B. UN DÉFICIT D'ATTRACTIVITÉ DU MÉTIER ENSEIGNANT QUI VA DE PAIR AVEC UN SENTIMENT GÉNÉRAL DE VALORISATION DU MÉTIER TRÈS FAIBLE

1. La crise d'attractivité du métier d'enseignant se manifeste en France par des pénuries de professeurs
a) Des inscrits aux concours de l'enseignement de moins en moins nombreux

Le manque d'attractivité de la profession enseignante se traduit par des difficultés de plus en plus grandes de recrutement, généralisées à l'échelle européenne.

Le rapporteur spécial s'est penché l'année dernière en détail sur les difficultés de recrutement en France dans les disciplines scientifiques, et en particulier les mathématiques 23 ( * ) . À cet égard, la dynamique de baisse des candidats aux concours enseignants s'est encore accentuée en 2022. Pour les mathématiques, seulement 816 candidats ont été déclarés admissibles en mai 2022, contre 1 705 en 2021, pour 1 035 postes ouverts . D'autres disciplines sont également concernées. Ainsi, en allemand, seulement 83 candidats ont été admissibles pour 215 postes.

S'il est vrai que, comme l'a indiqué le directeur général de l'enseignement scolaire à la presse en mai 2021, cette année constituait une année de transition du fait de la réforme du recrutement des enseignants, les candidats devant désormais être titulaires d'un master et non plus être seulement inscrits en master, le rapporteur spécial insiste sur le fait que ces chiffres traduisent une chute structurelle du nombre de candidats . Le nombre d'inscrits aux concours de l'enseignement du second degré a diminué de plus de 30 % en quinze ans, passant de 50 000 candidats présents en 2008 à 30 000 en 2020.

Évolution du taux de candidature (nombre d'inscrits sur nombre de postes proposés) aux différents concours de l'enseignement

Source : commission des finances d'après le bilan social du ministère de l'Éducation nationale

En nécessaire contrepoint de la baisse des candidats aux concours, le recrutement de contractuels se systématise , sans que celui-ci ne soit forcément plus aisé selon les académies. Le bilan social 2021-2021 de l'Éducation nationale indique que le taux de recours aux contractuels a augmenté de 1,5 point dans le second degré public aux cours des cinq dernières années : en 2020 : 9,2 % des enseignants y étaient contractuels, contre 7,7 % en 2015 . Si le premier degré reste relativement peu concerné par le recours aux contractuels (qui représentent dans le public seulement 1 % des effectifs), à la rentrée 2021, le nombre de professeurs des écoles contractuels recrutés était en hausse de 38 % par rapport à la seule année 2020 .

Les choix des académies de Versailles, Toulouse et Paris :
du « job dating » pour recruter des enseignants contractuels

Certaines académies, particulièrement touchées par les pénuries car moins attractives pour les jeunes diplômés, ont mis en place des systèmes de recrutement des enseignants contractuels s'inspirant des méthodes du secteur privé.

La rectrice de l'académie de Versailles a mis en place une campagne de recrutement qualifiée d'« offensive » afin de recruter les 2 035 contractuels attendus pour la rentrée 2022 (soit 2 % des effectifs de l'académie). Afin de toucher un public le plus large possible et d'accélérer la procédure de recrutement, l'académie a mis en place un « job dating », c'est-à-dire des brefs entretiens avec des inspecteurs de l'Éducation nationale et des échanges avec des contractuels en poste dans l'académie. Versailles s'inspire de l'académie de Toulouse, dont le « job dating » a permis de recruter 100 enseignants en mars 2022.

Une initiative semblable a été mise en place début juin 2022 par l'académie de Paris, devant recruter 300 contractuels pour le second degré.

Les syndicats enseignants ont très fortement critiqué ces « job dating », perçus comme un dévoiement des méthodes de recrutement dans le public et surtout une façon d'entériner l'échec des recrutements par concours. Ces processus doivent être reliés aux problèmes spécifiques des académies d'Île-de-France du fait du coût de la vie et de la population scolaire, en permettant de s'adapter à des académies plus complexes.

Si ces initiatives peuvent avoir un intérêt à court terme, le rapporteur spécial s'inquiète du fait qu'elles s'apparentent à une gestion de la pénurie, qui ne doit pas conduire à une moindre sélectivité du recrutement.

b) Un nombre de démissions en hausse, signal faible mais inquiétant

Autre symptôme de la crise d'attractivité du métier enseignant en France, le nombre d'enseignants démissionnaires est en hausse constante depuis dix ans. Chez les enseignants titulaires, le taux de démission est passé de 0,05 % en 2008-2009 à 0,32 % en 2020-2021 . Loin d'être conjoncturel, cet accroissement est continu au cours des dernières années et ne peut être relié aux difficultés éprouvées dans le cadre de la crise sanitaire, même s'il est vrai que le rebond de démissions en 2020-2021 en découle partiellement. On note par ailleurs que les enseignants du premier degré sont davantage concernés par les démissions (0,41 % des professeurs des écoles en 2020 et 0,27 % en 2019) que les enseignants du second degré (0,24 % des enseignants en 2020 et 0,18 % en 2019).

Point positif toutefois, selon l'OCDE dans son enquête Talis en 2018, les enseignants français du second degré sont encore peu nombreux à regretter d'avoir choisi cette profession (8 %), ce qui est légèrement inférieur à la moyenne européenne (9 %).

Le taux de démission des enseignants stagiaires a quant à lui toujours été supérieur à celui des enseignants titulaires, l'essentiel des départs se produisant historiquement au cours des premiers mois ou années de la carrière. Mais l'écart atteint aujourd'hui des proportions spectaculaires : le taux de démission des stagiaires est actuellement dix fois supérieur à celui des titulaires : 3,2 % des enseignants stagiaires ont démissionné au cours de leur stage en 2020-2021, contre seulement 1 % 10 ans plus tôt .

Évolution du nombre de démissions des enseignants
dans le secteur public

Source : commission des finances d'après le bilan social 2020-2021 du ministère de l'éducation nationale

Si ces chiffres restent faibles comparés à la masse salariale du ministère de l'Éducation nationale, le rapporteur spécial considère néanmoins la régularité de la hausse des démissions comme un signal extrêmement inquiétant . Les motifs de démissions des enseignants doivent impérativement être analysés en détail par le ministère, en l'absence d'étude plus approfondie menée par le ministère à ce sujet. L'enjeu est tout autant d'attirer les candidats vers les carrières enseignantes que de les y maintenir.

Recommandation n° 12 : conduire au sein du ministère de l'Éducation nationale une analyse consolidée et approfondie des motifs de démissions des enseignants.

2. Un sentiment de faible valorisation du métier d'enseignant

La question de l'attractivité du métier d'enseignant ne peut être déconnectée de celle de la reconnaissance sociale des enseignants . Le constat d'un sentiment de moindre importance du respect de l'enseignant dans la société revient de façon lancinante depuis plus d'une cinquantaine d'année.

Les chiffres sont toutefois alarmants. Selon les résultats de l'enquête Talis de l'OCDE en 2018, seuls 6,6 % des enseignants français se sentent valorisés par la société (une proportion qui est toutefois en hausse par rapport à 2013, où elle était de 4,9 %). Au niveau de l'OCDE, seuls les professeurs de Slovaquie et Slovénie s'estiment moins bien valorisés.

Il est vrai que la moyenne de l'Union européenne, où 18 % des enseignants se sentent valorisés, est faible . Celle de l'OCDE est plus élevée, mais la moyenne est tirée vers le haut par les pays asiatiques. Dans ceux-ci, la perception du métier d'enseignant est extrêmement positive : 64 % des enseignants coréens déclarent que la société a une perception positive de leur métier.

La fondation Varkey 24 ( * ) réalisé en 2013 et 2018 un « indice mondial d'état des enseignants », comprenant notamment un indice de « bonne perception » du métier de professeur allant de 0 à 100. La France fait partie d'une minorité de pays où l'indice de perception des professeurs par eux-mêmes (24) est inférieur à celui des professeurs par le reste de la société (34). En d'autres termes, si la perception des enseignants par la société est en effet relativement négative, les enseignants se sentent encore moins bien perçus qu'ils ne le sont réellement .

Indicateurs de satisfaction professionnelle des enseignants
dans le premier cycle de l'enseignement secondaire

Source : DEPP d'après l'OCDE TALIS 2018

Les aspects perçus comme les plus problématiques par les enseignants, au-delà de leur rémunération, concernent plus largement le positionnement des professeurs vis-à-vis du reste de la société, en particulier des médias et des politiques . Leur vision de leur cadre général de travail ne ressort quant à elle pas dans l'ensemble comme étant particulièrement négative. Ainsi, en France, en 2018, 90 % des enseignants de collège rapportent aimer travailler dans leur établissement et 86 % des professeurs des écoles exerçant en élémentaire indiquent que leur travail leur donne satisfaction.

Les ministres de l'éducation de l'Union européenne seraient avisés d'évaluer les systèmes permettant une meilleure coopération entre les enseignants, les parents d'élèves, les élèves et l'environnement politique et économique de chaque établissement . En un mot, il s'agit de réintroduire l'enseignant dans la société : certains pays le font, certaines formes d'enseignement y parviennent.


* 23 Réagir face à la chute du niveau en mathématiques : pour une revalorisation du métier d'enseignant , Gérard Longuet, rapport fait au nom de la commission des finances, juin 2021.

* 24 Fondation Varkey, Indice mondial d'état des enseignants, 2018.

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