Réponse de Luc Frémiot

Madame la présidente,

Mesdames les sénatrices,

Messieurs les sénateurs,

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi dans un premier temps de vous faire part de ma grande joie d'être ici parmi vous aujourd'hui.

Votre invitation et cette distinction me touchent énormément. Elles me confortent dans l'idée que vous avez bien voulu m'accorder votre confiance en m'associant à vos travaux et, toujours, en soutenant les dispositions que je préconisais et les projets qui étaient les miens.

Pour cette distinction, qui bien évidemment m'honore, merci du plus profond du coeur, Madame la présidente, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs.

Je voudrais aujourd'hui dénoncer un péril extrêmement important : je profite du micro qui m'est tendu pour le faire.

On pourrait penser que, désormais, en matière de lutte contre les violences, notre arsenal législatif est relativement complet. Effectivement, toute une série de dispositions ont été votées, souvent grâce à l'appui du Sénat, qui permettent aujourd'hui aux procureurs - du moins à ceux qui le souhaitent - de mener un véritable combat contre les violences faites aux femmes.

Au cours du Grenelle de lutte contre les violences conjugales , on a beaucoup entendu que nous étions parvenus à des solutions satisfaisantes pour tout le monde et que le Grenelle était une réussite.

Je suis pourtant très inquiet. Je crains, malheureusement, que nous vivions aujourd'hui dans une société où les mots ne veulent plus rien dire. Les mots sont colportés sans qu'on y réfléchisse vraiment, avec une autosatisfaction à mon avis dramatique lorsque l'on connaît la réalité des choses.

Tout cela me fait penser à ces vers de Paul Éluard :

Toutes les choses au hasard

Tous les mots dits sans y penser

Et qui sont pris comme ils sont dits

Et nul n'y perd et nul n'y gagne 8 ( * )

On entend beaucoup parler depuis quelque temps de « libération de la parole ».

La parole serait « libérée » car nous disposons aujourd'hui de réseaux sociaux, comme #MeToo ou #Balancetonporc , qui permettent à certaines victimes de s'exprimer. J'entends de nombreux commentateurs s'extasier devant ce courant.

Mais cette évolution est pour moi un véritable échec des institutions.

Lorsque les institutions qui sont les nôtres - police et justice - ne font pas leur travail, ne prennent pas leurs responsabilités et ne les assument pas comme elles le devraient, les réseaux sociaux occupent cet espace laissé vacant et y prennent une place qui me semble inquiétante. Cela illustre, d'une façon certaine, un manque total de confiance des femmes victimes de violences dans les services de police et dans les services judiciaires.

Alors, non, la parole n'est pas libérée !

Elle le sera le jour où une femme pourra effectivement, lorsqu'elle aura fait l'objet d'une agression, quelle qu'elle soit, quitter immédiatement son domicile et se rendre au commissariat en toute sécurité.

La parole sera libérée le jour où cette femme sera, dans un commissariat, reçue dignement, avec courtoisie et précision.

Elle sera libérée le jour où cette femme sera entendue par la police sans avoir eu besoin de faire la queue entre un monsieur dont le rétroviseur a été cassé et un autre qui vient se plaindre d'un problème de voisinage.

Actuellement, nous sommes encore loin du compte !

Il faut que cette femme soit accompagnée, qu'elle soit reçue par des officiers de police judiciaire formés à cette situation, capables de la mettre en confiance et, surtout, d'assurer sa sécurité. Il faut à tout prix faire en sorte que cette femme ne rentre pas, le soir, chez son agresseur.

Le rapport que j'avais demandé à l'Inspection générale de la Justice 9 ( * ) l'a démontré : bien souvent, les auteurs de violences ne sont même pas entendus et 30 % des affaires sont directement classées sans suite par les services de police et de gendarmerie, sans même que les procureurs soient au courant. La probabilité est donc très forte que l'agresseur de la femme dont je parlais à l'instant ne soit même pas convoqué au commissariat !

Quand toutes ces pratiques auront été bousculées, lorsque les procureurs de la République auront enfin décidé d'exercer les prérogatives qui sont les leurs en assurant la sécurité des victimes par l'éviction du conjoint du domicile conjugal, alors, oui, la parole sera libérée ! Mais aujourd'hui ce n'est pas le cas.

Je lance donc ici un cri d'alarme et je vous assure que je continuerai à m'exprimer comme je viens de le faire toutes les fois où j'en aurai la possibilité, tant je crains la léthargie des institutions.

Notre chemin, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, n'est donc pas terminé ; nous aurons encore bien des fois, je pense, l'occasion de travailler ensemble et je tiens à vous en remercier.

Avant de conclure, permettez-moi une phrase qui peut nous réunir : non, la violence conjugale n'est pas une fatalité !

Je vous remercie.


* 8 « Dominique aujourd'hui présente », Le Phénix , 1951.

* 9 Inspection générale de la Justice, Mission sur les homicides conjugaux , octobre 2019.

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