B. RENFORCER LA TRANSVERSALITÉ DU PORTAGE, DE LA DÉFINITION ET DE LA MISE EN oeUVRE

1. Clarifier le pilotage de la politique de santé environnementale, responsabiliser les acteurs de sa mise en oeuvre et améliorer son évaluation
a) Réunir les conditions d'un portage politique proactif

L'effectivité d'une approche systémique de la santé environnementale requiert un portage politique capable de garantir le respect des objectifs stratégiques du PNSE par l'ensemble des politiques publiques susceptibles d'avoir un impact sur la santé et l'environnement. Cette dynamique politique doit s'appuyer sur une coordination interministérielle permettant de faire prévaloir, en dernier ressort, la protection de la santé humaine, animale et végétale et l'équilibre des écosystèmes chaque fois que des arbitrages s'imposent pour départager des intérêts sectoriels concurrents ou contradictoires.

Report de la sortie du glyphosate, retour de l'usage des néonicotinoïdes pour les cultures de betteraves ou encore difficulté à réduire l'utilisation des sels nitrités dans la charcuterie : nombreux sont les exemples, dans la période récente, de la difficulté des pouvoirs publics à concilier les préoccupations sanitaires et environnementales et les intérêts industriels ou agricoles. Selon le professeur Denis Zmirou-Navier, il est désormais urgent de remédier à la faiblesse structurelle du poids du ministère chargé de la santé dans les grands arbitrages de développement industriel ou agricole . La puissance de certains lobbies industriels et agricoles n'est pas seule responsable de ce déséquilibre : l'insuffisante prise en compte de l'environnement par un ministère chargé de la santé encore très largement focalisé sur la maladie et les soins ne participe pas d'une responsabilisation collective de l'ensemble des départements ministériels à l'égard des enjeux de santé environnementale .

Devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur l'évaluation des politiques publiques de santé environnementale 38 ( * ) , M. Gilles Pipien, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts et co-auteur du rapport du CGEDD sur l'évaluation du PNSE 3, a appelé à la mise en place d'un « dispositif interministériel » de pilotage de la politique de santé environnementale inspiré de celui institué pour la sécurité routière 39 ( * ) . Il a souligné que cette proposition n'avait pas été intégrée dans le rapport du CGEDD, en l'absence d'accord sur ce point avec l'IGAS - cette différence d'appréciation ayant d'ailleurs conduit à la publication de deux rapports d'évaluation distincts, mais pourtant très proches dans leurs analyses. Il a rappelé l'essence interministérielle de la politique de santé environnementale qui, selon lui, « n'est pas une politique du ministère de la santé ».

Les rapporteurs partagent cette analyse : la prévention en santé environnementale ne peut reposer uniquement sur une démarche de prévention cantonnée à la responsabilisation comportementale des populations et à l'intervention des professionnels de santé, elle doit également inclure des politiques publiques permettant de maîtriser les facteurs d'exposition environnementale et contribuant à un cadre propice à une vie saine.

Par conséquent, afin d'oeuvrer à cette responsabilisation collective en matière de santé environnementale, les rapporteurs recommandent l' institution d'un délégué interministériel à la santé globale , chargé de porter au niveau interministériel la thématique « One Health » . Sous l'autorité du Premier ministre, il serait appelé à coordonner l'élaboration et la mise en oeuvre des grands plans nationaux de santé publique , dont le PNSE, le plan national santé au travail ou encore le plan Priorité prévention, mais aussi les plans de sécurité sanitaire - dont en particulier le plan de préparation et de mobilisation à un risque pandémique recommandé en décembre 2020 par la commission d'enquête sénatoriale sur l'évaluation des politiques publiques face aux pandémies - ainsi que d'autres plans sectoriels ou interministériels ayant un impact sur la santé. Ce délégué interministériel à la santé globale intègrerait ainsi les responsabilités du délégué interministériel à la préparation et à la réponse aux urgences sanitaires (Diprus) que la commission d'enquête sénatoriale proposait de créer.

Inspiré du modèle de l' administrateur en chef de la santé publique au Canada Chief Public Health Officer of Canada ») et de l'administrateur de la santé publique aux États-Unis (« Surgeon General of the United States »), qui, comme le rappelait la commission d'enquête du Sénat sur la gestion de l'épidémie de covid-19, « jouent en effet un rôle éminemment stratégique dans la coordination interministérielle pour la gestion des enjeux de santé publique » 40 ( * ) , le délégué interministériel à la santé globale s'appuierait sur un comité interministériel pour la santé (CIS) rénové .

Créé en 2014 et formalisé par l'article D. 1411-30 du code de la santé publique, le CIS verrait ses missions évoluer pour inclure la coordination interministérielle de l'ensemble des politiques publiques - en particulier sanitaires, environnementales, scientifiques, technologiques, socioéconomiques, industrielles et agricoles - susceptibles d'avoir un impact sur la santé humaine, animale et végétale . Sa vice-présidence serait confiée au délégué interministériel à la santé globale 41 ( * ) qui disposerait d'un pouvoir de mise en demeure des administrations centrales et déconcentrées afin de garantir tant la mise en oeuvre des stratégies et plans nationaux que l'intervention effective des pouvoirs publics en cas d'alerte en santé environnementale ou de sécurité sanitaire.

Le comité permanent restreint de ce comité interministériel
- aujourd'hui présidé par le directeur général de la santé 42 ( * ) - serait à l'avenir présidé par le délégué interministériel à la santé globale qui le réunirait régulièrement pour prévenir tout conflit potentiel entre départements ministériels dans l'élaboration et la mise en oeuvre de politiques publiques, en associant les principales directions générales concernées et s'imposerait ainsi comme le comité exécutif de pilotage du PNSE . Ce comité permanent restreint comprendrait notamment les représentants des départements ministériels suivants : la DGS, la DGPR, la direction générale de l'alimentation du ministère de l'agriculture, la direction générale du travail du ministère du travail, la direction générale des entreprises du ministère de l'économie, la direction générale de la recherche et de l'innovation du ministère de la recherche et la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer du ministère chargé de l'environnement.

Proposition n° 7 : instituer, auprès du Premier ministre, un délégué interministériel à la santé globale chargé de porter la thématique « One Health » et qui s'appuierait sur le comité interministériel pour la santé et son comité restreint permanent pour garantir la cohérence de l'ensemble des politiques publiques susceptibles d'avoir un impact sur la santé humaine, animale et végétale.

b) Le groupe santé-environnement : un forum pluridisciplinaire insuffisamment structuré, à l'autonomie limitée
(1) Une concertation nationale pluridisciplinaire insuffisamment structurée

La réflexion sur les priorités de la politique nationale de santé environnementale s'appuie sur le groupe santé-environnement (GSE) afin d'assurer une concertation la plus large possible de l'ensemble des parties prenantes dans l'élaboration du PNSE . Comprenant 135 membres et articulé autour de cinq groupes de travail thématiques, le GSE demeure une structure informelle sans pouvoirs à l'égard de l'administration et aux moyens insuffisants , en l'absence de textes régissant ses missions, ses prérogatives et son fonctionnement. Selon les rapports d'évaluation du PNSE 3 du CGEDD et de l'inspection générale des affaires sociales, les membres du GSE regrettent l' absence de véritable capacité de contrôle pour contraindre les ministères et leurs administrations à leur communiquer les résultats de la mise en oeuvre de leurs recommandations. À titre d'exemple, le groupe de travail 2 « Recherche, formation, éducation et information » « n'a pas pu interroger sur la recherche les trois alliances en charge de l'Ifres 43 ( * ) et la DGRI 44 ( * ) , qui pilote l'action ».

Par ailleurs, les évaluations précitées pointent le poids des administrations dans le fonctionnement du GSE - dont l'ordre du jour des groupes de travail est maîtrisé par les administrations -, de même que les déséquilibres de sa composition et l' absence d'indépendance et de transparence dans la désignation de ses membres , faute, par exemple, d'appels à candidatures pour les représentants des organisations non gouvernementales ou des sociétés savantes. Plus de 40 % des membres du GSE sont des représentants des administrations et des opérateurs de l'État, alors que seulement 4 % de ses membres représentent les collectivités territoriales et 4 % représentent les sociétés savantes.

Répartition des 135 membres du GSE

Source : Rapport d'évaluation du PNSE 3 par le CGEDD, décembre 2018

(2) Formaliser et renforcer le rôle du GSE

Convaincus de la nécessité de faire du GSE un organe plus opérationnel de réflexion, de définition et de suivi des priorités de la politique nationale de santé environnementale, les rapporteurs appellent à formaliser son existence au sein du code de la santé publique en le transformant en conseil national santé-environnement (CNSE), afin d'en renforcer les prérogatives et de lui attribuer des moyens propres de fonctionnement. Les conditions d'évaluation du PNSE méritent également d'être clarifiées : sans préjudice de la possibilité pour la Cour des comptes ou l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) de se pencher sur tout ou partie de la politique de santé environnementale, l'évaluation conjointe par le CGEDD et l'IGAS du PNSE, idéalement à quatre ans, doit être formalisée sur la base d'un cadre méthodologique établi en concertation avec le HCSP et ses résultats doivent parvenir dans les meilleurs délais au conseil national santé-environnement, au Gouvernement et au Parlement en vue de l'élaboration du PNSE suivant.

Les rapporteurs saluent, en outre, la mise en place à venir au sein du GSE d'un groupe de concertation dédié au développement de l'approche « une seule santé » dans le suivi de la mise en oeuvre du PNSE 4.

Si le conseil national santé-environnement a vocation à s'imposer comme le cadre de concertation pluridisciplinaire accompagnant l'élaboration du PNSE, les rapporteurs estiment que le produit final de cette concertation doit continuer d'être validé par une décision politique qui engage le Gouvernement .

Il appartiendra ainsi au comité interministériel pour la santé, présidé par le Premier ministre, d'arbitrer la version définitive du PNSE et à son comité restreint permanent, présidé par le délégué interministériel à la santé globale, d'en assurer le pilotage, sous la surveillance du GSE qui effectuera le suivi régulier de sa mise en oeuvre.

Enfin, dans la continuité des rencontres nationales santé-environnement organisées conjointement par les ministères de la santé et de l'environnement 45 ( * ) , les rapporteurs préconisent l'organisation d'une conférence annuelle ou bisannuelle nationale sur la santé environnementale associant les représentants des acteurs ministériels et institutionnels, des collectivités territoriales, des scientifiques, des associations et de la société civile autour d'ateliers thématiques. Cette conférence nationale serait ainsi utilement alimentée par les remontées des différentes rencontres locales de la santé environnementale qui sont déjà aujourd'hui organisées à l'initiative des partenaires des plans régionaux santé-environnement (PRSE) 46 ( * ) .

Proposition n° 8 : formaliser l'existence du GSE dans la loi en le transformant en conseil national santé-environnement et renforcer son rôle pivot dans l'élaboration et le suivi de la politique nationale de santé environnementale par :

- l'attribution de prérogatives d'autosaisine et d'interpellation du Gouvernement et du Parlement en matière de suivi de la mise en oeuvre du PNSE ;

- l'affirmation de son indépendance et de son autonomie de fonctionnement, en le dotant de moyens propres et de personnels permanents et en rénovant sa composition ;

- la garantie de la publicité de ses travaux ;

- la transmission au conseil national santé-environnement, au Gouvernement et au Parlement d'une évaluation à quatre ans du PNSE conduite conjointement par le conseil général de l'environnement et du développement durable et l'inspection générale des affaires sociales sur la base d'un cadre méthodologique établi en concertation avec le HCSP.

Proposition n° 9 : consacrer le comité interministériel pour la santé, présidé par le Premier ministre, comme instance de validation politique du PNSE et son comité permanent restreint, présidé par le délégué interministériel à la santé globale, comme comité exécutif de pilotage de sa mise en oeuvre.

Proposition n° 10 : organiser une conférence annuelle ou bisannuelle nationale sur la santé environnementale associant les représentants des acteurs ministériels et institutionnels, des collectivités territoriales, des scientifiques, des associations et de la société civile autour d'ateliers thématiques.

2. Renforcer la coordination entre les opérateurs nationaux de la politique de santé environnementale

À la différence des États-Unis où deux agences nationales 47 ( * ) - le centre national de santé environnementale 48 ( * ) et l'agence pour le registre des maladies et des substances toxiques 49 ( * ) -, sont identifiées comme les principales sources d'expertise en santé environnementale, la politique nationale de santé environnementale s'appuie en France sur une pluralité de structures d'expertise et d'opérateurs, complémentaires dans leurs approches respectives :

- l' ANSéS est principalement chargée, dans le cadre d'une approche centrée sur la caractérisation de l'état de milieux et de la nocivité des produits , de l'évaluation des risques, en contribuant notamment à l'élaboration des valeurs toxicologiques de référence ;

- Santé publique France et ses quinze cellules d'intervention en région (CIRe) privilégient une approche populationnelle , fondée sur une évaluation épidémiologique des conséquences sanitaires d'une exposition environnementale à des substances nocives ;

- la Haute Autorité de santé (HAS) est responsable, dans le cadre d'une approche médicale , de la définition de protocoles de prise en charge des patients potentiellement exposés des substances toxiques ;

- le HCSP s'inscrit dans une approche d'aide des pouvoirs publics à la décision , en proposant par exemple des mesures de prévention individuelles et collectives, notamment hygiéno-diététiques, ainsi que des valeurs de gestion sanitaire pour une série de polluants ;

- divers organismes complémentaires interviennent en appui des pouvoirs publics pour la maîtrise de risques sectoriels : l'Ineris, l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) ou encore l'Institut de radioprotection et de sécurité nucléaire (IRSN).

La création, en 2008 50 ( * ) , du comité d'animation du système d'agences (CASA) a contribué au renforcement de la concertation et de la coordination entre neuf opérateurs sanitaires nationaux. Toutefois, sa mobilisation en matière de santé environnementale est jusqu'ici restée limitée. À ce jour , selon les informations transmises par la DGS, seuls trois CASA ont été consacrés à l'environnement sur uniquement deux thématiques : celui du 15 juin 2017 sur les sites et sols pollués, celui du 8 mars 2018 sur les risques climatiques et celui du 10 décembre 2020 de nouveau sur les sites et sols pollués. Néanmoins, en 2021, deux CASA sont programmés sur des questions environnementales : le 8 avril pour la présentation du 4 e plan chlordécone et le 12 mai pour la présentation du projet de PNSE 4.

La complémentarité des interventions de l'ANSéS et de Santé publique France s'est illustrée, dans la période récente, à l'occasion de l'analyse et de la gestion des risques sanitaires potentiellement liés à l'environnement pour plusieurs situations qui ont retenu l'attention des médias :

- dans le cadre de l'étude Kannari, démarrée en 2013 et destinée à caractériser l'exposition à la chlordécone de la population générale et de diverses catégories de population en Guadeloupe et Martinique, l'ANSéS a piloté le volet de l'exposition alimentaire et Santé publique France celui de l'imprégnation sanguine de la population adulte par la chlordécone et d'autres pesticides. Les deux agences s'investissent également dans l'étude des liens entre l'exposition aux pesticides et le taux élevé de cancer de la prostate observé dans ces territoires, notamment dans la perspective d'une réactualisation des tableaux de maladies professionnelles ;

- à la suite de l' incendie de l'usine Lubrizol en Seine-Maritime, l'ANSéS a produit plusieurs avis sur l'évaluation des risques sanitaires potentiels liés aux contaminations des denrées alimentaires et sur la surveillance des eaux destinée à la consommation humaine. Pour sa part, outre une surveillance épidémiologique spécifique et immédiate à partir des données du système d'information de surveillance sanitaire des urgences et des décès (SurSaUD), Santé publique France s'est engagée sur quatre études d'évaluation des impacts sanitaires : une étude de santé déclarée en population d'impact sur la qualité de vie et les conséquences psychologiques et sociales, un suivi dans le temps d'indicateurs de santé à partir des données du système national de données de santé (SNDS), un suivi spécifique et de long terme des salariés des entreprises et des travailleurs intervenus lors de l'incendie et une enquête de biosurveillance qui sera déclenchée si les mesures effectuées par l'Ineris démontrent la présence de polluants dans l'environnement et que l'étude quantitative des risques sanitaires conclut à un risque sanitaire ;

- les deux agences ont été conjointement saisies le 29 octobre 2018 par les ministères des solidarités et de la santé, de la transition écologique et de l'agriculture afin d'investiguer les causes, notamment environnementales, des agrégats de cas d' agénésie transverse des membres supérieurs dans les départements de l'Ain, du Morbihan et de la Loire-Atlantique. Elles conduisent, à ce titre, plusieurs études, notamment d'épidémiosurveillance en santé animale et une revue exhaustive de la littérature scientifique sur les expositions alimentaires et environnementales, des sujets complémentaires faisant l'objet de collaborations avec d'autres agences comme l'ANSM pour les médicaments humains et les produits cosmétiques et l'IRSN pour les expositions radiologiques ;

- s'agissant des cancers pédiatriques recensés dans le secteur de Sainte-Pazanne en Loire-Atlantique, Santé publique France a conduit plusieurs investigations de terrain afin d'étudier les liens avec différents facteurs d'exposition, comme les expositions aux rayonnements électromagnétiques tant basse fréquence que radiofréquence. Le chef de l'unité d'évaluation des risques physiques de l'ANSéS a été sollicité pour participer aux réunions du comité local mis en place pour évaluer les résultats des études commanditées. Santé publique France a conclu, pour l'heure, à l'impossibilité d'identifier une cause commune à ces cancers et a appelé à un déploiement d'études d'envergure sur les expositions environnementales.

Activités de Santé publique France et de l'ANSéS en santé-environnement

Source : Santé publique France et ANSéS

S'agissant de l'ANSéS, plusieurs facteurs peuvent néanmoins contribuer à alimenter le sentiment d'une agence qui, bien que dédiée à la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et de la santé, doit composer avec des intérêts concurrents :

- la multiplicité de ses autorités de tutelle, au nombre de cinq : le ministère de la santé au travers de la DGS, le ministère de l'environnement au travers de la DGPR, le ministère de l'agriculture au travers de la DGAl, le ministère du travail au travers de la DGT et le ministère de l'économie au travers de la DGCCRF. Le poids du ministère de la santé dans cette tutelle est cependant loin d'être prépondérant. Sa participation au budget de l'agence est de l'ordre de 20 %, le financement de l'agence restant principalement assuré par le ministère de l'agriculture - dont la contribution est presque trois fois supérieure à celle du ministère de la santé ;

- la permanence dans le conseil d'administration de l'ANSéS de représentants des industriels et des exploitants agricoles : cette configuration tranche avec la composition du conseil d'administration d'autres agences impliquées dans la sécurité sanitaire, qu'elles soient dotées de pouvoirs de régulation, comme l'agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ou d'expertise comme Santé publique France. Or l'ANSéS assume précisément ces deux types de mission : elle est non seulement chargée de produire des expertises indépendantes sur les risques sanitaires liés à l'utilisation ou la consommation de produits commercialisés dans les secteurs industriels et agricoles - par exemple, sur les effets cancérigènes des pesticides ou des sels nitrités dans la charcuterie - mais également d'autoriser la commercialisation d'un certain nombre de produits tels que les produits phytopharmaceutiques ou les médicaments vétérinaires. Si les comités d'expertise de l'ANSéS sont constitués conformément aux principes d'indépendance scientifique consacrés par la charte de l'expertise et que ses avis et recommandations sont publiés après décision de son directeur général , son conseil d'administration est néanmoins amené à se prononcer sur des décisions d'importance stratégique telles que ses orientations stratégiques pluriannuelles, son programme de travail annuel ou encore les concours financiers que l'agence peut apporter au-delà de certains seuils.

Dans ces conditions, les rapporteurs recommandent la reconnaissance au ministère de la santé d'un rôle de chef de file dans la tutelle stratégique de l'ANSéS qui doit mécaniquement se traduire par une augmentation significative de sa contribution au budget de l'agence , afin de contrebalancer le poids du ministère de l'agriculture. Ils appellent également à renforcer les garanties de son indépendance et de sa crédibilité , en particulier par la composition de son conseil d'administration.

Proposition n° 11 : reconnaître dans la loi au ministère de la santé le rôle de chef de file de la tutelle stratégique de l'ANSéS et augmenter sa participation au budget de l'agence.

Par ailleurs, les rapporteurs préconisent une plus grande responsabilisation des opérateurs nationaux dans la mise en oeuvre du PNSE . À cet effet, ils proposent l' organisation par les commissions parlementaires permanentes compétentes - en l'espèce, la commission des affaires sociales, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la commission des affaires économiques - d'une audition conjointe , préalablement à la présentation des projets de loi de financement de la sécurité sociale et de finances, du délégué interministériel à la santé globale et des directeurs généraux de Santé publique France et de l'ANSéS , afin de rendre compte à la représentation nationale de la mise en oeuvre des politiques concourant à la santé publique et à la sécurité sanitaire.

Proposition n° 12 : organiser chaque année, en amont de l'examen du PLFSS et du PLF, une audition, conjointement par les commissions parlementaires permanentes compétentes, du délégué interministériel à la santé globale et des directeurs généraux de Santé publique France et de l'ANSéS, afin de rendre compte au Parlement de la mise en oeuvre des politiques concourant à la santé publique et à la sécurité sanitaire.

3. Assurer une prise en compte permanente des enjeux de santé environnementale dans l'élaboration des politiques publiques

Lors de son audition, Mme Maria Neira, directrice du programme de santé environnementale de l'OMS, a insisté sur la nécessité de systématiser l'évaluation de l'impact sanitaire (« health impact assessment ») des politiques publiques afin d'amener chaque ministère à apporter des garanties sur l'absence d'impact négatif de leurs projets sur la santé. À cet égard, les rapporteurs regrettent par exemple que, dans l'étude d'impact accompagnant le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, l'impact de ses différentes dispositions sur la santé ne soit essentiellement envisagé qu'au travers de l'analyse des leurs conséquences macroéconomiques, notamment par le prisme des économies escomptées en matière de dépenses de santé.

Dans ces conditions, les rapporteurs recommandent d' inclure dans les études d'impact accompagnant chaque projet de loi une évaluation des conséquences de ses dispositions sur la santé humaine, animale et végétale . Cette mesure suppose de compléter le huitième alinéa de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 51 ( * ) afin d'introduire dans le contenu des études d'impact des projets de loi une évaluation de leurs conséquences sanitaires, notamment en santé environnementale.

Proposition n° 13 : inclure systématiquement dans les études d'impact des projets de loi une évaluation des conséquences de ses dispositions sur la santé humaine, animale et végétale.


* 38 Audition du 16 septembre 2020 de MM. Gilles Pipien et Éric Vindimian, du conseil général de l'environnement et du développement durable.

* 39 Qui s'appuie sur un comité interministériel associant les ministères chargés de l'industrie, de l'équipement, de l'intérieur et de la santé.

* 40 Santé publique : pour un nouveau départ - Leçons de l'épidémie de covid-19 , rapport n° 199 (2020-2021) de Mme Catherine Deroche, M. Bernard Jomier et Mme Sylvie Vermeillet, fait au nom de la commission d'enquête sur l'évaluation des politiques publiques face aux pandémies, déposé le 8 décembre 2020.

* 41 À l'heure actuelle, le comité interministériel pour la santé est présidé par le Premier ministre, ou par délégation de celui-ci, par le ministre chargé de la santé (article D. 1411-31 du code de la santé publique).

* 42 Article D. 1411-32 du code de la santé publique.

* 43 Initiative française de recherche en santé-environnement.

* 44 Direction générale de la recherche et de l'innovation du ministère de la recherche.

* 45 Les deuxièmes rencontres nationales santé-environnement se sont déroulées les 14 et 15 janvier 2019 à Bordeaux.

* 46 À titre d'exemple, la Métropole européenne de Lille a créé à partir de 2019 les rencontres de la santé environnementale, articulées autour de rencontres thématiques régulières ; la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Bretagne, l'ARS de Bretagne et la région Bretagne ont organisé des rencontres régionales santé-environnement le 22 septembre 2020 ; le réseau Île-de-France santé-environnement organise chaque année une journée-événement afin de « rassembler ses membres, faire le bilan de l'année passée et discuter des projets à venir, entourés de nouveaux acteurs rassemblés autour d'une thématique. »

* 47 Dotées d'un directeur commun, ces deux agences sont hébergées par le centre pour la prévention et le contrôle des maladies (« Centers for Disease Control and Prevention » - CDC) et étaient dotées, en 2015, d'un budget total de 254 millions de dollars (179 millions de dollars pour le NCEH et 75 millions de dollars pour l'ATSDR).

* 48 « National Center for Environmental Health » - NCEH.

* 49 « Agency for Toxic Substances and Disease Registry » - ATSDR.

* 50 D'abord informel, le CASA a ensuite été institutionnalisé en 2016 par ordonnance à l'article L. 1411-5-1 du code de la santé publique, à la suite de la loi « Santé » du 26 janvier 2016.

* 51 Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

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