional, nécessaires pour encourager la réindustrialisation, il faut plutôt supprimer la C3S, impôt sans équivalent en Europe, qui revient au budget de l'État. Assis sur le chiffre d'affaires, elle pèse de manière disproportionnée sur l'industrie manufacturière. Sa suppression restaurera l'attractivité de la France comme terre de production et encouragera la relocalisation.

Troisièmement, les projets importants d'intérêt européen commun, les PIEEC, doivent être approfondis et multipliés. Il s'agit de projets industriels innovants, mutualisés à l'échelle européenne, qui peuvent bénéficier de financements publics accrus. Il nous apparaît que ces PIEEC sont un outil idéal de réindustrialisation de l'Europe, en traduisant une politique volontariste de reconquête de certains segments abandonnés. Par exemple, la fabrication de batteries automobiles européennes permettra de réduire la dépendance aux producteurs chinois et coréens, de même que le projet relatif à la microélectronique. Nous soutenons notamment la mise en place de PIEEC relatifs à l'hydrogène, énergie d'avenir pour l'industrie, ou encore sur les procédés industriels bas carbone. La France doit s'y investir pour accueillir sur son sol une partie de ces nouvelles filières européennes.

Enfin, nous recommandons de développer la commande publique de produits locaux et nationaux. En l'attente d'un éventuel desserrement du droit européen, qui ne permet pas la mise en oeuvre d'une préférence nationale ou communautaire, les acheteurs publics doivent exploiter toutes les possibilités existantes. Par exemple, le levier des normes européennes, ou encore la prise en compte de l'empreinte carbone - récemment autorisée par la loi « Économie circulaire » - peuvent redynamiser les circuits courts et offrir de nouveaux débouchés à la production nationale.

Mme Sophie Primas , présidente . - Nous notons cet engagement en faveur de l'aménagement et du développement économique des territoires, qui me paraît être une clef très importante, notamment en comparaison avec l'Allemagne.

M. Martial Bourquin . - Je souhaite tout d'abord vous dire à quel point j'ai été heureux de travailler au sein de cette commission, sur les sujets industriels, en lien avec mes collègues Alain Chatillon et Valérie Létard. Notre capacité à créer du consensus, mais aussi à tisser des liens humains doit être soulignée. C'est ainsi avec une grande émotion que je quitte le Sénat.

Notre quatrième axe vise à assurer une concurrence mondiale équitable, pour la relance et pour le futur. Tous les pays ne sont pas entrés égaux dans la crise, et tous n'en sortiront pas égaux : nous devons nous assurer que nos industriels pourront se battre à armes égales dans la compétition internationale exacerbée. Nous savons que la Chine regarde désormais vers le monde entier, via les « Routes de la soie » ; mais aussi que les États-Unis souhaitent relocaliser de nombreuses productions et n'hésitent pas à soutenir ses producteurs de manière intense. L'Europe doit réagir fortement.

Notre première recommandation vise à atteindre rapidement la réciprocité dans nos relations commerciales, notamment en matière d'accès aux marchés publics. En France, la commande publique représente près de 400 millions d'euros, qui pourraient avoir un impact considérable aussi bien sur les PME que sur les grands groupes. Nous savons que la Chine, notamment, verrouille son immense marché intérieur, alors que le droit européen impose de son côté la non-discrimination dans les appels d'offre européens. La Commission européenne estime le préjudice à 12 milliards d'euros pour les entreprises de l'Union. Il faut donc réaffirmer l'impératif de réciprocité et qu'il se traduise en actes, d'autant que la France dispose d'acteurs d'envergure internationale dans les secteurs de l'énergie, du ferroviaire ou de la construction qui se positionneraient sans nul doute très bien sur ces marchés. Pour renouer avec les commandes et créer un choc de demande, la réciprocité en matière de marchés publics doit être un axe majeur de la diplomatie commerciale européenne.

Ensuite, l'Union européenne ne doit pas avoir peur d'utiliser ses instruments de défense commerciale. Pour une action plus efficace dans la lutte contre le dumping et les subventions non autorisées, nous proposons de réduire les délais d'examen par la Commission européenne des plaintes à l'encontre des produits importés, qui doivent être sanctionnés plus rapidement et plus fortement. L'acier européen, par exemple, est aujourd'hui en difficulté face aux produits dumpés provenant de Chine, d'Inde ou de Russie. Une meilleure évaluation et un meilleur suivi des accords commerciaux participera aussi de cette protection des équilibres du marché intérieur.

Troisièmement, le respect des normes du marché intérieur doit être garanti. Les contraintes de plus en plus nombreuses qui s'imposent à notre industrie - émissions de gaz à effet de serre, intégration de matière recyclée, normes sanitaires, normes de sécurité... - n'ont de sens que si tous les produits qui entrent en Europe y sont également soumis. Les derniers constats en la matière sont pourtant alarmants. Nous proposons donc de renforcer les moyens dédiés au contrôle des produits importés par la DGDDI et la DGCCRF, et de poursuivre l'effort d'harmonisation des règles applicables sur le marché intérieur, en opérant d'ailleurs, lorsque cela est possible, des simplifications administratives.

Enfin, il faut opérer rapidement une réforme de la politique européenne de la concurrence. C'est là un sujet que mon collègue M. Chatillon et moi-même connaissons bien : il ne faut pas faire obstacle à l'émergence de vrais champions européens, mais au contraire accompagner leur développement. Je pense par exemple au dossier en cours d'examen du rachat de Bombardier par Alstom : il doit aboutir. Nous avons par ailleurs vu que l'interdiction des aides d'État a été considérablement assouplie durant cette crise, car elle n'aurait sinon pas permis d'intervenir en soutien d'urgence à notre économie. Chacun d'entre nous mesure que nous n'aurions sinon pas pu intervenir par exemple, dans des entreprises à faibles fonds propres. Il faut donc moderniser ce pilier du droit européen pour l'adapter aux nouveaux défis économiques et l'articuler avec une véritable stratégie industrielle européenne. Notre commission et celles des affaires européennes préparent d'ailleurs un rapport sur le sujet de la réforme du droit de la concurrence, qui nous paraît indispensable.

Notre cinquième et dernier axe est la poursuite de la transition environnementale de l'industrie française. C'est là probablement son plus grand défi, et celui où le soutien des pouvoirs publics est le plus déterminant.

Le soutien à la mobilité propre et à la réorientation de la production industrielle est bien entendu un axe majeur de relance. Je ne m'étendrai pas sur ce point, les annonces récentes sur les primes automobiles, la filière automobile électrique ayant répondu à nos principales recommandations, et la cellule « Énergie » ayant formulé des propositions à ce sujet. Je dirai cependant que cette logique doit s'appliquer à d'autres secteurs, comme le ferroviaire, le naval ou l'aéronautique - il nous semble que le plan aéronautique paru hier y répond en partie. Alstom travaille par exemple sur des trains à hydrogène. En revanche, la transition des consommateurs français ne se fera pas en un jour et il est important de conserver un certain degré de neutralité technologique. Je rappelle que la construction d'une voiture électrique nécessite 30 % moins d'emploi qu'une voiture thermique... Soyons prudents avec le « tout électrique ». En ce sens, des propositions intermédiaires, comme le soutien au rétrofit de moteurs thermiques, ou aux moteurs hybrides, peuvent permettre une transition moins brutale pour la filière automobile française.

Notre deuxième proposition, qui a déjà été votée par la commission lors de l'examen du dernier budget, est d'instaurer un crédit d'impôt pour le verdissement des PME et TPE industrielles. Dans la même logique que le suramortissement pour la numérisation, il s'agit de prendre en charge une partie des coûts des petites entreprises engagés pour l'audit, l'ingénierie ou le conseil dans le verdissement de leur usine. Seraient par exemple concernés : l'écoconception des produits, la gestion des déchets, la consommation énergétique ou l'économie de ressources. Sans cette impulsion, la plupart des PME ne disposent ni des fonds ni des compétences pour réaliser cette transformation.

Enfin, nous soutenons la mise en place rapide de la « taxe carbone » aux frontières de l'Union européenne. Passons aux actes. Il faut restaurer une concurrence plus juste entre les producteurs européens, qui sont à la pointe de l'effort de décarbonation de l'industrie, et leurs concurrents qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes. Acquitter au moment de l'entrée sur le marché intérieur le « prix » du carbone émis lors de la production et du transport rééquilibrera nos échanges tout en accélérant la décarbonation. Les recettes collectées permettront de surcroît de financer l'investissement vert. La nouvelle Commission européenne doit donc en faire une priorité.

Voici donc les dix-huit propositions de notre cellule qui a travaillé pendant plusieurs mois pour une relance stratégique, tournée vers la transition environnementale, la souveraineté économique et l'innovation. Nous ne manquerons pas de les défendre dans l'hémicycle à l'occasion de l'examen des futures lois de finances et lois de relance.

Mme Sophie Primas , présidente . - Cher collègue, nous partageons ton émotion et mesurons ton engagement en faveur de l'industrie, y compris sur le terrain.

Nous allons passer aux questions de nos collègues.

M. Franck Montaugé . - Je remercie les pilotes de la cellule pour la qualité de leurs propositions, et souhaite également saluer notre collègue Martial Bourquin pour sa contribution aux travaux de nos commissions.

J'ai pu entendre le Président de la Région Nouvelle-Aquitaine, M. Alain Rousset, lors d'une audition que j'ai trouvée très intéressante et très engagée. Il m'est apparu que notre action en matière de développement économique est souvent, en France, quelque peu « jacobine ». En matière de fiscalité, il nous a indiqué que la question devrait être analysée dans sa globalité.

Au sujet des « Territoires d'Industrie », je n'ai toujours pas compris pourquoi ce dispositif - qui bénéficie d'ailleurs de financements régionaux plutôt que de l'État - est réservé à certaines zones géographiques uniquement. De nombreuses entreprises sont implantées dans des zones rurales, voire très rurales, et non en bordure des métropoles : elles contribuent aussi à notre activité industrielle et sont très performantes. Elles méritent tout autant d'être accompagnées. Il me semble que ce point doit être souligné.

Concernant les fonds propres, ne pourrait-on pas envisager la question différemment, sous l'angle du temps de retour sur investissement ? Il faudrait faciliter l'engagement de « sleeping partners », d'investisseurs plus patients, avec des taux de retours sur investissement faibles mais un engagement sur le long terme ? Dans un contexte de relance, il me semble que cela pourrait faciliter les choses.

Il faut enfin maintenir et développer le crédit impôt recherche (CIR), tout comme les mécanismes de suramortissement, pour soutenir l'investissement.

Je souhaite également souligner qu'il me semblerait intéressant que la commission puisse entendre des présidents de Région sur ces sujets de développement économique et industriel. Cela pourrait nous permettre de dégager une doctrine d'équilibre sur le rôle qui incombe à l'État et aux territoires, via les Régions et les intercommunalités.

Mme Sophie Primas , présidente . - Cela me paraît être une excellente suggestion, d'autant que nous serons appelés dans les prochains mois à travailler sur une grande loi de déconcentration et de décentralisation, en lien avec les commissions des lois et de l'aménagement du territoire et du développement durable. Notons aussi que les départements agissent également sur ces sujets, ainsi que les métropoles et agglomérations.

Mme Sylviane Noël . - Je félicite nos collègues pour ce brillant rapport et salue en particulier Martial Bourquin avec qui j'ai eu plaisir à travailler.

Je m'associe d'ailleurs à ses propos sur les dangers du « tout électrique » dans l'industrie automobile. Les entreprises du décolletage, très présentes dans mon département, représentent plus de 600 entreprises, 14 000 salariés pour un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros, fournissent très largement le secteur automobile. Le plan de relance présenté par le Gouvernement va provoquer, je le pense, une chute d'activité de cette filière très importante car il accélère la mutation vers des moteurs électriques plutôt que thermiques. Ces nouveaux véhicules nécessitent pourtant dix fois moins de pièces que les moteurs thermiques. Je souhaite donc vous alerter sur l'avenir de cette filière industrielle très importante : il ne faut pas que des virages de politique publique trop rapides et violents précipitent ces entreprises dans une descente aux enfers qui pèsera lourdement sur notre économie.

Mme Sophie Primas , présidente . - C'est probablement dans la diversité des solutions et dans la diversification que nos entreprises industrielles géreront le risque.

M. Franck Montaugé . - Je souhaitais simplement revenir sur le sujet des impôts de production. Une étude est déjà parue, chargée d'examiner l'impact d'une potentielle réforme.

Cependant, une autre étude, inaccessible à ce jour, aurait été réalisée par un cabinet de consulting . Elle n'irait pas dans le même sens que celle mise en avant par le Gouvernement. Il serait intéressant que notre Commission puisse y avoir accès pour prendre connaissance de ses conclusions. Les pilotes de la cellule y auraient-ils eu accès ?

Mme Élisabeth Lamure . - Je remercie nos collègues pour leur travail sur ces propositions.

Je souhaitais revenir sur le sujet de la compétitivité des entreprises, en particulier sur la simplification administrative. Nous avons souvent abordé ici le poids du fardeau administratif, qui va jusqu'à représenter 30 % du temps de travail des entreprises. Il faut continuer à travailler sur ce sujet, qui ne me semble pas beaucoup avancer. La période de la relance me paraît être le bon moment.

Les pilotes ont raison de souligner l'importance des centres techniques industriels, dont on parle trop peu. Ils sont pourtant tout à fait indispensables pour leurs filières respectives. Le déplafonnement des taxes affectées est essentiel ; car il apportera les moyens dont les CTI ont besoin. Nous avons souvent fait des propositions en ce sens dans les projets de loi de finances successifs, j'adhère donc tout à fait à la proposition de la cellule qui arrive au moment opportun.

Je salue notre collègue Martial Bourquin, avec qui j'ai travaillé au sein de la commission mais aussi dans le cadre de la délégation aux entreprises que je préside.

Mme Sophie Primas , présidente . - La simplification administrative est en effet très attendue des entreprises. La solution viendra peut-être de la déconcentration : dans mon territoire, nous avions mis en place des « commandos industriels », par exemple pour l'implantation d'Ariane VI aux Mureaux. Les collectivités territoriales, les préfets ont organisé des réunions pour prendre collectivement et rapidement les décisions. C'est peut-être là une piste pour rendre possible l'impossible.

M. Joël Labbé . - Je salue également la qualité du travail présenté, et notre collègue Martial Bourquin.

J'ai particulièrement relevé la question d'une concurrence mondiale plus équitable, notamment via le contrôle des produits importés mais aussi via la mise en place d'une « taxe carbone » aux frontières de l'Union européenne qui nous permettra d'avancer vers un modèle plus durable. Le crédit d'impôt pour le verdissement des PME et TPE me paraît aussi très intéressant. Malheureusement, les traités de libre-échange qui continuent d'être négociés ne me semblent pas aller dans le sens d'une régulation plus équitable.

Mme Valérie Létard . - Nous partageons les propos de nos collègues sur la simplification administrative. Je rappelle que dans les classements concernant les obstacles à l'attractivité de la France, les lourdeurs administratives figurent au premier rang, devant même les impôts de production. Notre proposition d'une « boîte à outils » réglementaire, dans le cas des relocalisations par exemple, vise à y remédier : elle permettrait de lever certaines des contraintes, en particulier concernant de grands projets. J'ai eu cette expérience au niveau local, où un sous-préfet avait été mis à disposition dans le cadre d'un projet d'implantation de Toyota : cela avait fonctionné et une usine a bien été construite en gagnant un temps considérable via une meilleure articulation entre administrations. Cela me semble être crucial pour mener une politique industrielle efficace.

Concernant l'étude relative aux impôts de production, ce que nous avons compris est qu'il s'agit d'une étude commandée par le Gouvernement, mais qui n'a pas été rendue publique à ce jour. Nous aimerions effectivement pouvoir y accéder.

M. Martial Bourquin . - Concernant les choix technologiques relatifs à la filière automobile, l'impact sur l'emploi et les savoir-faire de PME, mais aussi de grands équipementiers, pourrait être terrible. Le Japon s'est fixé comme objectif d'opérer en cinq ans une transition vers l'hydrogène - un hydrogène qui ne sera certes pas vert, ce qui est un problème - et construisent déjà des voitures à hydrogène aux performances similaires à celles de voitures thermiques. L'Allemagne investit en ce moment même fortement dans l'hydrogène. Si nous prenions du retard, nous le paierions très cher. De grandes entreprises comme Faurecia commencent à se spécialiser dans ce domaine.

Nous devons, il me semble, veiller à ce que les choix technologiques restent ouverts : les motorisations thermiques ont encore un avenir, et il existe des carburations alternatives, comme l'hydrogène ou les biocarburants.

M. Jean-Pierre Moga . - Je m'associe aux félicitations pour ce travail dont je partage les conclusions, et salue notre collègue Martial Bourquin en lui disant tout le plaisir que j'ai eu à travailler avec lui.

Je pense que nous devons mettre l'accent sur les relocalisations, en particulier via le levier des marchés publics, en faisant jouer les règles nationales et européennes. Je partage également la nécessité de mettre en place une « taxe carbone », qui encouragera justement la relocalisation.

Mon territoire, terre d'aéronautique, risque de perdre des milliers d'emplois. Les dirigeants des sociétés s'attendent déjà à diminuer leurs effectifs de près de 50 %. La relocalisation peut sauver ces PME et leurs savoir-faire : nous ne l'atteindrons que si nous pouvons imposer des règles plus justes sur les marchés internationaux. Les aides qui seront octroyées aux grands donneurs d'ordre français devront être subordonnées au maintien de l'activité et de l'emploi en France. Il y a urgence, aussi bien dans l'aéronautique que dans l'automobile, car nous faisons face à des pertes irrémédiables.

M. Alain Chatillon . - Le coût productif reste un problème vital pour l'industrie française. Il ne faut pas céder à la tentation de résoudre ce problème en en faisant porter le coût par nos collectivités territoriales. Notre commission devra se mobiliser sur ce sujet.

L'allègement des charges qui pèsent sur les PME et TPE est également une priorité dans la période actuelle, rappelons-le.

Enfin, gardons-nous d'imposer des conditions plus strictes à nos propres productions qu'aux produits importés. Les administrations doivent assurer un meilleur contrôle du respect des normes.

Je terminerai mon propos en saluant notre collègue Martial Bourquin, avec qui j'ai travaillé pendant près de douze ans.

Mme Sophie Primas , présidente . - Soulignons que ce plan de relance dédié à l'industrie propose des mesures qui répondent aux spécificités de la crise actuelle, mais traite aussi de sujets qui sont portés de longue date par notre commission et constituent des réflexions de fond : la relocalisation, la compétitivité, l'investissement... Il faut désormais passer à l'action et que le Gouvernement les mette en oeuvre.

Avec les plans de relance proposés par les différentes cellules, nous formulons près de 200 propositions en ce sens, que nous allons tenter de chiffrer au regard des 500 milliards évoqués par le Gouvernement.

Réunie le mercredi 17 juin 2020, la commission des affaires économiques a adopté le rapport de la cellule de veille, de contrôle et d'anticipation du secteur « Industrie ».

Mme Sophie Primas , présidente . - Puisque notre configuration nous le permet, je vous propose d'organiser un vote global sur les rapports des cellules « Énergie », « Industrie », « Numérique, télécoms et postes » et « Tourisme » qui vous ont été précédemment présentés, si vous en êtes d'accord.

Les rapports des cellules « Énergie », « Industrie », « Numérique, télécoms et postes » et « Tourisme » sont adoptés à l'unanimité.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mercredi 8 avril 2020

- France Industrie : MM. Philippe VARIN , président, Jérôme BREYSSE , directeur des relations publiques.

- France Chimie : Mme Magali SMETS , directrice générale, MM. Vincent MAGES , directeur du département affaires économiques, internationales et innovation, Philippe PRUDHON , directeur des affaires techniques, Mme Marion BOUISSOU-THOMAS , directrice des affaires publiques.

Jeudi 9 avril 2020

- Fédération des Industries Mécaniques : M. Philippe CONTET , directeur général, Mme Caroline DEMOYER , responsable des affaires publiques.

- Plateforme de la filière automobile et des mobilités : M. Marc MORTUREUX , directeur général, Mme Louise D'HARCOURT , chargée des affaires parlementaires.

- Assemblée des Chambres françaises de commerce et d'industrie : MM. Pierre GOGUET , président, Jérôme PARDIGON , directeur de cabinet du président - directeur des affaires publiques, Jan-Erik STARLANDER , chargé de mission transition énergétique et industrie du futur, François LAVALLÉE , président de la chambre de commerce et d'industrie Littoral Hauts-de-France.

Mardi 14 avril 2020

- Airbus : MM. Marc HAMY , vice-président transport aérien et environnement, Antoine BOUVIER , directeur de la stratégie et des affaires publiques, Mme Annick PERRIMOND DU BREUIL , directeur des relations avec le Parlement, M. Philippe COQ , secrétaire permanent des affaires publiques.

Jeudi 16 avril 2020

- Fédération des industries électriques, électroniques et de communication : MM. Benoît LAVIGNE , délégué général, Laurent TARDIF , vice-président « finances ».

- Association nationale des industries alimentaires : Mme Catherine CHAPALAIN , directrice générale, M. Antoine QUENTIN , directeur des affaires publiques.

- Les Entreprises du Médicament : MM. Philippe LAMOUREUX , directeur général, Pascal LE GUYADER , directeur général adjoint, relations sociales, emploi et industries, Thomas BOREL , directeur des affaires scientifiques, Laurent GAINZA , directeur des affaires publiques.

Mercredi 22 avril 2020

- Groupe Michelin : MM. Éric LE CORRE , directeur des affaires publiques, Thierry MARTIN-LASSAGNE , directeur des affaires publiques France, Mme Armelle BALVAY , affaires publiques France.

Jeudi 23 avril 2020

- Comité stratégique de la filière (CSF) Mines et métallurgie : Mmes Christel BORIES , présidente-directrice générale du groupe Eramet - présidente du comité stratégique de la filière Mines et métallurgie, Marie-Axelle GAUTIER , directrice des affaires publiques de Eramet, Amélie SEREY , chargée des relations institutionnelles France - Europe de Eramet.

Mardi 28 avril 2020

- SAFRAN : MM. Alexandre ZIEGLER , directeur groupe international et relations institutionnelles, Fabien MENANT , directeur des affaires institutionnelles.

Jeudi 30 avril 2020

- Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (SNITEM) : MM. Philippe CHÊNE , président et président de l'entreprise Winncare, Stéphane REGNAULT , administrateur et président du directoire de l'entreprise Vygon, Pierre-Jacob LE ROUX , vice-président du groupe et directeur des affaires gouvermentales de Stryker, François-Régis MOULINES , directeur affaires gouvernementales, Mme Lucile BLAISE , administratrice et vice-présidente Europe de l'ouest de ResMed, Mme Marie TOURRET , responsable des affaires publiques.

Mardi 5 mai 2020

- Alstom : MM. Philippe DELLEUR , senior vice-président affaires publiques - délégué permanent du conseil stratégique de la filière ferroviaire, Olivier DELECROIX , directeur commercial Alstom France, Damien CABARRUS , responsable des affaires publiques.

Jeudi 7 mai 2020

- Dassault systèmes : MM. Jacques BELTRAN , vice-président affaires internationales, Guillaume VENDROUX , directeur général de Delmia.

- Saint-Gobain : MM. Pierre-André DE CHALENDAR , président-directeur général de Saint-Gobain Pont-à-Mousson, Ludovic WEBER , directeur général.

Jeudi 28 mai 2020

- Direction générale des douanes et des droits indirects : Mmes Isabelle BRAUN-LEMAIRE , directrice générale, Hélène GUILLEMET , sous-directrice du commerce international, M. Gil LORENZO , sous-directeur des affaires juridiques et de la lutte contre la fraude, Mme Christine DUBOIS , chef du bureau chargé des prohibitions, de l'agriculture et de la protection du consommateur, M. Xavier PASCUAL , chef de la cellule dédouanement masques.

Jeudi 4 juin 2020

- Conseil national des professions de l'automobile (CNPA) : Mmes Dorothée DAYRAUT-JULLIAN , directrice des affaires publiques et de la communication, Clarisse PARIS , chargée des affaires publiques.

Vendredi 5 juin 2020

- Régions de France : M. Alain ROUSSET , président du conseil régional de la région Nouvelle-Aquitaine, membre du bureau exécutif de Régions de France, ancien président de Régions de France.

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