II. LA NÉCESSITÉ DE SIMPLIFIER LES PROCÉDURES D'INSTRUCTION ET DE MODERNISER LES OUTILS DE TRAITEMENT DES DEMANDES D'ADMISSION AU SÉJOUR

A. UN RÉGIME JURIDIQUE DU SÉJOUR EXCESSIVEMENT COMPLEXE ET QUI SE TRADUIT DANS LA PRATIQUE PAR UN TRAITEMENT DES DEMANDES INEFFICIENT

1. Une architecture des titres de séjour complexe et fondée sur des durées de validité courtes

L'architecture des titres de séjour délivrés par la France se caractérise, d'une part, par un éventail important de titres accessibles aux étrangers souhaitant ou devant s'établir durablement sur le territoire national , et d'autre part, par des durées de validité des titres relativement brèves. La structure des titres de séjour durables s'organise ainsi autour de cinq catégories principales de titres visant des situations personnelles distinctes : le visa long-séjour valant titre de séjour, les cartes de séjour temporaire, les cartes de séjour pluriannuelles, les cartes de résident et la carte de séjour retraité. L'établissement d'un panorama détaillé des titres existants, selon les motifs de délivrance, n'est néanmoins pas chose aisée (voir encadré ci-dessous) et l'exercice révèle la complexité de notre régime de séjour . Dans leur rapport spécial sur la loi de règlement pour 2020, les députés Jean-Noël Barrot et Stella Dupont plaidaient ainsi pour une simplification du droit au séjour et affirmaient « soutenir pleinement [la] politique de simplification tant le droit des étrangers est touffu et complexe » 66 ( * ) .

Les cinq catégories principales de titres de séjour

Le visa long-séjour valant titre de séjour (VLS-TS) : valable pour une durée de 4 à 12 mois, il permet d'entrer légalement sur le territoire et dispense de demande de carte de séjour à l'entrée sur le territoire. Il doit toutefois faire l'objet d'une validation en préfecture dans les trois mois suivant l'arrivée en France pour faire définitivement office de titre de séjour.

Les cartes de séjour temporaire : valable en général pour une durée d'un an, leur délivrance est conditionnée à la détention préalable d'un VLS-TS. Elles peuvent comporter plusieurs mentions, selon leur motif de délivrance, par exemple « vie privée et familiale » pour les personnes disposant d'attaches familiales en France ou « salarié » pour les personnes venant travailler en France en contrat à durée indéterminée.

Les cartes de séjour pluriannuelles : elles ne peuvent être délivrées qu'après une première année de séjour en France aux détenteurs d'un VLS-TS ou d'une carte de séjour temporaire et sous réserve que les conditions de délivrance du titre initial soient toujours satisfaites et du respect de la condition d'intégration 67 ( * ) . La carte pluriannuelle porte en principe la même mention que le titre initial et est valable pour une durée de quatre ans.

Les cartes de résident : les cartes de résident simple et longue-durée UE ont une durée de validité de 10 ans. Elles sont délivrées selon des conditions particulières à chacune d'entre elles et sont principalement destinées respectivement, d'une part, aux personnes disposant d'attaches familiales en France, ayant rendu des services à la France ou bénéficiaires d'une protection internationale, et, d'autre part, aux personnes résidant de façon légale et ininterrompue depuis cinq ans en France et aux détenteurs d'une carte bleue européenne. À l'expiration de l'une de ces cartes, il est possible de demander une carte de résident permanent offrant un droit au séjour inconditionnel et permanent sur le territoire national.

La carte de séjour « retraité » : elle est réservée aux personnes ayant vécu en France avec une carte de résident, dont la résidence habituelle est à l'étranger mais qui touchent néanmoins une pension de retraite d'un régime de base français ou de sécurité sociale. Elle permet d'entrer à tout moment en France sans visa pour une durée limitée à un an.

La logique sous-jacente au régime français du séjour est ensuite celle d'un renouvellement permanent. Comme le notait la Cour des comptes dans son rapport précité de mai 2020, « la France accordant peu de cartes de séjour permanent, tous les titres, du récépissé de trois mois à la carte de résident de 10 ans, ont vocation à être renouvelés » 68 ( * ) . Ce constat conduit la Cour à s'interroger sur la pertinence d'un système dont les justifications sont légitimes (contrôler le respect des conditions d'intégration à intervalles réguliers), mais qui contribue à la mise sous tension des préfectures par la récurrence des échéances de renouvellement. À partir de ce constat, la Cour recommande notamment de « simplifier le régime du séjour en allongeant la durée de certains titres, en automatisant le renouvellement de ceux qui s'y prêtent et en allégeant les formalités procédurales ».

Le législateur est ponctuellement intervenu afin de simplifier le régime du séjour, en particulier par le développement de la pluriannualité des titres. La loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France a par exemple créé la carte de séjour pluriannuelle générale (voir infra ), conçue comme un « pont » entre les titres annuels et la carte de résident. Le déploiement des titres pluriannuels suit son cours et devrait à terme diminuer la fréquence des renouvellements, et par extension des passages en préfecture . Ce basculement vers une plus grande pluriannualité n'est toutefois pas définitivement achevé.

Stock de cartes de séjour temporaire (CST) et pluriannuelle (CSP) valides
en métropole (2017-2021)

2017

2018

2019

2020

2021

CST

246 110

210 619

203 402

207 356

226 855

CSP

303 613

437 654

508 832

581 170

603 291

Source : Ministère de l'intérieur

2. Une pratique d'instruction insatisfaisante : l'examen itératif des demandes

Outre les difficultés liées à la complexité intrinsèque du régime du séjour, les pratiques d'instruction des demandes de titre de séjour par les préfectures pourraient également être optimisées . C'est là l'une des principales difficultés identifiées par le rapport du Conseil d'État « 20 propositions pour simplifier le contentieux des étrangers dans l'intérêt de tous » , remis au Premier ministre en mars 2020 69 ( * ) .

Il y est relevé qu'en l'état du droit, les préfectures n'ont l'obligation d'examiner une demande de titre de séjour qu'au regard des dispositions sur le fondement desquelles elle est présentée (à titre d'exemple, l'administration n'examine pas la situation familiale de l'intéressé si le titre de séjour demandé est un titre « étranger malade »), ce qui conduit certains étrangers à présenter plusieurs demandes successives sur différents fondements, nourrissant d'autant le contentieux en cas de réponses successives défavorables .

En illustration de cette logique d'examen itératif des demandes, le Conseil d'État mentionne les cas, qui ne sont pas rares, où « un étranger demande d'abord l'asile, puis le réexamen de sa demande si elle est rejetée par l'OFPRA et la CNDA, avant de solliciter un titre de séjour en raison de son état de santé, puis de le faire à nouveau en se prévalant de sa vie privée et familiale, avant de demander son admission exceptionnelle au séjour sur le fondement des articles L. 313-14 et suivants du CESEDA, ou du pouvoir de régularisation de l'administration ». Cette logique, qui est subie tant par les préfectures que par les magistrats administratifs, est manifestement peu efficiente et la mission d'information souscrit en tous points aux conclusions du Conseil d'État sur la nécessité d'une refonte des pratiques d'instruction .


* 66 Assemblée nationale, Rapport spécial de la commission des finances sur le règlement du budget et l'approbation des comptes de l'année 2020, Jean-Noël Barrot et Stella Dupont.

* 67 Participation aux formations prévues par le contrat d'intégration républicaine pour les personnes qui y sont soumises et absence de menace à l'ordre public.

* 68 Cour des comptes, Rapport public thématique, L'entrée, le séjour et le premier accueil des étrangers en France, Mai 2020.

* 69 Rapport précité.

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