II. COMMUNICATION DE M. JEAN-FRANÇOIS HUSSON, RAPPORTEUR GÉNÉRAL, ET ADOPTION DE L'AVIS DE LA COMMISSION (31 MARS 2022)

Réunie le jeudi 31 mars 2022 sous la présidence de M. Emmanuel Capus, vice-président, la commission a entendu une communication de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sur le projet de décret d'avance, en application de l'article 13 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), et a adopté l'avis de la commission.

M. Emmanuel Capus , président . - Notre commission a été destinataire vendredi dernier d'un projet de décret d'avance portant ouverture de 5,9 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement afin de financer des dépenses urgentes.

En application de l'article 13 de la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), ce décret doit être pris sur avis du Conseil d'État et après avis des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, qui disposent pour cela d'un délai de sept jours à compter de la notification qui leur a été faite du projet de décret.

Aussi, le rapporteur général va nous présenter une communication à ce sujet et nous exposer un projet d'avis sur lequel notre commission devra statuer. Seuls les membres de la commission présents physiquement pourront voter, les délégations de vote étant autorisées. L'avis de notre commission sera ensuite transmis à M. le Premier ministre.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - L'audition qui s'est tenue hier de M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, est la première sur ce projet.

Sous ce quinquennat, les gouvernements ont présenté peu de décrets d'avance : un premier en juillet 2017, un second en mai 2021 et - il faut croire que ce sera le dernier - le projet que nous examinons ce matin. Auparavant, il était habituel que nous examinions chaque année un ou plusieurs décrets d'avance.

Certes, cela peut paraître plus respectueux de la LOLF qui fait en principe du décret d'avance une procédure d'exception. Pour autant, il convient de noter que les montants des annulations et ouvertures de crédits qui sont proposés sont, eux, assez exceptionnels et résultent des circonstances : avec un montant de 5,9 milliards d'euros, le décret que nous examinons est en effet le second plus important jamais présenté depuis l'entrée en vigueur de la LOLF, après celui de mai 2021 qui accompagnait la crise sanitaire.

Au total, les gouvernements successifs de ce quinquennat auront pris les trois plus gros décrets d'avance depuis 2006, pour 16,7 milliards d'euros au total.

En l'occurrence, les ouvertures de crédits portent pour moitié sur un dispositif général de réduction du prix des carburants, accessible à tous les consommateurs, et pour moitié sur des dispositifs sectoriels. Une action rapide est, sans nul doute, nécessaire : la hausse des prix de l'énergie, et tout particulièrement du prix des carburants à la pompe, a commencé depuis plusieurs mois, mais elle s'est nettement accentuée depuis le début de la guerre en Ukraine.

Pour autant, je constate qu'il s'agit encore une fois, comme lors de la création de l'indemnité inflation à l'automne dernier, d'une mesure non ciblée, qui ne prend pas en compte la situation différenciée des personnes concernées, mais qui présente le mérite pour le Gouvernement, à la veille de l'élection présidentielle, de toucher tout le monde. Il s'agit également d'une énième mesure prise pour contrer la hausse des prix de l'énergie depuis octobre, sans qu'aucune cohérence puisse être trouvée entre le bouclier tarifaire et fiscal, l'indemnité inflation et maintenant cette remise. Au-delà de ce constat, il convient également de noter que la mesure est prévue pour s'appliquer pendant quatre mois seulement et que des solutions plus pérennes concernant les énergies devront être trouvées.

En outre, autre caractéristique particulière du décret d'avance, contrairement à ceux qui ont été plus classiquement présentés au cours des précédents exercices budgétaires, celui-ci ouvre plusieurs milliards d'euros sur des mesures nouvelles et non sur des dispositifs existants qu'il conviendrait de « recharger ». Et ces mesures nouvelles interviennent alors que la crise actuelle n'est pas si éloignée, dans ses fondements, de la hausse des coûts de l'énergie déjà constatée à l'automne dernier.

Au-delà de la remise de 15 centimes du coût des carburants, les secteurs d'activité bénéficiant d'une mesure ciblée sont nombreux - nous l'avons bien entendu lors de l'audition du ministre - : éleveurs atteints par l'augmentation du coût des aliments, pêcheurs pour ce qui concerne le carburant, transporteurs routiers de marchandises, secteur des travaux publics, entreprises fortement consommatrices en énergie. Il faut y ajouter l'accueil des populations réfugiées d'Ukraine consécutif à la guerre dans ce pays.

Toutefois, on peine à connaître les modalités concrètes de plusieurs de ces mesures au moment où nous devons nous prononcer. Le ministre lui-même a confirmé hier ne pas être en mesure de nous en dire beaucoup plus, sur l'aide aux éleveurs, par exemple.

En outre, je m'interroge sur certains angles morts du plan de résilience. Qu'en est-il de l'impact de l'augmentation des prix de l'énergie et des approvisionnements sur les budgets des collectivités locales - question également abordée par notre collègue Isabelle Briquet lors de l'audition du ministre ? Nous avons de nombreux retours des élus locaux, des études d'impact sont en cours par certaines structures ou associations, et il faudra certainement aborder la question dans une prochaine loi de finances rectificative (LFR) en fonction du constat qui sera établi. Les propos du ministre sur les finances des collectivités, censées être confortables, ne m'ont guère rassuré à ce sujet. Or si l'on appliquait certains programmes électoraux, une économie de 10 milliards d'euros devrait être réalisée sur les collectivités territoriales.

Toutefois, ces ouvertures de crédits proposées par le projet de décret sont compensées, comme il se doit dans le cadre d'un décret d'avance, par des annulations de même niveau. Celles-ci seront réalisées à la fois sur des crédits reportés de 2021, qui relèvent de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » et du programme 823 « Avances à des organismes distincts de l'État et gérant des services publics » de la mission « Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics », et sur des crédits d'autres ministères, qui avaient fait l'objet d'une réserve de précaution.

Je ferai un point sur la régularité du décret d'avance.

Tout d'abord, le décret d'avance doit revêtir un caractère d'urgence. Cette première condition me paraît remplie, compte tenu de la hausse exceptionnelle des prix de l'énergie, mais aussi d'autres matières premières ou encore des intrants, notamment agricoles, et de leurs conséquences sur les coûts supportés par les ménages et les entreprises. L'ouverture de nouveaux crédits à brève échéance peut à mon sens être considérée comme nécessaire et urgente.

Ensuite, un décret d'avance doit annuler un montant de crédits au moins égal à celui des crédits ouverts. Comme indiqué précédemment, c'est effectivement le cas, puisque les ouvertures et annulations prévues s'élèvent à 5,9 milliards d'euros, même si cette annulation résulte d'artifices budgétaires, comme je l'expliquerai dans un instant.

Enfin, les ouvertures de crédit doivent être inférieures à 1 % des crédits ouverts dans la loi de finances de l'année, et les annulations ne doivent pas dépasser 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours. Sur ce point, cela ne pose pas de difficulté non plus, puisque les crédits ouverts ou annulés représentent 0,63 % des autorisations d'engagement et 0,80 % des crédits de paiement ouverts en loi de finances initiale (LFI).

Les conditions de régularité du décret me paraissent donc réunies. Cette régularité est toutefois purement formelle pour ce qui concerne l'équilibre budgétaire du décret d'avance.

Tout d'abord, les deux tiers des annulations de crédits, soit 4 milliards d'euros, portent sur des reports de crédit réalisés sur quatre programmes de la mission « Plan d'urgence », ainsi que sur le programme 823 qui assure des avances à des organismes publics.

Si l'on examine les quatre programmes concernés de la mission « Plan d'urgence », leur point commun est qu'ils n'avaient aucun crédit en loi de finances initiale pour 2022. Le fonds de solidarité a été alimenté par des reports de crédits dès le mois de janvier, mais ils ont été largement consommés. Ainsi, à la date où le projet de décret nous a été transmis, vendredi dernier, les crédits disponibles sur la mission « Plan d'urgence » étaient de 155 millions d'euros seulement, alors que le décret en annulait 3,5 milliards d'euros, soit vingt fois plus !

Depuis la fin de la semaine dernière, le Gouvernement a donc publié à un rythme accéléré des arrêtés de report de crédits d'un montant très élevé - plus de 5 milliards d'euros au seul Journal officiel du 30 mars -, juste avant l'expiration du délai limite fixé au 31 mars par la LOLF. Tout cela n'a été en réalité effectué qu'afin d'annuler ces mêmes crédits pour équilibrer le décret d'avance, sans doute dès la semaine prochaine...

Autrement dit : le décret stricto sensu est équilibré, mais sa mise en application implique des reports de crédits de près de 4 milliards d'euros qui, eux, ont un effet direct sur l'équilibre budgétaire.

Par ailleurs, deux milliards d'euros sont annulés sur les crédits des ministères. On aurait pu penser que ces annulations correspondaient, elles, à de véritables économies, puisqu'elles portent sur de « vrais » crédits ouverts en loi de finances pour 2022. De telles économies sont souhaitables, mais beaucoup se sont étonnés, à juste titre, que les efforts les plus importants soient finalement demandés à la mission « Défense » pour 300 millions d'euros, alors que la situation actuelle et les engagements du Président de la République lui-même mettent l'accent sur la nécessité de préserver et même de développer les moyens de notre défense nationale.

Le Gouvernement essaie de nous rassurer en expliquant que ces annulations ne sont pas de véritables économies. Le ministre nous l'a confirmé hier après-midi : ces annulations correspondent à un simple « artifice » budgétaire. Comme il est encore tôt dans l'année, ces crédits peuvent être annulés « temporairement » sans trop menacer - du moins on l'espère - la trésorerie des ministères : comme l'a dit le ministre, ils espèrent qu'une loi de finances rectificative vienne rouvrir ces crédits au mois de juillet. Cela s'apparente quelque peu à du bricolage pour échapper à un projet de loi de finances rectificative, lors de l'examen duquel un débat différent aurait eu lieu.

J'en tire deux conclusions. D'une part, que même pour les annulations de crédits portant sur les ministères, l'équilibre du décret d'avance est illusoire. D'autre part, que le Gouvernement dessine les grands traits d'un collectif budgétaire qu'il ne présentera pourtant pas lui-même en raison des élections.

Je constate donc que ce décret est, sur beaucoup de points, éloigné des règles de bonne gestion. Il faut toutefois rappeler qu'il s'agit d'un décret et non d'une loi de finances sur laquelle nous pourrions proposer des amendements. En outre, les ouvertures de crédit visent à répondre à une réalité pressante que j'ai rappelée au début de mon propos, à savoir les difficultés de beaucoup de ménages et de professionnels face à la hausse des prix, en particulier de l'énergie. Par ailleurs, formellement, ce décret est conforme à la LOLF.

En conséquence, je vous propose de conclure sur un avis favorable, tout en reprenant dans celui-ci les principales critiques et observations que nous pouvons émettre concernant les méthodes employées par le Gouvernement.

M. Albéric de Montgolfier . - Merci de ce rapport dont je partage les conclusions. Ma question est liée non pas directement au décret d'avance, mais à l'ouverture de crédits à hauteur de 3 milliards d'euros pour la mesure de réduction du prix des carburants. Quel est le montant des hausses de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) intervenues depuis le début du quinquennat ? Quelle est la hausse du produit de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui résulte de l'augmentation du prix du baril de pétrole ?

M. Jean-Claude Requier . - Je souhaiterais avoir une précision sur le périmètre de l'article 13 de la LOLF. Si le montant maximum du décret d'avance est de 1 % du budget général de l'État, il s'élèverait plutôt à 3 milliards d'euros, au lieu de 5,9 milliards cette année, et de 7 milliards l'année dernière. Cette proportion concerne-t-elle le budget total ou les dépenses de fonctionnement ?

M. Marc Laménie . - Merci, monsieur le rapporteur général, pour cette synthèse, également exposée hier lors de l'audition de M. le ministre délégué chargé des comptes publics. Pourquoi retenir la procédure du décret d'avance plutôt qu'une loi de finances rectificative, sachant que la guerre en Ukraine aura des conséquences dramatiques, notamment sur les prix des carburants ?

De plus, je suis sceptique sur les annulations de crédits opérées depuis la LFI. Plusieurs ministères, comme celui des armées, en seront largement affectés. Et toutes les missions sont visées, dont certaines de façon importante - je pense à la mission « plan d'urgence face à la crise sanitaire » -, de même que les entreprises, les particuliers et le monde agricole.

M. Vincent Delahaye . - Pourquoi un décret d'avance ? Pour éviter un débat dans l'hémicycle sur une loi de finances rectificative. Or celle-ci aurait été la bienvenue, compte tenu des mesures contenues dans ce décret. Je partage cette critique avec le rapporteur général, et c'est pourquoi je ne m'attendais pas forcément à un avis favorable. J'avais d'ailleurs déjà émis des réserves sur le chèque inflation à l'automne. D'une part, une telle distribution d'argent en faveur de 38 millions de Français à quelques mois des échéances électorales n'avait jamais été proposée auparavant. D'autre part, cette promesse devrait-elle se renouveler en cas d'inflation comme aujourd'hui ? Ce n'est pas une bonne politique.

Par ailleurs, à l'instar de mon collègue Albéric de Montgolfier, je m'interroge sur les recettes supplémentaires consécutives à la hausse du prix des carburants. En dépend l'ampleur du geste à faire. Mais qu'en sera-t-il dans les prochains mois si la situation perdure ? Fera-t-on un deuxième geste, et ainsi de suite ? Ce n'est, là encore, pas une bonne façon de gérer les finances publiques et l'aide apportée à nos concitoyens. De surcroît, les annulations de crédit, qui portent sur des crédits de 2021 non consommés et reportés, auront une incidence sur le solde. Ce projet de décret d'avance me gêne profondément.

Mme Christine Lavarde . - Je proposerai d'amender l'alinéa 4 du projet d'avis présenté par le rapporteur général en indiquant que c'est pour les ménages les plus précaires et les entreprises les plus exposées, et non forcément pour l'ensemble des ménages et des entreprises, qu'il est nécessaire d'ouvrir des crédits afin de rendre supportable l'augmentation des prix de l'énergie. Comme vient de le dire Vincent Delahaye, cette large distribution d'argent n'est pas un bon signal pour la soutenabilité de nos finances publiques. Elle se traduira ultérieurement par des hausses d'impôts. Pourquoi l'épargne des ménages qui se sont enrichis pendant les confinements ne servirait-elle pas aux plus précaires ? Cette proposition n'engage que moi, mais elle présenterait l'intérêt de cibler les aides. Soyons responsables dans nos actions !

M. Emmanuel Capus , président . - Si j'ai bien compris, vous proposez donc, à l'alinéa 4, de remplacer les termes : « pour les ménages et les entreprises », par les termes : « pour les ménages les plus précaires ».

Mme Christine Lavarde . - On pourrait aussi ajouter : « et les entreprises les plus exposées ou électro-intensives ».

M. Emmanuel Capus , président . - Nous en tiendrons compte lors du vote.

M. Rémi Féraud . - Malgré des divergences de vues, nous pouvons nous retrouver dans l'avis du rapporteur général. En effet, il faut prendre des mesures d'urgence face à la situation actuelle. La notion de « décret d'avance » me semble un peu ironique compte tenu du retard important qu'a pris le Gouvernement lors du PLF. Nous l'avions déjà interpellé au moment des discussions budgétaires sur la nécessité de baisser la fiscalité sur l'énergie. Cette mesure n'est certes pas parfaite en ce qu'elle ne s'applique pas au cas par cas. Nous pourrions alors envisager, madame Lavarde, de financer des chèques énergie pour les plus précaires par une augmentation de fiscalité, même temporaire, sur les plus fortunés.

Comme le disait Isabelle Briquet hier lors de l'audition du ministre, les collectivités locales sont oubliées et renvoyées au projet de loi de finances rectificative (PLFR). Je partage vraiment l'avis du rapporteur général sur les crédits de la défense. C'est vraiment du bricolage. Tout est conçu comme si les élections n'allaient pas avoir lieu et que le PLFR était automatique. Or les programmes des candidats sont très différents à cet égard, et aucune garantie n'existe, sauf à considérer que le Parlement est une chambre d'enregistrement. La guerre en Ukraine n'explique pas tout ; la crise des prix de l'énergie était préexistante, et le mois de mars enregistre la plus forte inflation en France depuis les années 1980.

Nous approuverons l'avis de la commission des finances, mais cela n'enlève rien aux critiques que j'ai émises sur le décret d'avance.

M. Emmanuel Capus , président . - Il ne s'agit à ce stade que d'une proposition d'avis de la part du rapporteur général. Ne déflorons pas le vote dès maintenant.

Mme Sophie Taillé-Polian . - On nous vend de la résilience, mais on ne cesse de nous présenter des mesures sans ciblage, toujours avec un temps de retard. Et ce sera ensuite à l'État et aux collectivités de subir le choc traumatique. La lecture des différents programmes laisse davantage présager une diminution des services publics qu'une augmentation des impôts. Les entreprises et les ménages auront été arrosés sans que cela soit nécessaire et les services publics et les dotations aux collectivités seront réduits. Ces mesures ne vont pas dans le sens que nous souhaitons ni dans celui de la nécessaire mobilisation des crédits pour la transition écologique.

Par ailleurs, la méthode choisie revient à balayer le débat démocratique. Le groupe écologiste ne peut évidemment être en phase avec ce décret d'avance.

Je voudrais attirer l'attention de la commission sur la question de l'accueil des réfugiés ukrainiens par l'éducation nationale : dans mon département, les montants alloués ne sont pas suffisants, notamment pour l'accueil des enfants allophones. Il ne s'agit pas que d'une question de logement ; il faut mettre les moyens suffisants dans tous les services publics.

Mme Sylvie Vermeillet . - Je ne suis pas favorable à la modification rédactionnelle proposée par Mme Lavarde. Comment déterminer le seuil en deçà duquel on appartient aux « plus précaires » ? En outre, la mesure est bornée en ce qu'elle se limite à 3 milliards d'euros. Enfin, la « désépargne » est aujourd'hui le moteur de notre croissance : il serait dangereux d'y toucher.

Je pense que le groupe Union Centriste se ralliera à la rédaction proposée par le rapporteur général, à l'exception peut-être de M. Delahaye.

M. Vincent Capo-Canellas . - Mme Vermeillet a très bien expliqué quelle sera la position très majoritaire du groupe Union Centriste.

Je rejoins l'avis favorable proposé par le rapporteur général. Chacun peut convenir du besoin et de l'urgence de ces mesures. En ce qui concerne les modalités retenues, il eût été difficile de débattre d'un projet de loi de finances rectificative à dix jours seulement du premier tour des élections présidentielles.

On peut comprendre le souhait de Mme Lavarde de mentionner les ménages « précaires », mais il s'agit ici d'une mesure générale. Cet ajout ne me semble pas opportun.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - J'ai essayé de faire le travail le plus précis possible en analysant le décret d'avance, et en distinguant la forme et le fond. Les conditions juridiques sont remplies, ce qui n'empêche pas de porter une analyse critique des mesures proposées.

C'est la raison pour laquelle j'ai insisté sur les insuffisances et les tours de passe-passe budgétaires. Il n'a échappé à personne, comme l'ont souligné MM. Requier et Laménie, que le périmètre du décret d'avance devrait se limiter à 1 % du budget général...

Débattre d'un projet de loi de finances rectificative à dix jours du premier tour des élections présidentielles aurait sans doute constitué un exercice assez acrobatique. Nous posons des emplâtres sur des jambes de bois tous les trois mois : chèque énergie, indemnité inflation... Souvenez-vous des railleries du Gouvernement lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2021 de fin d'année, lorsque nous avions souhaité prioriser l'aide aux plus précaires de nos concitoyens, à l'occasion de l'instauration de l'indemnité inflation.

Aujourd'hui, le diesel a rejoint le prix du super. On ne prête pas toujours suffisamment attention aux petits détails, mais le produit des taxes sur le diesel entraîne davantage de rentrées fiscales que celui des taxes sur l'essence...

La trajectoire initiale de la taxe carbone telle que prévue dans la loi de finances initiale pour 2018 et avant le mouvement des « Gilets jaunes », monsieur de Montgolfier, correspondait à une recette supplémentaire de 15 milliards d'euros. Les recettes supplémentaires de TVA se sont élevées à un peu plus de 1,7 milliard d'euros l'année dernière et devraient atteindre 3,7 milliards d'euros cette année.

Les recettes supplémentaires de TVA sur les carburants des particuliers seront de 1,6 milliard au premier semestre et de 2,1 milliards au second semestre. Toutefois, le Gouvernement souligne qu'il ne s'agit pas d'un solde net de 3,7 milliards d'euros de recettes supplémentaires : quand le prix des carburants augmente fortement, la consommation diminue notamment, et les recettes de TVA et d'impôt sur les sociétés s'en ressentent mécaniquement.

Madame Taillé-Polian, je rappelle que nous avons demandé à la Cour des comptes de mener une enquête sur la question des élèves allophones. Dans mon département aussi, il est parfois très compliqué d'obtenir de l'éducation nationale qu'elle scolarise les enfants des réfugiés ukrainiens. Nous demandons à l'État de se montrer cohérent : si nous accueillons des réfugiés, ce n'est pas pour laisser leurs enfants de côté.

Le point 13 de mon avis concerne l'impact du coût de l'énergie sur les collectivités. Hier, les propos du ministre m'ont paru assez décalés : comment peut-on dire que les collectivités sont en bonne santé, c'est-à-dire qu'elles perçoivent des recettes supplémentaires, alors qu'elles se démènent tous azimuts pour maintenir le meilleur service public possible dans un contexte très tendu ? Pour le dire de la manière la plus aimable possible, il me semble que le Gouvernement devrait parfois se départir d'un certain « parisianisme ».

Madame Lavarde, tout est modifiable dans cette proposition d'avis. Nous pourrions rédiger ainsi le point 4 : « ... en particulier pour les ménages et les entreprises les plus exposés... », ce qui permet d'éviter de stigmatiser certains de nos concitoyens. Les gros rouleurs, par exemple, qui n'appartiennent pas nécessairement aux plus précaires, sont exposés à ces hausses de prix.

Mme Christine Lavarde . - Le Gouvernement met en place une aide tous azimuts dont il nous expliquait voilà seulement quelques mois qu'elle serait trop coûteuse pour les finances publiques. Aujourd'hui, à dix jours du premier tour de l'élection présidentielle, tout devient possible ! Or ce n'est pas un bon signal économique, surtout au regard du rapport du FMI sur la situation de la France du 26 janvier dernier que personne n'évoque...

M. Roger Karoutchi . - Il est déjà difficile de définir juridiquement le terme « précaires », mais c'est encore pire avec « exposés » : tous les ménages et toutes les entreprises sont exposés à la hausse des prix de l'énergie. Cette modification ne change rien au texte initial.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Le décret d'avance cible de nombreuses professions. En cela, il vise non pas la précarité, mais plutôt une exposition aux coûts.

M. Stéphane Sautarel . - Je veux insister sur les acteurs de la ruralité qui n'ont souvent pas d'alternative en termes de carburants ou de chauffage. Le terme « contraints » pourrait ainsi aller au-delà de la seule précarité et rejoint l'idée d'exposition aux coûts.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je vous propose donc cette rédaction : « en particulier pour les ménages et les entreprises les plus exposés,... ».

La commission donne acte de sa communication au rapporteur général et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information ; elle adopte l'avis sur le projet de décret d'avance.

L'avis est ainsi rédigé :

La commission des finances,

Vu les articles 13, 14 et 56 de la loi organique n° 2001 692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;

Vu la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022 ;

Vu le projet de décret d'avance notifié le 25 mars 2022, portant ouverture et annulation de 5,9 milliards d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement, le rapport de motivation qui l'accompagne et les réponses du ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, au questionnaire du rapporteur général ;

Sur la régularité du projet de décret d'avance :

1. Constate que les ouvertures de crédits, d'un montant de 5,9 milliards d'euros, ont pour objet de financer, d'une part, une mesure de réduction du coût du carburant pour l'ensemble des consommateurs et, d'autre part, un ensemble de mesures ciblant plus spécifiquement certains secteurs économiques ou permettant l'accueil de populations réfugiées compte tenu de la guerre en Ukraine ;

2. Observe que les ouvertures de crédits prévues par le présent projet de décret sont gagées par des annulations de même montant portant pour l'essentiel, d'une part, sur des reports de crédits non consommés en 2021 et, d'autre part, sur des crédits de l'ensemble des ministères mis en réserve ;

3. Note que les ouvertures et les annulations de crédits prévues par le présent projet de décret sont égales à 0,8 % des crédits de paiement ouverts par la loi de finances de l'année ; qu'elles n'excèdent donc pas le plafond de 1 % des crédits ouverts par la loi de finances de l'année et que les annulations prévues n'excèdent pas non plus le plafond de 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours ;

4. Estime que l'urgence à ouvrir les crédits est avérée afin de rendre supportable, en particulier pour les ménages et les entreprises les plus exposés, l'augmentation des prix de l'énergie accentuée par la guerre en Ukraine et de financer l'accueil de plusieurs dizaines de milliers de réfugiés, lié à la même situation de guerre ;

5. Constate donc que les conditions de régularité du recours au décret d'avance prévues par la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 précitée sont réunies ;

Sur les ouvertures prévues par le projet de décret d'avance :

6. Relève l'ampleur exceptionnelle des ouvertures de crédits prévues par le présent projet de décret d'avance, qui est le second le plus élevé depuis la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances ;

7. Note que, contrairement à la pratique habituelle, le projet de décret d'avance vise pour l'essentiel à couvrir les besoins de financement de mesures nouvelles, et non de dispositifs déjà en vigueur ;

8. Relève que le Gouvernement présente une nouvelle série de mesures en réaction à la hausse des prix de l'énergie qui permettra de soutenir certaines activités, notamment le secteur agricole ;

9. Déplore toutefois l'absence de cohérence entre ces nouvelles mesures et celles déjà instaurées depuis l'automne, à savoir le bouclier fiscal et tarifaire puis l'indemnité inflation ;

10. Regrette que plusieurs de ces mesures ne soient définies que de manière très sommaire, ouvrant des crédits avant que les modalités et les besoins précis aient été déterminés ;

11. Constate, comme ce fut le cas lors de la création de l'indemnité inflation, le manque de ciblage de la mesure tendant à réduire le coût du carburant, alors que tous les consommateurs ne sont pas placés dans la même situation face à la hausse des prix à la pompe ;

12. Souligne en outre que le projet de décret d'avance ne finance certaines mesures, telles que l'aide aux entreprises fortement consommatrices d'énergie, que pour la période allant jusqu'à la fin du mois de juillet, alors que le Gouvernement a annoncé que ces mesures seraient appliquées jusqu'à la fin de l'année et que le financement d'autres mesures du plan de résilience économique et social reste non connu ;

13. Affirme enfin la nécessité, à l'occasion de l'examen de prochaines lois de finances, de tirer les conséquences de l'impact de la hausse des coûts de l'énergie et des approvisionnements sur les finances des collectivités territoriales ;

Sur les annulations prévues par le projet de décret d'avance :

14. Constate que les crédits annulés portent, pour près de 4 milliards d'euros, sur des crédits non consommés en 2021 qui n'ont été reportés qu'à la seule fin de gager les ouvertures de crédits souhaitées ;

15. Souligne que les reports de crédits ont d'ailleurs été réalisés par des arrêtés publiés après la notification du projet de décret d'avance à la commission des finances, entre le 26 et le 30 mars 2022, soit dans les tous derniers jours où ces opérations sont permises par la loi organique relative aux lois de finances ;

16. Constate que les autres annulations passent par une réduction des crédits de la plupart des programmes et missions relevant des ministères, en se concentrant sur la réserve de précaution tout en prévoyant d'éventuels surgels ;

17. S'étonne notamment que les crédits de trois programmes de la mission « Défense » soient réduits au moment où les tensions internationales mettent en évidence la nécessité pour la France de mieux assurer sa défense ;

18. Constate que, s'agissant des annulations portant sur des crédits non reportés, le Gouvernement lui-même a annoncé qu'un prochain projet de loi de finances rectificative présenté après les élections législatives rétablirait ces crédits en tout ou partie, ce qui ôte toute portée à ces annulations et ignore les échéances électorales à venir en s'engageant pour le prochain Gouvernement ;

19. Considère au total que l'équilibre budgétaire du décret d'avance est purement formel, puisque aussi bien les reports de crédits, sans lesquels les annulations prévues par le décret ne pourraient pas être appliquées, que la réouverture des crédits annulés, annoncée par le Gouvernement, creuseront le déficit budgétaire ;

20. Émet, sous les réserves formulées précédemment et compte tenu de la régularité formelle du projet de décret au regard des dispositions de la loi organique relative aux lois de finances, un avis favorable au présent projet de décret d'avance.

M. Emmanuel Capus , président . - Cet avis révèle notre volonté commune de faire face à la triple crise - sanitaire, climatique et militaire - que nous traversons et de trouver des solutions d'urgence.

Nous sommes parvenus à un consensus sur la protection de nos crédits militaires et sur celle des financements des collectivités territoriales. Passer par un autre mécanisme que le décret d'avance aurait sans doute été extrêmement complexe à dix jours du premier tour de l'élection présidentielle.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page