III. LA PROLONGATION DE LA LOI DOIT TENDRE À ENCOURAGER LES COMMUNES QUI CONSTRUISENT

A. LES OBJECTIFS DE LA LOI SRU NE SERONT PAS ATTEINTS EN 2025

Il est désormais acquis que, dans un grand nombre de communes, le taux cible de 25 % ou de 20 % de logements sociaux ne sera pas atteint en 2025 .

La Cour des comptes, en extrapolant les tendances actuelles, indique que le taux moyen des communes actuellement déficitaires n'atteindrait que 18,5 % en 2030.

Selon le rapport de M. Thierry Repentin et de la commission nationale SRU, seules 80 communes, soit 8 % des communes déficitaires, atteindraient le taux légal à l'horizon 2025 dans un scénario de production « moyen » (c'est-à-dire en projetant la poursuite des tendances observées entre 2011 et 2018) et 315 dans un scénario « haut ». Plus précisément, dans le scénario moyen, 19 % des communes soumises au taux de 20 % atteindraient leur objectif, mais seulement 4 % des communes soumises au taux de 25 %. Il faudrait de 11 à 30 ans pour qu'une commune soumise au taux de 25 % atteigne son objectif.

De la même manière, l'indicateur budgétaire, mentionné supra , relatif au taux de logement social dans les communes concernées par la loi SRU n'est jamais atteint, année après année, de sorte que, plus l'échéance de 2025 approche, plus la progression qu'il serait nécessaire de suivre au cours des années à venir pour atteindre l'objectif paraît irréaliste.

Taux de logements locatifs sociaux
dans les communes soumises au taux de 25 %

(En pourcentage du nombre de résidences principales)

Source : commission des finances, à partir des rapports annuels de performance 2016 à 2020

B. L'ARTICLE 55 DE LA LOI SRU DOIT DONC ÊTRE PROLONGÉ AVEC DES MODALITÉS MIEUX ADAPTÉES AUX CONDITIONS LOCALES

1. L'échéance doit être repoussée au-delà de 2025 et son calendrier doit être aménagé

Plusieurs propositions ont été faites concernant la prolongation du mécanisme défini par l'article 55 de la loi SRU.

M. Thierry Repentin, avec la commission nationale SRU, a formulé deux propositions à la ministre chargée du logement :

- soit un objectif « glissant » : il s'agirait de fixer non pas une échéance fixe comme dans le système actuel (en l'occurrence l'année 2025), mais un rythme de rattrapage par période triennale, qui serait d'autant plus élevé que la commune est éloignée du taux cible de 20 % ou de 25 % ;

- soit une échéance fixe , comme dans le mécanisme existant, mais plus tardive et déterminée en fonction du taux actuel de logements sociaux dans les communes concernées. En pratique, les communes disposeraient donc d'une à quatre périodes triennales supplémentaires pour atteindre le taux de 20 % ou 25 % de logements sociaux.

Le rapporteur spécial s'est interrogé sur la possibilité de fixer plutôt des objectifs en termes de flux , c'est-à-dire que la contrainte pèserait sur le nombre de logements sociaux rapportés au nombre de logements créés au cours d'une période.

La Cour des comptes écarte cette proposition en considérant qu'elle ne permettrait pas d'atteindre l'objectif de mixité sociale.

Or les objectifs actuels fixés en stock présentent des défauts bien connus . Ils sont particulièrement difficiles à atteindre dans des zones très denses où le foncier disponible est rare, voire inexistant. En outre la construction de logements sociaux augmente aussi le stock sur lequel est calculé la proportion de logements sociaux, de sorte que l'effort réel est plus important que celui qui semble ressortir d'un examen sommaire des chiffres. En outre, le parc privé peut augmenter dans le même temps, les besoins en logement ne se limitant pas au logement social, ce qui rend encore plus difficile l'atteinte du taux cible.

L'objectif est donc incertain car il n'est pas possible de savoir à l'avance quelle sera l'évolution du parc privé, voire celle du parc social qui dépend de l'action des bailleurs sociaux. Or une commune comprenant de nombreux habitants aux revenus modestes est pénalisée par une augmentation de l'objectif de construction de logements sociaux si elle construit en même temps des logements diversifiés, alors même qu'elle peut contribuer ainsi à améliorer sa mixité sociale.

Alors que l'avant-projet de loi dit « 4D » (« différenciation, décentralisation, déconcentration et décomplexification ») prévoyait simplement de repousser à 2031 l'échéance de 2025, M. François Adam, directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages, a indiqué devant la commission que la ministre chargée du logement avait l'intention d'y inclure les propositions de M. Repentin. C'est donc l'objectif « glissant » qui est proposé à la discussion parlementaire dans le cadre du projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale.

2. Les modalités doivent être mieux adaptées aux conditions locales

Le rapporteur spécial considère indispensable de mieux prendre en compte les conditions locales.

La Cour des comptes souligne ainsi que les critères d'application de la loi SRU prennent insuffisamment en compte les besoins en termes d'équipements et d'aménagement induits par l'accueil des habitants. Une production volontariste n'est par ailleurs pas adaptée à la demande en zone détendue.

Elle rappelle les difficultés de type « double peine » rencontrées au niveau local : une commune perdant la ressource de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU) voit en plus son objectif de construction SRU passer de 20 % à 25 % 19 ( * ) ; les sanctions réduisent encore les ressources que la commune pourrait consacrer à la construction de logements sociaux ; comme indiqué supra , la construction de logements sociaux augmente le parc existant, ce qui accroît donc l'objectif à atteindre.

L'adaptation aux conditions locales est aussi l'un des points sur lesquels insiste le rapport de la commission nationale SRU. Dans ses propositions, l'objectif triennal pourrait être réduit lorsqu'un contrat d'objectifs et de moyens , correspondant à l'actuel contrat de mixité sociale, serait conclu entre le préfet, la commune et l'intercommunalité pour une durée de 6 ans. Le taux pourrait à l'inverse être modulé à la hausse lorsque la commune a démontré sa capacité à l'atteindre. Les intercommunalités pourraient également mieux impliquées dans ces contrats.

La Cour des comptes propose elle aussi de s'appuyer sur le contrat de mixité sociale pour accorder à certaines communes une application différenciée du calendrier d'atteinte du taux de logement sociaux.

Le contrat de mixité sociale devrait ainsi être l'outil permettant de mieux prendre en compte les situations locales . Un renforcement de son rôle pourrait nécessiter un meilleur encadrement législatif.

Par ailleurs, le mécanisme d'exemptions fait aussi l'objet de propositions. Selon M. Repentin, le critère d'exemption pour faible tension du marché du logement pourrait être étendu à toutes les communes, car sa limitation actuelle aux unités urbaines de plus de 30 000 communes est difficilement compréhensible. Quant au critère de la desserte par les transports collectifs, il n'implique pas nécessairement un manque d'attractivité de la commune.

La Cour des comptes constate également les difficultés d'interprétation et d'application des critères d'exemption, notamment celui relatif à l'insuffisante desserte en transports en commun et celui relatif à l'inconstructibilité.

En termes de mixité sociale , le rapporteur spécial considère que les obligations de construction de logements sociaux devraient être adaptées à la composition sociale existante de la commune : dans certaines communes, le taux de pauvreté résulte de la population résidant dans des logements sociaux mais aussi dans le parc privé, de sorte que l'augmentation du nombre de logement sociaux peut, à partir d'un certain seuil, aller à l'encontre de l'objectif de mixité sociale.

C'est dans cet esprit que le Sénat avait adopté en juillet 2018 sur sa proposition, lors de l'examen du projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ÉLAN), un amendement tendant à appliquer le taux de 20 % aux communes bénéficiant de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale et dans lesquelles le taux de pauvreté des ménages dépasse les 25 % dans le parc locatif 20 ( * ) . Si ce dispositif n'a pas été conservé à ce moment-là par la commission mixte paritaire, le problème qu'il visait demeure entier.

Par ailleurs la Cour des comptes suggère d'examiner la possibilité de mutualiser les objectifs de la loi SRU à l'échelle de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) . Il ne s'agirait pas de supprimer la contrainte au niveau communal, mais de moduler le calendrier d'atteinte des objectifs selon les communes, sous la condition d'une implication de la structure intercommunale et l'intégration de cette prolongation dans le contrat de mixité sociale.

Cette proposition ne fait pas l'unanimité. Devant la commission, tant le directeur de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages que le directeur des études de la fondation Abbé-Pierre ont mis en garde contre un risque d'affaiblissement de la loi SRU par une extension du périmètre sur lequel seraient appréciés les critères. C'est le cas tout particulièrement dans des régions, telles que l'Île-de-France ou Provence-Alpes-Côte d'Azur, où la tension sur le logement social est forte, et où elle ne saurait être résolue en demandant un effort plus important aux communes qui ont déjà un taux élevé de logements sociaux.

Le géographe Grégoire Fauconnier craint également que cette proposition n'accroisse encore la complexité de la mesure : « la multiplication des cas de figure induite par cette mesure risque de se traduire par une multiplication des contestations et des litiges qui pourrait in fine affaiblir le socle du dispositif et accentuer le sentiment d'injustice » 21 ( * ) . Or la Cour souligne elle-même non seulement le nombre des litiges, mais leur connaissance insuffisante par l'administration centrale qui ne dispose pas de statistiques précises les concernant.


* 19 Plus précisément, comme vu supra, l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation prévoit qu'une commune bénéficiant de la DSU est exemptée du prélèvement SRU si elle comprend au moins, selon son emplacement, 20 % ou 15 % de logements sociaux. En conséquence, la perte du bénéfice de la DSU expose cette commune à subir le prélèvement si son taux de logements sociaux n'est pas, selon son emplacement, de 25 % ou de 20 %.

* 20 Projet de loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN), amendement n° 659 rectifié , déposé le 16 juillet 2018 par M. Philippe Dallier et plusieurs de ses collègues.

* 21 Grégoire Fauconnier, L'application de l'article 55 de la loi SRU (rapport Cour des comptes) , 29 mars 2021.

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