B. LA RÉCEPTION DES TRAVAUX DU VARENNE

Tous les intervenants entendus par l'Office ont reconnu la nécessité d'une transition agroécologique et d'une adaptation des filières agricoles pour faire face au changement climatique. L'importance d'une déclinaison territoriale de la stratégie nationale, que ce soit pour l'agriculture ou la gestion de l'eau, a également fait consensus. Les outils de planification tels que les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE), les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) et les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) ont démontré leur utilité. Cependant, Alexis Guilpart a souligné le risque que la modification de l'instruction des PTGE (permettant au préfet coordonnateur de bassin de mettre un terme à la phase de concertation en absence de consensus) conduise à des solutions inadéquates. Ces outils et le plan climat-air-énergie territorial (PCAET) ayant des problématiques communes, un rapprochement pourrait être opportun pour créer des synergies.

L'approche du Varenne, qui considère la gestion de l'eau sous l'unique prisme agricole, a fait l'objet de vives critiques de la part d'associations environnementales 52 ( * ) . Selon elles, la diversité des usages doit être prise en compte, sans oublier la biodiversité : l'eau ne doit pas être uniquement vue comme une ressource mais également comme un milieu de vie pour de nombreuses espèces, dont une part importante serait menacée d'extinction 53 ( * ) .

De même, le traitement de la problématique de la gestion de l'eau sous l'angle purement quantitatif a pu être regretté. Comme l'a dit Frédérique Chlous, si la gestion quantitative de l'eau correspond à la « crise actuelle », la question de la qualité de l'eau et des écosystèmes aquatiques sera la « crise de demain ».

Enfin, plusieurs des intervenants - issus d'associations environnementales mais aussi de la communauté scientifique - ont contesté que l'orientation du Varenne proposant le développement de l'accès à la ressource en eau, notamment par la constitution de réserves hivernales, puisse être considérée comme une solution d'adaptation au changement climatique. Selon elles, cela créerait un faux sentiment de sécurité - les hivers pouvant être extrêmement secs - et n'encouragerait pas l'indispensable changement radical des pratiques culturales. D'après Alexis Guilpart, le Varenne n'a pas suffisamment réaffirmé la nécessité d'une sobriété en eau dans l'agriculture, exprimée en 2019 lors des Assises de l'eau, qui avaient fixé des objectifs ambitieux de réduction des prélèvements d'eau : 10 % d'ici 2025 et 25 % d'ici 2035. Or, comme l'a montré Florence Habets, la consommation d'eau liée à l'ensemble des activités humaines est aujourd'hui une cause majeure de l'intensification des sécheresses hydrologiques 54 ( * ) . L'orientation retenue par le Varenne entretiendrait alors un cercle vicieux de dépendance à l'eau pour les filières, la réduction des sécheresses agronomiques entrainant l'amplification des sécheresses hydrologiques 55 ( * ) . Néanmoins, les rapporteurs soulignent qu'outre cet impératif de sobriété, l'agriculture doit mener de front l'objectif de la souveraineté alimentaire de notre pays. L'effort ne doit donc pas reposer outre mesure sur les agriculteurs mais considérer l'ensemble des usages de l'eau pour lesquels des progrès peuvent être réalisés.

En bref :

Le dérèglement climatique lié aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre entrainera une augmentation des extrêmes météorologiques et climatiques, déjà perceptible ces dernières années. Le régime des précipitations s'en trouvera modifié entrainant un accroissement de la fréquence et de l'intensité des situations de tension vis-à-vis de l'accès à la ressource en eau.

Si la consommation d'eau est essentielle pour l'Homme et ses activités socio-économiques, elle est tout aussi fondamentale pour la biodiversité. L'agriculture, garante de notre alimentation, est exposée à des risques importants au regard du dérèglement climatique. Elle devra changer de modèle pour s'y adapter, tout en garantissant la souveraineté alimentaire française et en étant respectueuse de l'environnement.

Une gestion soutenable et raisonnée de la ressource en eau est de plus en plus nécessaire, en considérant l'ensemble des usages et des écosystèmes dépendant de cette ressource. Si diverses solutions - techniques ou fondées sur la nature - existent, agissant à la fois sur la ressource et sur les besoins en eau, la gestion de l'eau n'en demeure pas moins une problématique complexe et chacune des approches envisageables présente une balance avantages/inconvénients propre. Un équilibre spécifique à chaque territoire devra alors être trouvé entre ces différents outils, en veillant à minimiser les externalités négatives, notamment vis-à-vis de la biodiversité.

Cette adaptation contrainte du modèle agricole et de la gestion de l'eau pour faire face au changement climatique rappelle l'importance fondamentale de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la nécessité de tendre vers le « net zéro ».

Recommandations

1. Poursuivre et encourager les recherches scientifiques concernant :
- l'anticipation des impacts du changement climatique sur la ressource en eau, tant à l'échelle du pays que des territoires, y compris les territoires ultramarins soumis à des contraintes spécifiques ;
- les options ouvertes ou possibles en matière d'adaptation du système agricole et de gestion de la ressource en eau, en veillant à minimiser leurs impacts indirects.

2. Engager sans tarder la transition permettant de construire un modèle agricole résilient face au changement climatique, capable d'assurer la souveraineté alimentaire de la France et respectueux de l'environnement, et en particulier de la biodiversité aquatique. Cette transition devra inclure un accompagnement économique et technique des agriculteurs.

3. Établir, pour les autres usages de l'eau, une Stratégie nationale de sobriété en eau.

4. Encourager la mise en place de PTGE (projets de territoire pour la gestion de l'eau) sur l'ensemble du territoire, afin de développer des politiques territoriales de gestion raisonnée de l'eau utilisant pour faire face aux déséquilibres futurs, tant spatiaux que temporels.


* 52 France Nature Environnement, « Varenne de l'eau : 5 organisations dénoncent le modèle agricole promu par le Varenne », 2021 ( https://fne.asso.fr/communique-presse/varenne-de-l-eau-5-organisations-denoncent-le-modele-agricole-promu-par-le ).

* 53 UICN Comité français, MNHN, SFI, AFB, « La Liste rouge des espèces menacées en France - Chapitre Poissons d'eau douce de France métropolitaine », 2019 ( https://uicn.fr/liste-rouge-poissons-d-eau-douce/ ).

* 54 Y. Wada et al., Environ. Res. Lett. 2013, 8, 034036 ( https://doi.org/10.1088/1748-9326/8/3/034036 ).

* 55 W. Wan et al., J. Geophys. Res. 2018, 123, 5947 ( https://doi.org/10.1029/2017JD027825 ).

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