PARTIE 2 : UN CONTENTIEUX DES ÉTRANGERS
À SIMPLIFIER POUR REDONNER SON SENS
À L'ACTION DU JUGE

I. DES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES AU BORD DE L'EMBOLIE

A. UN CONTENTIEUX DE MASSE

1. Une part substantielle de l'activité des juridictions administratives

Sans surprise, l'activité des administrations d'État chargées de statuer sur les demandes formulées par les personnes de nationalité étrangère rejaillit directement sur l'activité des juridictions administratives. En 2021, les tribunaux administratifs ont ainsi été saisis de 100 332 requêtes relatives au droit des étrangers (dont environ 80 000 portaient sur les titres et les visas de séjour) sur un total de 240 384 affaires enregistrées, ce qui représente 41,6 % de leur activité . En 2011, ces mêmes affaires ne représentaient « que » 29,2 % de cette activité. Le contentieux des étrangers représente par ailleurs désormais plus de 50 % de l'activité des cours administratives d'appel , tandis que le Conseil d'État, qui n'intervient sauf exception qu'en qualité de juge de cassation 83 ( * ) , est concerné par celui-ci à hauteur de 17 % de son activité contentieuse 84 ( * ) .

A ces chiffres, il convient d'ajouter ceux de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) , compétente pour statuer sur les décisions de refus ou de retrait de la qualité de réfugié ou d'une protection subsidiaire prises par le directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) : cette dernière a ainsi été saisie de 68 243 recours en 2021, là où ce nombre ne s'élevait qu'à 20 143 en 2009 (soit une multiplication par plus de trois de son activité en 12 ans ).

L'ensemble de ces affaires a également un impact important sur l'activité des bureaux d'aide juridictionnelle, la plupart des requérants étant éligibles à cette dernière.

2. Un contentieux pléthorique

Ce qu'on appelle « contentieux des étrangers » est toutefois loin de constituer un bloc uniforme, tant les décisions susceptibles d'être portées devant le juge, qui peuvent concerner tant le droit à l'entrée et au séjour de l'étranger en France, que les conditions de son maintien sur le territoire le temps de l'instruction de sa demande ou celles de son éloignement, sont diverses (voir encadré). A ces recours au fond peuvent également s'ajouter des requêtes en référé, qui conduisent le juge à statuer à brefs délais.

Les décisions en matière de droit des étrangers susceptibles de recours juridictionnel

Selon le recensement effectué par le Syndicat de la juridiction administrative, sont ainsi - et notamment - susceptibles de recours : le refus d'accorder un rendez-vous pour déposer une demande d'asile ou de titre de séjour, le refus d'enregistrement d'une demande d'asile, le refus d'enregistrement d'une demande de titre de séjour, le refus, le retrait ou la suspension des conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile, le refus ou le retrait du récépissé de demande de titre de séjour ou de l'attestation de demande d'asile, le rejet d'une demande de visa d'entrée en France, le rejet d'une demande d'admission en France au titre de l'asile, la décision de refus d'une demande d'asile (devant la CNDA, mais également, dans les cas où le recours devant la CNDA n'est pas suspensif, devant le juge administratif selon une procédure spécifique), le refus de reconnaissance du statut d'apatridie, le refus ou le retrait de délivrance d'un titre de séjour, les décisions d'éloignement (obligation de quitter le territoire français, obligation de quitter le territoire français « communautaire », la remise en application d'un accord de réadmission ou de l'accord de Schengen, le transfert d'un demandeur d'asile à l'État membre responsable en application du Règlement « Dublin »), l'octroi ou le refus d'un délai de départ volontaire, la fixation du pays de destination, l'interdiction de retour sur le territoire, la prolongation de l'interdiction de retour sur le territoire, l'assignation à résidence, l'expulsion ou encore l'extradition.

Parmi cette diversité d'actes attaquables, l'attention de la mission d'information a plus particulièrement été attirée sur deux types de contentieux parfois qualifiés d'« indus » ou de « parasites », en ce qu'ils résultent exclusivement de l'incapacité de l'administration à faire face à la masse de demandes dont elle est saisie :

- le premier concerne le nombre croissant de « référés mesures utiles » déposés par des étrangers qui ne parviennent à obtenir un rendez-vous en préfecture via les modules de rendez-vous en ligne (voir supra ) 85 ( * ) ;

- le second concerne le contentieux des décisions implicites de rejet , qui naissent de façon quasi automatique lorsqu'aucune réponse n'est apportée au demandeur sur sa demande de titre de séjour passé un délai qui est en général de quatre mois 86 ( * ) . En pareil cas, l'étranger a la possibilité de demander à l'administration de lui communiquer les motifs de ce rejet implicite, puis de saisir le juge administratif d'un recours en annulation de celui-ci. Comme l'ont souligné plusieurs personnes entendues par la mission d'information, le taux d'annulation de telles décisions est très élevé car, souvent, l'administration n'a tout simplement pas eu le temps d'examiner la situation de l'intéressé. Le contentieux aboutit alors à l'injonction faite à l'administration d'examiner la situation de l'intéressé dans un certain délai, une telle décision, dans le contexte de saturation des préfectures, n'ayant ainsi qu'un effet utile limité. Lors de son audition, la secrétaire générale de la préfecture du Rhône a notamment fait part de son insatisfaction face à ce contentieux en forte progression, qui aboutit à des annulations systématiques dès lors que les services de la préfecture n'ont pas été en mesure de produire une décision expresse de rejet.

Comme l'a notamment souligné Jacques-Henri Stahl, ces différents types de contentieux dénaturent l'office du juge , qui n'intervient plus pour trancher un litige sur le fond mais pour résoudre les difficultés rencontrées par les préfectures à faire face à la masse de demandes auxquelles elles sont soumises - ces décisions et les ressources mobilisées par les préfectures pour y répondre venant paradoxalement ajouter une charge supplémentaire pour ces services déjà surchargés. À cet égard, de l'avis même de l'ensemble des personnes entendues par la mission d'information, cet état de fait n'est pas imputable à une quelconque mauvaise volonté de l'administration, mais à un manque de moyens, notamment humains, dans certaines préfectures en tension (voir infra ).


* 83 Il intervient comme juge d'appel des « référés libertés ».

* 84 Source : Conseil d'État.

* 85 Par une décision n° 435594 du 10 juin 2020, le Conseil d'État a expressément admis que cette voie de droit, prévue à l'article L. 521-3 du code de juridiction administrative, pouvait être engagée par un étranger qui établit qu'il n'a pu obtenir une date de rendez-vous au terme de tentatives infructueuses répétées. Dans ce cas, le juge des référés peut enjoindre au préfet de lui communiquer une date de rendez-vous dans un délai qu'il fixe.

* 86 Articles R. 432-1 et R. 432-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

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