B. ORIENTER : PRÉCISER LA NATURE DES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES PAR L'ENTREPRISE, POUR ENVISAGER LA MEILLEURE RÉPONSE POSSIBLE AU NIVEAU INDIVIDUEL ET MACROÉCONOMIQUE

Une fois identifiée, une entreprise en difficulté doit pouvoir se voir proposer une solution adaptée à sa situation .

Deux hypothèses sont possibles :

- soit l'entreprise fait face à une difficulté d'accès aux financements susceptible de compromettre la poursuite de son activité , ce qui nécessite de procéder à un diagnostic coordonné et partagé entre les acteurs au sein d'une structure dédiée, permettant ensuite de recourir à une palette d'outils visant à renforcer son bilan ;

- soit l'identification révèle que la survie immédiate de l'entreprise est affectée , ce qui commande en ce cas de se tourner vers le tribunal de commerce, en recourant davantage aux procédures amiables , en amont des procédures collectives, afin d'assainir son bilan.

Une précision s'impose : toutes les entreprises ne pourront pas s'en sortir. La défaillance fait partie de la vie de l'entreprise et du système économique. Cependant, il est indispensable de prévoir des dispositifs adaptés afin de donner toutes les possibilités aux entreprises pour surmonter leurs difficultés.

1. Se concerter pour parvenir à un diagnostic partagé entre acteurs sur la situation et les perspectives de l'entreprise

Au cours des travaux, plusieurs personnes ont souligné l'absence de réelle structure territoriale de référence pour l'accompagnement des entreprises en difficulté : le Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI) 118 ( * ) ne trouve pas réellement de déclinaison locale analogue.

Certes, les comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises ( CODEFI ) sont censés jouer ce rôle. Ces structures ont en effet vocation à assister les entreprises confrontées à des contraintes de financement qui les saisissent dans la définition de solutions de redressement, comme le détaille l'encadré ci-après.

Les CODEFI : une présentation

Structure locale présidée par le préfet, les comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFI) ont pour mission d'accueillir et d'orienter les entreprises de moins de 400 salariés qui rencontrent des problèmes de financement. Pour cela, ils assistent les entreprises qui les ont préalablement saisis en amont du dépôt de bilan dans l'élaboration et la mise en oeuvre de solution de redressement pérennes. Leur mission s'articule avec celles de la commission départementale des chefs de services financiers (CCSF), qui intervient lorsqu'une entreprise fait face à des difficultés pour régler une échéance fiscale ou sociale.

Ses compétences portent essentiellement sur trois champs :

- commander des audits afin d'établir un diagnostic de la situation et valider des hypothèses de redressement ;

- accorder des prêts du fonds de développement économique et social (FDES) dans le cadre d'un plan de restructuration, sous réserve que l'entreprise soit à jour de ses obligations fiscales et sociales ;

- accorder des prêts directs de l'État - avances remboursables, prêts à taux bonifié, prêts exceptionnels pour les petites entreprises, etc .

En complément, chaque CODEFI peut opérer des démarches conciliatoires auprès de certains organismes publics ou parapublics pour l'accélération du règlement de certaines créances ou l'obtention de délais pour les dettes fiscales et sociales en saisissant la CCSF.

Le CODEFI est composé des personnes suivantes :

- le préfet de département, en qualité de président ;

- le directeur départemental des finances publiques, en qualité de vice-président ;

- le commissaire au redressement productif ;

- des membres de plein droit - le directeur de l'ex-DIRECCTE (DREETS) 119 ( * ) , le directeur de l'URSSAF et le directeur de la Banque de France ;

- plusieurs observateurs : le procureur de la République, le directeur départemental des territoires (si nécessaire), ainsi que toute autre personne sur demande du président.

Source : commission des finances du Sénat

Force est toutefois de constater que l'identification des CODEFI par les acteurs reste faible, tandis que leur rôle s'est progressivement réduit au cours des dernières années , à mesure que les crédits finançant les outils qu'ils pouvaient mobiliser s'érodaient. Ce constat se trouve d'ailleurs implicitement confirmé par l'annonce d'une « réactivation » du CODEFI par différentes préfectures en réponse à la crise.

Récemment, le ministre de l'économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire, a indiqué travailler à « des accompagnements spécifiques pour les entreprises qui font face à un mur de dettes et qui, même si elles peuvent être viables d'ici deux ou trois ans, ne peuvent pas s'en sortir dans les mois qui viennent. [...] Cet accompagnement spécifique pourrait s'exercer à l'échelon local, grâce par exemple aux CODEFI [...]. Je souhaite que ces comités soient renforcés » 120 ( * ) .

La réactivation et le renforcement du CODEFI peuvent effectivement présenter l'avantage de garantir une intervention rapide, sous réserve d'améliorer son efficacité.

Ainsi, le CODEFI doit être renforcé afin de pouvoir répondre aux nouveaux besoins , comme certains acteurs entendus par le rapporteur général n'ont pas manqué de le signaler. Face à la situation exceptionnelle, le CODEFI pourrait évoluer en comité partenarial de financement des entreprises en sortie de crise (COFISOC), avec deux évolutions essentielles :

- d'une part, un élargissement aux acteurs privés concernés en généralisant le recours aux comités élargis des financeurs - experts-comptables, banquiers, etc . ;

- d'autre part, un élargissement de la palette d'outils susceptibles d'être mobilisés pour accompagner une entreprise dans son redressement , ce pour quoi le rapporteur général formule plusieurs propositions ci-après.

Enfin, il ne faut sans doute pas négliger la difficulté, pour le chef d'une entreprise traversant une mauvaise passe, de franchir le pas et de décider de saisir une structure administrative pouvant être hébergée à la préfecture. Aussi, en complément d'une ouverture plus large et systématique des CODEFI à des acteurs privés, il importe d'élargir les conditions de saisine aux personnes disposant des leviers d'identification, à l'instar des professionnels du chiffre , en cohérence avec la diversité des moyens d'identification.

Recommandation n° 3 : mettre en place et promouvoir une structure territoriale de concertation des acteurs publics et privés, en transformant le CODEFI en comité partenarial de financement des entreprises en sortie de crise (COFISOC), afin de parvenir à un diagnostic partagé sur la réalité de la situation financière d'une entreprise en difficulté et définir des perspectives de redressement.

2. 2. Accroître le recours aux procédures amiables, en amont de la cessation de paiement

L'identification peut aussi mettre en évidence des entreprises faisant face à un besoin immédiat d'assainissement de leur bilan . En ce cas, comme le relève le rapport de la mission « Justice économique », mise en place par le Gouvernement, « lorsque l'entreprise doit faire face à une pluralité de créanciers, seuls les dispositifs judiciaires semblent permettre de prendre en compte la relation avec la totalité de ceux-ci » 121 ( * ) .

Or l'insuffisant recours en France aux procédures dites préventives , à savoir les procédures permettant de traiter à l'amiable les difficultés déjà apparues dans une démarche de protection, fait aujourd'hui l'objet d'un certain consensus . En 2016, les procédures amiables ne représentaient que 7 % du total des procédures collectives engagées 122 ( * ) . La mission « Justice économique » constate ainsi que « les petites entreprises, les commerçants, les artisans, les indépendants, les agriculteurs, les associations, n'ont généralement pas recours aux procédures amiables qui pourraient les protéger lorsque leur situation se dégrade. Ils ne bénéficient donc pas dans leur grande majorité de la protection qu'elles apportent et de l'accompagnement qui leur permettrait de redresser leur situation » 123 ( * ) .

Ce sont pourtant précisément ces acteurs qui requièrent aujourd'hui un soutien particulier.

L'enjeu est crucial, dans la mesure où, en moyenne, dans deux cas sur trois, une entreprise en difficulté entre directement en liquidation judiciaire, avec une surreprésentation marquée des entreprises de petite taille 124 ( * ) . Cette observation tendancielle semble même s'accentuer à l'heure actuelle. La récente étude du cabinet Altarès alerte ainsi sur le fait qu'au cours du premier trimestre 2021, les TPE employant jusqu'à cinq salariés étant tombées en défaillance ont, pour près de 80 % d'entre elles, été directement placées en liquidation judiciaire, proportion jamais observée depuis vingt ans 125 ( * ) .

Pour maximiser les chances de redressement, il faut donc encourager les entreprises à se diriger le plus en amont possible vers ces dispositifs . Comme l'a récemment souligné la Commission européenne dans une note de travail adressée aux membres de l'Eurogroupe, « de solides procédures anticipant et traitant les situations d'insolvabilité seront essentielles pour faire face à un possible pic des défaillances d'entreprises. Des schémas efficaces de défaillance alignent les intérêts de telle sorte que la dette viable est remboursée, tandis que la dette non viable est rapidement traitée » 126 ( * ) .

Les différentes propositions envisagées relèvent davantage du droit des entreprises en difficulté et excèdent l'objet de ce rapport. Pour autant, deux obstacles essentiels doivent au préalable être levés afin d'élargir le recours aux procédures préventives par les plus petites entreprises :

- d'une part, la réticence spontanée du chef d'entreprise à franchir la porte du tribunal de commerce sans y être acculé par la cessation de paiements ;

- d'autre part, le frein financier résultant du coût de la procédure préventive , notamment en raison des honoraires du mandataire ou du conciliateur, comme cela a été souligné à l'occasion des échanges à Nancy et alors même que des aides existent 127 ( * ) .

C'est au moyen d'une relation de confiance entre la personne conseillant cette orientation et d'un accompagnement financier , d'ores-et-déjà proposé par de nombreuses régions, que l'objectif d'un recours accru aux procédures préventives par les TPE-PME sera atteint.

Recommandation n° 4 : accroître le recours des plus petites entreprises aux procédures collectives préventives, afin d'améliorer leurs chances de rétablissement, tout en diffusant plus largement les possibilités de prise en charge financière des coûts associés à ces procédures, mises en place par de nombreuses collectivités publiques.


* 118 Le CIRI a pour mission d'aider les entreprises en difficulté à élaborer et mettre en oeuvre des solutions permettant d'assurer leur pérennité et leur développement. Compétent pour les entreprises de plus de 400 salariés qui en font la demande, le CIRI vise, aux côtés du dirigeant, à définir et négocier un plan de transformation de son financement avec les différentes parties prenantes - actionnaires, créanciers, etc.

* 119 Depuis le 1 er avril 2021, les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ont été regroupées avec les services déconcentrés de la cohésion sociale au sein des directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS).

* 120 Compte-rendu de l'audition devant la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale, le 15 avril 2021.

* 121 Georges Richelme (dir.), Rapport de la mission « Justice économique », février 2021, p. 27. La mission « Justice économique » avait été confiée par le Gouvernement à Georges Richelme, ancien président de la conférence générale des juges consulaires de France.

* 122 Haithem Ben Hassine, Catherine Le Grand et Claude Mathieu, « Les procédures de défaillance à l'épreuve des entreprises zombies », France stratégie, note précitée, octobre 2019, p. 7.

* 123 Georges Richelme (dir.), Rapport précité, p. 13.

* 124 Puisqu'en moyenne, 85 % des entreprises placées en liquidation directe emploient moins de 10 salariés. Voir Anne Épaulard, Damien Despierre et Chloé Zapha, « Entreprises en difficulté financière : procédure de sauvegarde ou redressement judiciaire ? », note précitée, p. 2.

* 125 « Étude de défaillances et sauvegardes des entreprises en France au 1 er trimestre 2021 », étude précitée.

* 126 Commission européenne, « Corporate solvency of European enterprises : state of play », Note à destination du groupe de travail de l'Eurogroupe, 1 er février 2021, p. 4, traduction de l'auteur.

* 127 Voir par exemple le partenariat conclu en mars dernier entre le département de la Manche et les centres d'information sur la prévention des difficultés des entreprises (CIP) visant à financer tout ou partie de la procédure de prévention pour les TPE employant moins de 10 salariés et réalisant moins de deux millions d'euros de chiffre d'affaires, pour une enveloppe totale de 300 000 euros.

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