N° 699

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 septembre 2020

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur l' enquête de la Cour
des
comptes relative à la fraude aux prestations sociales ,

Par M. Jean-Marie VANLERENBERGHE ,

Rapporteur général,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon , président ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général ; MM. René-Paul Savary, Gérard Dériot, Mme Colette Giudicelli, M. Yves Daudigny, Mmes Michelle Meunier, Élisabeth Doineau, M. Guillaume Arnell, Mme Laurence Cohen, M. Daniel Chasseing , vice-présidents ; M. Michel Forissier, Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, Corinne Féret, M. Olivier Henno , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mmes Martine Berthet, Christine Bonfanti-Dossat, M. Bernard Bonne, Mme Muriel Cabaret, M. Jean-Noël Cardoux, Mmes Annie Delmont-Koropoulis, Catherine Deroche, Chantal Deseyne, Nassimah Dindar, Catherine Fournier, Danièle Garcia, Frédérique Gerbaud, M. Bruno Gilles, Mmes Michelle Gréaume, Jocelyne Guidez, Véronique Guillotin, M. Xavier Iacovelli, Mme Victoire Jasmin, M. Bernard Jomier, Mme Florence Lassarade, M. Martin Lévrier, Mmes Monique Lubin, Viviane Malet, Brigitte Micouleau, MM. Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller, Mmes Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, MM. Jean Sol, Dominique Théophile, Jean-Louis Tourenne, Mme Sabine Van Heghe .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

En application de l'article L.O. 132-3-1 du code des juridictions financières, qui dispose que « la Cour des comptes peut être saisie par les commissions parlementaires saisies au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale, de toute question relative à l'application des lois de financement de la sécurité sociale », le président de la commission des affaires sociales du Sénat a, par courrier du 9 octobre 2019, demandé au Premier président de Cour de procéder à une enquête sur la fraude aux prestations sociales .

Dans cette demande, le président Alain Milon soulignait, en particulier, la nécessité de structurer le débat public autour de ce sujet par « des données objectives produites selon une méthodologie étayée ».

En effet, la commission a toujours souligné l'impérieuse nécessité de lutter contre la fraude :

- d'une part, en raison de son coût financier, même si son évaluation précise reste toujours une question délicate ( cf. ci-après) ;

- d'autre part, en raison de la rupture du pacte social qui en résulte.

Toutefois, afin de garantir la meilleure efficacité de l'action publique, il importe d'aborder ces sujets en ayant une vision claire des enjeux associés aux différents types de fraude et avec des priorités établies sur la base la plus objective possible - et non seulement à partir de l'écho médiatique associé à tel ou tel aspect de la fraude sociale.

Signe de l'importance de ce sujet dans le débat public, on relèvera que d'autres travaux récents ont poursuivi des objectifs voisins, qu'il s'agisse du rapport que la sénatrice Nathalie Goulet et la députée Carole Grandjean ont remis en 2019 au Gouvernement ou encore la commission d'enquête que l'Assemblée nationale a lancée le 29 janvier 2020 et qui doit prochainement rendre publiques ses conclusions.

De fait, l'enquête que la Cour des comptes a présentée à la commission le 8 septembre 2020 dresse un panorama complet et bien structuré des problématiques liées à la fraude aux prestations sociales.

Elle détaille tout d'abord la « professionnalisation croissante » des différents organismes de protection sociale en matière de lutte contre la fraude, qui a abouti à une forte croissance des montants de préjudice détectée au cours de ces dernières années. Elle regrette néanmoins vivement qu' à l'exception de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf), ces mêmes organismes ne procèdent pas à une estimation globale de la fraude qu'ils subissent, que celle-ci ait été détectée ou non 1 ( * ) .

Puis, après avoir détaillé les différents mécanismes de fraude aux prestations, l'enquête met également en lumière la nécessité de tarir en amont le flux de versements irréguliers (qu'il s'agisse de fraude ou d'indus non frauduleux) du fait de l'impossibilité structurelle de contrôler a posteriori de façon exhaustive. Cela passe essentiellement par :

- le renforcement des croisements de fichiers et de données , notamment au travers d'un rapprochement automatisé des coordonnées bancaires communiquées par les assurés, allocataires, professionnels de santé et autres tiers avec le fichier Ficoba ; ou encore d'un rapprochement automatisé permanent entre les assiettes de prélèvements sociaux déclarées de manière globale par les employeurs de salariés aux Urssaf d'une part et les salaires, quotités horaires et périodes travaillées déclarés de manière individualisée par salarié par ces mêmes employeurs d'autre part ;

- la réduction des fraudes et des autres irrégularités liées aux actes et prestations facturés à l'assurance maladie , notamment en rendant obligatoire la dématérialisation de l'ensemble des prescriptions médicales, y compris en établissement de santé, en individualisant chaque acte et prestation dans les nomenclatures tarifaires et en mettant en place des contrôles automatisés de l'application des règles de compatibilité et de cumul des actes et prestations facturés, ainsi que de conformité aux décisions du service médical ;

- la mise en place d'une carte Vitale dématérialisée et individualisée par assuré , y compris au titre de l'ensemble des enfants, permettant aux professionnels et aux établissements de santé de facturer à l'assurance maladie à partir de la situation à jour des droits des assurés sociaux dans le système d'information de cette dernière.

Les travaux de la Cour montrent enfin les insuffisances des sanctions lorsque des fraudes sont détectées .

Tout d'abord en matière financière , la Cnam et la Cnaf ne pouvant ainsi pas constater les indus liés à des fraudes sur la totalité de la période de cinq années précédant leur prescription d'ordre public, mais seulement sur les deux dernières années. Dès lors, la réparation de l'indû ne peut qu'être partielle, ce qui n'est pas acceptable.

D'autre part, en assurant l'application effective des lois en vigueur en matière de déconventionnement en urgence d'un professionnel de santé se rendant coupable de fraude et d'extrapolation des indus mis en recouvrement à partir des résultats de contrôles opérés sur des échantillons . Enfin, la Cour des comptes plaide pour la mise en place d'un déconventionnement d'office, d'une durée variable en fonction de la gravité des faits, des professionnels de santé sanctionnés à deux reprises par la voie pénale ou administrative au titre de fraudes qualifiées et ayant épuisé leurs voies de recours.

Le rapporteur général partage l'essentiel des constats et des préconisations de la Cour des comptes, d'ailleurs très cohérentes par rapport aux conclusions des travaux de la Mecss sur ce sujet en juin 2017 2 ( * ) . Il en tiendra compte dans le cadre de ses prochains travaux législatifs et de contrôle.

Il souscrit, en particulier, à la nécessité de disposer d'une estimation fiable du montant des fraudes (détectées ou non) subies par chacun des organismes de protection sociale . Une telle évaluation permettrait un véritable pilotage par les organismes et par les pouvoirs publics. En outre, elle seule permettrait d'évaluer le montant global du préjudice, son évolution au fil du temps et les risques liés à tel ou tel type de fraude. Elle seule permettrait donc, in fine , de hiérarchiser les moyens à mettre en oeuvre en matière de lutte contre la fraude. Le rapporteur général souhaite donc, comme le préconise l'enquête, qu' une telle estimation soit réalisée annuellement par chaque organisme , sur le modèle de ce que fait déjà la Cnaf.

Il regrette par ailleurs que la Cour des comptes n'ait pas jugé possible, au vu des conditions matérielles de réalisation de cette enquête, d'effectuer elle-même un tel chiffrage, même approximatif. Il est, certes, conforme à la vocation de la Cour des comptes de ne s'appuyer que sur des données fiables qu'elle a pu expertiser mais l'analyse approfondie d'un échantillon de dossiers représentatifs extrapolables aurait peut-être permis d'y voir d'ores et déjà plus clair. Il est en tout cas à craindre qu'en l'absence de tels chiffres, les estimations les plus fantaisistes polluent encore quelques temps le débat public en la matière.

En tout état de cause, le rapporteur général sera très attentif à la mise en place rapide d'un système fiable d'évaluation publique annuelle du montant de la fraude aux prestations qui le concernent dans chaque organisme de protection sociale , sous le contrôle de la Cour des comptes, en particulier à la Cnam dont la Cour des comptes a souligné le caractère peu spontanément coopératif en la matière. Les prochaines auditions desdits organismes par la commission, dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2021, permettront d'aborder rapidement ces questions.

En matière législative, l'audition a montré que quelques progrès restent à réaliser, notamment en matière de droit à communication de données (par exemple bancaires) à Pôle emploi ou encore en matière de renforcement des sanctions en cas de fraudes répétées - par exemple par des professionnels de santé. Là encore, la commission devrait, sur la base de l'enquête, proposer des évolutions au cours des prochains mois et même dès l'examen du PLFSS pour 2021 pour les propositions susceptibles d'être adoptées dans ce cadre.

Mais c'est surtout sur la mise en oeuvre effective des lois en vigueur parfois depuis longtemps, par exemple en matière de croisement de fichiers ou de sanctions , que la commission devra porter attention dans les mois à venir afin de parvenir enfin à des progrès significatifs dans la lutte contre la fraude aux prestations sociales, exigence financière et démocratique. Il importe que le Gouvernement et les organismes répondent de leur action en la matière devant le Parlement.


* 1 Le montant détecté par la Cnaf pour les prestations qu'elle sert et quel que soit le financeur (État ou sécurité sociale) s'établit à 2,3 milliards d'euros, soit 3,2 % des prestations versées, avec un taux d'indus frauduleux très fort pour ce qui concerne le revenu de solidarité active (10,1 % des montants versés).

* 2 Rapport d'information n° 599 (2016-2017) de Mmes Agnès Canayer et Anne Emery-Dumas.

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