Rapport d'information n° 47 (2020-2021) de M. Jean-François HUSSON , fait au nom de la commission des finances, déposé le 14 octobre 2020

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N° 47

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 octobre 2020

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la conduite des grands projets numériques de l' État ,

Par M. Jean-François HUSSON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean Bizet, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Les difficultés particulières connues par certains grands projets numériques de l'État tels que Louvois et l'Opérateur national de paie font régulièrement l'objet d'échanges au sein de la commission des finances ou de travaux des rapporteurs spéciaux.

Le panorama des grands projets numériques de l'État 1 ( * ) indique, à la date actuelle, que ces projets ont un retard moyen de 26,6 % et un dépassement de budget moyen de 36,6 % . Cette situation n'est pas nouvelle : le glissement en termes calendaire et budgétaire est situé à ce niveau depuis plusieurs années, alors qu'il est de 18 à 20 % en moyenne dans les grands groupes.

Le montant annuel des investissements numériques serait de 380 millions d'euros, ce qui ne représente certes que 3 % environ des investissements totaux de l'État. L'enjeu dépasse toutefois largement le coût budgétaire des projets, car l'échec ou le retard d'un projet numérique peut déstabiliser l'activité d'un ministère, remettre en cause le bon fonctionnement d'un service public ou porter atteinte à l'exécution efficace d'une politique publique.

C'est pourquoi, par une lettre du 11 décembre 2018, le président de la commission des finances a demandé à la Cour des comptes, en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), de réaliser une enquête sur le pilotage par l'État des grands projets informatiques . Celle-ci a été suivie par le rapporteur général de la commission des finances, à savoir Albéric de Montgolfier puis Jean-François Husson.

Le périmètre de l'enquête portait sur les grands projets numériques, relatifs aux systèmes d'information et de communication, c'est-à-dire des projets qui doivent faire obligatoirement l'objet d'un avis préalable de la direction interministérielle du numérique (Dinum, ex-système d'information et de communication de l'État ou DINSIC), mais aussi des projets qui, sans être soumis à cet avis, ont un fort impact sur le service public.

La Cour des comptes a également examiné le rôle de la Dinum, le choix entre recours à des prestataires externes et développements en interne, les délais de réalisation et le respect des prévisions budgétaires, ainsi que l'avancement des systèmes d'information de l'État par rapport aux systèmes comparables du secteur privé.

Une audition sur cette enquête « pour suite à donner » a eu lieu le mercredi 14 octobre 2020. La commission a ainsi entendu M. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes et M. Nadi Bou Hanna, directeur interministériel du numérique (Dinum) 2 ( * ) .

LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DU RAPPORTEUR GÉNÉRAL

I. LA CONDUITE DES PROJETS EST SOUVENT INEFFICACE ET MÈNE PARFOIS À L'ÉCHEC

En utilisant le compte général de l'État, la Cour des comptes estime la valeur comptable des projets de développement de logiciels ou d'applications ayant abouti à une mise en service à 2,9 milliards d'euros pour l'État et 3,2 milliards d'euros pour ses opérateurs, y compris les caisses nationales de sécurité sociale.

Les projets les plus importants actuellement en service sont Chorus (292,7 millions d'euros), outil de gestion des dépenses et des recettes non fiscales des services de l'État, et Sirhen (188,1 millions d'euros), le système d'information de gestion des ressources humaines et des moyens de l'État. Le flux annuel d'investissement serait de 380 millions d'euros, soit 3 % environ des investissements totaux de l'État.

S'agissant des projets en cours de réalisation , les grands projets numériques de l'État concernent principalement les ministères de l'intérieur, de l'économie et des finances, des armées et de l'éducation nationale.

Cette répartition peut toutefois varier au rythme du démarrage et de l'achèvement des projets les plus importants, un seul projet pouvant représenter jusqu'à plusieurs centaines de millions d'euros à lui seul. On constate ainsi que la répartition des grands projets entre les ministères varie de manière importante d'une année à l'autre .

Coût total des grands projets informatiques de l'État par ministère

(en millions d'euros)

Source : Sénat, à partir des panoramas des grands projets informatiques de l'État 3 ( * )

A. LES MINISTÈRES RENCONTRENT DES DIFFICULTÉS POUR PILOTER LEURS GRANDS PROJETS NUMÉRIQUES

Le directeur interministériel du numérique a fait valoir, lors de l'audition « pour suite à donner » devant la commission des finances, que le taux de retard des projets numériques de l'État était dû principalement au stock de projets en cours.

Si cette indication est de bon augure, elle nécessitera d'être vérifiée au cours des années à venir : une analyse factorielle réalisée par la Cour des comptes sur les grands projets mentionnés dans les projets annuels de performances pour 2019 aboutit plutôt à la conclusion que les dérives en coût sont similaires pour les projets anciens et pour les projets plus récents 4 ( * ) .

La Cour identifie de nombreuses difficultés dans la conduite des projets : les administrations tardent à se doter de compétence en interne et confient donc trop de missions aux prestataires extérieurs (voir infra ), elles ne savent pas arrêter des projets en échec, ni réduire l'ambition de ceux dont les budgets ou les délais sont dépassés.

Elle souligne donc la nécessité de renforcer le pilotage et d'accélérer la prise de décision en désignant un responsable unique ayant autorité sur l'ensemble de la chaîne du projet (conception, développement, tests, déploiement...).

Il est également nécessaire de diminuer la taille des projets en les allotissant, de manière à permettre des mises en service successives. Un projet divisé en tranches permet d'apporter plus rapidement une valeur ajoutée pour les utilisateurs, ce qui renforce sa visibilité et donc l'adhésion des utilisateurs. La mise en service progressive permet aussi d'apporter les améliorations fonctionnelles nécessaires à une évolution du contexte ou des missions du ministère.

Ces recommandations soulignent une difficulté qui caractérise souvent les projets de réforme de l'action publique : malgré la réduction des moyens qui résulte d'une logique budgétaire, l'administration continue à tenter de garder le contrôle d'actions et de compétences qui devraient sans doute être abandonnées ou transférées, avec les moyens nécessaires, à d'autres acteurs plus à même de les réaliser, tels que les opérateurs, les collectivités territoriales ou des délégataires de service public selon le cas.

Ainsi l'administration ne semble-t-elle pas avoir la volonté ou la capacité d'interrompre des projets mal engagés pour gagner du temps et de l'argent, même lorsqu'il apparaît qu'elle ne dispose pas des moyens en interne pour assurer une conduite de projets suffisante. Le directeur interministériel du numérique a fait remarquer que, même lorsque la décision d'arrêt est prise, l'arrêt effectif se concrétise parfois uniquement deux ans après.

B. CERTAINS PROJETS SONT CONDUITS SANS PRENDRE EN COMPTE LES BESOINS DES UTILISATEURS

La Cour reproche également aux gestionnaires de projets informatiques de ne pas prendre suffisamment en compte les besoins des utilisateurs .

L'exemple du projet Cassiopée est particulièrement frappant : alors que ce système devait unifier les applications existantes au sein du ministère de la justice afin de gérer l'ensemble de la chaîne pénale, il est apparu au bout de dix ans, alors que le coût et les délais avaient été pourtant multipliés par deux, que le système ne répondait pas aux besoins des magistrats instructeurs, qui n'avaient pas été pris en compte dans les cahiers des charges.

II. L'ADMINISTRATION CENTRALE DOIT REPRENDRE LA MAÎTRISE DE SES GRANDS PROJETS NUMÉRIQUES

Pour réduire les dérives et les échecs des grands projets numériques, ces derniers doivent connaître une réduction de leur taille et il faut prévoir la mise en place d'une structure de pilotage au sein de l'administration, face aux prestataires extérieurs. La Dinum doit pouvoir jouer un rôle important dans cette organisation.

A. LE RECOURS À L'EXTERNALISATION ATTEINT SES LIMITES...

Parmi les raisons de l'échec du projet Sirhen, la Cour note une « emprise forte des prestataires extérieurs sur le programme sans que les moyens internes de suivi soient proportionnés ». Le directeur interministériel du numérique souligne également le rôle des grands cabinets de conseil intervenant lors du cadrage des projets : la Dinum a identifié « des comportements opportunistes et une tendance à complexifier certains aspects » de la part de ces cabinets de conseil, que l'on retrouve en accompagnement sur les projets en dérive.

D'une manière générale, l'État recourt de plus en plus à l'achat de prestations intellectuelles informatiques 5 ( * ) , sans que les administrations disposent , lors du lancement des projets , des ressources internes nécessaires à la conduite et au contrôle des travaux confiés à ces prestataires.

Le risque d'une externalisation non accompagnée d'une capacité de l'administration à contrôler les prestataires dépasse le domaine des projets numériques et constitue une préoccupation pour l'ensemble des activités de l'administration .

À titre d'exemple, il ressort du rapport 2019 du contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) sur la gestion du ministère de la transition écologique et solidaire et du ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales que, pour de nombreuses missions autrefois exercées en régie, le recours à des prestataires extérieurs peut accroître les coûts du fait du manque de précision des conventions de gestion. La modification très fréquente des dispositifs, imposée par une volonté légitime de réactivité, a généralement un impact très fort sur les frais de gestion.

Le risque est fonctionnel et économique , des prestations insuffisamment maîtrisées pouvant conduire à des surcoûts ou des réalisations ne correspondant pas aux besoins, mais aussi juridique .

La Cour relève des cas où des protocoles transactionnels d'un montant important ont dû être conclus : dans le cas du projet Cassiopée de gestion de la chaîne pénale, l'administration ne s'est pas dotée assez tôt des compétences nécessaires en maîtrise d'ouvrage et en maîtrise d'oeuvre, ce qui a retardé la validation des spécifications et entraîné la signature de protocoles transactionnels à hauteur de 10 % du prix du marché. Le CBCM fait le même constat pour le recours à des prestataires extérieurs : « La nécessité de modifier, parfois lourdement et dans des délais très brefs, les systèmes d'information, l'insuffisante qualité du cadrage des commandes de prestations (qui devrait respecter le processus normal, alternant un cahier des charges, suivi d'un devis et d'une facture qui s'y tient) conduisent souvent à la nécessité de recourir à des transactions pour solder les frais engagés par les prestataires . »

B. ... ALORS QUE LE SECTEUR PUBLIC RENCONTRE DES DIFFICULTÉS POUR RÉUNIR LES COMPÉTENCES NÉCESSAIRES EN INTERNE

Face à la souplesse et aux ressources des employeurs privés, le secteur public peine à offrir des perspectives de carrière et des revenus attractifs dans un milieu où les ingénieurs ne manquent pas d'offres. Selon le directeur interministériel du numérique, le concours des ingénieurs des systèmes d'information et de communication (Isic) attire chaque année un nombre de candidats inférieur au nombre des postes ouverts. La capacité numérique se répand certes de plus en plus chez les ingénieurs généralistes, mais elle ne peut toujours remplacer le besoin de profils de spécialistes pointus.

En outre la voie du concours n'est pas forcément la plus adaptée pour recruter des experts, car elle ne peut pas garantir que la personne recrutée sera employée dans son domaine précis de compétence. Le directeur du numérique soutient un recours massif aux contractuels, à condition d'offrir un niveau de rémunération équivalent à celui du secteur privé.

C. LES MINISTÈRES DOIVENT MIEUX MUTUALISER LEURS COMPÉTENCES INFORMATIQUES, SOUS L'ÉGIDE DE LA DIRECTION INTERMINISTÉRIELLE DU NUMÉRIQUE

Faisant le constat de la difficulté que rencontrent les ministères à renforcer leurs compétences internes, la Cour conclut logiquement à la nécessité d'y parvenir par une mutualisation des moyens .

Le constat, fait supra , de la grande variabilité, d'une année à l'autre, de la répartition des grands projets entre les ministères doit conduire à la conclusion suivante : une administration qui ne mène des grands projets que de manière espacée peut difficilement conserver en interne, de manière permanente, la totalité des compétences nécessaires.

La Cour propose donc de recruter 400 professionnels de la filière numérique au niveau interministériel. Une voie moins ambitieuse est explorée actuellement par le Gouvernement, qui cherche, via la Dinum, à faciliter la mise à disposition temporaire d'un agent bénéficiant d'une compétence particulière auprès d'une autre administration que celle dont il fait partie. Le programme TECH.GOUV prévoit ainsi de constituer un tel « vivier » composé de 1 000 experts numériques internes et externes à l'État.

La Cour propose également de renforcer le rôle de pilotage de la Dinum en la faisant intervenir plus en amont et tout au long des projets.

La Dinum formule actuellement à l'égard des ministères des avis qui sont conformes pour les projets d'un montant supérieur à 9 millions d'euros . L'avis est simple pour les projets de même taille menés par des organismes placés sous la tutelle de l'État 6 ( * ) .

Le rôle est toutefois limité par les contraintes qui lui sont posées : son avis conforme sur les grands projets de l'État arrive trop tard pour parvenir toujours à redresser les projets en difficulté et elle ne dispose que d'un accès insuffisant aux données des projets via Chorus.

La Cour recommande donc de prévoir une intervention systématique de la Dinum dans les phases d'études préalables pour les projets susceptibles de dépasser 50 millions d'euros de coûts prévisionnels. Un projet ne devrait pas non plus durer au-delà de cinq ans , sauf avis dérogatoire de la Dinum. Comme l'a indiqué le président de la quatrième chambre de la Cour lors de l'audition « pour suite à donner », les responsables de système d'information dans le secteur privé estiment qu'un projet informatique doit durer entre dix-huit mois et trois ans.

Sans doute faudrait-il surtout, comme l'a ainsi fait remarquer le directeur interministériel du numérique devant la commission, ne plus lancer de projets supérieurs à 50 millions d'euros , ce qui correspond déjà à un projet de grande ampleur, mais les diviser en projets de taille plus facile à gérer.

Une autre piste de meilleure maîtrise des projets numériques concerne les opérateurs de l'État , même si ces projets - en particulier ceux conduits par les administrations de sécurité sociale - ne faisaient pas partie du périmètre de l'enquête demandée à la Cour des comptes. Dans la mesure où les politiques publiques mises en oeuvre par ces opérateurs nécessitent la conduite de projets numériques dont le montant est même supérieur à ceux réalisés directement par l'État, il sera utile que le contrôle de la Dinum soit effectif à l'égard de ces projets, ce que permettent des évolutions réglementaires récentes.

L'équilibre doit en fait être trouvé entre l'attribution de nouvelles responsabilités à une direction spécialisée telle que la Dinum , qui possède de grandes compétences techniques, et l'acquisition de ces compétences par les ministères eux-mêmes , qui sont mieux à même d'apprécier le besoin fonctionnel. Face aux propositions tendant à donner à la Dinum un rôle plus moteur dans la conduite des projets des ministères, le directeur interministériel du numérique considère que sa direction n'a pas à assumer le pilotage des projets à la place des ministères, ceux-ci devant acquérir une culture du pilotage des projets numériques. Il a indiqué avoir mis en place un « cabinet de conseil interne » qui a vocation à assister les ministères dans la préparation des projets, le plus en amont possible.

TRAVAUX DE LA COMMISSION :
AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mercredi 14 octobre 2020, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a procédé à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur la conduite des grands projets numériques de l'État.

M. Claude Raynal , président . - La commission des finances du Sénat a demandé à la Cour des comptes, par une lettre du 11 décembre 2018, de lui remettre un rapport sur les grands projets numériques de l'État en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

Certains projets informatiques de l'État, comme le logiciel Louvois pour le ministère de la défense ou l'opérateur national de paie, ont en effet connu des échecs retentissants qui ont suscité des travaux de la Cour des comptes et de notre propre commission. Notre collègue Michel Canevet avait, par exemple, alerté en 2016 sur l'insuffisance des moyens de l'informatique publique dans un travail de contrôle budgétaire. En juillet dernier, nos collègues Claude Nougein et Thierry Carcenac se penchaient sur les moyens informatiques de la direction générale des finances publiques (DGFiP) dans sa mission de lutte contre la fraude fiscale. Les rapporteurs spéciaux des missions « Défense » et « Enseignement scolaire » ont également eu l'occasion d'évoquer les dysfonctionnements et surcoûts des logiciels Louvois ou Sirhen.

Il était donc utile de demander à la Cour un point général sur des projets qui revêtent un caractère stratégique avec la diffusion du numérique dans une proportion toujours croissante de nos activités quotidiennes ; c'est vrai pour les agents des ministères qui utilisent ces applications comme pour les citoyens dans leurs rapports avec l'État.

Pour nous présenter les principales conclusions auxquelles elle est arrivée, la Cour des comptes est représentée par une équipe de magistrats conduite par M. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre.

Afin de répondre aux observations de la Cour, mais surtout de nous apporter un éclairage sur les grands projets informatiques de l'État, nous avons le plaisir de recevoir également M. Nadi Bou Hanna, directeur interministériel du numérique.

La direction interministérielle du numérique (Dinum), rattachée au Premier ministre, a en effet une mission d'avis et de conseil sur ces projets au service de l'ensemble des ministères. Mais cette direction a aussi un rôle beaucoup plus large d'animation et de développement pour les projets numériques de l'État.

Après l'intervention de la Cour, je passerai la parole au rapporteur général pour des premiers questionnements, et à M. Nadi Bou Hanna, puis à l'ensemble de nos collègues.

Je vous rappelle que cette audition fait l'objet d'une retransmission en direct sur le site du Sénat, mais aussi sur le compte Twitter du Sénat.

M. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes . - C'est un plaisir et un honneur de venir devant votre commission présenter les résultats de notre travail. Le sujet que vous nous avez confié nous a fait progresser dans notre connaissance de la conduite des grands projets. Il nous a donné l'occasion de faire une synthèse opérationnelle de constats éparpillés dans une vingtaine de rapports de la Cour des comptes et dans des rapports d'inspection. Président de la quatrième chambre, je parle ici au nom de la Cour tout entière, puisque toutes les chambres sont concernées par cette enquête et y ont été associées.

Je suis accompagné de trois personnes, parmi celles qui ont contribué à ce travail : Mme Mireille Faugère, conseillère maître, M. Stéphane Seiller, conseiller maître, et M. Benoît Grandin, rapporteur. Ils bénéficiaient tous les trois d'une solide expérience de la conduite des projets numériques avant d'intégrer cette équipe. Je tiens à souligner le rôle particulier de Stéphane Seiller, chef d'équipe et concepteur de la méthodologie de cette enquête. Nous avons dès le départ bénéficié d'un comité d'accompagnement de haut niveau composé de trois directeurs de systèmes d'information privés, M. Yves Buey, Mme Patricia Lacoste et M. Christophe Leray, du délégué général du Club informatique des grandes entreprises françaises (Cigref), M. Henri d'Agrain, ainsi que du directeur du Contrôle fédéral des finances suisse, l'homologue de notre Premier président, M. Michel Huissoud. Deux fonctionnaires, dont l'un de la Cour des comptes, praticiens des systèmes d'information, ont complété notre comité. La méthode consistant à confronter les avis de spécialistes du secteur privé et du secteur public sur les constats que nous pouvions faire nous a grandement aidés. Nous avons auditionné la Dinum en juin dernier et remis le rapport au Sénat, le 29 juillet.

M. Albéric de Montgolfier nous a aidés à cadrer le sujet en nous posant une question simple : pourquoi l'État plante-t-il ses grands projets numériques ? Notre périmètre d'études dépassait le cadre des seuls projets soumis à avis obligatoire de la Dinum, à savoir ceux dont le budget était supérieur à 9 millions d'euros. Nous avons baissé la barre à 5 millions d'euros et quelquefois plus bas encore pour intégrer des projets à fort impact social et politique. Nous n'avons pas traité des systèmes d'information du secteur social ou des opérateurs de l'État, ni des systèmes militaires opérationnels, nous contentant des systèmes de gestion relevant du secteur de la défense.

Nous avons abondamment utilisé les travaux de la Cour et des inspections ministérielles. En parallèle, nous avons mené une enquête sur le rôle de la Dinum et nous avons exploité l'intégralité des données relatives aux projets qu'elle suit. Nous avons également procédé à une exploitation transversale des données budgétaires et comptables de l'État, à l'aide du système Chorus.

Le comité d'accompagnement nous a aidés de manière active, et je l'en remercie. Enfin, nous avons procédé à des comparaisons internationales, en particulier avec l'Estonie, qui revendique le concept du e-gouvernement, dont nous pourrions nous inspirer.

Un certain nombre d'échecs emblématiques laissent à penser qu'il y aurait un manque de savoir-faire de l'État français. On cite notamment Louvois et l'opérateur national de paie, deux projets abandonnés après plus de dix ans de développement pour l'un et sept ans pour l'autre. On cite aussi le semi-échec de Cassiopée, refonte du système d'information de la chaîne pénale, qui sans être abandonné, ne donne pas satisfaction à ses utilisateurs, près de quatorze ans après son lancement. On pourrait compléter la liste par Sirhen, le système de gestion intégrée des ressources humaines du ministère de l'éducation nationale, qui a dû être abandonné après un développement ayant coûté à peu près 480 millions d'euros.

Une des conséquences de ces échecs a été la création d'une direction interministérielle des systèmes d'information et de communication de l'État (Disic) en 2011, désormais direction interministérielle du numérique (Dinum) depuis 2019. Elle coordonne et contrôle les actions des administrations publiques. Depuis 2014, elle contrôle aussi l'engagement de l'État dans des projets d'un montant supérieur à 9 millions d'euros, puisqu'elle est appelée à donner un avis conforme.

Une autre conséquence a été l'élaboration d'une doctrine de conduite des projets numériques de l'État, doctrine élaborée autour de neuf principes, en 2017, par la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État (Dinsic). Cette doctrine préconise de diminuer sensiblement le temps nécessaire au développement des projets, ainsi que les moyens alloués par l'administration pour les mettre en service. Elle recommande également de développer des projets de taille maîtrisable, quitte à les découper en projets indépendants, de manière à permettre la livraison d'applications opérationnelles à intervalles réguliers et si possible rapprochés.

Il faut rappeler, avant d'aborder le fond du sujet, que la conduite des grands projets numériques est partout difficile, que ce soit en France ou à l'étranger, dans le secteur public ou privé, que l'on prenne comme exemple le portail Obamacare aux États-Unis ou bien le système d'information fiscal suisse Insieme , arrêté en 2012, après dix ans de développement, les Suisses préférant simplifier la règlementation fiscale avant de mettre en place un système intégré de gestion des recettes fiscales.

La presse a fait état des échecs de développement de projets dans le secteur privé, avec, notamment, le système d'information de la filiale DHL de Deutsche Post, ou bien celui de Lidl. Le coût de ces échecs - respectivement 350 et 500 millions d'euros - n'est pas inférieur à ce que l'on constate dans le secteur public.

Divers cabinets que nous citons dans le rapport ont relevé les taux d'échec, en distinguant des marqueurs récurrents : coût, délais et fonctionnalités. La combinaison des trois facteurs conduit à un très faible taux de projets réussis, à l'échelle mondiale, les dépassements de délai et de coûts s'observant dans au moins 60 % des projets.

Les causes d'échec sont elles aussi communes à l'État et au secteur privé, et se retrouvent à l'international. On peut citer des études préalables insuffisantes, une gouvernance des projets déficiente, des ressources trop faibles pour conduire les projets, des équipes insuffisamment réactives, des attentes d'utilisateurs mal prises en compte, mais aussi des changements de fonctionnalité en cours de développement des projets.

Les chiffres impressionnent, qu'il s'agisse du coût de l'échec de l'ONP ou de celui de Louvois auquel s'ajoute le coût induit des erreurs de paie qui se sont poursuivies jusqu'à aujourd'hui, en raison des défaillances du système. Mais, la valeur des immobilisations correspondant aux dépenses informatiques de l'État n'est pas très élevée, à 6 milliards d'euros, dont une grosse moitié pour les opérateurs de l'État et le reste pour l'État. Les flux annuels de dépenses conduisant à ces immobilisations représentent 3 % des investissements de l'État, soit 500 à 600 millions d'euros par an. Ces taux assez faibles posent la question de savoir si le niveau d'investissement est suffisant pour répondre aux ambitions de l'État numérique et de l'État plateforme, telles qu'exprimées dans le plan numérique de 2019.

Où en sont les performances de l'État ? On constate peu d'améliorations visibles par rapport aux objectifs fixés par la Dinum : si l'État développe un peu moins de grands projets, la proportion du nombre de très grands projets supérieurs à 50 millions d'euros reste très importante, avec des dérives et des niveaux de risques élevés. La durée prévisionnelle des projets reste élevée, à sept ans en moyenne. Sur la quarantaine de projets dans le portefeuille de la Dinum, six dépassent une durée prévisionnelle de dix ans. Les projets les plus risqués combinent un volume financier supérieur à 50 millions d'euros et une durée dépassant les huit ans. En conformité avec les lignes directrices tracées en 2017, nous préconisons des échéances courtes n'excédant pas trois ans et des projets fractionnés de 5 à 20 millions d'euros.

Deuxième constat, les grands motifs de risques restent les mêmes. Sur les 90 projets suivis par la Dinum, les principaux motifs de risque restent des trajectoires inadaptées, des moyens humains insuffisants, une gouvernance inadéquate et un manque d'évaluation initiale. Ces causes, récurrentes, coïncident avec celles qui ont été identifiées dans les études internationales.

Troisième constat, les dérives augmentent. L'ambition fixée par le Gouvernement dans le plan TECH.GOUV de 2019 était de réduire les dérives à un taux de 20 % d'ici à 2022. Or, dans la période étudiée, l'écart calendaire passe de 15 à 35 % et les dépassements de coûts augmentent à 30 %. Pour atteindre l'objectif des 20 %, il faudra prendre des mesures très strictes de redressement. L'une des difficultés consistera à pouvoir arrêter les projets les plus risqués : la Dinum a donné huit avis négatifs depuis sa création. Autre difficulté, la procédure d'avis conforme est sans doute trop tardive et mériterait d'être avancée.

Enfin, l'on constate dans le modus operandi des porteurs de projets et de la Dinum une attention insuffisante portée aux données financières. La Dinum ne contre-expertise pas les devis et les estimations de coûts présentés dans le dossier qu'elle étudie pour donner son avis initial. Or, des défaillances existent dans les estimations concernant un certain nombre de projets.

Le quatrième graphique nous montre que la direction unique de projet reste trop souvent l'exception, puisqu'elle ne concerne que 15 % des projets. C'est pourtant une condition essentielle du succès d'une opération.

Le cinquième graphique porte sur le coût rapporté à une base annuelle s'agissant de la quarantaine de projets dans le portefeuille de la Dinum. Pour l'administration, un grand projet, c'est de 3 millions à 5 millions d'euros, sauf exception. Cela veut dire que, face à des budgets contraints, les administrations jouent sur la seule variable qu'elles maîtrisent, à savoir l'allongement de leur durée, pour faire entrer les projets dans les clous. Or c'est une cause connue et répertoriée d'échec. Une exception à ce constat est le prélèvement à la source, mené sur deux ans, qui a été un succès technique.

Dernier point, et j'en reviens aux ressources humaines (RH), les ministères ne mobilisent pas de ressources internes suffisantes pour conduire leurs grands projets. Selon la Dinum, il faut au minimum 38 % de ressources internes par rapport aux prestataires externes si l'on veut les superviser correctement. On constate que seuls les ministères économiques et financiers respectent ce ratio. Tous les autres sont en dessous, parfois même de manière dramatique. Ainsi, au ministère de la justice, le taux est de 9 %, ce qui peut expliquer l'échec de Cassiopée.

En troisième partie, j'aborderai l'organisation et la gouvernance du système. Force est de constater qu'il y a une marge incontestable de progrès en matière de conduite et de supervision des projets.

Loin de moi l'idée de critiquer la Dinum, mais il est notoire qu'elle ne dispose pas des moyens suffisants pour exercer sa mission. Elle a des moyens juridiques, mais elle n'a pas toujours la possibilité de les mettre en oeuvre. Par exemple, elle est règlementairement compétente pour prononcer un avis sur les projets des grands opérateurs de l'État, mais elle ne l'a jamais fait. Par ailleurs, les ressources humaines qu'elle consacre à l'analyse des projets, à l'audit ou au conseil, c'est moins d'une dizaine de personnes. Elle est donc parfois obligée d'externaliser cette fonction clé.

Enfin, le référentiel de coût proposé par la Dinum aux ministères n'est pas toujours utilisé et il n'y a pas de suivi analytique des dépenses engagées par projet.

Nous pensons donc qu'un renforcement de la capacité de supervision de la Dinum serait utile pour étendre effectivement l'avis conforme aux grands opérateurs de l'État et lui donner la possibilité de fonctionner en réseau avec les directeurs du numérique ministériels récemment créés.

Nous avons également identifié des marges de progrès au sein des ministères. Les dix ministères que nous avons examinés ont désormais un schéma directeur des systèmes d'information. Les processus formalisés d'engagement de projets et d'analyse de valeur existent, mais ils sont trop formels et se limitent le plus souvent à la procédure d'avis conforme pour les projets de plus de 9 millions d'euros. Plus d'attention devrait être portée à la création de valeur attachée à ces projets et à l'énoncé d'objectifs chiffrés. Un dispositif de maîtrise des risques existe dans tous les ministères, ce qui est un progrès, mais le suivi est souvent insuffisant. Un suivi mensuel est recommandé, ce qui est le cas pour seulement 20 % des ministères.

La plupart des ministères n'observent pas les ratios recommandés par la Dinum, qui sont différents selon qu'ils sont en maîtrise d'oeuvre ou en maîtrise d'ouvrage. Concrètement, cela veut dire qu'ils ne font pas le poids face à leurs cocontractants et que le suivi des prestataires est insuffisant. La tentation d'en profiter peut être là...

La filière numérique de l'État, ce sont 18 500 personnes, et 20 000 au ministère des armées dans les segments opérationnels. Les emplois de ce secteur sont notoirement sous tension, le marché étant très concurrentiel. L'État a certains atouts, comme sa marque employeur, mais aussi des handicaps importants : les délais de recrutement trop longs et l'absence de parcours de carrière interministériels.

J'en viens maintenant aux recommandations du rapport.

Tout d'abord, nous préconisons l'intervention systématique de la Dinum en amont pour les projets susceptibles de dépasser une cinquantaine de millions d'euros de coûts prévisionnels, aucune réalisation de projet ne devant être supérieure à 5 ans, sauf avis dérogatoire de la Dinum. Nous souhaiterions ensuite que soit entreprise une démarche de simplification des procédures et de la réglementation pour les projets d'ampleur, avec la désignation d'un responsable unique ayant autorité pour prendre les décisions et les faire appliquer par les équipes engagées dans le projet. Il nous apparaît en outre nécessaire de privilégier un pilotage par les délais en structurant les projets autour de jalons courts correspondant à un apport de valeur et de fonctionnalités aux utilisateurs du service numérique. Il conviendrait enfin de respecter les ratios minimaux de ressources humaines internes et d'intégrer, dès la conception des projets numériques, et tout au long de leur développement, les besoins des utilisateurs.

Sur le plan de l'organisation, il faudrait améliorer les plans d'investissement numériques et examiner préalablement au lancement d'un projet la possibilité de privilégier une solution mutualisée.

En matière de ressources humaines, nous préconisons de recruter un vivier interministériel d'au moins 400 professionnels rattaché au Premier ministre, en privilégiant les recrutements à implantation locale.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je vous remercie de cette présentation très claire. Je remercie également Albéric de Montgolfier, qui a bien fait de solliciter votre expertise sur ce sujet.

En moyenne, les budgets des projets numériques de l'État dépassent de 37 % les estimations initiales. L'État doit donc gagner en rigueur en la matière. Vous avez détaillé les projets phares menés par l'administration ces dernières années, avec des réussites, mais aussi des échecs retentissants. À cet égard, je reste persuadé qu'il est préférable d'interrompre des projets mal engagés pour gagner du temps et de l'argent.

Je souhaite soumettre quelques questions, notamment à M. Nadi Bou Hanna, en préambule à son intervention.

Ne pensez-vous pas qu'il devrait y avoir une surveillance plus étroite des projets par la Dinum et l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) ? Vous avez parlé de mutualisation, mais ne pourrait-on pas, par exemple, envisager des modes de coopération plus souples entre ministères, avec mise à disposition de personnels qui ont une expérience sur tel type de projet, ce qui permettrait le partage de bonnes pratiques ?

S'agissant des ressources d'expertise propres, comment le secteur public peut-il offrir des perspectives de carrière satisfaisantes pour des personnels à haute compétence technique ? Comment rendre le service de l'État attractif ?

Enfin, la loi de finances pour 2018 a instauré le fonds de transformation de l'action publique, d'un montant de 700 millions d'euros sur le quinquennat, pour opérer la transition numérique de l'action publique. Quel est le regard porté par la Dinum sur ce fonds ? Quel est son bilan depuis 2018 ?

M. Nadi Bou Hanna, directeur interministériel du numérique . - Le numérique est désormais l'un des vecteurs principaux de la transformation du service public. Ma direction, vous l'avez rappelé, agit pour le compte du Premier ministre, selon trois modes d'intervention : nous animons le collectif des directions du numérique et aidons donc à définir les orientations stratégiques en la matière ; nous contrôlons les grands projets ; enfin, nous construisons des solutions mutualisées et nous les opérons, ce qui rejoint une de vos questions : comment favoriser l'émergence de la mutualisation pour éviter que les uns et les autres ne consacrent chacun des budgets à des projets identiques ?

Cette stratégie a donné lieu à la publication en 2019 du plan de transformation numérique de l'État - intitulé TECH.GOUV -, dont les enjeux résonnent avec les points qui ont été développés précédemment. Ainsi, la simplification et l'inclusion visent à atteindre les personnes, parmi les citoyens comme parmi les agents publics, les plus éloignées du numérique afin que celui-ci produise de la valeur, un aspect essentiel pour guider les investissements mis en oeuvre.

Le deuxième bloc est l'attractivité et l'autonomie ; l'attractivité vise à attirer des profils pointus afin de donner les moyens de son autonomie à l'État et que ce dernier puisse conduire ses projets, les mener à bien et bénéficier d'une capacité de réversibilité si des projets se déroulaient mal.

Enfin, le dernier bloc est relatif à l'efficience et rassemble les économies et les alliances, aussi bien avec les collectivités territoriales qu'avec les opérateurs privés. En effet, la seule exécution de projets sous forme de contrat ne permet pas d'assurer le succès d'opérations complexes.

Sur l'aggravation du glissement des projets, nos métriques montrent que celui-ci atteint en moyenne 18 % à 20 % dans le privé, contre 30 % au sein de l'État, mais ce chiffre s'explique principalement par le stock. On pourrait utiliser à ce propos la formule d'inversion de la courbe de la dérive : l'essentiel des glissements concerne des projets qui ont démarré il y a plus de cinq ans. Notre problématique est donc le déstockage, car désormais, le flux - soit les nouveaux projets - est davantage vertueux et correspond aux recommandations édictées. Le système d'information de l'État est un paquebot, lui faire prendre un virage sec demande plusieurs années.

Vous avez évoqué un point essentiel : la capacité à arrêter les coups mal partis. L'État a des progrès à faire en la matière : une décision d'arrêt peut être prise, mais l'arrêt effectif peut ne se concrétiser que deux ans après.

Enfin, s'agissant de l'objectif d'autonomisation des ministères, il me semble essentiel de ne pas infantiliser les porteurs de projet et de développer la culture du pilotage des programmes numériques. Le renforcement des contrôles est insuffisant à ce titre, il importe d'entrer dans une logique partenariale, c'est pourquoi j'ai mis en place au sein de ma direction un cabinet de conseil interne rassemblant des fonctionnaires et des contractuels qui intervient en amont pour aider les ministères à préparer les projets, plutôt que de devoir les sanctionner après, c'est-à-dire trop tard. C'est pourquoi nous faisons évoluer les pratiques liées à notre rôle d'avis conforme pour les projets de plus de 9 millions d'euros afin de développer l'auto-évaluation et d'éviter les dossiers mal ficelés.

Je partage les onze recommandations inscrites dans le rapport de la Cour des comptes, avec quelques nuances. Sur l'intervention systématique de la Dinum dans tous les projets de plus de 50 millions d'euros, à mon sens, l'enjeu est plutôt de ne plus lancer de projets d'une telle ampleur, en fractionnant les projets afin de disposer de jalons à court terme pour n'engager les phases suivantes que si les premières sont réussies. Une autre nuance concerne le recrutement et les affectations locales. La difficulté est la culture historique du triptyque « maîtrise d'ouvrage, maîtrise d'oeuvre et utilisateurs ». Cela ne fonctionne pas, il faut au contraire que les trois se mettent autour de la même table et coconstruisent le projet. L'ambition d'affectation locale pose la question des porteurs de projet et de l'endroit où ceux-ci sont élaborés. Il me semble qu'il importe dès lors de développer l'association des parties prenantes, plutôt que de mettre l'accent sur une localisation géographique. Je partage en revanche entièrement les autres points, en particulier en ce qui concerne les ressources humaines, qui sont la clé pour inverser la tendance.

J'en termine avec quelques voies de progression nécessaires. La première concerne les opérateurs. Les grands projets de l'État représentent 2,9 milliards d'euros, ceux des opérateurs, 3,2 milliards d'euros. Il faut donc s'intéresser à ces derniers, même si aujourd'hui le droit ne nous permet pas de prononcer des avis conformes à leur endroit. Depuis le 3 octobre toutefois, la Dinum peut prononcer des avis simples, ce qui nous permet d'ouvrir leur capot et d'aider leurs porteurs de projet à les mener à bien.

La deuxième possibilité de progression touche au rôle des prestataires, notamment les grands cabinets de conseil qui interviennent souvent dans le cadrage, en amont. Ainsi, tous les projets en dérive détectés depuis une dizaine d'années ont fait l'objet d'une mission d'accompagnement, souvent très longue. Nous avons identifié des comportements opportunistes et une tendance à complexifier certains aspects. J'ai donc donné pour consigne à mes équipes de mettre en oeuvre une communication de type name and fame lorsque cela se passe bien et name and shame dans le cas contraire.

Enfin, la troisième piste concerne la gouvernance et le rôle du politique. Il arrive qu'un projet soit lancé parce que le ministre a annoncé qu'il fallait atteindre un objectif dans les dix-huit mois. Ce sont les pires projets : il faut les lancer, car leur opportunité ne peut plus être remise en cause, mais ils n'ont aucune chance d'atteindre la cible dans les délais fixés, ce qui conduit leurs porteurs à surévaluer les besoins en espérant retomber sur leurs pieds. Or cela ne fonctionne jamais. Ce constat rejoint la question du positionnement des directions du numérique dans les ministères. Historiquement, les directions des systèmes d'information (DSI) étaient des services d'exécution travaillant dans la soute des administrations, mais leur transformation en directions du numérique dont le mandat comprend les infrastructures, les projets informatiques, mais également les usages, la politique de la data et l'innovation les a fait remonter dans la chaîne, ils sont maintenant directement rattachés aux secrétaires généraux et discutent avec les cabinets, si bien que cette culture est en train d'infuser et de remonter jusqu'au ministre. On observe donc parmi les projets lancés ces dernières années très peu d'opérations pour lesquelles la capacité d'exécution n'a pas été analysée en amont.

M. Claude Raynal , président . - Merci de votre réponse, notamment de votre optimisme concernant les projets les plus récents.

M. Michel Canevet . - Je remercie la Cour des comptes pour ce rapport important qui suit celui que j'ai réalisé en 2016, ayant considéré qu'au vu des échecs de l'opérateur national de paye et de Louvois, il fallait prendre des dispositions.

J'avais affirmé la nécessité d'intégrer les opérateurs dans le champ des investigations de la Dinum. Depuis lors, on a connu le naufrage des programmes informatiques liés à la mise en oeuvre des programmes européens ou les difficultés récurrentes dans la délivrance des cartes grises, indiquant que des problèmes persistent. En effet, au vu du poids des projets portés par les opérateurs de l'État, il y a à faire. Il faut avancer sur l'obligation de requérir l'avis de la Dinum à ce sujet. Ne faudrait-il pas même baisser le seuil de l'avis conforme à 5 millions d'euros ? Au vu du décalage budgétaire mis en évidence par la Cour, le seuil des 9 millions d'euros est-il respecté ?

La Cour a également évoqué la mise en oeuvre de schémas numériques dans la plupart des ministères. J'avais insisté sur la nécessité de ces outils, tous les ministères en disposent-ils maintenant ?

Le réseau interministériel de l'État (RIE) est-il aujourd'hui complètement déployé ?

S'agissant des ressources humaines, j'avais évalué à 18 500, en dehors des militaires, les personnels chargés de l'informatique, dont un tiers à Bercy et un tiers au ministère de l'intérieur. Une difficulté identifiée portait notamment sur la nécessité d'un corps dédié aux métiers de l'informatique et du numérique : on a créé les services interministériels départementaux des systèmes d'information et de communication (Sidsic), qui agrègent des personnels issus de différentes directions de l'État, dont les conditions statutaires sont très différentes. Leurs perspectives de carrières ne sont donc pas claires et ces personnels s'en trouvent démobilisés. Il est donc nécessaire de disposer d'un corps bien identifié pour disposer de cette ressource humaine, car il faut avoir en interne les compétences nécessaires pour assurer la mise en oeuvre des programmes. De même, cette situation donne lieu à des difficultés de recrutement, notamment à l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI).

Délocaliser ces personnels sur le territoire me semble être une très bonne suggestion. Je sais, d'ailleurs, que beaucoup de ces as de l'informatique et du numérique sont adeptes des sports de glisse : en Bretagne, par exemple, ils pourraient aisément conjuguer le service de l'État et l'exercice de cette passion...

Enfin, sur l'organisation, vous l'avez dit, la Dinum est rattachée au Premier ministre, mais il existe un secrétariat d'État au numérique qui dépend de Bercy, un ambassadeur du numérique et un ministère de la transformation et de la fonction publiques. Qui assure le pilotage de ces questions ? Le numérique est un enjeu majeur, il faut accentuer les efforts dans le domaine, y compris en supprimant les zones blanches, qui sont encore trop nombreuses. Aujourd'hui, l'organisation de l'État dans ce domaine est-elle suffisamment efficiente ?

M. Jérôme Bascher . - La dérive n'est-elle pas liée à un rattrapage numérique des ministères ? M. Bou Hanna affirme que la situation était un peu meilleure pour les nouveaux projets : la dérive est-elle la conséquence d'un retard dans l'accoutumance à ces projets informatiques, synonyme de perte d'expertise ?

L'une des bonnes idées de Napoléon Bonaparte a été la création des grands corps de l'État. Ne manque-t-il pas un grand corps d'informaticiens ? On pourrait ainsi leur proposer de meilleures carrières et les rémunérer à un niveau concurrentiel.

Concernant le name and shame , je serai beaucoup plus dur que M. Bou Hanna envers les entreprises responsables d'un échec. Elles ne doivent pas être payées ! Dans ma carrière de fonctionnaire, j'avais eu affaire à une grande entreprise de conseil ; le rapport qu'elle nous avait rendu n'était que le copier-coller d'un rapport ministériel. Refuser de payer et la menacer d'une mauvaise publicité avait très bien marché. Le conseiller doit être de la sorte intéressé à la réussite du projet.

Le conseiller n'a-t-il pas intérêt, actuellement, à développer des projets trop spécifiques ? Les administrations vont insuffisamment se servir « sur étagère », parmi les produits existants. Chaque ministère réinvente la roue.

M. Claude Raynal , président . - Je reconnais l'esprit provocateur de notre collègue : la création de grands corps est à la mode !

M. Arnaud Bazin . -Vincent Capo-Canellas, dans son rapport de 2018 sur la modernisation des services de la navigation aérienne, nous avait fourni des éléments sur la dérive d'un grand projet informatique de l'aviation civile. Ce projet, d'un coût de plusieurs centaines de millions d'euros, avait dérivé pendant de nombreuses années. Entrait-il dans le périmètre de votre étude, monsieur Andréani ? Avez-vous des observations particulières sur cet échec patent ?

Divers services nous ont exprimé leur inquiétude quant à leur capacité à recruter dans des conditions correctes des informaticiens de bon niveau. La Dinum elle-même rencontre-t-elle de telles difficultés ? Un turnover trop élevé pourrait nuire à la réalisation de ses missions. Disposez-vous d'éléments précis sur le personnel de la Dinum ?

Mme Christine Lavarde . - La Cour des comptes s'est-elle intéressée aux questions relatives au stockage des données ? Celui des données de santé a été remis en cause par la Cour de justice de l'Union européenne ; on attend un arrêt du Conseil d'État en la matière. Quelle est la stratégie de l'État dans ce domaine ? Après avoir construit des systèmes, il convient de déterminer comment valoriser les données qu'on y enregistre.

Vous avez évoqué les projets numériques de l'État et des opérateurs, mais qu'en est-il des collectivités territoriales ? Le coût cumulé de tous leurs projets est d'un ordre de grandeur proche de celui des projets de l'État. La Dinum songe-t-elle à concevoir un outil unique qui serait mis à la disposition des collectivités, de manière à mutualiser l'expertise technique ? Tous y gagneraient financièrement.

M. Claude Raynal , président . - Les projets informatiques comprennent la réalisation de programmes, mais aussi leur gestion, leur entretien au fil du temps. Des études d'objectifs sont-elles menées, lors du lancement de tels projets, sur ces coûts de gestion et d'entretien ?

Qu'en est-il de la sécurité des systèmes informatiques ? Comment l'État peut-il la garantir, en lien avec les partenaires éventuellement retenus pour l'entretien d'un programme ?

M. Gilles Andréani . - La procédure d'avis conforme de la Dinum inclut désormais un recours à l'ANSSI pour veiller aux caractéristiques de sécurité du projet en cause ; cela vient corriger un manque sérieux. Pour autant, l'indicateur du rapport annuel de performances sur le niveau de sécurité des systèmes informatiques des différents services de l'État n'est pas très bon ; il reste un gros effort à faire, en dépit de l'excellente qualité du travail de l'ANSSI.

Monsieur Canevet, votre rapport nous a bien sûr été fort utile. Nous avions étudié en détail l'échec initial du système de numérisation de la délivrance des cartes grises dans notre rapport public de 2019. C'est un bon exemple de ce qu'il ne faut pas faire : numériser un système réglementaire compliqué qu'on ne s'est pas donné la peine de simplifier au préalable.

Un corps d'informaticiens existe déjà ; il s'agit des ingénieurs du ministère de l'intérieur. Peut-être ce corps compétent n'essaime-t-il pas assez au-delà de ce ministère.

Monsieur Bascher, si les projets récents ne dérivent pas, c'est qu'ils n'en ont pas encore eu le temps ! Déjà, on ne devrait pas mener de projets sur cinq ans ; ils devraient être segmentés. Je fais toute confiance à la Dinum pour aiguillonner les ministères en la matière. Les responsables de systèmes d'information issus du secteur privé présents dans notre comité d'accompagnement ont été très surpris de la durée de ces projets : pour eux, la réalisation d'un programme informatique doit prendre entre dix-huit mois et trois ans. Certains programmes rapidement mis en oeuvre par l'administration, voire improvisés, ont été des réussites, dès lors qu'ils ont reçu le temps, l'énergie et le niveau de ressources nécessaires.

Quant au name and shame , notre homologue suisse nous a signalé la possibilité, dans ce pays, d'interdire aux entreprises coupables de graves défaillances dans l'exécution d'un contrat de participer à de futurs appels d'offres.

Je suis tout à fait d'accord avec vous concernant l'achat sur étagère. On avait essayé de développer en propre un système de gestion de la maintenance aéronautique des armées : ce fut un échec et il a été remplacé par un système dérivé de systèmes existants dans l'industrie, qui a donné satisfaction. De même, le système Cassiopée-Scellés, utilisé dans la chaîne pénale, n'a pu être utilisé au tribunal judiciaire de Paris en raison de défauts dans la conception initiale du projet - le volume était trop important - ; on a donc eu recours à une application dérivée tout à fait satisfaisante : le stockage de scellés n'est pas si différent de celui des produits d'un grand magasin.

Madame Lavarde, concernant le stockage des données, rappelons que la tentative de développer un cloud souverain français a échoué, au coût de plusieurs dizaines de millions d'euros. Pour autant, le sujet reste d'actualité : il faudrait au moins développer des solutions européennes. Cela dit, depuis cette tentative malheureuse, des acteurs privés ont émergé en France ; l'un d'entre eux est déjà très important.

M. Nadi Bou Hanna . - Concernant les problèmes de recrutement, il existe des cursus de fonctionnaires dédiés au numérique, notamment le corps des ingénieurs des systèmes d'information et de communication (Isic), mais ce concours rencontre d'importantes difficultés : chaque année, il y a moins de candidats que de postes ouverts. On souffre de la disparition d'un corps de fonctionnaires de catégorie A+ experts de ces technologies. Heureusement, on dispose désormais des ingénieurs des mines, qui travaillent davantage dans le domaine numérique que par le passé. Ils ne sont pas très nombreux, mais offrent à l'État une première capacité de pilotage stratégique.

Du fait de ces difficultés, je suis convaincu que, pour soutenir le numérique public, il convient de s'appuyer massivement sur des expertises ponctuelles via le recours à des contractuels. Il faudrait développer l'attractivité de ces postes et offrir un niveau de rémunération équivalent à celui du secteur privé.

Concernant plus précisément la Dinum, nous n'avons pas de difficulté à pourvoir les postes ouverts. Nous favorisons volontairement le turnover au sein de la Dinum, car nous sommes une direction de mission qui a intérêt à adapter les expertises aux évolutions des besoins de l'État. Le dispositif visant à favoriser les allers-retours entre secteurs public et privé qui a été mis en place cette année par la loi de transformation de la fonction publique pourrait nous aider, en permettant à des profils de titulaire de recevoir une expérience complémentaire avant de revenir au secteur public, alors que la tendance historique est au départ des profils les plus intéressants vers le privé.

Nous avons lancé il y a plusieurs mois l'initiative « Partager vos talents numériques », qui commence à donner des résultats intéressants. Il s'agit de faciliter les mises à disposition de spécialistes pointus entre ministères. Il peut être intéressant de mobiliser ponctuellement une expertise ; c'est un mode dynamique de mutualisation des compétences auquel la culture administrative n'est pas forcément très propice.

M. Jérôme Bascher . - Qui décide de ces mises à disposition ?

M. Nadi Bou Hanna . - L'initiative vient des agents eux-mêmes, qui expriment leur motivation pour travailler sur des projets dans d'autres administrations. C'est une logique d'association de l'offre et de la demande entre ministères demandeurs et agents volontaires. Ce dispositif est tout à fait nouveau : je ne suis donc pas encore en mesure de vous exposer des résultats très concrets.

Vous avez également évoqué le naufrage de quelques projets, tel celui qui est relatif à la délivrance des cartes grises. Pour permettre de rendre ces constats d'échec plus objectifs, nous avons lancé il y a quelques mois un observatoire de la qualité des services numériques, qui est mis à jour tous les trois mois. Cet observatoire permet à tout utilisateur, à tout citoyen qui fait une démarche en ligne, de noter son expérience. Les résultats sont intéressants ; nous les publions en toute transparence, pour les 250 démarches les plus utilisées, ce qui permet d'identifier les zones de faiblesse et les projets qui marchent bien. La délivrance des cartes grises était l'une des solutions numériques les moins appréciées, mais on relève une progression remarquable des notes données par les utilisateurs ces derniers mois. Ce thermomètre amène les ministères à s'intéresser à la perception de leurs services numériques et à améliorer l'expérience des utilisateurs.

M. Canevet m'a demandé si tous les ministères ont défini une stratégie de moyen terme. Nous ne les incitons plus à élaborer des schémas directeurs pluriannuels, mais il est essentiel qu'ils déterminent une trajectoire d'évolution stratégique, c'est-à-dire un plan glissant, actualisé quand les circonstances ou les priorités évoluent. La plupart des ministères ont adopté cette démarche, en particulier grâce au programme TECH.GOUV, qui leur a fourni un cadre d'ensemble déclinable dans leurs secteurs respectifs.

Le réseau interministériel de l'État est probablement l'un des grands succès de ces dernières années. Fort de 14 000 points de présence, il s'est avéré extrêmement résistant pendant le confinement, lorsqu'il a dû absorber les flux de connexion des agents en télétravail. Son renforcement se poursuit, en vue d'en faire, au-delà de la connectivité du quotidien, le socle du réseau de crise de l'État.

Ma direction est placée sous l'autorité de la ministre de la transformation et de la fonction publiques, à l'instar de la direction interministérielle de la transformation publique et de la direction générale de l'administration et de la fonction publique. C'est donc Amélie de Montchalin qui assure le pilotage stratégique du numérique au sein de l'État. Pour autant, la Dinum intervient aussi pour le compte du Premier ministre, en particulier sur les questions liées à l'article 3 du décret n° 2019-1088 du 25 octobre 2019 relatif au système d'information et de communication de l'État et à la direction interministérielle du numérique.

Réinventer la roue à chaque projet, c'est un syndrome informatique bien connu, dans la fonction publique comme dans les entreprises : le not invented here , consistant à considérer qu'on est toujours différent de son voisin... Ma direction vise, tout au contraire, à développer des solutions mutualisées, « sur étagère ». Toutes celles que nous avons mises à la disposition des agents pendant la crise sanitaire ont été de ce type.

Je ne puis pas vous renseigner sur le programme de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) dont il a été question : nous n'y avons pas été associés durant les trois dernières années. Je ne suis d'ailleurs pas certain qu'il s'agisse d'un projet strictement numérique. Je vous fournirai des éléments de réponse ultérieurement.

En ce qui concerne le cloud , la stratégie mise en place il y a deux ans consiste à former trois cercles concentriques : le premier dédié aux besoins internes de l'État, opéré directement par celui-ci dans ses centres de données ; le deuxième appuyé sur un industriel du numérique, qui n'a pas encore vu le jour, mais sur lequel nous travaillons ; le troisième permettant aux administrations de recourir aux offres du marché, en appréciant l'adéquation de celles-ci à la sensibilité de leur projet. La question du choix du prestataire est essentielle, et il appartient à chaque ministère d'évaluer la sensibilité des données en jeu pour choisir un opérateur français, européen ou un industriel international de l'hébergement.

En la matière, on ne peut pas adopter une position uniforme. Le cloud est aujourd'hui dominé par quelques géants américains qui disposent d'une longueur d'avance d'un point de vue technique. Il faut aider nos industriels à se hisser à leur niveau, mais nous ne pouvons pas attendre pour commencer à faire basculer nos offres dans le cloud . Nous devons donc trouver des compromis, en tenant compte de la sensibilité des projets.

La valorisation de la data est un axe de travail important de ma direction. Placer la donnée au coeur de la décision publique passe par le développement de la data science et de l' open data au sein de l'État.

La relation avec les collectivités territoriales est, en effet, un enjeu très important. À cet égard, ma direction anime un programme partenarial, le Développement concerté de l'administration numérique territoriale (DCANT), destiné à trouver des lieux de mutualisation de solutions techniques et de partage de bonnes pratiques. Il s'agit en particulier de favoriser la constitution, à l'échelle régionale, départementale, voire intercommunale, de structures de mutualisation, par exemple pour le recrutement de profils pointus ou la conduite de projets à forte valeur ajoutée.

Enfin, vous m'avez interrogé sur la sécurité des systèmes d'information. L'ANSSI est pour nous un partenaire du quotidien : nous travaillons main dans la main sur la plupart des projets numériques. Comme il a été signalé, elle fait désormais partie du processus d'audit des projets de plus de 9 millions d'euros.

M. Claude Raynal, président . - Monsieur le président Andréani, monsieur Bou Hanna, je vous remercie. Nous avons régulièrement parlé des grands projets informatiques sur un mode plutôt négatif, mais vous êtes arrivés à faire souffler un petit vent d'optimisme !

Mes chers collègues, je vous propose d'autoriser la publication de cette enquête en annexe au rapport d'information de notre rapporteur général.

La commission a autorisé la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Jean-François Husson, rapporteur général.

ANNEXE :
COMMUNICATION DE LA COUR DES COMPTES
À LA COMMISSION DES FINANCES

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* 1 https://www.numerique.gouv.fr/publications/panorama-grands-projets-si/

* 2 Le compte rendu de cette audition figure en annexe au présent rapport.

* 3 Le panorama des grands projets informatiques de l'État, publié à intervalles réguliers par la Dinum (https://numerique.gouv.fr/publications/panorama-grands-projets-si/), ne recense pas la totalité des projets informatiques, mais ceux qui « requièrent une vigilance et un suivi particuliers en raison de leurs impacts, de leur degré de complexité ou de leurs enjeux financiers », notamment tous ceux dont le coût dépasse 9 millions d'euros.

* 4 Annexe n° 6 de l'enquête de la Cour des comptes.

* 5 Le montant des achats de prestations intellectuelles informatiques par l'État était de 660,3 millions d'euros en 2016, 758,5 millions d'euros en 2017 et 828,4 millions d'euros en 2018 selon l'annexe 3 de l'enquête de la Cour des comptes.

* 6 Décret n° 2019-1088 du 25 octobre 2019 relatif au système d'information et de communication de l'État et à la direction interministérielle du numérique.

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