B. L'ORGANISATION EN MATIÈRE PÉNALE ET PÉNITENTIAIRE

> Ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19

Cette ordonnance a été prise sur le fondement du c ), du d ) et du e ) du 2° du I de l'article 11 de la loi d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19. Destinée à assurer la continuité du fonctionnement des juridictions pénales, essentielle au maintien de l'ordre public, elle contient des dispositions provisoires qui ont vocation à s'appliquer jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la fin de l'état d'urgence sanitaire , comme le prévoient ses articles 1 et 2.

I. Dispositions générales

Le chapitre I er contient des « dispositions générales » qui traitent principalement de deux matières : la suspension ou la prolongation de certains délais et le recours à la visioconférence.

Pour tenir compte du confinement, qui rend plus difficile le dépôt de plainte, et du fonctionnement dégradé des juridictions en résultant, qui peut retarder les poursuites ou l'exécution des peines, l' article 3 suspend , de manière rétroactive à compter du 12 mars 2020 et jusqu'au terme prévu par l'ordonnance, les délais de prescription de l'action publique et les délais de prescription des peines .

Cette mesure générale permet ainsi de régler le problème posé par le délai de prescription très court (trois mois) applicable à certaines infractions, en particulier les délits de presse. Pour les autres infractions, pour lesquels les délais de prescription sont plus longs (un an pour les contraventions, six ans pour les délits et vingt ans en général pour les crimes), la mesure retenue permet de pallier les conséquences d'un retard lié à l'épidémie sur les infractions pour lesquelles le délai de prescription était presque arrivé à son terme au moment de la pandémie. Pour l'exécution des peines, les délais de prescription sont en règle générale de trois ans pour les contraventions, six ans pour les délits et vingt ans pour les crimes.

L' article 4 double le délai prévu pour exercer les voies de recours (appel et cassation) et précise que ce délai ne pourra en aucun cas être inférieur à dix jours . Il prévoit ensuite que tous les recours et demandes, ainsi que le dépôt des mémoires et des conclusions, pourront être effectués par lettre recommandée avec accusé de réception.

En principe, la déclaration d'appel ou le pourvoi en cassation doivent être faits auprès du greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée. Pour éviter des déplacements, il est prévu d'autoriser le recours à la lettre recommandée avec accusé de réception, voire l'envoi d'un courriel, avec accusé de réception électronique, à une adresse communiquée par la juridiction. De même, les demandes au juge d'instruction pourront lui être adressées par lettre recommandée avec accusé de réception ou par courriel.

L' article 5 autorise le recours à la visioconférence devant toutes les juridictions pénales, même sans l'accord des parties, sauf en matière criminelle, ce qui imposera donc la présence physique des parties pour la tenue des procès d'assises. Habituellement, le recours à ces moyens audiovisuels peut, en fonction des circonstances, être imposé aux parties ou utilisé sous réserve de leur accord ; l'ordonnance simplifie donc considérablement les règles applicables.

En cas d'impossibilité d'avoir recours à la visioconférence, le juge pourra utiliser d'autres moyens de communication électronique, y compris le téléphone, à condition que la qualité de la transmission soit satisfaisante, qu'il puisse vérifier l'identité des parties et que la confidentialité des échanges entre les parties et leurs avocats soit assurée.

La commission des lois avait souligné lors de l'examen du projet de loi de programmation et de réforme pour la justice que la présence physique de l'avocat auprès de son client et auprès du juge était importante pour lui permettre d'assurer une défense de qualité. Il conviendra de s'assurer que le recours à ces moyens de communication sera réservé à un petit nombre d'affaires urgentes ne pouvant être renvoyées.

Pour préserver les droits des justiciables, et se prémunir contre le risque d'une annulation du jugement, le recours à ces moyens techniques devrait demeurer exceptionnel et réservé aux affaires pour lesquelles aucune autre solution ne peut être envisagée. Si l'ordonnance n'était pas modifiée sur ce point, cette question pourrait être précisée par voie d'instruction de la Chancellerie et débattue au moment de l'examen du projet de loi de ratification.

II. Compétence des juridictions et publicité des audiences

L' article 6 permet de transférer tout ou partie du contentieux habituellement traité par une juridiction pénale, se trouvant dans l'impossibilité, totale ou partielle, de fonctionner, à une autre juridiction pénale, située dans le ressort de la même cour d'appel. La décision de transfert est prise par le premier président de la cour d'appel , après avis du procureur général près cette cour, des chefs de juridiction et des directeurs de greffe.

Cette solution aurait vocation à être utilisée dans l'hypothèse où une juridiction serait en grande partie paralysée, en raison d'un nombre élevé d'arrêts maladie. Il appartient d'abord à chaque juridiction d'assurer ses missions essentielles dans le cadre des plans de continuation d'activité (PCA), mis en place depuis le 16 mars 57 ( * ) .

Pour éviter de rassembler un grand nombre de personnes dans une salle d'audience, l' article 7 permet ensuite au président de la juridiction de décider, avant l'ouverture de l'audience, que les débats se dérouleront en publicité restreinte , voire, si cela paraît nécessaire pour protéger la santé des personnes, à huis clos . En temps ordinaire, le huis clos peut être ordonné devant la cour d'assises ou devant le tribunal correctionnel, en application des articles 306 et 400 du code de procédure pénale, mais par un jugement rendu en audience publique ; il serait peu opportun, en période de pandémie, de faire pénétrer le public en salle d'audience pour l'en faire sortir sitôt le huis clos prononcé.

Afin de préserver le droit à l'information du public, le président de la juridiction pourra cependant autoriser des journalistes à assister à l'audience, même lorsqu'il a ordonné le huis clos.

Cette possibilité de huis clos concerne également la chambre de l'instruction et le juge des libertés et de la détention (JLD) statuant en matière de détention provisoire.

En matière pénale, le principe de publicité des débats n'est pas absolu puisque le code de procédure pénale autorise traditionnellement le huis clos lorsque la publicité est dangereuse pour l'ordre ou pour les moeurs. La mission de suivi est par ailleurs sensible aux objectifs sanitaires qui peuvent conduire à envisager de tenir un plus grand nombre d'audiences à huis clos.

Il lui paraît cependant préférable de privilégier, lorsque c'est compatible avec le respect des règles de distanciation sociale, une forme de publicité restreinte, qui permet par exemple aux proches des parties au procès d'y assister, et qui préserve toutes les garanties d'une bonne administration de la justice dans des affaires où des peines privatives de liberté peuvent être prononcées.

III. La composition des juridictions

Le chapitre III comporte cinq articles 8 à 12 qui tendent à élargir les possibilités de jugement à juge unique.

Ces dispositions ne sont pas d'application immédiate : elles s'appliqueront seulement, sur tout ou partie du territoire, si le Gouvernement prend un décret constatant la persistance d'une crise sanitaire compromettant le fonctionnement des juridictions, malgré la mise en oeuvre des autres mesures prévues par l'ordonnance ( article 8 ). La Chancellerie n'envisage donc de mettre en oeuvre ces mesures qu'en cas d'aggravation de la crise, comme une solution de dernier recours permettant de faire face à l'urgence.

L' article 9 permet au tribunal correctionnel, à la chambre des appels correctionnels, à la chambre spéciale des mineurs et à la chambre de l'instruction de statuer à juge unique , en n'étant composées que de leur seul président (ou d'un magistrat désigné par lui). La décision de statuer à juge unique est prise par le président du tribunal judiciaire ou par le premier président de la cour d'appel, qui constate que la réunion de la formation collégiale n'est pas possible.

Le président statuant à juge unique pourra cependant toujours décider de renvoyer l'affaire si cela lui paraît justifié en raison de la complexité ou de la gravité des faits.

De même, l' article 10 permet au président du tribunal pour enfants de statuer seul, sans les assesseurs non professionnels, quand la réunion de la formation collégiale n'est pas possible, sans préjudice de la possibilité de renvoyer l'affaire si elle lui paraît grave ou complexe. L' article 11 prévoit, dans les mêmes conditions, la possibilité de statuer à juge unique pour le tribunal de l'application des peines et pour la chambre de l'application des peines de la cour d'appel.

Le chapitre III contient enfin deux dispositions d'application immédiate :

- d'abord, le deuxième alinéa de l' article 11 dispose que la chambre de l'application des peines de la cour d'appel peut statuer en l'absence d'un responsable d'une association d'aide à la réinsertion des détenus et d'un responsable d'une association d'aide aux victimes ; ces deux représentants associatifs siègent habituellement au sein de cette juridiction ;

- ensuite, si le ou les juges d'instruction d'un tribunal judiciaire sont empêchés, l' article 12 prévoit que le président du tribunal peut désigner des magistrats du siège pour exercer les fonctions de juge d'instruction.

IV. La garde à vue

Si le chapitre IV (articles 13 et 14), relatif aux règles relatives à la garde à vue, respecte le champ de l'habilitation, l'ordonnance s'éloigne du rapport présenté au président de la République en ce qui concerne les garanties entourant le recours à la présence à distance de l'avocat lors de la garde à vue .

En effet, l' article 13 prévoit que les entretiens avec l'avocat ainsi que l'assistance au cours des auditions peuvent se dérouler par l'intermédiaire d'un moyen de télécommunication, comme le téléphone, dans des conditions garantissant la confidentialité des échanges. Cette disposition s'applique également à la personne en retenue douanière. Or, le rapport présenté au président de la République indique que cette possibilité sera ouverte lorsque la présence physique de l'avocat apparaît matériellement impossible à l'officier de police judiciaire ou si l'avocat de la personne gardée à vue l'accepte ou le demande . L'article lui-même ne prévoit pas ces conditions et laisse donc une ambiguïté sur les modalités de prise de décision , en donnant potentiellement plus de latitude à l'officier de police judiciaire. Néanmoins, la circulaire de la garde des Sceaux du 26 mars 2020 s'appuie sur le rapport au président de la République pour exiger l'impossibilité matérielle et l'accord ou la demande de l'avocat. On peut s'interroger sur le caractère proportionné d'une telle disposition.

Ainsi que le permet la loi d'habilitation, l' article 14 prévoit ensuite que la garde à vue pourra être prolongée sans la présentation de la personne devant le magistrat compétent , y compris pour les mineurs âgés de seize à dix-huit ans. Dans la mesure où la présentation n'est plus obligatoire pour une première prolongation au-delà de vingt-quatre heures, cette disposition dérogatoire vise des hypothèses (crime organisé, terrorisme) dans lesquelles la garde à vue peut être prolongée au-delà de la durée maximale habituelle de quarante-huit heures.

V. La détention provisoire

Le chapitre V vise à éviter que des personnes placées en détention, potentiellement dangereuses, soient libérées en raison du retard pris pour juger leur affaire ou pour examiner leur demande de mise en liberté.

L' article 15 précise que les dispositions de ce chapitre sont applicables aux détentions provisoires en cours, ainsi qu'à celles débutant entre la date de publication de l'ordonnance et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire. Il prévoit que les prolongations de détention provisoire décidées pendant la période de l'état d'urgence sanitaire continueront à s'appliquer malgré la fin de celui-ci. Il s'agit donc d'une durée d'application spécifique par rapport aux autres chapitres de l'ordonnance : alors que l'article 2 de l'ordonnance prévoit que toutes ses dispositions cesseront de s'appliquer un mois après la fin de l'état d'urgence, les prolongations décidées pendant l'état d'urgence ne cesseront de produire leurs effets qu'une fois qu'elles auront été entièrement exécutées , sauf intervention du juge de la liberté et de la détention.

Le Gouvernement justifie cette disposition par le fait que les intéressés conservent la possibilité de demander à tout moment la mainlevée de la mesure et donc son réexamen. La chancellerie semble également soucieuse d'éviter que trop de détentions provisoires ne viennent simultanément à échéance au moment de la fin de l'état d'urgence sans que la procédure ait suffisamment avancé pour permettre un jugement rapide. Il s'agit donc de permettre le maintien en détention des personnes et d'éviter qu'elles puissent se soustraire à leur procès. La proportionnalité de la mesure se justifie dans cette perspective, mais il conviendra de veiller au traitement des situations individuelles et notamment à l'examen des demandes de mainlevées qui devraient logiquement augmenter.

L' article 16 prolonge de plein droit, de deux mois, trois mois ou six mois selon la gravité des infractions en cause, les délais maximum de détention provisoire ou d'assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE), que ces mesures de sûreté soient prononcées au cours de l'instruction ou dans l'attente de l'audiencement devant les juridictions de jugement en première instance ou en appel.

Ces dispositions s'appliquent aux mineurs âgés de plus de seize ans en matière criminelle ou s'ils encourent une peine d'au moins sept ans d'emprisonnement.

Comme le prévoit le droit commun, ce prolongement s'effectue sans préjudice de la possibilité pour la juridiction compétente d'ordonner à tout moment, d'office, sur demande du ministère public ou sur demande de l'intéressé, la mainlevée de la mesure.

La circulaire du 26 mars 2020 prévoit le report de toutes les audiences de réexamen des détentions provisoires, ce qui oblige les parties à demander la mainlevée ou, à défaut, de se voir simplement appliquer la prolongation de la détention provisoire. Cette disposition impose donc une contrainte supplémentaire aux détenus et à leurs avocats .

L' article 17 prévoit l'allongement des délais d'audiencement de la procédure de comparution immédiate et de la procédure de comparution à délai différé pour les personnes placées en détention provisoire. Les délais sont prolongés au plus de deux mois.

L' article 18 augmente d'un mois les délais impartis à la chambre de l'instruction ou à une juridiction de jugement par les dispositions du code de procédure pénale pour statuer sur une demande de mise en liberté, sur l'appel d'une ordonnance de refus de mise en liberté, ou sur tout autre recours concernant une personne placée en matière de détention provisoire et d'assignation à résidence avec surveillance électronique ou de contrôle judiciaire.

Il porte à six jours ouvrés, au lieu de trois, le délai imparti au juge des libertés et de la détention pour statuer sur une demande de mise en liberté.

Cette disposition est importante car le code de procédure pénale prévoit habituellement qu'une personne placée en détention provisoire est libérée si la chambre de l'instruction n'a pas statué sur sa demande de mise en liberté dans un délai de vingt jours .

L'article 4 de l'ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l'urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale, est venu modifier l'article 18 de la présente ordonnance, moins de deux jours après son adoption.

Il en étend les dispositions afin d'appliquer l'allongement des délais aux appels concernant des ordonnances du juge d'instruction renvoyant la personne mise en examen devant la juridiction ainsi qu'aux décisions concernant les déclarations d'irresponsabilité pénale en raison d'un trouble mental.

C'est vraisemblablement pour garantir l'application rétroactive aux procédures en cours au 26 mars, date de publication de l'ordonnance n° 2002-303, que ce choix a été fait.

Sur le fond, l'allongement de ces délais d'appel entre dans le champ de l'habilitation donnée au Gouvernement et n'appelle pas de réserves particulières. En revanche, sur la forme, insérer ces nouvelles dispositions dans un article concernant uniquement la détention provisoire nuit à l'intelligibilité du texte et il aurait été plus pertinent de rédiger un article spécifique étendant ces délais d'appel.

L' article 19 permet que la prolongation de la détention provisoire par le juge des libertés et de la détention intervienne sans débat contradictoire au vu des réquisitions écrites du procureur de la République et des observations écrites de la personne et de son avocat, lorsque le recours à la visioconférence n'est pas possible, l'avocat du mis en examen pouvant toutefois faire des observations orales devant le juge, le cas échéant par tout moyen de télécommunication.

L' article 20 augmente les délais impartis à la Cour de cassation pour statuer sur certains pourvois concernant des personnes détenues, et allonge également les délais de dépôt des mémoires par le demandeur ou son avocat.

VI. L'affectation des détenus et l'exécution des peines privatives de liberté

Le chapitre VI comporte des mesures relatives à l'affectation des détenus, à la simplification des procédures devant les juridictions de l'application des peines et à l'exécution des peines.

A) L'affectation des détenus

Les articles 21, 22 et 23 visent à assouplir les règles d'affectation des détenus entre les maisons d'arrêt et les établissements pour peines . Ils ont été pris sur le fondement du e) du 2° de l'article 11 qui autorise le Gouvernement à prendre des dispositions pour « assouplir les modalités d'affectation des détenus dans les établissements pénitentiaires ».

En application des articles 714 et 717 du code de procédure pénale, les personnes mises en examen, les prévenus et les accusés sont, en principe, emprisonnés dans une maison d'arrêt, tandis que les personnes condamnées purgent leur peine dans un établissement pour peines 59 ( * ) . Ces établissements se distinguent par leur niveau de sécurité et par la nature de l'accompagnement proposé aux détenus.

Les articles 21 et 22 suspendent provisoirement ces règles en prévoyant, respectivement, que les personnes mises en examen, les prévenus et les accusés peuvent être affectées dans un établissement pour peines et que les condamnés peuvent être incarcérés en maison d'arrêt . L' article 23 autorise l'incarcération ou le transfert dans un établissement pénitentiaire, à des fins de lutte contre l'épidémie, de personnes condamnées ou placées en détention provisoire, sans l'autorisation ou l'avis préalable de l'autorité judiciaire ; l'autorité judiciaire sera informée de la mesure et pourra la modifier ou y mettre fin. Cette mesure permettrait de conduire très rapidement un détenu dans un quartier de quarantaine ou dans un quartier pouvant traiter les détenus malades.

Ces dispositions poursuivent deux objectifs en lien avec la finalité de maîtriser la crise sanitaire. En premier lieu, elles permettront de réduire le nombre de transferts , ce qui est cohérent avec la politique de confinement poursuivie à l'échelle nationale. Une personne condamnée à une longue peine qui était détenue dans une maison d'arrêt dans le cadre d'une mesure de placement en détention provisoire ne sera pas déplacée vers un établissement pour peines.

En second lieu, en rendant possible l'incarcération des personnes en attente de condamnation dans un établissement pour peines, elles pourraient favoriser une diminution du nombre de détenus dans les maisons d'arrêts , qui sont les établissements les plus concernés par la surpopulation carcérale 60 ( * ) , et réduire ainsi une promiscuité propice à la diffusion du virus.

B) La procédure applicable devant les juridictions de l'application des peines

Les articles 24, 25 et 26 simplifient la procédure applicable devant ces juridictions afin de les aider à faire face à la crise sanitaire.

Le juge de l'application des peines et le tribunal de l'application des peines rendent habituellement leurs décisions à l'issue d'un débat contradictoire en présence des parties. Pour limiter les contacts entre les personnes, l' article 24 autorise le recours à la visioconférence, ainsi que le recours, lorsque l'utilisation de ces moyens de communication n'est matériellement pas possible, à une procédure écrite (réquisitions écrites du parquet et observations écrites de la personne condamnée et de son avocat). L'avocat conserve toutefois la possibilité de demander à présenter des observations orales le cas échéant par un moyen de télécommunication audiovisuelle garantissant la confidentialité des échanges. Le délai de deux mois accordé à la chambre de l'application des peines de la cour d'appel pour statuer est porté à quatre mois .

Dans le même esprit, l'article 25 dispense le juge de l'application des peines de consulter la commission de l'application des peines avant d'ordonner certaines décisions (réductions de peine, autorisations de sortie sous escorte et permissions de sortir) lorsque le procureur de la République a émis un avis favorable à la décision envisagée. À défaut, il statue après avoir recueilli par tout moyen l'avis écrit des membres de la commission.

Le même dispositif (dispense de consulter la commission ou consultation par écrit) est prévu dans le cadre de la procédure de libération sous contrainte. Pour éviter de libérer des détenus qui n'auraient pas de solution d'hébergement et qui ne pourraient, de ce fait, respecter les mesures de confinement, l'ordonnance précise que la libération sous contrainte ne peut être octroyée que si le condamné dispose d'un hébergement.

L' article 26 dispose que le juge de l'application des peines peut décider une suspension de peine 61 ( * ) sans débat contradictoire et sur le seul avis du procureur de la République, à condition que la personne condamnée dispose d'un hébergement. Le juge peut également se dispenser de débat contradictoire pour accorder une suspension de peine pour motif médical, sur présentation d'un certificat médical et après avis du procureur de la République.

C) L'exécution des fins de peine

Des mesures sont prévues concernant l'exécution des fins de peine, dans le but de réduire la surpopulation carcérale.

L' article 27 autorise le juge de l'application des peines à octroyer aux personnes écrouées en exécution d'une peine privative de liberté une réduction supplémentaire de la peine d'une durée maximale de deux mois. Le juge peut se dispenser de consulter la commission de l'application des peines si l'avis du procureur de la République est favorable. À défaut, il consulte par écrit les membres de la commission.

Cette réduction de peine supplémentaire pourra être accordée, après avis de la commission d'application des peines, à des personnes placées sous écrou pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire même si leur situation est examinée après la durée de l'état d'urgence.

Si elle comprend que la surpopulation carcérale puisse favoriser la propagation du virus, la mission de suivi sera toutefois attentive à ce que la crise sanitaire ne soit pas utilisée comme un prétexte pour diminuer le nombre de personnes détenues dans un contexte où les efforts du Gouvernement pour augmenter le nombre de places de prison tardent à porter leurs fruits.

Certaines catégories de personnes condamnées sont exclues du bénéfice de cette réduction de peine : les personnes condamnées pour crime ou pour des faits de terrorisme, ce qui est justifié au regard de leur dangerosité ; les personnes condamnées pour des infractions commises au sein du couple, le confinement faisant craindre une recrudescence des violences commises sur le conjoint ; les personnes détenues ayant participé à des actions de mutinerie, de manière à envoyer un message de fermeté après les troubles constatés dans plusieurs établissements pénitentiaires ; enfin, les personnes détenues dont le comportement met en danger les autres détenus ou le personnel pénitentiaire en raison du non-respect des règles imposées par le contexte sanitaire.

L' article 28 permet au procureur de la République, sur proposition du directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip), de décider qu'un détenu condamné à une peine d'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à cinq ans, auquel il reste à subir un emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à deux mois, peut exécuter le reliquat de sa peine en étant assigné à son domicile , avec l'interdiction d'en sortir sous réserve des déplacements indispensables autorisés dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Cette mesure d'assignation à domicile ne peut être prononcée si le détenu ne dispose pas d'un hébergement. La mesure d'assignation peut s'accompagner de certaines interdictions, par exemple l'interdiction de paraître en certains lieux, de fréquenter certains condamnés ou de détenir une arme. Le non-respect de ses obligations par la personne condamnée ou la commission d'une nouvelle infraction peuvent entraîner sa réincarcération.

Comme à l'article précédent, certaines catégories de personnes condamnées sont exclues du bénéfice de cette mesure : à la liste présentée à l'article 27, s'ajoutent les personnes condamnées pour un délit d'atteinte à la personne commis sur un mineur de quinze ans, ce qui couvre notamment les agressions et atteintes sexuelles.

L' article 29 élargit les possibilités de conversion de peine prévues à l'article 747-1 du code de procédure pénale. Cet article permet au juge de l'application des peines d'ordonner la conversion d'une peine d'emprisonnement en une peine de détention à domicile sous surveillance électronique, en une peine de travail d'intérêt général, en une peine de jours-amende ou en un emprisonnement assorti d'un sursis probatoire renforcé, lorsque cette conversion lui paraît de nature à assurer la réinsertion du condamné et à prévenir sa récidive.

Cette possibilité de conversion est normalement réservée aux personnes condamnées pour un délit à une peine d'emprisonnement ferme inférieure ou égale à six mois. L'ordonnance élargit cette possibilité de conversion à tous les condamnés à des peines privatives de liberté pour lesquels il reste à subir un emprisonnement d'une durée égale ou inférieure à six mois.

La garde des sceaux a indiqué que ces différentes mesures pourraient conduire à la libération anticipée d'environ 5 000 détenus, sur un total de plus de 70 000 personnes incarcérées.

VII. Dispositions applicables aux mineurs poursuivis ou condamnés

Le chapitre VII traite de la situation des mineurs poursuivis ou condamnés.

Les audiences devant se tenir à l'échéance des mesures éducatives ordonnées ne pouvant plus se tenir, l' article 30 prévoit que le juge des enfants peut, d'office, et sans audition des parties, proroger le délai d'une mesure de placement ordonnée en application de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, pour une durée qui ne peut excéder quatre mois.

Les autres mesures éducatives ordonnées en application de cette ordonnance (mesures en milieu ouvert) peuvent être prolongées pour une durée qui ne peut excéder sept mois.

L'objectif de ces dispositions est d'éviter toute rupture dans la prise en charge éducative. Depuis le début du confinement, la protection judiciaire a recentré son action sur le fonctionnement des structures accueillant les mineurs placés et sur sa mission d'investigation éducative auprès des tribunaux.


* 5758 Cf. La circulaire du 14 mars 2020 de la directrice des affaires criminelles et des grâces et du directeur des affaires civiles et du sceau relative à l'adaptation de l'activité pénale et civile des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie Covid-19.

* 59 La France dispose de 86 maisons d'arrêt et de 44 établissements pour peines. Ces établissements pour peines se répartissent entre maisons centrales (6), centres de détention (27) et centres de semi-liberté (11), en fonction du type de population pénale qu'ils accueillent. On compte également 50 centres pénitentiaires, qui sont des établissements mixtes, comprenant au moins deux quartiers différents (maison d'arrêt, centre de détention et/ou maison centrale).

* 60 Dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2020, notre collègue Alain Marc rappelait que le taux d'occupation du parc pénitentiaire était, en octobre 2019, de 116 % et de 138 % pour les seules maisons d'arrêt.

* 61 La suspension de peine peut être ordonnée pour motif d'ordre médical, familial, professionnel ou social s'il reste à subir à la personne condamnée une peine d'emprisonnement inférieure ou égale à deux ans.

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