B. LE RÔLE DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

1. L'implication du tissu associatif

Le monde associatif joue un rôle fondamental dans la lutte contre la pollution plastique. Il est fortement impliqué dans les actions curatives de nettoyage (qui servent également à caractériser les déchets plastiques). Il s'investit également dans des actions de prévention de la consommation de plastiques à travers des actions locales, mais également au niveau international pour les associations les plus importantes (notamment via les réseaux sociaux et les pétitions). Un tel tissu associatif, bénévole, porteur d'initiatives, doit être considéré comme un important levier pour agir . Il doit être vu comme une infrastructure sociale, complémentaire à l'infrastructure technologique mise en place pour lutter contre les pollutions.

a) Les actions de nettoyage

De nombreuses associations réalisent des opérations de nettoyage, que ce soit sur les plages, le long des berges, dans les cours d'eau à sec, les lacs, les rivières, les fonds marins. Si l'objectif principal est de débarrasser la nature des déchets plastiques et d'éviter que ces derniers polluent l'environnement et les écosystèmes, ces opérations sont également l'occasion d'organiser des campagnes de sensibilisation.

La plupart des associations ne se contentent pas de ramasser des déchets. Très souvent, elles les caractérisent.

Ainsi, l'association Mer Terre s'est fixée sept objectifs : mieux comprendre les phénomènes de pollution par les macrodéchets ; récolter de la donnée pour avoir un appui auprès des décideurs ; agir sur les politiques publiques ; impliquer les fabricants, les distributeurs et les industriels dans le dispositif de réduction et de dépollution ; informer les consommateurs ; connaître les zones d'accumulation des macrodéchets pour aider les gestionnaires ; évaluer les actions en observant les évolutions (positives et négatives). Chaque année, cette association organise des actions de nettoyage et de caractérisation des déchets à travers notamment l'opération « Calanques propres » : en 2019, 124 m 3 de déchets ont été collectés. 80 structures 167 ( * ) ont participé à cette action, soit 1 600 personnes de Martigues à La Ciotat.

Cette association a également créé une plateforme 168 ( * ) qui recense et fédère toutes les actions menées dans la région Sud pour lutter contre les déchets plastiques sauvages. Actuellement, sont inscrits sur le réseau ReMed plus de 130 acteurs, dont 67 associations, 10 organismes de recherche, 12 sociétés nautiques, 22 établissements scolaires, 9 collectivités territoriales, 6 entreprises et les gestionnaires des parcs naturels et des zones protégées.

Vos rapporteurs ont constaté que de nombreuses associations travaillent en étroite collaboration avec des instituts de recherche, en particulier avec l'Ifremer, pour la constitution de données, notamment dans le cadre du réseau de surveillance des macrodéchets sur le littoral mis en place à la suite de l'adoption de la directive cadre stratégique pour le milieu marin. Sans la collaboration de la science participative, les scientifiques devraient consacrer des moyens humains considérables pour récolter, trier puis caractériser les déchets. Un axe de progrès est cependant identifié : il concerne la normalisation des protocoles et du reporting, conditions indispensables pour pouvoir comparer les résultats issus des campagnes de caractérisation.

Les exemples suivants illustrent le rôle des associations.

Sur le bassin versant de la Têt, dans le département des Pyrénées orientales, l'association CITECO 66 organise régulièrement des opérations de ramassage et de collecte des déchets. Lors d'une opération en février 2015, en deux heures, 40 bénévoles ont ainsi récupéré 2 278 déchets, dont 78 % en plastiques.

Le comptage, le pesage et la qualification des déchets flottants sur la Têt sont également organisés régulièrement par cette association. Entre 2016 et 2019, 66 observations ont été réalisées par deux personnes pendant 30 minutes selon le protocole mis en place par le réseau européen RIMMEL. Elles ont permis de qualifier 1 169 objets répertoriés, dont 97 % en plastique, pour un poids total de 3 990 kg.

En 2016, l'association Expédition MED a organisé une campagne de collecte participative sur 16 plages de l'arc atlantique qui a abouti à la collecte de données de catégorisation sur 144 997 déchets.

D'autres associations utilisent les opérations de nettoyage pour valoriser les déchets. C'est le cas de l'association « Reseaclons » qui réunit les univers de la mer et de la plasturgie : les déchets sont collectés par les pêcheurs, puis sont valorisés par la société TRIVEO, spécialiste du recyclage des plastiques complexes.

En un an, 1,2 tonne de plastiques marins a ainsi été valorisée. Les mousses, les thermodurcissables et les caoutchoucs, plastiques considérés habituellement comme non recyclables, sont nettoyés et broyés. Par un processus de compression-friction, ils sont recyclés pour la fabrication de pots de fleur. La gamme de produits est donc actuellement très réduite. Néanmoins, cette initiative mérite d'être encouragée. Non seulement elle s'appuie sur une dynamique territoriale permettant de sensibiliser un grand nombre d'acteurs sur la pollution des mers (riverains, collectivités territoriales, touristes, pêcheurs, monde associatif, etc.), mais elle donne une valeur émotionnelle aux déchets et constitue un exemple pour le décloisonnement des filières d'économie circulaire.

Reseaclons vise désormais à essaimer ses résultats sur quatre sites de la façade atlantique.

b) La réduction de la consommation de plastiques

Au-delà des actions de nettoyage, de nombreuses associations cherchent à inciter la population à réduire leur consommation de plastiques. Ainsi, les associations « No plastic in my sea » et « Zero plastic waste» publient des guides pratiques recensant les « éco-gestes » pour limiter l'utilisation de plastiques : achat en vrac ; utilisation de l'eau du robinet (100 fois moins chère que l'eau en bouteille et de très bonne qualité) ; utilisation de cosmétiques solides ; kits « doityourself » (pour les boissons, les lessives, les produits cosmétiques) ; les systèmes de consignes (bouteilles et ventes à emporter).

Des défis sont organisés, tels que l'action « no plastic challenge » qui vise à éviter 15 gestes pendant 15 jours (ne pas utiliser de sacs, de bouteilles, de couverts en plastique, etc.).

Ces associations insistent sur la corrélation entre la production et la pollution plastique. Elles jugent le recyclage inefficace et soulignent ses effets pervers : il n'incite ni les metteurs en marché, ni les consommateurs, à remettre en cause leurs habitudes de production et de consommation puisque la fin de vie des déchets est censée être assurée.

Ces associations prônent donc la réduction de la production ainsi que le développement du réemploi et de l'éco-innovation. À cet égard, elles soulignent que cette dernière n'a pas toujours besoin de faire appel à des technologies très performantes pour être efficace . Ainsi, la standardisation des emballages pour la consommation à emporter apparaît la solution la plus judicieuse pour mettre un terme à l'utilisation de plastiques à usage unique dans ce secteur d'activité.

Conscientes de la nécessité de jouer sur l'offre pour réduire la consommation de plastiques, de nombreuses associations organisent des actions de stigmatisation de certaines entreprises afin de les inciter à se détourner d'un modèle économique basé sur le plastique à usage unique.

A l'occasion de la journée mondiale de ramassage des déchets (world cleanup day), l'association Break free from plastic organise une action « name and shame ». Il s'agit d'identifier les grandes entreprises responsables de la pollution plastique et de les interpeller publiquement. Des opérations de collecte avec identification des marques sont organisées. Les données chiffrées sont collectées puis un rapport est réalisé pour interpeller les grandes marques sur leur responsabilité dans cette pollution. Cette stigmatisation des entreprises n'a pas vocation à modifier le comportement des consommateurs, mais à influencer les pratiques des entreprises qui sont soucieuses de leur réputation.

Lors de son audition, Pascale Ricard 170 ( * ) a évoqué un recours intenté en Californie par des associations environnementales au mois de février 2020 à l'encontre de grands groupes dont Coca-Cola, Pepsi, Nestlé ou encore Danone, sur le fondement du droit de la consommation (les consommateurs étant trompés sur le caractère recyclable des plastiques), ainsi que pour les dommages causés par les déchets plastiques de ces entreprises à l'environnement. Selon elle, la poursuite judiciaire des entreprises responsables de la pollution plastique pourrait être un nouveau type d'action prometteur pour les associations environnementales.

2. La sensibilisation croissante des citoyens
a) Une prise de conscience variable selon les plastiques et les catégories socioprofessionnelles

L'opinion publique est sensibilisée à certains aspects de la pollution plastique à travers les médias, les associations et les mesures prises par les pouvoirs publics. Elle s'inquiète de l'accumulation des macrodéchets en plastique qui constitue une pollution visuelle et s'offusque devant les impacts de cette pollution sur la faune vivant dans les océans.

Les plastiques à usage unique sont considérés comme les principaux responsables de cette pollution et les sondages suivants montrent la réserve des Français vis-à-vis de ce type de plastique.

Dans un sondage Ifop de mars 2019 sur « les Français et le plastique », 84 % des Français sont favorables à l'interdiction des plastiques à usage unique et 90 % sont favorables au retour à la bouteille en verre consignée.

Dans un autre sondage Ifop de novembre 2019 commandé par le WWF, 88 % des Français sont favorables à l'interdiction des produits et emballages plastiques non recyclables.

Pour autant, une conscience écologique et un bon niveau d'information n'entraînent pas automatiquement de changement de comportement et le prix reste un élément déterminant dans les choix de consommation.

Lors de son audition, Sylvie Moison-Pichard, directrice de Ligépack, a montré, à travers plusieurs sondages, les contradictions entre les comportements et les convictions. Ainsi, les jeunes générations sont celles qui apparaissent les plus sensibles à la dégradation de l'environnement. Pour autant, ce sont également elles qui consacrent le moins d'argent pour l'alimentation à domicile au profit de la commande à domicile ou de la restauration rapide, deux secteurs d'activité qui utilisent beaucoup de plastiques à usage unique.

Comme il a été dit précédemment, certaines associations essaient de faire prendre conscience aux consommateurs le lien entre mode de vie et coûts environnementaux en montrant les effets associés aux prix bas des plastiques. Toutefois, il semblerait que ces actions modifient uniquement la consommation des classes moyennes supérieures. Magali Reghezza 171 ( * ) a expliqué ce phénomène par le fait que les classes à très fort bagage culturel investissent la consommation comme un espace politique. Celle-ci leur permet un positionnement statutaire. Pour le reste de la population, qu'il s'agisse des adolescents ou des catégories populaires, les comportements restent grégaires et influencés par les valeurs dominantes (surconsommation, valorisation du jetable par rapport au durable) et le prix des produits.

Par ailleurs, la compréhension de la pollution plastique par l'opinion publique reste très partielle.

La pollution plastique est appréhendée uniquement par le prisme des macroplastiques. L'existence de microplastiques et encore plus de nanoplastiques est méconnue par la population et, par voie de conséquence, le risque que ces derniers font courir à l'environnement ou à l'Homme.

De même, si les Français reconnaissent la responsabilité du secteur de l'alimentation dans le développement de la pollution plastique en raison de sa forte consommation de plastiques à usage unique, ils ignorent le rôle de l'industrie textile, de la cosmétique, des pneumatiques, de l'agriculture ou encore de la pêche.

b) Des messages qui brouillent la perception des citoyens

Alors que les connaissances scientifiques ne sont pas stabilisées, que les menaces sont souvent invisibles et que le risque est mal connu, certains messages ajoutent délibérément de la confusion.

La lutte contre la pollution plastique se heurte à des intérêts économiques très forts qui cherchent par tous les moyens à éviter la mise en cause de leurs modèles d'affaires basés sur le plastique à usage unique. Selon eux, la pollution plastique est liée à une gestion déficiente des déchets plastiques et à un mauvais comportement des consommateurs. Le recyclage est souvent brandi comme susceptible de résoudre la pollution plastique puisque le déchet devient une ressource utilisée dans un nouveau cycle de production. L'accent est donc mis sur la responsabilisation des consommateurs afin de les inciter à mieux trier leurs déchets. Ce discours est également repris par les éco-organismes et les pouvoirs publics qui insistent sur la facilitation du geste de tri avec l'instauration de l'extension des consignes de tri. Néanmoins, ce discours confond - parfois délibérément - deux notions distinctes, à savoir le tri et le recyclage. S'il ne peut y avoir de recyclage sans tri préalable, le prochain chapitre va montrer que le taux de recyclage des plastiques n'atteint que 24,5 % et varie fortement en fonction des résines.

De même, certaines décisions publiques peuvent paraître contradictoires et brouiller la perception des citoyens. Ainsi, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire a fixé un objectif de 100 % de déchets recyclés d'ici à 2025. Parallèlement, elle a posé le principe de l'interdiction du plastique à usage unique d'ici à 2040. Or, l'industrie du recyclage requiert non seulement des investissements considérables et donc une visibilité à long terme, mais également des flux importants et réguliers de matières pour rentabiliser les coûts d'investissement et de fonctionnement du traitement. Le message politique devient difficilement audible lorsque l'articulation entre les temporalités des mesures (mesures de recyclage à court terme, mesures de réduction de la consommation de plastiques à usage unique à long terme) est insuffisamment expliquée.

Un autre exemple illustre les confusions que peuvent susciter les débats sur les moyens pour lutter contre la pollution plastique.

De nombreuses associations sont impliquées dans des opérations de nettoyage des océans. The Ocean Cleanup, créée par Boyan Slat, envisage la création d'un barrage flottant qui collecterait les déchets du 7 e continent dans le gyre du Pacifique Nord. D'autres projets (comme The SeaCleaners d'Yvan Bourgnon) proposent de collecter le plastique et de le transformer en carburant.

Le rapport a précédemment évoqué l'inexistence des « continents de plastiques », et il a souligné que les microplastiques constituaient 90 % (en nombre et pas en masse) de la pollution plastique à la surface des océans. Ces opérations canalisent dès lors une vision réductrice de la pollution plastique. Le message du nettoyage des océans n'est pas celui qu'il faut prioritairement adresser à l'opinion publique pour l'informer des causes et des conséquences de la pollution plastique.

Mobilisant d'importants moyens financiers, ces opérations interrogent également sur leur efficience en termes de réduction de la pollution plastique des océans. Considérant qu'elles ne couvrent qu'une infime partie du domaine océanique et qu'elles s'adressent aux macrodéchets flottants, elles ne peuvent traiter que moins de 0,3 % de la pollution qu'elles visent à combattre, oubliant les macroplastiques présents dans la colonne d'eau, sur le fond des mers ou échoués sur les côtes.

Plusieurs des chercheurs auditionnés par vos rapporteurs ont évoqué des opérations qui peuvent être vues comme une affectation inefficiente de moyens pour endiguer la pollution.

Comment expliquer alors un tel niveau d'engouement de l'opinion publique pour le nettoyage des océans ?

Lors de son audition, Jean-Paul Vanderlinden 172 ( * ) a évoqué le concept d'épisode cosmologique qui correspond à « un moment au cours duquel les personnes sentent soudainement et profondément que l'univers n'est plus un système rationnel et organisé, et qu'il a perdu son sens ». La pollution plastique peut être considérée comme un épisode cosmologique. L'opinion publique est alors sensible à l'élaboration d'un récit permettant à nouveau aux événements d'apparaître comme cohérents dans le temps et l'espace et se déroulant d'une manière ordonnée. C'est ce qui expliquerait le succès rencontré par des associations comme The Ocean Cleanup auprès de la population. Elles seraient capables de redonner du sens - nettoyer la pollution plastique - à travers un slogan alors que le discours scientifique, à l'origine de la prise de conscience de l'épisode cosmologique, ne permettrait pas de générer des récits ayant les caractéristiques esthétiques et éthiques qui font les belles histoires.


* 167 Il s'agit de collectivités territoriales, de services de l'État, d'associations et d'entreprises.

* 168169 www.remed-zero-plastique.org

* 170 Chargée de recherche au CNRS, Centre d'Études et de Recherches en droit International et Communautaire.

* 171 Directrice du centre de formation sur l'environnement et la société.

* 172 Professeur en économie écologique et études de l'environnement.

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