II. LA DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE : TIRER LES ENSEIGNEMENTS DES RETOURS D'EXPÉRIENCE

Parallèlement à une démocratie représentative en recherche d'un nouveau souffle pour réaffirmer toute sa légitimité, une nouvelle forme de démocratie a émergé au niveau local au cours de la période récente : la démocratie participative . Protéiforme, cette nouvelle modalité d'expression du citoyen tire notamment profit de l'extension du champ des pratiques ouverte par le développement du numérique. Dans son sillage, de nouveaux acteurs trouvent leur place aux côtés des élus locaux et les comportements électoraux évoluent sous l'emprise croissante des sondages.

Si ce mode de participation du citoyen mérite d'être encouragé dans le souci de revitaliser la démocratie locale, il n'en comporte pas moins des limites : à travers tous les procédés participatifs (permanents ou ponctuels), on ne peut que souvent regretter l'absence d'un véritable échange entre les citoyens et leurs élus, quand ce n'est pas la confiscation du débat par des habitués de ces instances. La démocratie participative peut représenter un complément utile à la démocratie représentative, mais elle ne peut pas s'y substituer .

A. MOBILISER AUTOUR DES INSTANCES PARTICIPATIVES

1. Encourager la participation : l'exemple des conseils citoyens

Qu'elle soit simplement « consultative » (c'est-à-dire que les citoyens interviennent en amont du processus décisionnel afin d'éclairer les élus) ou « décisionnelle » (c'est-à-dire que les citoyens soient en capacité de décider par eux-mêmes de projets), la démocratie participative se caractérise par un foisonnement des dispositifs locaux de participation citoyenne : conseils de quartier, conseils citoyens, comités consultatifs, conseils de jeunes, conseils de sages, conseils de femmes... Toutes ces instances ont pour objectif de favoriser la citoyenneté et la participation des habitants à la vie de la Cité. Elles constituent aussi une ressource importante d'informations sur le fonctionnement de la commune.

Les instances participatives permanentes et ponctuelles

Source : Guide du mandat participatif, « Quelle place pour la concertation citoyenne ? »,
Association des maires d'Ile-de-France (AMIF)

Parmi elles, vos rapporteurs souhaitent en particulier mieux faire connaître les conseils citoyens . Instaurés par la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine qui rend obligatoire la participation citoyenne, ces conseils sont des structures obligatoires, indépendantes des pouvoirs publics, chargées de porter la voix des habitants des quartiers prioritaires de la ville (QPV) dans l'élaboration, la mise en oeuvre et l'évaluation des contrats de ville.

Les trois principes de la circulaire du 15 octobre 2014 encadrant la création des conseils citoyens

Sans en faire un bilan exhaustif, les résultats de cette instance sont néanmoins contrastés. Les sept années qui se sont écoulées depuis la création de cet outil participatif aident à identifier les questions en jeu et les problématiques clés relatives à la participation citoyenne .

Dispositif obligatoire et permanent, le conseil citoyen a le mérite d'être parfois la seule instance de concertation en place localement . C'était à l'origine le cas dans la commune de Corbeil-Essonnes , pour laquelle le choix a été fait de créer un seul conseil citoyen pour les quatre QPV. Lors de son audition par vos rapporteurs, Pierre Michel, son président, a estimé que le conseil citoyen était la seule forme de participation permettant de répondre au besoin d'engager le citoyen dans la démocratie locale. Le soutien des élus locaux, des préfets, et en particulier du Centre de ressources de la politique de la ville 14 ( * ) , a permis au conseil de constituer une équipe opérationnelle, avec des membres aux origines et aux compétences variées. Bien que l'entité ait mis du temps à prendre ses marques, une décision du 28 janvier 2022 de la municipalité de Corbeil-Essonnes vient concrétiser la coopération entre élus et citoyens par l'institution de rendez-vous mensuels du conseil citoyen avec le nouvel interlocuteur officiel, le directeur de cabinet du maire.

À Sarcelles , le dispositif a également bien pris. Trois conseils citoyens ont été créés et ont, dès le début, participé à la création du contrat de ville de l'époque. Les conseillers citoyens sont systématiquement conviés pour concertation sur les projets de la commune et aux commissions d'appels à projets dans le cadre de l'attribution de subventions aux associations. Le conseil a également représenté les habitants au comité d'engagement national de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) qui décide des projets locaux à financer. Selon Laura Menaceur, auparavant membre du conseil citoyen, cette expérience a été extrêmement valorisante pour les habitants de Sarcelles qui se sont sentis écoutés. Il faut d'ailleurs souligner que dans ce cas précis, l'objectif initial d'intéresser les citoyens à la chose publique a très bien fonctionné : Laura Menaceur, engagée dans la démarche par curiosité selon son témoignage, a poursuivi son engagement citoyen au sein de l'équipe municipale où elle occupe désormais des fonctions d'adjointe au maire en charge du patrimoine foncier, de l'urbanisme réglementaire et du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU).

Malgré ces retours positifs, nombreuses sont les limites rencontrées par ces conseils. Pour fonctionner, la participation citoyenne a besoin d'un terreau local favorable et d'une ambiance collaborative . À cet égard, quatre problématiques interrogent les rapporteurs.

La première est celle de la légitimité de ces conseillers citoyens . Tirés au sort, sans compétence particulière, ni formation, il ne va pas de soi pour ces habitants de donner un avis sur des sujets aussi techniques que ceux de la politique de la ville. Leur légitimité ne se joue pas sur le terrain de la représentativité, dont Pierre Michel rappelle qu'elle est l'apanage des élus, mais bien sur celle de « l'expertise habitant ». Ce même conseiller fait remarquer que le conseil citoyen est « un collectif d'habitants et d'associations qui réfléchit, propose et interpelle ».

Cette question rejoint celle de leur rôle : nombreux sont ceux qui ne parviennent pas à définir où commence et où s'arrête leur « pouvoir ». Les conseillers citoyens auditionnés par vos rapporteurs ont relevé qu'ils représentent un relais supplémentaire entre les citoyens et leurs élus en portant la parole des habitants, leurs avis et leurs ressentis, mais aussi en jouant le rôle de lanceurs d'alertes. D'ailleurs, l'article 155 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté leur a offert un pouvoir d'interpellation, leur permettant de saisir le préfet de difficultés particulières rencontrées par les habitants. Cependant, ils n'ont pas le pouvoir de décider, et ne doivent pas se concevoir comme un contrepouvoir face aux élus. Pour aider efficacement les habitants des quartiers, les membres doivent en outre être renouvelés régulièrement afin d'éviter le monopole de quelques-uns ou l'entre soi.

La troisième question porte sur les sujets devant être abordés au sein des conseils citoyens . Les auditions menées par vos rapporteurs ont fait ressortir la confusion, et parfois la frustration, des conseillers citoyens sur leurs missions. Les sujets touchant au contrat de ville sont le coeur de mission de ces conseils. En dehors de ces cas, une délimitation des compétences est nécessaire pour éviter la concurrence avec d'autres instances, comme les conseils de quartier qui ont vocation à traiter de tous les sujets. La démarche entre les acteurs locaux doit être cadrée, ce qui amène à la dernière problématique : la façon dont les élus intègrent cet outil .

Sur ce plan, tous les conseillers citoyens entendus par les rapporteurs ont souligné leur début difficile. Un conseil citoyen de Sarcelles n'avait pas été enregistré par la préfecture et n'a donc pas eu d'existence légale pendant plusieurs mois. Celui de Corbeil-Essonnes a été en flottement lors du changement de majorité. Surtout, la méfiance des élus a été particulièrement soulignée. Dans certains cas, l'installation d'un conseil citoyen leur a été imposée, ce qui n'augure pas de bonnes relations avec les conseillers par la suite.

Bien qu'attentifs aux préoccupations de leurs concitoyens, raison majeure de leur engagement dans la vie locale, les élus doivent néanmoins apprendre de la démocratie participative . Être à l'écoute des instances participatives ne va pas de soi lorsque la vie politique locale a longtemps fonctionné avec les seules instances représentatives.

Aussi, vos rapporteurs proposent de mobiliser les élus locaux et les conseillers citoyens autour de formations communes à la démocratie participative. Selon Marie-Odile Leprince, conseillère citoyenne d'Elbeuf, les formations dédiées à la politique de ville et à la démocratie participative en général (proposées par le Centre de ressources « Normanvilles » - situé à Hérouville-Saint-Clair - et un cabinet externe) ont, par exemple, largement participé à l'autonomie de fonctionnement du conseil et à sa reconnaissance par les instances partenariales comme un acteur à part entière.

Proposition n° 11 : dispenser des formations communes aux élus locaux et aux conseillers citoyens autour des enjeux et des outils de la démocratie participative.

Délai : 3 ans

Acteur(s) : Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT)

2. Orienter vers des pratiques adaptées : la « Boussole de la participation »

Parmi la palette d'outils proposés, les élus locaux peuvent avoir de la peine à déterminer le chemin à suivre en matière de démarche participative, d'autant plus lorsque certains d'entre eux en sont encore au stade de l'acclimatation à cet univers foisonnant. Pour guider les collectivités dans la construction d'une démarche participative, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) a donc développé une « Boussole de la participation » . Originellement destinée aux agents territoriaux, elle peut néanmoins être utilisée par toute personne impliquée dans une démarche participative, y compris les élus.

Cette application web propose deux fonctionnalités :

- la première aide la collectivité à formaliser un projet de participation, à le suivre et à en faire le bilan ;

- la seconde permet de jauger les ambitions de la collectivité afin d'adapter au mieux son projet, et de l'évaluer ex post .

Le suivi d'une démarche participative grâce à l'application
de la « Boussole de la participation »

Source : Cerema

La méthode du jugement majoritaire fait partie des pratiques qui favorisent la participation, en misant sur le consensus.

Inventé par deux chercheurs français du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Michel Balinski et Rida Laraki, ce mode de scrutin est une méthode de vote par valeurs. Les électeurs attribuent une mention à chaque candidat et peuvent attribuer la même mention à plusieurs candidats. La détermination du gagnant se fait par la médiane (c'est à dire le point d'équilibre en-deçà et au-dessus duquel se situe le même nombre de répondants) plutôt que par la moyenne.

Contrairement aux méthodes utilisant la moyenne, le jugement majoritaire utilise des échelles de mentions verbales plutôt que numériques pour évaluer les candidats. Cette possibilité permet, d'après les inventeurs du jugement majoritaire, d'offrir aux électeurs des mentions dont les acceptions sont plus homogènes et moins clivantes.

Dans la mesure où ce mode de consultation reste encore trop méconnu des collectivités territoriales et de leurs élus , vos rapporteurs proposent de diffuser plus largement la technique du jugement majoritaire.

En effet, cette technique permet de renouveler la pratique du choix démocratique. Il ne s'agit plus de procéder à un choix alternatif (et donc d'exclure certaines solutions d'emblée), mais d'exprimer des préférences, ce qui permet de dégager des consensus. Cela peut être particulièrement précieux pour un maire dans le cadre d'un choix d'aménagement controversé ou concernant un projet urbanistique sensible, par exemple .

Le jugement majoritaire introduit dans le cadre du budget participatif de la ville de Paris

En septembre 2021, pour la première fois , la ville de Paris a décidé d'utiliser le vote au jugement majoritaire pour sélectionner, parmi 217 projets, les lauréats à son budget participatif.

Pour les évaluer, les électeurs avaient le choix entre quatre mentions représentées par des « émoticônes » : « j'adore », « j'aime bien », « pourquoi pas ? » et « je ne suis pas convaincu.e ».

À l'issue de la consultation, un profil a été dégagé pour chaque projet, indiquant son score dans chacune des mentions. La mention majoritaire est celle à partir de laquelle au moins 50 % des votants ont attribué cette mention ou une meilleure mention . Les projets sont alors classés selon leur mention majoritaire. En cas de mention majoritaire identique, les projets sont départagés au regard du pourcentage obtenu dans la mention supérieure.

Le choix des projets selon la technique de la mention majoritaire

Source : notice de la ville de Paris sur le jugement majoritaire

Avec cette technique de vote, un seul tour suffit pour désigner les projets gagnants, tandis que la possibilité de s'exprimer sur tous les projets facilite le consensus.

Proposition n° 12 : mettre plus fréquemment en oeuvre la technique du jugement majoritaire pour renouveler la pratique du choix démocratique.

Délai : 3 ans

Acteur(s) : toutes les collectivités territoriales

B. EVALUER L'IMPACT DU NUMÉRIQUE EN MATIÈRE DE DÉMOCRATIE

1. Prendre la mesure de la place de la démocratie participative numérique au niveau local

En matière de démocratie participative, la multiplication de l'offre est largement favorisée par le développement des outils numériques, regroupés sous le vocable de « technologies citoyennes » (ou encore de l'anglicisme « civic techs »). Ce terme désigne les nouvelles technologies permettant de concrétiser la participation citoyenne numérique, mais aussi plus largement les entreprises qui commercialisent ces outils auprès des collectivités territoriales.

Les outils numériques s'avèrent être de puissants vecteurs de participation. Ils peuvent être classés en trois types de démarches :

- la simple mise en ligne d'informations , apparentée à une démarche unilatérale de la part des collectivités. Dans ce cas, l'avis des citoyens n'est pas sollicité mais la diffusion de l'information permet une plus grande transparence ;

- la consultation , qui permet de demander l'avis de citoyens ciblés afin de connaître leur opinion sur un projet. Mais leurs remarques ne seront pas forcément retenues ;

- la co-construction , qui associe de manière active les citoyens à la prise de décision finale. Leur avis doit être pris en compte afin de pouvoir modifier le projet.

Depuis 2018, le think tank « Décider ensemble » a créé un baromètre de la démocratie locale numérique. Bien que portant sur un nombre de réponses restreint (quelques dizaines), l'analyse des données des années 2018 et 2021 montre néanmoins que les collectivités territoriales se sont largement emparées des outils numériques . Cette appropriation a naturellement été renforcée par la crise sanitaire. En 2020 après les dernières élections municipales, de nombreuses collectivités ont mis en place un service de la participation et 78 % souhaitaient développer de nouveaux outils.

En 2021, les collectivités territoriales consacrent aux démarches participatives un budget et des moyens humains plus importants qu'en 2018 . Alors qu'elles n'étaient que 16 % à y consacrer entre 3 à 5 équivalent temps plein (ETP) en 2018, elles sont désormais 32 % en 2021. Désormais, quasiment toutes possèdent au moins un site web, alors que 12 % d'entre elles n'avaient encore mis aucun outil numérique en place en 2018.

Au total, les collectivités disposent majoritairement d'applications contributives d'idéation (appels à projets, à idées) et de questionnaires ou outils de sondage en ligne. Parmi les démarches, les collectivités territoriales misent donc surtout sur l'information et la concertation, la co-construction recueillant moins d'adhésion .

Les dispositifs numériques mis en place par les collectivités territoriales

Source : Baromètre de la démocratie locale numérique, « Décider Ensemble » (édition 2021)

Pour ce faire, elles sont souvent accompagnées par des entreprises des « civic techs » . C'est le cas pour 58 % d'entre elles.

En s'engageant dans cette démarche, les collectivités espèrent inciter les citoyens à participer davantage à la vie locale , en particulier les publics éloignés, comme les jeunes, mais aussi faire émerger de nouvelles idées pour l'amélioration du territoire.

En effet, la démocratie numérique vise un double impact , sur les citoyens et sur les collectivités territoriales :

- l'augmentation de la participation citoyenne au niveau local, au travers d'une meilleure compréhension du fonctionnement des collectivités et, donc, d'une plus grande confiance dans l'action publique, permise par la transparence et la traçabilité de la démarche de la collectivité ;

- le perfectionnement de la gestion locale, en optimisant les projets, en surmontant les conflits et en créant du lien social au travers de la richesse et de la disponibilité des contributions citoyennes. Ainsi, la perception de la collectivité par les citoyens s'en trouve améliorée.

Pour exemple, Electis, organisation à but non lucratif, noue des partenariats avec un certain nombre de collectivités. La première a été la ville de Neuilly-sur-Seine qui a lancé la plateforme « Neuilly vote » pour organiser des scrutins sur des sujets très locaux, notamment culturels. Par ce biais, le cinéma a été repris en régie municipale et les citoyens votent pour fixer la programmation.

2. Comprendre que le Numérique n'est pas un « remède miracle »

Bien que le Numérique constitue un atout indéniable pour la démocratie locale, y recourir présente aussi des limites, dont il s'agit d'être conscient .

Aujourd'hui, 13 millions de Français seraient concernés par la « fracture numérique » . Ce terme désigne les inégalités d'accès aux technologies de l'information et de la communication (la « fracture numérique de premier degré »), mais aussi dans l'utilisation de ces technologies (la « fracture numérique de second degré »). Ainsi, le Numérique peut aider à créer un autre lieu de participation... mais avant tout au bénéfice de ceux de nos concitoyens qui sont déjà à l'aise avec ces outils. Pour éviter cette barrière, certaines initiatives locales ont vu le jour. Par exemple, dans le prolongement du cas précédemment évoqué, la médiathèque de Neuilly-sur-Seine propose un espace d'aide au vote sur une tablette .

Par ailleurs, une partie de la jeunesse, pourtant à l'aise avec l'utilisation des réseaux sociaux, n'interagira pas avec l'administration à travers ces outils . La démarche numérique n'est donc pas la réponse miracle pour une participation accrue des jeunes à la vie politique locale. Pour encourager les jeunes à s'engager, il faut d'abord les convaincre que leur parole est légitime et les intéresser aux questions politiques.

Le Numérique ne remplacera jamais le lien direct entre les acteurs concernés . Or, comme la crise sanitaire l'a souligné, certains citoyens se retrouvent exclus de facto du processus de délibération en cas de restriction de la présence physique.

Enfin, la démocratie numérique ne va pas sans poser des questions de transparence et de sécurité . Malgré leur développement, les technologies de vote en ligne souffrent encore d'un manque de transparence technique. Pour cette raison, la chercheuse Enka Blanchard, qui a soutenu en 2019 une thèse sur les aspects humains de l'authentification et des systèmes de vote, appelle à la transparence du fonctionnement de ces systèmes informatiques de consultation ou de votation. Aujourd'hui, elle relève que la grande majorité des projets est confiée à des prestataires de services n'ayant aucune obligation de produire du code ouvert. Le client potentiel se retrouve donc avec une application à la main du prestataire.

En matière de sécurité, tout l'enjeu est de pouvoir à la fois garantir l'anonymat du votant, mais aussi s'assurer de son identité . L'acceptation du vote électronique passe par une protection suffisamment élevée des systèmes d'information. Enka Blanchard souligne, en outre, l'avantage de pouvoir créer des systèmes vérifiables qui permettent à tout votant d'être sûr que son vote a été correctement comptabilisé .

Dans ces conditions, vos rapporteurs jugent indispensable une évaluation des technologies de vote électronique afin de s'assurer de leur fiabilité et de leur sécurité, conditions nécessaires et préalables à leur utilisation.

Proposition n° 13 : évaluer la fiabilité et la sécurité des technologies aujourd'hui à disposition pour le vote électronique.

Délai : un an

Acteur(s) : ministère de l'Intérieur (bureau des élections) / Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI)

C. CLARIFIER LA PARTICIPATION DES SONDAGES ÉLECTORAUX DANS LE PROCESSUS ELECTORAL

1. Renforcer la rigueur méthodologique de la fabrication des sondages

Parallèlement à la mise en place des instances participatives venant d'être évoquées, d'autres outils se sont imposés, de manière plutôt inattendue, comme les vecteurs de la participation des citoyens dans le champ de la démocratie locale : les sondages électoraux .

Dès 1977, ils ont été encadrés par la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977 relative à la publication et à la diffusion de certains sondages d'opinion . Ce cadre législatif a ensuite été précisé par la loi n° 2016-508 du 25 avril 2016 de modernisation de diverses règles applicables aux élections , dont l'article 6 définit le sondage comme « quelle que soit sa dénomination, une enquête statistique visant à donner une indication quantitative, à une date déterminée, des opinions, souhaits, attitudes ou comportements d'une population par l'interrogation d'un échantillon ».

La publication et la diffusion d'un sondage sont ainsi placées sous le contrôle de la Commission des sondages auprès de laquelle sont déposés une série de renseignements sur l'objet du sondage et la méthode retenue (choix et composition de l'échantillon, date de réalisation, critères de redressement des résultats bruts du sondage...). La violation de ces obligations est punie d'une amende de 75 000 euros.

Cependant, malgré cet encadrement, la récente enquête intitulée « Dans la fabrique opaque des sondages » menée par Luc Bronner, grand reporter au journal « Le Monde » et auditionné par votre délégation, pose la question de la fabrication de ces sondages et de la consommation de ce type d'information. Cette enquête jette en effet une lumière crue sur la fragilité méthodologique des sondages : les critères de qualité demandés par certains commanditaires ne le sont pas par tous. En outre, le contrôle des panels n'est pas assuré depuis le passage à des sondages téléphoniques et en ligne. Parce que le processus est moins coûteux, certains instituts de sondage ont notamment recours à des « access panels » : des panels de consommateurs recrutés sur Internet, sans contrôle, en échange d'une rémunération, pour donner leur opinion. Au surplus, leur taille n'assure pas toujours une représentativité correcte. Luc Bronner fait ainsi remarquer que les panels des sondages relatifs aux élections régionales en 2021 étaient proches de 400 personnes, quand en comparaison ceux commandés par « Le Monde » s'appuient sur un échantillon de l'ordre de 15 000 personnes. Or, la taille par trop réduite d'un panel ne permet pas d'extrapoler de manière fiable les résultats à l'ensemble de la population.

Cette absence de rigueur méthodologique pose bien évidemment problème alors que les sondages jouent désormais un grand rôle dans les décisions publiques. Volens nolens , ils outrepassent de plus en plus fréquemment leur rôle de photographie à l'instant « t » en orientant les comportements électoraux , leur pouvoir d'influence étant bien souvent décuplé par les reprises via les chaînes d'information en continu. Lors des dernières élections régionales en 2021 en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) par exemple, une liste en cours de constitution a annoncé se retirer avant même son dépôt sur la seule base des sondages électoraux alors publiés sur cette région.

L'enquête du « Monde » relève que le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) se fonde, lui aussi, sur les prédictions issues des sondages électoraux pour définir les temps de parole au cours des campagnes électorales.

Luc Bronner ajoute que les interrogations auxquelles font face les panélistes ne correspondent pas toujours à la réalité de la vie sociale. Classer les propositions de manière hiérarchisée représente un biais principiel, une opinion étant peu structurée, fracturée, d'autant plus qu'elle n'est pas toujours soutenue par des partis politiques ou des convictions religieuses. De plus, en fonction de la formulation des questions, les réponses peuvent être très différentes. Le journaliste souligne enfin que, le choix des électeurs se cristallisant très peu de temps avant le vote, parfois le jour même, un sondage intervenant six mois avant ne constitue donc pas un reflet des intentions de vote de la société.

Dans l'optique de combler cet angle mort dans la fabrication des sondages , les rapporteurs enjoignent les instituts qui les produisent à renforcer leur méthodologie en s'appliquant à conditionner la qualification des « études » en « sondages » à des critères de qualité précis, ainsi que les y invite la législation en vigueur.

Proposition n° 14 : encadrer plus rigoureusement la méthodologie des instituts de sondage.

Délai : un an

Acteur(s) : instituts de sondage / Commission des sondages

2. Veiller au traitement approprié des sondages dans les médias

Si les sondages présentent un intérêt, encore faut-il les appréhender et les analyser avec beaucoup de précaution et de rigueur. C'est précisément là que le travail du journaliste, qui les relaie, prend toute son importance . Or, les relations entre les médias et les sondages sont délicates à régir en raison de leur lien étroit avec la liberté d'expression.

Pour Luc Bronner, avant d'édicter une nouvelle loi, encore faudrait-il déjà commencer par mieux faire appliquer la réglementation en vigueur. Par exemple, la loi précitée du 25 avril 2016 a renforcé la transparence des sondages, notamment en introduisant l'obligation de publier les marges d'erreur . Or, pour les élections régionales déjà évoquées en PACA, l'Ifop ne les avait pas publiées, alors même qu'elles allaient de 36 % à 46 %. La loi organique n° 2021-335 du 29 mars 2021 portant diverses mesures relatives à l'élection du Président de la République étend d'ailleurs cette obligation, pour l'élection présidentielle à venir, à toute publication, initiale ou reprise, des résultats d'un sondage relatif à cette élection.

À cet égard, vos rapporteurs rappellent que la Commission des sondages est chargée « d'étudier et de proposer des règles garantissant l'objectivité et la qualité des sondages électoraux diffusés ou publiés ». En cas de violation de la loi par un institut de sondage ou un commanditaire, la Commission peut publier un communiqué de presse ou ordonner la diffusion de « mises au point ». En revanche, elle ne dispose d'aucun pouvoir de réglementation ni de sanction. Le 28 octobre 2021, elle a d'ailleurs publié un communiqué de presse 15 ( * ) dans lequel elle condamne la présentation trompeuse d'un sondage par une chaîne de télévision.

D. AVOIR CONSCIENCE DES LIMITES DU MODELE PARTICIPATIF

Apparues dans le champ de l'urbanisme , les diverses formes de démocratie participative (allant de la simple consultation à la prise de décision) ont été institutionnalisées dans les années 1980 en France. Elles ont progressivement été perfectionnées et désormais une large palette d'outils (baromètres, ateliers, balades, conférences, sites...) est à la disposition des collectivités territoriales.

Toutefois, toutes les opérations relevant de cette démarche ne mobilisent pas autant les citoyens les unes que les autres . Pour ne pas déboucher sur un résultat décevant en termes de participation, elles doivent porter sur des sujets représentant un réel enjeu pour les habitants des collectivités qui les organisent. Afin d'éclairer ce facteur clef de réussite, vos rapporteurs se sont plus particulièrement attachés à l'analyse de deux outils emblématiques de la démocratie participative : le budget participatif et le référendum local.

1. Evaluer l'intérêt du budget participatif

Le budget participatif est un procédé de démocratie participative par lequel les habitants d'une ville peuvent décider de l'affectation d'une partie du budget de leur collectivité . Cette démarche se traduit par l'allocation d'une enveloppe budgétaire destinée à financer des projets proposés et votés par les habitants. Ainsi, un véritable pouvoir décisionnaire est accordé aux citoyens, l'objectif étant d'engager des politiques répondant le mieux possible aux attentes des citoyens.

Les cinq critères de qualification d'une démarche en budget participatif

Source : « Les budgets participatifs en Europe : des services publics au service du public » ,
Yves Sintomer et al., La Découverte (2008)

Depuis 2014 et le lancement d'un budget participatif par les communes de Paris et de Bordeaux, la démarche n'a cessé de se développer sur l'ensemble du territoire. Pourtant, elle présente deux limites majeures : l'enveloppe est réduite, elle ne dépasse souvent pas les 5 % du budget de la collectivité, et la participation est faible . Même conséquente en valeur absolue, l'enveloppe de 100 millions d'euros du budget participatif de Paris en 2019, par exemple, ne représentait que 6 % du budget total d'investissement de la ville. De plus, cette enveloppe est morcelée en plusieurs centaines de projets, les choix dans sa ventilation n'attirant finalement que 10 % des Parisiens. L'effet produit peut donc paradoxalement se révéler contraire à celui attendu de l'adhésion du citoyen, puisqu'une majorité d'habitants ne prenant pas part au vote, ils peuvent toujours s'opposer à la mise en oeuvre des projets.

À Saint-Cloud , la démarche a été de présenter aux habitants l'ensemble du budget de la commune et elle a donc supposé un réel effort pédagogique. En effet, auditionné par votre délégation, Eric Berdoati, le maire de cette collectivité et représentant de l'Association des maires d'Ile-de-France (AMIF), a précisé que « ce n'est pas en montrant un petit morceau du budget qu'on explique sa complexité et la nécessité d'équilibrer les recettes et les dépenses. D'ailleurs, il peut constituer un gadget pour détourner l'attention de la totalité du budget ». Ainsi, le bénéfice retiré a été d'éduquer le citoyen au budget. Pour autant, cette action de pédagogie citoyenne n'a pas entraîné un regain de participation aux élections suivantes, relève Eric Berdoati. Cet outil ne peut donc pas être la seule réponse à la désaffection des urnes, et doit bien s'inscrire dans une démarche plus globale « d'aller vers » les citoyens.

De plus, ce type d'opération participative, comme beaucoup d'autres, soulève souvent une limite financière : l'appel à un cabinet spécialisé dans la participation, qui présente certes l'avantage d'avertir des risques et des pièges dans lesquels il ne faut pas tomber, mais qui a également un coût que les petites communes ne peuvent pas se permettre . La nécessité de la formation des élus locaux sur les outils participatifs, souhaitée par vos rapporteurs, trouve donc ici une nouvelle illustration.

2. Cibler le référendum local sur des sujets à fort enjeux

En application de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République , l'article 72-1 a ouvert le référendum local à toutes les collectivités territoriales. Dans les conditions prévues par la loi organique n° 2003-705 du 1 er août 2003 relative au référendum local , « les projets de délibération ou d'acte relevant de la compétence d'une collectivité territoriale peuvent, à son initiative, être soumis, par la voie du référendum, à la décision des électeurs de cette collectivité ».

Les conditions de mise en oeuvre du référendum local

Les articles LO. 1112-1 et suivants du code général des collectivités territoriales (CGCT) encadrent la mise en oeuvre du référendum local :

- l'exécutif local est seul compétent pour proposer à l'assemblée délibérante l'organisation d'un référendum sur un projet relevant de sa compétence ;

- seuls les électeurs peuvent voter, et non tous les habitants ;

- l'assemblée délibérante fixe le jour du scrutin qui ne peut avoir lieu moins de deux mois après la transmission au représentant de l'Etat du texte sur lequel portera le vote ;

- le représentant de l'Etat peut s'opposer à tout projet de référendum organisé sur un objet ne relevant pas de la compétence de la collectivité organisatrice ;

- le référendum ne peut pas être organisé dans les six mois précédant le renouvellement (intégral ou partiel) de l'assemblée délibérante, et il ne peut pas non plus être organisé le même jour que d'autres élections ou consultations statutaires ;

- la délibération organisatrice et l'objet du référendum ne peuvent pas compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle ;

- les dépenses liées à l'organisation du référendum sont à la charge de la collectivité organisatrice.

De portée décisionnelle lorsqu'au moins la moitié des électeurs inscrits a pris part au scrutin et qu'il a réuni la majorité des suffrages exprimés, le référendum prend la forme d'un avis consultatif dans le cas contraire.

Peu de collectivités y ont toutefois recours : seulement une dizaine chaque année 16 ( * ) . Ce peu d'engouement de la part des élus locaux à le mettre en oeuvre s'explique en partie par la participation mineure qu'ont rencontré la plupart de ces scrutins. Ainsi par exemple, en novembre 2021, conformément aux promesses de campagne du candidat élu maire en 2020, un premier référendum annuel est organisé au Kremlin-Bicêtre sur l'emplacement et les horaires du marché, mais celui-ci n'a réuni que 6,5 % des électeurs.

Pourtant, le « Grand débat national », qui s'est déroulé en 2019 en réponse au mouvement des gilets jaunes, a montré un réel intérêt des citoyens pour le référendum local . En effet, 80 % des contributeurs à ce débat se sont déclarés favorables à un recours plus fréquent à ce type de référendum, notamment pour renouer le lien entre les élus locaux et les citoyens. La mise en place de référendums est également plébiscitée pour consulter plus directement le citoyen sur l'utilisation de l'argent public, au niveau local comme au niveau national.

Les trois premières propositions issues du « Grand débat national » pour améliorer la participation des citoyens

Source : données de la synthèse « Démocratie et citoyenneté » du « Grand débat national »

Le dispositif n'est toutefois pas plébiscité pour tous les thèmes . Les référendums sont surtout attendus pour permettre la participation du citoyen aux grandes orientations et aux grands sujets de société. En revanche quand les enjeux du référendum sont faiblement identifiés ou peu intéressants, la participation présente le risque d'être réduite et le dispositif semble alors disproportionné.

Vos rapporteurs soulignent que l'outil du référendum local paraît donc surtout adapté sur des sujets à fort enjeux pour les habitants, dans le cas contraire la mobilisation court le risque d'être décevante.


* 14 Soutenus par l'Agence nationale de cohésion territoriale (ANCT) et divers partenaires locaux, les Centres de ressources de la politique de la ville sont répartis régionalement sur tout le territoire et ont vocation « à faciliter et à qualifier l'action des professionnels de la ville » (cf. site cohesion-territoires.gouv.fr).

* 15 https://www.commission-des-sondages.fr/hist/communiques/communique-sondages-elections-presidentielles-28-octobre-2021.htm

* 16 Cf. Gilles Mentré, « Démocratie, rendons le vote aux citoyens », (p. 163).

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