II. QUEL ACCOMPAGNEMENT DE L'ABAISSEMENT DE L'ÂGE D'INSTRUCTION À 3 ANS ?

A. UNE VOLONTÉ POLITIQUE D'INSCRIRE LA LOI POUR UNE ÉCOLE DE LA CONFIANCE PARMI LES GRANDES LOIS SCOLAIRES

L'âge d'instruction obligatoire a été progressivement étendu au cours des 150 dernières années. La loi du 28 mars 1882 sur l'enseignement primaire obligatoire fixe la période d'instruction obligatoire de 6 ans à 13 ans. Elle est portée à 14 ans par la loi du 9 août 1936, puis 16 ans révolus par l'ordonnance n° 59-45 du 6 janvier 1959. Enfin, l'article 15 de la loi pour une école de la confiance est venu compléter ce temps d'instruction obligatoire, par une formation obligatoire jusqu'à 18 ans - qu'il s'agisse d'une poursuite de scolarité, d'un apprentissage, d'un stage de la formation professionnelle, d'un service civique, d'un emploi ou d'un dispositif d'accompagnement et d'insertion professionnelle.

Mais, jusqu'à présent, aucune loi depuis 1882 n'avait touché à la limite inférieure de l'âge de l'instruction obligatoire . Lors de la présentation du projet de loi pour une école de la confiance au Sénat, Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale a souhaité inscrire celui-ci « dans la lignée des grandes lois républicaines sur l'obligation scolaire » .

L'article L. 131-1 du code de l'éducation, à la suite du vote à l'unanimité au Sénat de l'article 11 de la loi pour une école de la confiance, la fixe désormais à trois ans.

Pour le ministre, « en fonction de son milieu social et culturel, un jeune enfant peut accumuler des retards linguistiques considérables. C'est pourquoi, il importe tellement de faire de l'école maternelle une véritable école en abaissant l'obligation d'instruction à trois ans ».

La France fait désormais partie des pays qui positionnent l'instruction obligatoire le plus tôt dans la vie , même si la scolarisation des enfants de trois ans et de quatre ans est généralisée au sein des pays de l'OCDE.

Âge de début d'instruction obligatoire dans les États de l'Union européenne

Âge d'instruction obligatoire

Pays

4 ans

Luxembourg

5 ans

Lettonie, Pays-Bas, Pologne, Royaume-Uni

6 ans

Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Islande, Norvège, Portugal, République tchèque, Roumanie

7 ans

Bulgarie, Estonie, Finlande, Lituanie, Suède

Source : étude d'impact du projet de loi pour une école de la confiance

B. UNE RÉFORME AUX EFFETS LIMITÉS SUR LES EFFECTIFS DES CLASSES DE MATERNELLE

1. Une inscription généralisée des enfants en maternelle avant même l'entrée en vigueur de la loi

Pour les rapporteurs, cette réforme, comparée par le ministre aux lois fondatrices de Jules Ferry, est au final marginale car largement symbolique. À l'exception de la Guyane et de Mayotte, la quasi-totalité des enfants de 3 ans sont déjà à l'école en 2018, par la volonté de leurs parents. La loi n'a fait que suivre le mouvement que la société a déjà imprimé. Les effets de cette disposition sont donc limités.

L'accueil des élèves en maternelle s'est progressivement généralisé à partir des années 1970 , pour atteindre des niveaux très élevés avant même l'entrée en vigueur de la loi pour une école de la confiance.

Les chiffres du ministère de l'éducation nationale indiquent pour l'année scolaire 2016-2017, une scolarisation de 97,5 % des enfants de 3 ans , cette proportion atteignant 99,9 % pour les 4 ans et 100 % pour les 5 ans 4 ( * ) . Ainsi, seuls 30 000 enfants sur les trois classes d'âge de maternelle, sur environ 2,5 millions d'enfants, n'étaient pas scolarisés et donc directement concernés par l'abaissement de l'âge d'instruction obligatoire.

À la rentrée 2020, 99,8 % des enfants de 3 à 5 ans étaient scolarisés. Si, de manière générale, l'abaissement de l'âge d'instruction obligatoire a eu un effet limité sur les effectifs des classes de maternelle, le ministère constate un double phénomène à la rentrée 2020 :

- une augmentation du nombre d'élèves dans les écoles publiques à Mayotte et en Guyane,

- une augmentation des inscriptions pour des enfants âgés de 3 à 5 ans, instruits en famille, hors classe CNED réglementée. Les rapporteurs s'interrogent : est-ce cette augmentation très forte du nombre d'élèves déclarés en instruction en famille, non anticipée par le ministère, qui a conduit à l'évolution de la position du gouvernement sur l'instruction en famille et à sa volonté d'en restreindre le recours par le passage d'un régime déclaratif à un régime d'autorisation ?

En effet, alors qu'on dénombrait en 2018-2019 19 008 enfants instruits en famille de 6 à 16 ans hors CNED en classe réglementée, le ministère a vu arriver dans ses statistiques à la rentrée 2019 11 081 enfants âgés de 3 à 6 ans instruits en famille hors classe réglementée, et 17 009 demandes à la rentrée 2020. 37 % des élèves instruits en famille, hors classe CNED réglementée, sont des enfants âgés de moins de 6 ans, non pris en compte jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi pour une école de la confiance 5 ( * ) .

Le chiffre de 50 000 enfants instruits en famille, mis en avant par le Président de la République dans son discours aux Mureaux le 11 décembre 2020, précurseur du projet de loi confortant les principes de la République, passe sous silence l'augmentation en grande partie artificielle de ce chiffre due à l'inclusion dans les statistiques du ministère de l'éducation nationale d'enfants âgés de moins de 6 ans non scolarisés qui n'étaient pas comptabilisés jusqu'à la rentrée 2019.

Un léger recul de la scolarisation dès 3 ans à la rentrée 2020 dû au contexte sanitaire ?

Fait marquant à la rentrée 2020, la proportion d'enfants de 3 ans scolarisés a baissé, passant de 97,7 % à la rentrée 2019 à 97,0 %. La moitié des académies sont concernées par cette baisse.

Les effets de la crise sanitaire ont pu conduire certains parents à vouloir garder leurs enfants à la maison. Parmi les raisons de recours à l'instruction en famille, 36 % des parents ont indiqué la pandémie. C'est d'ailleurs, la première cause citée, devant « les besoins de l'enfant » (28 %) et le projet de vie éducatif (14 %) 6 ( * ) .

Selon les chiffres transmis par le ministère, il y a eu pour la rentrée 2020 17 009 demandes d'instruction en famille, hors classe CNED règlementée pour les enfants de 3 à 6 ans, contre 11 081 à la rentrée 2019.

Par ailleurs, on constate des ouvertures d'écoles maternelles hors contrat : 20 DASEN sur les 89 ayant répondu à l'enquête de l'inspection générale sur l'abaissement de l'âge d'instruction 7 ( * ) ont indiqué avoir recensé des demandes d'ouverture pour cette tranche d'âge à la rentrée 2020.

Ces fortes augmentations posent la question des moyens de contrôle, malgré la création de 60 postes d'inspecteurs dédiés aux missions de contrôle de l'instruction en famille et des écoles hors contrat par la loi de finances pour 2022.

2. La question des conséquences financières de cet abaissement de l'âge d'instruction obligatoire pour les communes

L'article L. 442-5 du code de l'éducation prévoit que les dépenses de fonctionnement des écoles privées sous contrat sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public.

Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi pour une école de la confiance, l'école maternelle ne relevait pas de l'instruction obligatoire. Les communes étaient libres de choisir si elles prenaient en charge les dépenses de fonctionnement des classes maternelles privées sous contrat - cette dépense n'ayant un caractère obligatoire que lorsque la commune en a demandé la création ou qu'elle a donné son accord au contrat d'association.

L'abaissement à trois ans de l'instruction obligatoire a pour conséquence de rendre obligatoire la prise en charge , par les communes, des dépenses de fonctionnement des classes maternelles privées sous contrat, dans les mêmes conditions que les classes élémentaires.

Un fonds de compensation, doté de 100 millions d'euros, a été instauré par l'article 17 de la loi pour une école de la confiance afin de compenser l'augmentation des dépenses obligatoires des collectivités territoriales résultant directement de cet abaissement de l'âge obligatoire d'instruction. Il a été reconduit dans le budget pour 2022. Le décret n° 2019-1555 du 30 décembre 2019 et l'arrêté du 30 décembre 2019 pris en application de l'article 2 de ce décret précisent les modalités d'attribution de ces ressources.

Fin septembre 2021, 13 académies ont transmis des demandes de ressources complémentaires au titre de l'instruction obligatoire à 3 ans concernant 82 communes pour un montant total de 6,8 millions d'euros . Néanmoins, comme le souligne le ministère, il est difficile d'effectuer une prévision fiable de ces dépenses : certaines collectivités ont retardé la mise en place de dispositifs en raison du contexte sanitaire, comme la création d'un forfait communal au bénéfice des classes maternelles privées sous contrat.

Les conditions d'éligibilité à ce fonds sont complexes . Afin de répondre aux nombreuses questions des élus locaux, les services du ministère ont dû publier un vademecum pour l'application des dispositions de l'article 17 de la loi pour une école de la confiance, intégrant le schéma ci-après, quasiment caricatural, et suscitant autant de questions auprès des maires et de leurs services qu'apportant de réponses.

La commune voit-elle ses dépenses scolaires obligatoires augmenter (public + privé)
entre 2018-2019 et 2019-2020 ?

oui

non

Absence d'attribution de ressources

Les dépenses obligatoires pour les écoles maternelles (public + privé) sont-elles en augmentation entre 2018-2019 et2019-2020 ?

oui

non

Absence d'attribution de ressources

Hausse des dépenses écoles maternelles publiques

Hausse des dépenses écoles maternelles privées sous contrat

Effectifs des classes maternelles publiques en hausse

Effectifs des classes maternelles publiques stables ou en baisse

La commune a créé un forfait communal pour les classes de maternelle privée sous contrat en 2019-2020 et ne versait rien auparavant ou qu'une contribution volontaire annuelle sans avoir donné son accord au contrat

La commune versait déjà un forfait communal et avait donné son accord au contrat d'association

Effectifs des classes maternelles privées en hausse

Effectifs des classes maternelles privées stables ou en baisse

Effectifs des classes maternelles privées en hausse

Effectifs des classes maternelles privées stables ou en baisse

Attribution de ressources

Complément d'instruction et contrôle des déclarations

oui

oui

oui

non

non

non

Absence d'attribution de ressources

Absence d'attribution de ressources

Absence d'attribution de ressources

Complément d'instruction et contrôle des déclarations

Complément d'instruction et contrôle des déclarations

Interpellé à de nombreuses reprises par le Sénat sur le coût pour les collectivités territoriales de l'abaissement de l'âge d'instruction obligatoire, notamment pour les communes qui n'avaient pas donné un avis favorable au contrat d'association, mais qui versaient tout de même une contribution aux écoles privées, le ministre a mis en avant la compensation des coûts par une baisse de la démographie scolaire à moyen terme .

Certes, à l'échelle nationale, le nombre d'élèves en primaire va baisser ses prochaines années.

Évolution de la démographie scolaire au primaire (public et privé)

Évolution 2020-2021

Évolution 2021-2022

Évolution 2022-2023

Évolution 2023-2024

Évolution 2024-2025

Évolution 2020-2025

Préélémentaire

- 45 366

- 29 349

- 26 999

- 25 119

- 23 524

- 150 357

Dont 2 ans

- 3 456

- 3 986

- 3 661

- 3 170

- 3 154

- 17 427

Élémentaire

- 45 744

- 53 809

- 67 106

- 64 793

- 66 562

- 298 014

ULIS

+ 2 209

+ 2 302

+ 2 399

+ 2 498

+ 2 603

+ 12 011

Total 1 er degré

- 88 901

- 80 856

- 91 706

- 87 414

- 87 483

- 436 360

Source : constat et démographie Insee-DEPP 2021

La population en âge d'être scolarisée dans les classes élémentaires est en nette diminution en 2022 (- 58 300 enfants), phénomène qui doit se prolonger et s'accentuer de 2022 à 2025 (jusqu'à 65 000 enfants en moins en 2025). Néanmoins, localement, en raison de la démographie propre à chaque territoire, certaines villes peuvent voir leur nombre d'élèves se stabiliser, voire même augmenter .

Aussi, les rapporteurs regrettent que la solution proposée par le Sénat - prévoyant que le mécanisme de compensation du surcoût lié à l'abaissement à trois ans de l'obligation d'instruction tienne compte des dépenses de fonctionnement des classes maternelles privées sous contrat réalisées par certaines collectivités territoriales antérieurement à la loi - n'ait pas été maintenu dans le texte final du projet de loi. Cet amendement permettait de prendre en compte le cas des communes qui faisaient un effort en faveur des maternelles privées, en versant - souvent dans le cadre d'une convention conclue avec l'organisme de gestion de l'établissement - un forfait sous-évalué. Le Sénat a dû y renoncer dans le cadre des compromis propres à chaque négociation lors de la recherche d'un accord en commission mixte paritaire. Le rapporteur du projet de loi pour une école de la confiance, lors des présentations des conclusions de la commission mixte paritaire en séance, était revenu sur cette concession : « nous avons dû céder sur la compensation des communes qui jusqu'alors participaient au financement des classes maternelles privées sous contrat, sans toutefois verser la totalité de la somme correspondant au coût d'un élève dans le public. Le Sénat avait clairement pris position sur le sujet, en l'inscrivant à l'article 4, considérant que l'absence d'une telle compensation, si elle pouvait se justifier sur le plan juridique, n'en constituait pas moins une injustice. Le Gouvernement et sa majorité à l'Assemblée nationale sont restés sourds à nos arguments, je le regrette. Il leur reviendra de prendre leurs responsabilités. Pour notre part, nous demeurerons vigilants quant aux modalités de compensation et aux conséquences de l'instruction obligatoire dès 3 ans sur les finances des collectivités territoriales » 8 ( * ) .

Aujourd'hui, les communes qui avaient choisi de faire un effort financier ne reçoivent aucune compensation, alors que celles qui refusaient toute subvention sont intégralement compensées.

3. À Mayotte et en Guyane, une mise en oeuvre encore inachevée de l'obligation d'instruction à trois ans

« L'école de la République est la maison commune de toute la jeunesse de France. À ce titre, elle doit apporter à tous les élèves, où qu'ils se trouvent sur le territoire, dans l'hexagone comme outre-mer, la même chance de réussir et la même envie de saisir cette chance » 9 ( * ) . Par cette déclaration lors de la présentation du projet de loi pour une école de la confiance à l'Assemblée nationale, Jean-Michel Blanquer faisait de l'instruction obligatoire dès 3 ans pour les enfants de tous les départements, notamment ultramarins, l'un des enjeux de ce texte .

En raison du taux de scolarisation des enfants de maternelle significativement inférieur à la moyenne nationale, les départements de Mayotte et de Guyane sont ceux pour lesquels l'obligation d'instruction dès 3 ans a le plus de répercussions, comme l'avait souligné la commission à l'occasion de l'examen du projet de loi pour une école de la confiance.

En effet, le taux de scolarisation est de 77,9 % à Mayotte et de 77,7 % en Guyane. Il est principalement dû aux tensions sur le bâti scolaire. À titre d'exemple, à Mayotte en 2019, dans le premier degré, 43 % des écoles ont mis en place un système de rotation, avec deux classes qui se succèdent dans la journée dans la même salle.

Ces territoires se caractérisent également par un manque d'attractivité . Certaines zones de Guyane, isolées, sont particulièrement concernées. Le pourcentage de contractuels peut atteindre 80 à 90 %, certains enseignent pour la première fois. Le recrutement d'agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles ou des intervenants en langue maternelle pour l'accueil des élèves allophones pose également problème.

L'objectif actuel du ministère est de renforcer progressivement la scolarisation pour qu'elle devienne effective pour tous les enfants d'ici 2025, soit plus de six ans après l'entrée en vigueur de la loi. Fait marquant, le taux de scolarisation des enfants de 3 à 5 ans a baissé en Guyane à la rentrée 2020 par rapport à la rentrée 2019.

Aujourd'hui, le ministère estime le nombre d'enfants non scolarisés en maternelle à 2 800 en Guyane et à 6 200 à Mayotte. Ces effectifs sont à mettre au regard de ceux de l'étude d'impact du projet de loi pour une école de la confiance. Le gouvernement estimait alors pour la rentrée 2020 le nombre d'enfants de maternelle restant à scolariser à 3 518 en Guyane et à 3 906 à Mayotte. Les rapporteurs constatent que près de 80 % de ces enfants guyanais identifiés comme restant à scolariser ne le sont toujours pas. Quant à Mayotte, les estimations du ministère en 2019 sont largement sous-estimées .

Les rapporteurs soulignent que pour les générations concernées, qui devraient être à l'école maternelle, ce sont des temps de scolarisation, de développement du langage, de consolidation de la langue française et de pré-apprentissage des savoirs fondamentaux essentiels pour la réussite scolaire dont elles ne peuvent pas bénéficier .


* 4 Repères et références statistiques, DEPP, 2018.

* 5 Chiffres du ministère de l'éducation nationale.

* 6 Il s'agit d'informations recueillies de manière non exhaustive à l'occasion des contrôles, l'instruction en famille se faisant pour l'année scolaire 2020-2021 sur la base d'une déclaration, sans présentation de projet pédagogique lors de celle-ci.

* 7 Évaluation de la mise en place de l'abaissement de l'âge de début d'instruction obligatoire, rapport de l'IGÉSR n° 2021-135, juillet 2021.

* 8 Compte rendu de séance du Sénat le 4 juillet 2019.

* 9 Compte rendu de séance de l'Assemblée nationale du 23 janvier 2019.

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