III. LA DÉMOCRATIE IMPLICATIVE, MOTEUR D'UN RENOUVEAU

Dans un contexte où la démocratie représentative rencontre des difficultés ( cf . partie I) et où le modèle participatif présente certaines limites ( cf . partie II), il nous semble possible de promouvoir un modèle alternatif et complémentaire de démocratie locale , en phase avec les attentes de nos concitoyens et correspondant à des pratiques innovantes d'ores et déjà mises en oeuvre par les élus locaux : la démocratie dite implicative.

Comme le relève avec constance notre délégation, les élus locaux agissent en permanence comme des « inventeurs de solutions » . Et précisément, lors des auditions conduites par vos rapporteurs, de nouvelles pratiques démocratiques sont ressorties, visant à restaurer la confiance des citoyens dans nos territoires. Ce sont ces pratiques que vos rapporteurs ont voulu mettre en évidence, en les regroupant sous le concept de démocratie implicative. Extrêmement diverses, elles ont néanmoins toutes pour point commun de chercher à ancrer le citoyen dans la vie locale, à susciter son intérêt et son envie de s'engager, le cas échéant au travers de très petits projets partagés, pour finalement l'amener à assumer entièrement ses devoirs et exercer pleinement ses droits civiques.

Vos rapporteurs ont souhaité comprendre ces processus de démocratie implicative et voir comment ils sont en train de transformer la pratique démocratique .

A. INITIER UNE DYNAMIQUE D'ENTRAÎNEMENT CHEZ LE CITOYEN

La démocratie implicative vise un effet d'entrainement . L'intention qui la sous-tend consiste à rechercher l'implication des citoyens sur des projets très locaux, pour aboutir à des engagements plus forts par la suite : de la participation au scrutin électoral à l'acte de candidature sur une liste, en passant par l'investissement personnel sur d'autres projets.

1. Être en proximité et sur les sujets présentant un enjeu pour le citoyen

À côté des signes alarmants du désengagement du citoyen du champ de la démocratie représentative, demeure fort heureusement une soif d'implication . Il n'est qu'à rappeler la mobilisation des Français au quotidien dans la vie associative, la vigueur du bénévolat ou encore la générosité des dons pour de grandes causes. Pour vos rapporteurs, la démocratie implicative est particulièrement illustrée par l'engagement associatif et l'initiation à l'éducation civique et citoyenne pratiquée à l'école.

D'ailleurs, souvent la vie associative fournit un vivier, notamment dans les communes les plus petites, pour la vie politique . L'engagement associatif conduit alors à se faire identifier, puis assez fréquemment à se voir proposer de prendre des responsabilités dans la vie politique locale, au travers d'un mandat.

D'une manière générale, et contrairement à une idée reçue, en matière d'engagement dans la vie politique, la France est une nation sans équivalent. Avec un million de candidats aux élections locales , elle occupe une place en pointe dans le monde. Près d'un électeur sur 100 est conseiller municipal et le nombre de communes sans candidat reste marginal : 64 aux élections municipales de 2014 et 106 aux élections de 2020 17 ( * ) .

Même parmi le public spécifique des jeunes souvent pointés du doigt pour leur désintérêt supposé à l'égard de la chose publique, la page de l'engagement sur des valeurs n'est pas irrémédiablement tournée. Mais les formes de l'engagement sont différentes et elles passent désormais moins par les canaux traditionnels (les partis politiques ou les syndicats, notamment), ainsi que l'attestent l'attractivité auprès des jeunes d'événements comme la « Marche pour le climat » ou « Z Event » (levée de fonds en ligne pour les associations caritatives) 18 ( * ) . Les réseaux sociaux jouent par contre un rôle d'entrainement très fort dans ces mouvements de mobilisation.

Impliquer les jeunes

La réponse aux défis de l'implication des jeunes n'est pas différente de celle à apporter pour les autres catégories de population. Lors de son audition, Katharina Zuegel a ainsi insisté sur le fait que « pour encourager les jeunes à s'engager, il faut d'abord les convaincre que leur parole est légitime et les intéresser aux questions politiques » .

Le succès de l'application pour téléphones mobiles Elyze, par exemple, démontre qu'il est possible d'innover en la matière. Cette application a connu, au cours des derniers mois, un succès spectaculaire. Elle « entend réconcilier les jeunes avec la politique » et fonctionne sur un principe simple. Jusqu'à 500 propositions des candidats à l'élection présidentielle sont soumises à l'utilisateur. Chaque proposition est brièvement résumée et, d'un clic, il est possible soit de la valider, soit de la rejeter, soit d'exprimer un avis neutre. Au bout d'un nombre significatif de réponses, l'utilisateur visualise les candidats supposés lui convenir le mieux et, uniquement sur la base de ses préférences, il peut ainsi se situer sur l'échiquier politique. Les jeunes créateurs de cet outil, Grégoire Cazcarra et François Mari, visent à reconnecter les primo-votants avec les urnes et, avant cela, avec la vie politique.

Sous certaines conditions, la démocratie implicative permet de capter cette énergie citoyenne et de lui donner un débouché positif.

Tout d'abord, c'est l'adhésion à des enjeux, des valeurs, des idées, des intérêts qui conduit l'individu à s'impliquer : il ne peut y avoir de réelle participation sans adhésion. Un des ressorts à travailler consiste donc à renforcer cette adhésion, et force est de constater que la commune est la collectivité la plus armée pour le faire.

Dans son avis relatif au « Renforcement de la participation aux élections des instances à gouvernance démocratique » 19 ( * ) , le Conseil économique, social et environnemental (CESE) soulignait plusieurs déterminants des taux de participation à différentes catégories d'instances représentatives (et donc pas uniquement aux élections politiques). Sur la base d'une enquête par questionnaire, il ressort que le premier facteur susceptible d'empêcher le vote, de le motiver ou de le faciliter réside dans la proximité . Ne pas connaître les candidats, ne pas avoir la possibilité de les rencontrer, est particulièrement mis en avant dans les réponses justifiant l'abstention.

Même à l'échelle de la commune, qui est pourtant celle de la plus grande des proximités, ce sentiment d'adhésion peut se distordre. Le niveau micro-local ne représente plus automatiquement un creuset permettant de faire communauté. La raison en est que certains habitants ne font que passer dans les communes, au gré de leur parcours résidentiel ou professionnel, et ne se fixent que tardivement . Signe de cette instabilité, les communes voient souvent leur population se renouveler à plus de 20 % entre deux scrutins municipaux.

Partant de ce constat d'un lien fort entre, d'une part, le sentiment d'adhésion et, d'autre part, une proximité avec le territoire et ceux qui le font vivre (au premier rang desquels les élus locaux), vos rapporteurs jugent nécessaire de développer les initiatives visant à affermir cette relation.

De telles initiatives représentent un enjeu fort pour les communes, mais aussi à l'échelon intercommunal . En effet, les intercommunalités n'occupent souvent qu'une place subsidiaire dans la connaissance par le citoyen du paysage institutionnel qui l'entoure au niveau local. L'usager peine parfois à comprendre leur intérêt et les services qu'il est en droit d'en attendre, quand l'électeur ne sait fréquemment pas comment sont élus ses représentants à cet échelon.

Proposition n° 15 : organiser régulièrement dans les communes un temps, informatif et convivial, dédié à l'accueil des nouveaux habitants. Ces derniers doivent se sentir accueillis et partie prenante de leur nouvelle communauté.

Délai : -

Acteur(s) : communes

Comment renforcer le sentiment d'appartenance au niveau local ?

Quelques exemples

Au rang des causes de l'abstention, Gilles Mentré souligne que celle-ci provient aussi du « sentiment que le vote est inutile ». En d'autres termes, l'adhésion n'est au rendez-vous que lorsque les enjeux sont réels, et poser une question sans enjeu ne mobilisera guère, voire entretiendra le sentiment d'inutilité et de défiance à l'égard de l'engagement citoyen considéré comme vide de sens. Pour susciter l'implication du citoyen dans les affaires locales, il est donc essentiel que les matières soumises à discussion soient porteuses d'enjeux et d'intérêts pour les participants . Le projet, ou le choix mis en discussion, ne doit pas être du domaine de l'accessoire ou du détail, mais bien un sujet qui compte pour les citoyens.

2. (Re)connaître les bonnes pratiques de l'implication

Susciter l'engagement de ses concitoyens fait désormais partie à part entière de la mission des élus . D'ailleurs, l'étude des programmes proposés par les candidats lors des élections municipales en 2020 fait ressortir qu'ils contenaient une « référence unanime à la concertation », ainsi que l'a souligné Martial Foucault. Un autre signe de l'attention portée par les élus à cette dimension réside dans le fait qu'il est désormais très fréquent que les équipes (municipales ou départementales) comprennent un maire-adjoint ou un vice-président à la citoyenneté, à la concertation ou à l'implication citoyenne, selon les terminologies retenues.

Les élus sont d'abord des citoyens qui ont franchi un cap dans leur engagement . Il n'existe pas en effet deux mondes étanches et repliés sur leur quant-à-soi : d'un côté, le monde des élus, et de l'autre, le monde des citoyens. Au contraire, le continuum permet d'affirmer que de « citoyen à élu », il n'y a qu'un pas.

Plusieurs communes, comme Orgeval , valorisent le parcours de leurs élus : ils sont invités à commenter leur expérience de citoyen, leur parcours et leurs engagements jusqu'à leur candidature. Romainville , dans son journal municipal, présente un portrait de chaque élu au conseil municipal, majorité et opposition comprises, avec trois questions dont la dernière est formulée ainsi : « Pourquoi avoir fait le choix de l'engagement municipal ? ». Ces pratiques peuvent inspirer l'ensemble des collectivités territoriales, selon vos rapporteurs.

Proposition n° 16 : valoriser dans les documents de communication institutionnelle le parcours citoyen des élus et l'évolution de leurs engagements pour la chose publique.

Délai : -

Acteur(s) : toutes les collectivités territoriales

Valoriser les temps électoraux représente une voie complémentaire de celle du partage d'expérience des élus, « Voter est une fête » pourrait en être le slogan. La commune d' Orgeval , par exemple, souhaite faire des journées électorales « des évènements empreints de la même énergie et passion qu'une journée de manifestation festive », comme l'avait souligné son maire, Hervé Charnallet, lors de son audition par votre délégation.

Il existe de nombreux autres temps et formats dédiés à l'implication citoyenne. Vos rapporteurs en fournissent ici quelques exemples.

La « Journée citoyenne » est désormais déployée dans plus de 1 000 communes et pourrait encore être mieux relayée.

Pour tous, la « Journée citoyenne »

Née en 2008 dans l'agglomération mulhousienne, à Berrwiller , la « Journée citoyenne » permet, sur une journée, de mobiliser les habitants, volontaires et solidaires, autour d'un projet d'amélioration de leur cadre de vie (réalisation de petits chantiers dans des lieux symboliques et utiles). Elle favorise la communication intergénérationnelle entre les habitants.

Relayée par l'AMF en partenariat avec l'Observatoire national de l'action sociale (ODAS), cette action se décline désormais de plusieurs façons à travers plus de 1 000 communes .

La « Journée citoyenne » participe du renouvellement de l'action publique en fédérant les communes, les agents municipaux et les partenaires locaux (associations, entreprises...), en favorisant l'échange entre les habitants, toutes générations et toutes classes sociales confondues, et en créant ainsi un lien fort et fédérateur .

Au travers de cette opération, est illustrée l'idée selon laquelle les maires , par leur proximité avec les citoyens et par les leviers d'action dont ils disposent, sont les plus aptes à mettre en oeuvre des politiques de prévenance, en privilégiant le développement du lien social et du vivre-ensemble. Ils répondent ainsi à l'envie de la population de s'engager dans des actions locales concrètes.

Les opérations liées à l'espace public se sont multipliées ces dernières années. Les actions de propreté, de ramassage des déchets, de nettoyage des rues, de défis propreté dans les quartiers, ont fait l'objet de nombreux relais dans les médias. Un peu moins connues sont les opérations relatives au jardinage. Il en existe pourtant de nombreuses : « Jardinons ensemble », « Jardins partagés », « Jardins citoyens »...

Pour tous, l'opération « Jardinons citoyen »

Dans la commune de Chateaugiron , la démarche « Jardinons citoyen » est née d'une initiative locale relative à l'aménagement et l'entretien des espaces verts publics, en complémentarité avec les services municipaux.

Cette initiative a permis de créer des échanges et de la convivialité entre voisins et avec les passants . Elle a même fini par devenir un prétexte à un engagement citoyen pour les nouveaux arrivants dans le cadre du mieux vivre ensemble.

Destinée aux jeunes, l'opération « Argent de poche » est proposée par certaines communes, au titre du programme « Ville Vie Vacances » qui s'adresse prioritairement aux enfants et aux jeunes en difficulté des QPV afin qu'ils puissent bénéficier d'activités culturelles, civiques, sportives et de loisirs, ainsi que d'une prise en charge éducative pendant les vacances.

Pour les jeunes, l'opération « Argent de poche »

Le dispositif « Argent de poche » donne la possibilité aux adolescents âgés de seize à dix-huit ans de travailler sur de petits chantiers de proximité (sur une demi-journée, par exemple) et de participer ainsi à l'amélioration de leur cadre de vie.

Ces chantiers se déroulent à l'occasion des congés scolaires et ils donnent lieu en contrepartie à une indemnisation, dans la limite de 15 euros par jeune et par jour .

Pendant cette demi-journée, les jeunes intègrent l'équipe communale et sont encadrés par un « agent-tuteur » qui les accompagne dans leur mission.

Afin de respecter la réglementation du travail, les jeunes ne sont jamais amenés à prendre des risques ou à utiliser des outils motorisés dans leurs différentes missions.

Proposition n° 17 : valoriser localement l'investissement citoyen en publiant un recueil des initiatives menées (« Journées citoyennes », opérations « Argent de poche » ou « Jardinons citoyen », par exemple).

Délai : -

Acteur(s) : communes

L'implication du citoyen passe par ce type d'actions impulsées par les collectivités territoriales et plus particulièrement les communes, mais elle peut également se nourrir d'événement plus ritualisés dans notre calendrier républicain, à savoir les élections et leur organisation. Celle-ci repose largement sur les maires qui ont la charge de s'assurer du bon déroulement des opérations électorales le jour du scrutin. Or, à cet égard, la tenue des bureaux de vote devient un enjeu de plus en plus problématique dans certaines communes, et pas uniquement les plus petites d'entre elles. Il est difficile de trouver le nombre requis de présidents et d'assesseurs, au point que l'ouverture des bureaux le dimanche matin puisse parfois être une question pendante pour certains maires jusqu'à la veille au soir.

C'est la raison pour laquelle vos rapporteurs estiment utile de s'inspirer du tirage au sort des jurés d'assises pour désigner une partie des assesseurs. Non seulement cette désignation viendra suppléer aux difficultés croissantes rencontrées par les maires, mais l'implication dans la bonne tenue du scrutin, au coeur d' un lieu chargé de la symbolique républicaine (le bureau de vote, l'isoloir, l'urne, la liste électorale, la présentation d'un document d'identité et de la carte électorale...), peut éveiller chez les citoyens tirés au sort un nouvel intérêt pour le volet représentatif de la démocratie.

Vos rapporteurs précisent néanmoins que, selon eux, les formules liées au tirage au sort doivent plutôt être réservées à des actions exceptionnelles (comme par exemple, la désignation des assesseurs pour un bureau de vote) visant à susciter l'implication , que correspondre à une pratique trop fréquente et trop générale visant à pallier une carence durable en termes d'engagement.

Proposition n° 18 : tirer au sort, parmi les inscrits sur la liste électorale, une partie des assesseurs des bureaux de vote.

Délai : prochaines élections (élections au Parlement européen en 2024)

Acteur(s) : ministère de l'Intérieur (bureau des élections et études politiques) / communes

Quelle que soit la forme qu'elle prend, l'implication citoyenne mérite d'être reconnue et valorisée .

Cette valorisation peut bien évidemment prendre la forme d'une reconnaissance dans les actions de communication de la collectivité : pages dédiées dans les journaux, rubrique du site Internet, campagne d'affichage « citoyen engagé », journée ou cérémonie de l'engagement en mairie ou hors les murs...

Une reconnaissance en droit a également été obtenue avec la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2917 relative à l'égalité et à la citoyenneté qui permet aux membres des conseils citoyens, lorsqu'ils ont un emploi salarié, de bénéficier d'un jour de congé. En principe non rémunéré, ce jour de congé peut être utilisé pour participer aux instances internes du Conseil et aux instances de pilotage du contrat de ville.

Vos rapporteurs estiment toutefois qu'une nouvelle étape doit être franchie en matière de reconnaissance de l'implication du citoyen au niveau local. Dans cette perspective, la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels , dite « Loi travail », constitue une source d'inspiration. Elle a en effet institué le Compte engagement citoyen (CEC), dispositif d'État destiné à reconnaître et à valoriser l'engagement bénévole de responsables associatifs très investis. Ce compte permet, sous réserve de conditions d'éligibilité, de bénéficier de droits à formation supplémentaires crédités sur le compte personnel de formation. Ouvert sous condition aux responsables associatifs, il pourrait aussi, aux yeux de vos rapporteurs, profiter aux acteurs de la démocratie implicative afin de décerner une contrepartie à leur engagement au service de la Cité et de donner une valeur professionnalisante aux actions qu'ils ont aidées à mener à bien.

Proposition n° 19 : étendre le Compte engagement citoyen (CEC) - qui ouvre droit à formation - aux acteurs de la démocratie implicative et participative pour reconnaître leur implication positive dans la vie de la Cité.

Délai : un an

Acteur(s) : ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales / ministère du Travail, de l'emploi et de l'insertion

B. SE RENOUVELER DANS L'EXERCICE DU MANDAT LOCAL

1. Aller vers le citoyen

« La démocratie ne se résume pas à l'élection » a insisté Yvan Lubraneski, maire de Les Molières, lors de son audition par votre délégation. Comme en écho, Gilles Mentré ajoute qu'« un système fondé sur le blanc-seing ne peut plus fonctionner ». En d'autres termes, la démocratie ne trouve son point d'achèvement ni dans l'acte de voter ni dans le fait d'avoir été élu. Au contraire, l'élection doit marquer le point de départ d'une relation de confiance entre le citoyen et ses représentants élus locaux. Or, la démocratie implicative invite précisément à revisiter la nature de cette relation : si la décision finale reste aux élus, le processus pour en forger le contenu devient néanmoins plus collectif .

Aussi, dans cette perspective, l'objectif de l'élu local consiste-t-il à aller au-devant du citoyen pour « l'embarquer » dans un projet collectif et l'amener à s'intéresser à la vie locale en lui donnant de la chair . À cet égard, de nombreuses bonnes pratiques ont été identifiées par vos rapporteurs : assemblées délibératives filmées et retransmises sur Internet, conseils municipaux « hors les murs » dans les quartiers de la commune, comptes-rendus de mandat annuels effectués par les élus de la majorité devant les habitants dans les quartiers, assises de la proximité consistant en des réunions élus / citoyens et portant sur des sujets micro locaux... Toutes ont en partage une philosophie commune : aller à la rencontre du citoyen pour lui donner l'envie de s'investir à son tour.

Vos rapporteurs souhaitent mettre en avant dans leurs propositions certaines de ces pratiques qui peuvent être inspirantes et témoignent d'un réel souci de proximité, d'écoute et d'attention de la part des élus locaux.

Proposition n° 20 : tenir occasionnellement des conseils « hors les murs », dans les quartiers.

Délai : -

Acteur(s) : communes / intercommunalités

Proposition n° 21 : rendre compte annuellement, en réunion publique et localisée dans les quartiers, du mandat et de l'avancée des projets.

Délai : -

Acteur(s) : communes / intercommunalités

Vos rapporteurs ont la conviction qu'une démocratie implicative organisée autour d' un élu en responsabilité d'arbitre final, entouré d'acteurs agissants, impliqués et investis , renforcera au final la démocratie locale et la légitimité de ses représentants.

Positionné comme le pilote d'un écosystème où chacun s'investit à sa juste mesure, l'élu local n'affaiblit pas son rôle dans cette forme de démocratie, il le conforte. Les citoyens impliqués n'entrent pas en concurrence face à lui, mais chacun prend sa part, à la place qui lui revient, dans le projet de vie en commun. L'élu local devient ainsi rien moins que le chef d'orchestre de collectifs variés, qui pour s'accorder ont besoin de la vision globale que détient l'élu.

Proposition n° 22 : encourager la publication annuelle d'un guide de l'engagement citoyen répondant à la question : « je suis citoyen, je veux m'impliquer, quelles sont les possibilités au niveau local ? ». Le guide insisterait notamment sur la complémentarité entre le citoyen et son représentant élu.

Délai : -

Acteur(s) : communes

Cette démocratie implicative se déploie au quotidien dans nos territoires et elle induit un changement de posture dans l'exercice du pouvoir local . Vos rapporteurs insistent sur la tournure d'esprit différente qu'elle implique et qui a été résumée ainsi par Yvan Lubraneski : « ce n'est pas la même chose de définir un projet et d'y travailler avec les usagers et les acteurs concernés, que de décider sans eux. Plus les participants autour de la table seront nombreux, plus le travail sera fructueux. La présence des opposants est très importante, car ils soulèvent les difficultés les plus sensibles et finissent par consentir au projet à l'issue du processus. Et le consentement évite le contentieux ».

Le renouvellement de la pratique des réunions publiques

dans la commune de Les Molières

Yvan Lubraneski a décrit devant votre délégation comment sa municipalité aborde désormais les réunions publiques qu'elle organise et l'état d'esprit qui y règne .

Auparavant dans cette commune, les réunions publiques étaient l'occasion pour les élus et l'administration, placés à la tribune, de communiquer face à un parterre d'habitants. Dorénavant, tous les participants sont réunis en cercle . Même si l'on reconnait le maire et les élus de l'équipe municipale, la parole est passée à chacun à tour de rôle. Si une idée est bonne, quelle que soit son origine (c'est-à-dire qu'elle émane d'un élu ou d'un citoyen), elle va suivre toutes les étapes dans un cadre institutionnel. Et c'est le collectif qui décide si l'idée est bonne ou mauvaise.

Yvan Lubraneski précise qu' « une bonne concertation donne in fine la parole au maire pour décider, après avoir écouté et construit. Le choix reste aux élus qui sont là pour ça. Il ne s'agit pas de réinventer la cogestion » .

Une des clés de cette démocratie implicative est de donc dépasser le stade de la communication pour prendre en considération les propositions citoyennes et aboutir à de vrais engagements .

2. Instaurer un cercle vertueux entre l'élu et le citoyen

La « démarche implicative » se doit d'être abordée avec pragmatisme , car elle rompt avec certaines habitudes et peut initialement soulever des interrogations ou des doutes, voire même des critiques. En effet, devoir systématiquement faire entrer les citoyens dans le processus décisionnel, peut aboutir à la paralysie de la prise de décision. En outre, un trop plein de projets soumis à la concertation saturera les participants, avec pour conséquence de produire un désengagement contraire à l'effet recherché. De même, un cycle trop long de discussions peut ralentir la prise de décision et finalement empêcher d'avancer sur des choix politiques pourtant déjà examinés et arbitrés durant la campagne électorale.

Par ailleurs, vos rapporteurs sont bien conscients que certains projets, d'avant-garde ou novateurs, n'auraient pas nécessairement vu le jour, s'ils n'avaient pas fait l'objet d'une concertation auprès des citoyens . Que l'on songe aux projets de nouveaux modes de transport dans les communes, de sauvegarde de certains secteurs, de plans de piétonisation ou de construction d'équipements structurants, par exemple. Les élus doivent souvent argumenter sans relâche avec leurs administrés, faire face à des pétitions et à des manifestations..., même si ultérieurement les citoyens eux-mêmes reconnaitront le bien fondé de tel ou tel projet, le temps donnant raison à certaines initiatives visionnaires.

Toutefois, vos rapporteurs soulignent que le point de vue strictement inverse peut également être défendu avec justesse. À savoir que certains projets sont parfois très difficiles, voire impossibles, à mettre en oeuvre du fait que le temps de la discussion, de l'implication des habitants, n'a pas été pris . Ces projets rencontrent ensuite des oppositions et suscitent parfois des contentieux, enlisant ou mettant un terme aux ambitions de la collectivité.

Aussi, vos rapporteurs estiment-ils important de bien fixer les règles du jeu en amont de toute démarche implicative .

Le vademecum de la démarche implicative réussie

• Mettre en jeu des questions qui touchent les citoyens ;

• Expliquer le contexte, donner les éléments à chacun pour comprendre la situation et le pourquoi de l'ouverture de la décision ;

• Partager le diagnostic et prendre le temps de le faire ;

• Poser l'objet de la discussion, de la décision, et dire, à l'inverse, quelles sont les choses non négociables ou non soumises au débat. Exprimer les contraintes de la structure, du processus ;

• Définir le rôle de chacun, et notamment celui des élus ;

• Exprimer les règles du processus (par exemple, une nouvelle mesure doit se traduire par une économie équivalente) ;

• Établir un calendrier et rappeler que le processus ne peut pas s'étendre à l'infini ;

• Expliciter les modes de règlement des désaccords, pour ne pas se retrouver en situation de blocage.

Comme toute politique publique, ces démarches peuvent aussi faire l'objet d'une évaluation , concernant tant les procédures que les résultats obtenus. À cet égard, vos rapporteurs renvoient au guide de l'évaluation de la participation publié par l'Institut de la concertation et de la participation 20 ( * ) . À destination des praticiens, ce travail collectif présente différentes approches de l'évaluation des politiques et des dispositifs de concertation et de participation, des points d'alerte et des recommandations.

Sans ressortir à proprement parler de cette logique d'évaluation mais davantage afin de faire connaître les initiatives des collectivités territoriales en matière de démocratie implicative, vos rapporteurs recommandent la création d'un trophée permettant de distinguer annuellement les bonnes pratiques identifiées dans ce domaine.

Proposition n° 23 : instaurer les Trophées annuels des bonnes pratiques de la démocratie implicative, valorisant les initiatives prises par les collectivités territoriales.

Délai : un an

Acteur(s) : Sénat

La conviction de vos rapporteurs est en effet que la démocratie implicative crée un cercle vertueux au plan local .

Tout d'abord, les projets soumis à cette concertation sont gagnants , dès lors que celle-ci n'est pas seulement menée dans une visée informative, mais dans une optique d'amélioration. Ces projets en ressortent plus solides, avec des idées nouvelles de mise en oeuvre, et ils sont relayés par des citoyens qui se sont sentis impliqués et concernés.

Les effets se révèlent également positifs sur le lien entre les citoyens et leurs élus . Les premiers gagnent une meilleure compréhension du fonctionnement des collectivités, une plus grande confiance dans l'action publique, sans compter des services et / ou des projets répondant encore mieux à leurs attentes. Selon Yvan Lubraneski, « le citoyen participant à cet exercice se frotte aux difficultés des élus, et comprend quels sont les freins et les accélérateurs. Cela crée une sorte de cohésion où chacun reste dans son rôle ».

Enfin, au travers de l'exercice implicatif, le rôle de l'élu local se trouve conforté et renouvelé . Il en ressort enrichi et toujours aussi essentiel : faire germer l'implication citoyenne au service d'un territoire. Au final, en tant que décisionnaire public, l'élu local ancre sa légitimité dans un processus où chacun a pu contribuer et se sentir pleinement partie prenante. Une anecdote rapportée par Éric Berdoati illustre avec humour combien ce changement de posture peut se révéler positif, « lors de la première réunion, un administré m'a dit qu'il n'avait pas voté pour moi, mais qu'il répondait présent à mon initiative. À la fin de la concertation, il m'a confié qu'il regrettait de ne pas avoir voté pour moi ! ».

CONCLUSION

La démocratie locale sait se renouveler . Forte de ses élus locaux, elle s'est progressivement acclimatée à de nouvelles formes de participation citoyenne qui trouvent désormais leur place dans les territoires. Loin d'être exclusifs les uns des autres ou même en concurrence, ces différents modes d'expression s'inscrivent dans une réelle complémentarité. Ainsi la démocratie s'enrichit-elle à être tout à la fois représentative, participative et implicative.

Sa version implicative, en particulier, ne doit pas être sous-estimée en ce qu'elle peut apporter comme ciment citoyen au niveau local. Elle ouvre une approche différente, pragmatique et directement opérationnelle pour ramener certains de nos compatriotes, aujourd'hui éloignés des grands choix politiques, dans le champ de la démocratie . Pour cette raison, elle doit être encouragée et ses bonnes pratiques le plus largement diffusées, ce à quoi vos rapporteurs ont voulu contribuer au travers de leur mission d'information.


* 17 Source : direction générale des collectivités locales (DGCL).

* 18 Cf. « Génération engagée » (VA Éditions) de Grégoire Cazcarra et Léna Van Nieuwenhuyse. Les auteurs y estiment notamment que « notre génération s'agace de la langue de bois, veut de la spontanéité ».

* 19 Avis de décembre 2021.

* 20 https://i-cpc.org/document/levaluation-de-la-participation-principes-et-recommandations/

Page mise à jour le

Partager cette page