B. ...MAIS UNE SOUS CONSOMMATION INQUIÉTANTE DANS CERTAINS DOMAINES...

Les notes d'exécution budgétaire de la Cour des comptes tout comme l'examen des lois de règlement par le Sénat relevaient une sous consommation récurrente des crédits de la mission outre-mer. Ce constat est d'ailleurs à l'origine de la demande d'enquête formulée par la commission des finances du Sénat à la Cour sur les financements de l'État en outre-mer. Ainsi, en 2020, la Cour des comptes constatait que la programmation budgétaire des dépenses avait fait l'objet de nombreuses révisions et que l'exécution s'était achevée par une sous-consommation inédite des crédits totaux du budget de l'État (8,3 % des dépenses nettes du budget général). Elle relevait cependant le caractère exceptionnel de ces sous-consommations, portant principalement sur la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire », la moyenne des sous-exécutions par rapport à la dernière LFR s'établissant plutôt à 0,9 % depuis 2009, soit bien loin des chiffres constatés pour la mission « Outre-mer » (4,6 % en AE et 2 % en CP en 2019, et 5,6 % en AE et 2 % en CP en 2020) . En 2019, celle-ci était d'ailleurs, en montant, la cinquième mission à avoir le plus sous-exécuté (- 191 millions d'euros par rapport aux CP votés en LFI), derrière les missions « Engagements financiers de l'État », « Recherche et enseignement supérieur », « Action et transformation publiques » et « Défense ».

Cette sous-consommation n'est cependant pas généralisée à l'ensemble des crédits de la mission outre-mer mais concerne essentiellement les actions 1 (LBU), 2 (CCT), 3 (continuité territoriale) et 8 (FEI) du programme 123.

1. Une sous consommation ciblée sur la ligne budgétaire unique (LBU), les contrats de convergence et de transformation (CCT) et le FEI
a) La LBU

Entre 2014 et 2019, la LBU enregistre une sous consommation récurrente comprise entre 12 % et 29 % des crédits ouverts en LFI en AE et entre 6 % et 28 % en CP. Cette sous-consommation constatée se tasse en 2020 avec une exécution de 88,3 % des AE et de 98,6 % des CP.

En effet, les taux de consommation en 2019 étaient respectivement de 90 % pour les AE (consommation de 199,3 millions d'euros pour une LFI de 222 millions d'euros) et de 78 % pour les CP (consommation de 171,6 millions d'euros pour une LFI de 219,6 millions d'euros).

En 2020, le taux de consommation des AE enregistre une nouvelle baisse pour s'établir à 88,3 % (consommation de 182,5 millions d'euros pour une LFI de 206,6 millions d'euros). En revanche, le taux de consommation des CP s'améliore nettement (98,6 % avec une consommation de 179,3 millions d'euros pour une LFI de 181,9 millions d'euros) en dépit du contexte de crise sanitaire ce qui traduit la dynamique du plan logement. Cette amélioration du taux de consommation résulte cependant très largement d'une baisse des crédits ouverts en LFI.

b) Les CCT

Au titre des CCT 2019-2022, 378,32 millions d'euros ont été contractualisés sur le programme 123 « conditions de vie outre-mer », pour les cinq départements et régions d'outre-mer, ainsi que pour les collectivités d'outre-mer de Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Martin et Wallis-et-Futuna.

D'après les réponses aux questions parlementaires du PLF 2022, le montant global financé par l'État au titre de la contractualisation pour ces mêmes territoires s'élève à 2,8 milliards d'euros auxquels s'ajoutent 496,8 millions d'euros répartis entre la Polynésie (124,6 millions d'euros) et la Nouvelle-Calédonie (372,2 millions d'euros).

Pour la seule exécution des crédits portés par le programme 123 (conditions de vie outre-mer), la consommation cumulée 2019-2020 serait la suivante :

Exécution des contrats en cumulé 2019-2020

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires (rapport annuel de performance 2020)

La Cour des comptes dans son rapport présente une exécution légèrement différente (99,2 millions d'euros en AE et 32,5 millions d'euros en CP).

Ainsi, le taux moyen d'engagement est de 40 % après 2 ans et le taux moyen de couverture des engagements est de 31 %. Le taux de consommation des CP est encore bien inférieur puisqu'il se situe entre 2 et 35 % avec une moyenne, sur l'ensemble des territoires, de 8 %.

Ce faible taux de consommation en 2020 s'explique en partie par l'impact de la crise sanitaire sur la vie économique des territoires d'outre-mer, et par voie de conséquence le ralentissement des chantiers et de la programmation des opérations.

L'année 2021 ayant également été touchée par la crise sanitaire, notamment dans les territoires d'outre-mer qui ont connu des périodes de confinement et/ou de couvre-feu plus longues qu'en métropole, les rapporteurs craignent une nouvelle sous-exécution en 2021 et s'inquiètent de la consommation totale de ces montants contractualisés à l'issue de la période, fin 2022.

Selon la DGOM elle-même, de nouvelles sous-exécutions dues aux retards de mise en oeuvre opérationnelle des projets sont en effet à prévoir. Pour autant, en réponse à la Cour, « les préfets de Guyane et de La Réunion font part d'une accélération de l'exécution des CCT au cours du second semestre 2021, qui devrait se poursuivre en 2022, au vu des prévisions de programmation des opérations identifiées ».

Concernant spécifiquement le contrat de développement pour la Polynésie couvrant la période 2015-2020, et donc achevé à ce jour, le taux de consommation des AE s'élève à 80 % et le taux de couverture des engagements à 48 %. Le taux de consommation des CP est de 39 %. Les 20 % d'AE non consommées ont vocation, d'après les précisions apportées par la DGOM, à être annulées, la Polynésie ayant signé avec l'État un contrat de développement et de transformation en avril 2021.

Enfin, le contrat de développement de la Nouvelle-Calédonie, d'un montant initial de 372,2 millions d'euros à partir du programme 123 a été porté à 792,8 millions d'euros à compter de 2020. Son exécution fin 2020 s'établit à 242,3 millions d'euros en AE et 138,5 millions d'euros en CP soit un taux d'engagement de 31 % et un taux de couverture des engagements de 57 %. Ce contrat a été prolongé jusqu'à fin 2022.

Cette sous consommation pose nécessairement la question de celle du devenir des crédits non consommés à la fin de l'année 2022, terme des CCT malgré l'accélération de l'exécution au cours du second semestre 2021, qui devrait se poursuivre en 2022.

En effet, les CCT arriveront à leur terme fin 2022. Une reconduction pour la période 2023-2026 nécessiterait donc d'engager des négociations entre l'État et les collectivités dès le premier semestre 2022. Cependant, compte tenu des échéances électorales, la DGOM estime plus prudent d'envisager une prolongation des CCT actuels pour une durée d'au moins un an. Dans cette hypothèse, compte tenu de l'hétérogénéité des niveaux de consommation et des perspectives d'engagement et de paiement d'ici la fin d'année 2022, une analyse individualisée des besoins devra être réalisée afin d'apprécier l'opportunité d'allouer une tranche budgétaire annuelle supplémentaire à chaque territoire pour financer les projets en cours de réalisation. Par ailleurs, se posera la question des crédits alloués aux prochains contrats. Que les crédits non engagés soient annulés pour baser les montants des nouveaux CCT sur les seuls nouveaux projets et les perspectives d'investissements pour la période 2023-2026 ou que les crédits non engagés soient reportés sur les nouveaux contrats il conviendra de veiller à ce que les montants actés soient cohérents avec les besoins de chaque territoire et qu'ils ne soient pas revus à la baisse en raison des sous exécutions des contrats achevés.

c) Le FEI

La création du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) par la loi pour le développement économique des outre-mer du 27 mai 2009 (LODEOM) vise à répondre aux besoins importants en équipements publics dans les territoires d'outre-mer.

L'objet du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) est donc d'apporter une aide financière de l'État aux personnes publiques qui réalisent dans les départements, régions et collectivités d'outre-mer, relevant de l'article 74 de la Constitution ou en Nouvelle-Calédonie, des investissements portant sur des équipements publics collectifs, lorsque ces investissements participent de manière déterminante au développement économique, social, environnemental et énergétique local. L'objectif initial était de doter ce fonds de 500 millions d'euros d'ici 2017.

Toutefois, en 2017, le FEI n'avait cumulé que 230 millions d'euros en AE et 214 millions d'euros en CP, soit moins de la moitié des financements promis. Le dispositif a été reconduit pour le quinquennat 2017/2022 avec le renouvellement d'un objectif de 500 millions d'euros.

Ouverture et consommation des crédits du fonds exceptionnel
d'investissement (FEI) entre 2017 et 2022

(en euros)

Source : commission des finances du Sénat à partir des documents budgétaires (projets et rapports annuels de performance)

Entre 2017 et 2022, 520 millions d'euros en AE et 326 millions d'euros en CP ont été ouverts pour le FEI. L'engagement quinquennal du Gouvernement de reconduire 500 millions d'euros a donc été tenu. Cependant, les quatre premières années d'exécution révèlent une consommation inférieure aux objectifs avec 208,5 millions d'AE et 157,3 millions de CP consommés soit respectivement 40 % et 48 % des crédits ouverts.

Une fois encore, seule la loi de règlement permettra une analyse actualisée et plus fine des crédits à fin 2021.

Ainsi, si l'utilité du fonds est indiscutable, sa consommation reste inférieure aux objectifs fixés. Il est peu probable à ce stade que l'exécution 2021 et 2022 permette d'engager la totalité des crédits restant. Deux questions se poseront alors lors du PLF 2023 :

- celle du devenir des AE non consommées avec la possibilité d'un report qui viendrait augmenter les crédits ouverts en 2023 ;

- celle de son renouvellement lors du prochain quinquennat, renouvellement qui apparait indispensable aux rapporteurs spéciaux. Ce renouvellement devra alors fixer une trajectoire pluriannuelle comme lors du précédent quinquennat ce qui permettra de donner plus de visibilité aux collectivités.

d) La continuité territoriale

Concernant l'action 3, la sous-consommation constatée en 2020 s'explique largement par la crise sanitaire qui a engendré une baisse substantielle de la fréquentation des vols entre les territoires d'outre-mer et, de fait, une sous exécution notable des crédits puisque la consommation s'est établie à 33,5 millions d'AE pour 43,5 millions de crédits ouverts en LFI et à 31,5 millions en CP pour 43,8 millions de crédits ouverts. Un retour à la normale en 2022 devrait mettre fin à cette sous consommation exceptionnelle.

2. Les causes de cette sous consommation
a) Des opérations d'apurement des engagements d'années antérieures

La sous-consommation constatée sur certaines actions du programme 123 s'explique en partie par une démarche d'apurement des engagements d'années antérieures , qui vient artificiellement minorer les consommations d'AE dans Chorus. Ainsi, en 2021, 146 millions d'euros d'AE ont été libérées dans un mouvement d'accélération par rapport aux années précédentes (50 millions d'euros en 2018, 85 millions d'euros en 2019 et 89,2 millions d'euros en 2020).

Si la Cour estime que ce niveau élevé de restes à payer est la conséquence d'un engagement initial mal calibré par rapport à la réalité des projets et d'une insuffisante suppression périodique des engagements juridiques qui n'aboutiront jamais à un paiement, les rapporteurs spéciaux rappellent qu'il s'explique surtout par l'incapacité ou les difficultés à finaliser les projets en raison :

- d'un manque de foncier disponible ;

- de carences structurelles en ingénierie qui ralentissent la réalisation des projets et de faits la consommation des crédits.

b) Un manque structurel d'ingénierie

Les collectivités outre-mer se caractérisent, assez généralement, par un manque d'ingénierie qui s'explique essentiellement par une prédominance des emplois de catégorie C et la rareté des emplois de catégorie A en capacité de porter et d'accompagner les projets.

Or, la nécessité d'établir des programmations de travaux, de passer et suivre des marchés publics, d'établir un suivi technique et financier des projets est la condition préalable pour mener à terme, dans les délais impartis, les projets portés et financés dans le cadre des CCT ou du FEI.

Par ailleurs, la rareté du foncier, son insécurité juridique, de même que des contraintes en termes de normes de sécurité spécifiques aux territoires d'outre-mer (en raison notamment des contraintes géographiques intrinsèques : risques sismiques ou climatiques, topographie, insularité...) rend le besoin en ingénierie encore plus prégnant.

Il en résulte des projets qui peinent à démarrer ou à s'achever.

Pour remédier à cette situation, l'État a développé plusieurs dispositifs d'ingénierie nationaux et locaux (cf. infra ).

c) Un suivi des contrats parfois lacunaire car complexe à mettre en oeuvre

Concernant spécifiquement les CCT, le suivi des contrats est rendu particulièrement complexe par l'architecture budgétaire de ces contrats . En effet, les crédits contractualisés concernent de nombreux acteurs (État sur différents programmes, collectivités et EPCI).

À cet égard, la Cour note d'ailleurs la nécessité d'une collaboration resserrée entre la DGOM et les services des ministères partenaires. « Or, aucune réunion de coordination et de pilotage des CCT n'a été organisée sur la période, permettant d'identifier les retards ou les éventuels surcoûts, qui aurait permis d'ajuster les financements en les adaptant aux capacités des territoires à amorcer les projets. La rigidité du cadre des CCT, et la multiplicité des programmes y concourant, limitent les redéploiements de crédits non employés vers des programmes présentant de nouveaux besoins ». Dans ce contexte, et bien que le portage des crédits par différents ministères se justifie par l'aspect technique des projets financés par chacun d'eux, le suivi au sein d'un même programme permettrait une souplesse qui pourrait être à même d'améliorer la consommation de ces crédits et faciliterait le suivi financier. Par ailleurs, les rapporteurs spéciaux notent la difficulté de disposer d'un document agrégé permettant de suivre la consommation de tous les crédits contractualisés, c'est-à-dire ceux portés par l'État mais également ceux des collectivités.

Le suivi technique et financier, comme le recommande la Cour des comptes, devra donc être amélioré pour permettre une exécution des crédits à la hauteur des enjeux et des besoins des territoires d'outre-mer.

Concernant spécifiquement le pilotage global , actuellement réalisé par la DGOM, ce dernier impliquant plusieurs ministères et acteurs publics, il pourrait être envisagé qu'il soit mis en oeuvre et suivi par une instance interministérielle.

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