C. OBSERVATIONS DE LA MISSION D'INFORMATION SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA PARTICIPATION CITOYENNE

Deux points de vigilance ont été identifiés par la mission d'information pour développer la participation citoyenne. Ils concernent le statut et le financement des civic tech d'une part, et le recours au référendum d'autre part.

1. Clarifier le statut et le financement des civic techs

S'agissant de l'avenir des civic techs , la mission d'information estime souhaitable que leur statut juridique soit clarifié et leur financement consolidé.

Sur le plan juridique, si les civic tech françaises constituent un milieu très dynamique, force est de constater qu'elles cherchent encore leur identité, oscillant entre un modèle « militant » structuré autour d'associations et un modèle entrepreneurial plus à même de remporter les appels d'offres de collectivités territoriales, dont les marchés publics semblent constituer une part significative des débouchés qui s'offrent aux civic tech .

Du reste, certains acteurs des civic tech ont d'abord choisi le cadre associatif avant de se tourner vers l'entreprise, comme Cyril Lage, qui après l'expérience de l'association Démocratie ouverte a « décidé de créer [une] start-up faute de pouvoir faire vivre un modèle associatif » 361 ( * ) . Julien Goupil, fondateur d' Empreintes citoyennes , a fait le chemin inverse : « dans un premier temps, j'ai fondé l'agence de communication citoyenne Proxité pour aller vers les élus et les collectivités territoriales afin d'installer ce nouveau rapport aux citoyens. Mais créer une agence de communication suppose par exemple de répondre à des appels d'offres et de rédiger des cahiers des charges, ce qui ne permet pas la liberté de parole » 362 ( * ) . L'association est donc venue dans un second temps.

Les deux modèles, associatif et entrepreneurial, procèdent d'avantages et de finalités propres. Toutefois, l'heure semble venue d'une distinction plus rigoureuse entre les structures « militantes » destinées à renforcer la participation des citoyens par les outils numériques et les structures proposant des prestations aux secteurs public et privé pour mettre en place des outils de participation.

Cette clarification paraît de surcroît cohérente avec le principe de neutralité qui devrait s'imposer aux titulaires de marchés publics 363 ( * ) .

S'agissant du financement des technologies citoyennes, la place significative qu'elles tendent à occuper dans le débat démocratique invite à s'interroger sur leur mode de financement. La mission d'information a constaté que les acteurs des civic techs étaient sensibilisés à cet enjeu.

Le cofondateur et président de Civicpower indiquait par exemple s'attacher à une capitalisation privée française « nous avons pu réaliser, l'an dernier, un crowdfunding citoyen auprès de 4 000 personnes - de nationalité française à 90 % - pour un montant de 4 millions d'euros pour financer une machine à voter. (...) Il s'agit de créer une technologie française, open source et autofinancée, c'est-à-dire sans aucune dépendance à l'égard d'une société américaine ou de capitaux extérieurs, et qui pourrait être utilisée, à terme, par l'État » 364 ( * ) .

Le président de Cap collectif a pour sa part insisté sur la nécessité d'un capital public pour soustraire les civic techs à d'éventuelles influences extérieures : « Nous sommes financés par du capital public, à travers la Caisse des dépôts et consignations ; c'est important, car il ne faudrait pas que cela passe aux mains du capital privé » 365 ( * ) .

La mission d'information plaide donc pour la mise en place de canaux de financement permettant, d'une part, de garantir le développement des civic tech françaises et, d'autre part, de protéger le secteur d'influences étrangères, l'enjeu étant de de garantir la sécurité des décisions publiques susceptibles d'être prises à l'appui des technologies citoyennes.

2. « Dédramatiser » le recours au référendum

Le référendum n'a, au niveau national, été utilisé qu'à dix reprises sous la V e République 366 ( * ) (deux fois seulement au cours des trente dernières années). Un héritage historique spécifique et le risque de confusion entre la question posée au corps électoral et l'autorité qui la pose 367 ( * ) , depuis les précédents de 1969 et de 2005, expliquent une telle réticence à mobiliser cette procédure qui concerne aussi le référendum d'initiative partagée créé en 2008.

Redonner la parole au peuple par le biais du référendum faisait partie des revendications des gilets jaunes, même si cette demande s'est incarnée dans des dispositifs distincts de ceux que prévoit la Constitution : le « référendum populaire », consistant à rendre obligatoire la discussion par l'Assemblée nationale d'une proposition de loi ayant recueilli 700 000 signatures, et le « référendum d'initiative citoyenne », permettant de « supprimer une loi injuste » et de « révoquer le mandat d'un représentant » 368 ( * ) .

Sans aller aussi loin, il est probable qu'un recours régulier au référendum pourrait contribuer à restaurer le lien entre les citoyens et des institutions : une telle évolution suppose de « dédramatiser » l'usage du référendum pour lui rendre sa fonction initiale d'instrument de démocratie directe.

Cette évolution passe, comme ce rapport l'a souligné à plusieurs reprises, par l' échelon local , indispensable au dynamisme de notre démocratie. Il est donc important que les collectivités territoriales puissent s'approprier le référendum local inscrit dans la Constitution depuis 2003, afin d'y recourir plus largement sur des questions précises et concrètes, ce qui permettra à terme de « banaliser » cette démarche, de conduire à une pratique apaisée du référendum à l'échelle nationale et d'instaurer une nouvelle culture politique.

Encore faut-il maîtriser les outils numériques susceptibles de prendre une place croissante dans la démocratie participative, plus particulièrement au niveau local.

Or, les travaux conduits par la mission d'information montrent que l'univers institutionnel et le monde des civic tech ne partagent pas toujours le même langage. Les acteurs de civic tech possèdent, pour leur part, une connaissance très poussée de l'univers numérique qu'ils ont mise au service de leurs convictions de citoyen pour permettre une meilleure association de tous aux débats et aux décisions. Toutefois, la question de l'efficacité des outils mis en place semble essentiellement quantitative et ne tient pas compte des questions juridiques que pose l'intervention de mécanismes de démocratie directe dans un système essentiellement fondé sur la démocratie représentative.

De leur côté, les acteurs institutionnels traditionnels ne perçoivent probablement pas les changements de paradigmes qui pourraient résulter de l'usage des nouvelles technologies. Gilles Mentré, cofondateur et président d' Electis , le soulignait à juste titre : « le vote en ligne permettrait d'autres modalités de vote, telles que le jugement majoritaire ou le vote préférentiel, entre autres. Nos systèmes démocratiques n'ont pas bougé en deux cents ans. Il faut expérimenter ! »

Afin d'explorer les opportunités permises par le numérique pour dynamiser la vie démocratique locale et, à terme, nationale, la mission d'information estime qu'un travail prospectif doit être conduit selon un format rassemblant, aux côtés des pouvoirs publics, l'ensemble des acteurs de la démocratie participative : associations d'élus, associations citoyennes, représentants des civic tech , experts et représentants des formations politiques.

Pour le rapporteur, quels que soient les outils déployés, il faut insister sur les fondamentaux qui doivent préexister à toute démarche de démocratie participative : la sincérité et le respect.

La démocratie participative ne doit pas être une stratégie de communication comme peut l'être aujourd'hui, dans certains cas, le green washing .

Concernant cette partie, le rapporteur est convaincu de la nécessité de réformer les méthodes de gouvernance en intégrant les citoyens en amont de la décision, avec pour méthode : poser et expliquer la problématique, les enjeux, le contexte, les parties prenantes, étudier les impacts. Puis lorsque l'on déploie le projet, l'évaluer au terme d'une période donnée.

Penser que les élus ont un blanc-seing pendant toute la durée du mandat est une erreur, qui conduit à l'abstention et à la défiance.


* 361 Compte rendu du 23 mars 2022.

* 362 Compte rendu du 7 décembre 2021.

* 363 Ce principe d'origine jurisprudentiel est désormais inscrit au II de l'article 1 er de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

* 364 Audition du 23 mars 2022.

* 365 Audition du 23 mars 2022.

* 366 Si l'on inclut le référendum de sur la Constitution de 1958.

* 367 Lors de son audition, le 23 mars 2022, le professeur Heitzmann-Patin a évoqué le risque de « dérive plébiscitaire inversée » qui peut conduire le citoyen à voter contre un projet de loi référendaire pour manifester son hostilité à l'égard du politique et non son hostilité au projet en lui-même.

* 368 « Qu'est-ce que le référendum d'initiative citoyenne (RIC) demandé par des « gilets jaunes » ? » ; Les décodeurs, Lemonde.fr , 7 décembre 2018.

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