C. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES À L'INITIATIVE

Depuis l'entrée en vigueur des mesures de confinement, les collectivités territoriales ont mis en place des mesures exceptionnelles pour affronter les crises sanitaire et économique. Leurs initiatives en la matière ont été multiples, à tous les échelons territoriaux pertinents.

1. Le maintien des services publics essentiels

Pleinement mobilisées pour faire face à l'épidémie de covid-19, les collectivités territoriales ont en premier lieu veillé à assurer le maintien des services publics essentiels au bon fonctionnement du pays . Les collectivités ont dû réorganiser en urgence leurs services, pour protéger leurs agents, et assurer la continuité du service public.

Ramassage des déchets, accompagnement pour le maintien à domicile, accueil d'urgence en établissement, attention particulière accordée aux foyers d'aide sociale à l'enfance ne sont que quelques exemples illustrant l'implication des collectivités pour garantir l'accès de la population aux services publics en cette période de crise sanitaire.

2. Des mesures nouvelles multiples et diversifiées pour répondre aux crises sanitaire et économique

• Crise sanitaire et gestion des conséquences directes du confinement

Le début de la crise a été marqué par un grand besoin de masques et de consommables pour permettre aux personnels de santé de continuer à exercer leurs missions tout en se protégeant.

Les collectivités territoriales ont en premier lieu mobilisé les stocks existants en leur sein et dans les entreprises. Elles ont également acquis de nombreux masques et équipements de protection . Ainsi, les régions avaient commandé plus de 18 millions de masques au 20 avril 2020, en vue de les redistribuer aux personnels soignants et aux acteurs économiques essentiels du territoire.

Malgré des difficultés d'approvisionnement, et un regrettable incident au cours duquel certaines collectivités ont vu des masques qu'elles avaient commandés réquisitionnés par l'État, les premières livraisons sont arrivées de Chine à la fin du mois de mars et au début du mois d'avril.

Dans un esprit de solidarité, des collectivités territoriales ont mis leurs agents à disposition des hôpitaux , par exemple pour la préparation des repas. Ces initiatives doivent être encouragées : alors qu'elles sont aujourd'hui payantes, les mises à disposition de personnels au bénéfice des hôpitaux doivent devenir gratuites 78 ( * ) .

Les laboratoires départementaux d'analyse ont finalement été autorisés, en réponse à une demande de nombreux élus départementaux, à produire des tests de dépistage du covid-19 79 ( * ) . Les freins réglementaires en la matière ont entraîné un retard regrettable dans la montée en charge du dispositif. Les laboratoires départementaux d'analyse pourraient néanmoins réaliser entre 150 000 et 300 000 tests par semaine.

Les collectivités territoriales ont également été nombreuses à se mobiliser pour permettre à la population de faire face aux difficultés liées au confinement . L'organisation, en lien avec les agriculteurs et producteurs locaux, de réseaux en « circuits courts » a permis de soutenir les acteurs de la filière et de maintenir la filière tout en garantissant l'approvisionnement alimentaire des populations confinées. Beaucoup de communes ont élargi l'offre de garde d'enfants, initialement réservée aux enfants de soignants, à d'autres professions appelées sur le terrain, comme la police et la gendarmerie, en mobilisant à cet effet des agents et des locaux municipaux. Elles ont organisé le portage de repas à domicile et les courses d'alimentation pour les personnes les plus vulnérables. Les collectivités ont également souhaité mettre l'accent sur l'accès de tous les élèves aux outils nécessaires à la classe à la maison. Les départements ont donc renforcé l'accès aux plateformes d'environnement numérique de travail (ENT), qui ont connu des volumes de connexion multipliés par 4 à 10, et ont mis à disposition des élèves et des enseignants des tablettes et des ordinateurs supplémentaires. Les régions, autorités responsables des transports scolaires et interurbains, ont repensé les circuits de transports scolaires pour les adapter aux plans de garde d'enfants des personnels hospitaliers, et mis en place des lignes de transport dédiées au personnel soignant.

• Action économique

La crise sanitaire et la décision de confiner la population ont paralysé l'activité économique et mis en danger un très grand nombre de nos entreprises. Si l'État est en première ligne pour aider celles-ci, grâce au déploiement du chômage partiel et aux reports de charges sociales et fiscales, les collectivités territoriales ne sont pas en reste.

Les régions participent ainsi au financement du fonds de solidarité mis en place par l'État à hauteur de 500 millions d'euros . Au-delà, elles ont souvent mis en place des task force ou des cellules de suivi économique des entreprises visant à définir les besoins des acteurs économiques au plus près du terrain, ainsi que des dispositifs visant à permettre aux entreprises de surmonter des problèmes de trésorerie immédiats. Des fonds complémentaires au fonds de solidarité ont également été mis en place, en coopération avec la caisse des dépôts et des consignations (CDC). C'est notamment le cas dans la région Bretagne, où les collectivités territoriales et la Banque des territoires ont créé un fonds dénommé « Covid Résistance ». Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de la région y contribuent d'ores et déjà, et s'affirment comme un relais naturel de l'action menée par la région en la matière. Les maires de la région, acteurs de proximité, souhaitent également être impliqués dans la gestion de ce fonds qui sera pilotée par la Banque des territoires.

Conscientes de leur poids dans la commande publique, les collectivités territoriales ont également souhaité accélérer le paiement de leurs fournisseurs et de leurs prestataires .

Au-delà de ce soutien ponctuel, la question du redémarrage de la commande publique pourrait constituer un enjeu majeur de la période de relance économique consécutive au déconfinement . D'une part, les collectivités territoriales ont à coeur de soutenir le secteur de la construction, dont le poids dans l'économie française est bien connu. D'autre part, une pression excessive à la dépense pourrait s'exercer sur ces collectivités, les conduisant à prendre dans un contexte d'urgence des risques financiers inconsidérés.

Les communes et leurs groupements jouent également pleinement leur rôle. Les aides à l'immobilier d'entreprise ont été amplifiées. Certains acteurs du bloc communal ont également souhaité activer le levier fiscal . C'est par exemple le cas de la métropole de Toulouse, qui a décidé d'alléger substantiellement la contribution foncière des entreprises, mais également la contribution sur la valeur ajoutée pour les start-up et la taxe locale sur la publicité extérieure.

L'association des maires ruraux de France et le mouvement citoyen « Bouge ton coq » ont décidé de lancer une souscription nationale pour aider les petits commerces, producteurs et artisans .

Enfin, l'association Régions de France indique que les présidents des dix-huit régions de France travaillent depuis le 30 mars à un plan de relance de l'économie en lien avec l'État .

La mise en place d'une « usine invisible » dans le département du Morbihan

Dans le Morbihan, les élus locaux, accompagnés par la préfecture, ont souhaité fédérer les forces du territoire pour créer une « usine invisible » chargée de fabriquer des masques dit « grand public ».

Comme le souligne Yves Bleunven, président de l'association des maires du Morbihan, cette idée est née en observant la mobilisation des couturières et couturiers dans la fabrication des masques qu'ils fournissaient ensuite aux infirmières et aux EHPAD. Il a paru nécessaire aux élus locaux d'encourager ces bonnes volontés plutôt que d'avoir systématiquement recours aux importations.

Les collectivités assurent la logistique, achetant le tissu homologué par les autorités sanitaires et fournissant des kits prédécoupés aux couturiers, avant de récupérer les masques cousus et d'en assurer la distribution. Les couturiers sont indemnisés, à hauteur de 2,80 € par masque réalisé.

Les premiers masques ont vocation à équiper les agents des collectivités territoriales, en vue de préparer le déconfinement. Les premières commandes, centralisées par les douze EPCI à fiscalité propre du département, concernent entre 70 000 et 100 000 masques. Dans un second temps, « l'usine invisible » devra permettre au grand public de trouver à proximité un produit issu de l'économie locale et respectant les normes de sécurité.

3. Des interrogations qui demeurent

Ce foisonnement d'initiatives démontre l'implication pleine et entière des collectivités territoriales, leur inventivité et leur connaissance fine des besoins de la population grâce à leur proximité.

La réactivité des collectivités territoriales est une richesse pour la France. Au plus près du terrain, et malgré une situation politique locale rendue difficile par le report du second tour des élections municipales, les maires ont tout particulièrement répondu présents : le bon fonctionnement des communes n'a ainsi connu aucun obstacle sérieux.

Cette capacité de réaction doit être pleinement accompagnée par l'État afin que ces initiatives locales puissent encore gagner en efficacité et contribuer, en cette période de crise, à la continuité des services publics sur l'ensemble du territoire national. Cela implique de ne pas obérer, par des freins réglementaires dont la pertinence peut être mise en doute en période de crise, le développement d'initiatives innovantes par les collectivités territoriales, comme l'a montré l'exemple des laboratoires départementaux d'analyse.

L'État semble désormais avoir pris la mesure de l'enjeu. De nombreuses notes explicatives ont été publiées sur les sites des ministères pour permettre aux collectivités territoriales d'appréhender au mieux l'environnement juridique encadrant leurs actions.

En outre, comme l'a indiqué Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, lors de son audition devant la commission, l'État a lancé une plateforme dénommée « Stop Covid-19 », destinée à mettre en relation les acheteurs et les fournisseurs de produits et équipements de protection pour les professionnels. Les collectivités territoriales y ont accès.

De nombreuses interrogations, difficultés et incertitudes demeurent cependant .

En premier lieu, malgré la capacité d'adaptation dont ont fait preuve les élus, l'on ne peut ignorer les difficultés provoquées dans certaines communes par le maintien des exécutifs sortants , notamment lorsque le maire souhaitait se retirer ou avait été battu au premier tour ; l'obligation d'informer les candidats élus au premier tour, dès avant leur entrée en fonction, des décisions prises par délégation du conseil municipal n'a pas toujours suffi à assurer une communication harmonieuse entre les anciennes et les nouvelles équipes. Ces difficultés confirment la nécessité impérieuse d'une installation rapide des conseils municipaux d'ores et déjà élus au complet .

En deuxième lieu, la situation financière des collectivités territoriales se dégrade, en raison d'un effet « ciseau », conjonction d'une hausse des dépenses liées à l'intervention dans la crise et surtout à une nette baisse des recettes, en particulier celles :

- des droits de mutation à titre onéreux en raison de la chute des transactions immobilières, qui affectera les départements comme l'ont souligné le président et le rapporteur général de la commission des finances du Sénat sans qu'il soit possible à l'heure actuelle de fournir une estimation des pertes attendues 80 ( * ) ;

- de la taxe de séjour, qui affectera en premier lieu les communes touristiques, à hauteur de 80 millions d'euros 81 ( * ) ;

- de l'octroi de mer, en raison du ralentissement économique, ce qui affectera l'ensemble des départements d'outre-mer ;

- du versement mobilité, qui concernera l'ensemble des groupements de collectivités en charge de l'organisation de la mobilité 82 ( * ) .

En troisième lieu, le processus de sortie du confinement soulève un grand nombre de questions dans les collectivités, en particulier pour la réouverture des écoles . Les élus locaux savent qu'ils auront un rôle prépondérant à jouer, sans qu'ils puissent encore parfaitement le cerner et donc s'y préparer.

Enfin, les collectivités et les élus locaux s'inquiètent des conditions dans lesquelles leur responsabilité pénale, civile ou administrative pourrait être engagée en cas de contamination de leurs agents et salariés par le coronavirus.

Afin de permettre aux collectivités de préparer au mieux la sortie du confinement, il convient de leur apporter une information claire et précise. Une sortie de crise ne pourra se faire que si l'ensemble des acteurs publics travaillent dans le même sens.


* 78 Ce qui nécessite de modifier l'article 61-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.

* 79 Décret n° 2020-400 du 5 avril 2020 complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et arrêté du 5 avril 2020 complétant l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire .

* 80 « Note n° 2 de conjoncture et de suivi du plan d'urgence face à la crise sanitaire du covid-19 relevant du champ de compétences de la commission des finances - situation au 2 avril 2020 », 3 avril 2020, p. 27.

* 81 Ibidem. , p. 26.

* 82 « Note n° 3 de conjoncture et de suivi du plan d'urgence face à la crise sanitaire du covid-19 relevant du champ de compétences de la commission des finances - situation au 13 avril 2020 », 14 avril 2020, pp. 15-17.

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