N° 650

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 juin 2022

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les filiales et les participations du groupe France Télévisions ,

Par M. Roger KAROUTCHI,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

L'ESSENTIEL

La commission des finances a examiné le mercredi 8 juin 2022 le rapport de M. Roger Karoutchi, Sénateur des Hauts-de-Seine, rapporteur spécial des crédits du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public », sur les résultats de son contrôle sur les filiales et les participations de France Télévisions.

Le décret du 15 mai 2007 relatif aux relations financières entre l'État et les organismes du secteur public de la communication audiovisuelle prévoit en ses articles 2 et 3 que les organismes publics bénéficiant de la contribution à l'audiovisuel public doivent faire établir annuellement par un organisme tiers deux rapports distincts permettant d'attester que ces organismes respectent les conditions normales de marché et de certifier que le montant des ressources publiques qui leur sont allouées n'excède pas la charge liée à l'exécution de leurs seules missions de service public.

Ces documents sont en principe transmis à l'Assemblée nationale et au Sénat, ce qui n'a pas été le cas ces dernières années. En découle une impression d'opacité qui fragilise une appréciation globale de l'ensemble des activités de l'opérateur et donc de sa stratégie, quand bien même certaines activités, filialisées, ne sont pas financées par la contribution à l'audiovisuel public.

I. UNE FILIALISATION POUR PARTIE JUSTIFIÉE MAIS INABOUTIE

L'examen des comptes de France Télévisions permet de distinguer :

- d'une part, les entités de service public : les chaînes du groupe (France 2, France 3, France 4, France 5 et franceinfo), mais aussi les deux filiales cinéma et les deux sociétés de diffusion technique GR1 et ROM1 ;

- d'autre part, les entités commerciales : france.tv publicité, france.tv studio, france.tv distribution, France Télévisions SVOD, dédiée à l'édition vidéo, Salto et Salto Gestion dédiées à la gestion de la plateforme commune avec TF1 et M6, des participations dans des chaînes privées thématiques (Euronews, Planète + Crime) et les filiales immobilières (SCI FTV, FTVI, SCI Valin et Papangue Immo).

Les résultats des entités commerciales concourent au financement des activités de service public et contribuent directement à la réalisation des missions de service public de France Télévisions . Le contrôle du rapporteur spécial s'est concentré sur l'activité de france.tv studio, de france.tv distribution ainsi que celle des deux filiales cinéma , lui permettant de nourrir une réflexion plus globale sur le périmètre du groupe. Ces filiales visent, avant tout, à répondre à des problématiques qui ne font pas partie du coeur de métier du groupe public.

A. FRANCE.TV STUDIO : UN SI GRAND DÉFI

Filiale commerciale à 100 % du groupe France Télévisions, france.tv studio regroupe une société de production audiovisuelle, un laboratoire de sous-titrage (france.tv access), des activités de doublage, audiodescription et sous-titrage (label France Doublage) et un label - Histodio - dédié à la création d'oeuvres sonores originales à partir d'oeuvres littéraires. La filiale produit ainsi plusieurs émissions évènementielles, des programmes récurrents, les débats des cases documentaires ou les programmes ludo-éducatifs. Elle s'est dotée, en février 2021, d'une agence de presse, france.tv presse, chargée de produire des sujets pour les journaux du week-end de France 2 et les magazines du groupe.

Le volume d'heures produites par france.tv studio est ainsi passé de 677 heures en 2019 à près de 1 500 heures en 2021, avec une pointe à 1 812 heures en 2020. Son chiffre d'affaires global s'est élevé à 113 millions d'euros en 2021 contre 99,6 millions d'euros lors de l'exercice précédent, soit une progression de 13 %.

Progression du chiffre d'affaires par activité de france.tv studio
entre 2018 et 2021

( en millions d'euros )

Source : commission des finances, d'après les données transmises par france.tv studio au rapporteur spécial

Le chiffre d'affaires a doublé par rapport à 2018. Cette augmentation est principalement portée par l'activité de production, avec la mise en production du feuilleton quotidien de France 2 « Un Si Grand Soleil » à partir de 2018 et la reprise par france.tv studio de la production d'émissions de flux, à l'image de Télématin en 2019. France.tv studio se finance au travers de l'ensemble de ses activités et ne perçoit aucun apport annuel financier de France Télévisions. La filiale réalise un résultat net moyen de 4,8 millions d'euros annuel, qui lui permet de remonter des revenus au groupe France Télévisions : 3,9 millions d'euros annuels en moyenne ces quatre dernières années.

1. Une montée en puissance affichée mais insuffisamment ambitieuse

L'investissement total de France Télévisions dans la création audiovisuelle atteint aujourd'hui, 440 millions d'euros. L'accord interprofessionnel conclu par France télévisions le 9 juillet 2019 permet à france.tv studio de produire ou coproduire des oeuvres financées par France Télévisions à hauteur d'environ 75 millions d'euros (part dépendante). Cet accord porte en effet à 82,5 % la part de contribution de France Télévisions consacrée au développement de la production indépendante au sens de l'article 15 du décret n° 2010-747 du 2 juillet 2010 (contre 75 % aux termes de l'accord précédent datant de 2015) et à 17,5 % la part réalisée par sa filiale de production (contre 12,5 % précédemment).

L'ambition affichée est désormais de faire de france.tv studio le premier producteur de contenus pour le service public, qu'il s'agisse d'oeuvres patrimoniales de fictions et de documentaires mais aussi de production de programmes de flux. Elle est louable dans un contexte marqué par l'émergence des plateformes mondiales, qui disposent tout à la fois d'une capacité de production en propre et des droits sur les contenus qu'elles produisent. Reste que la part dépendante ne représente actuellement qu'environ 13 %, la moitié de celle-ci étant fléchée vers la production du feuilleton « Un si grand soleil », dont le potentiel en matière d'exploitation sur d'autres supports que la diffusion en direct ou d'exportation apparaît très limité, sans parler de son adéquation plus que ténue avec les missions assignées au service public.

S'il apparaît illusoire de faire de France Télévisions un concurrent de la BBC en matière de production compte tenu à la fois des différences de moyens, de l'avantage linguistique que constitue l'anglais ou de la différence réglementaire, force est de constater que la montée en puissance du service public dans la production apparaît plus que relative . La politique en matière de création audiovisuelle et donc de production semble manquer, à des degrés divers, de sens de la prospective.

2. Une source d'économies ?

Afin de répondre aux objectifs de la trajectoire d'économies élaborée par le Gouvernement pour la période 2018-2022 (160 millions d'euros sur la période), France Télévisions a élaboré en 2019 un projet stratégique, intégrant notamment un plan de transformation des effectifs et la fin de la gestion directe des émissions produites en interne au profit de france.tv studio. À ce jour, seul le transfert de la production exécutive de Télématin a été réalisé en 2019, induisant le départ de 2 ETP vers france.tv studio. Une nouvelle étape est en cours de négociations afin de transférer de nouveaux programmes. 75 salariés seraient concernés. Leur départ s'effectuerait sur la base du volontariat. Il conviendra cependant de clarifier la nature des économies engendrées par ces transferts et de vérifier ainsi que les coûts ne sont pas in fine supportés par l'assurance-chômage. Près de 76 % des effectifs sont, en effet, constitués d'emplois non permanents, parmi lesquels sont comptabilisés 335 intermittents du spectacle et 30 journalistes pigistes.

B. LES FILIALES CINÉMA : UNE ORGANISATION À RÉVISER

Créées respectivement en 1980 et en 1984, France 2 Cinéma et France 3 Cinéma répondent au cahier des charges de France Télévisions qui prévoit que le groupe public contribue à la diversité de la production cinématographique et soutient un cinéma d'initiative française et européenne « fort, pluriel et indépendant ». France 2 Cinéma a contribué à la production de 1 132 films depuis sa création et France 3 Cinéma a participé au financement de 966 films depuis son lancement. L'existence des deux filiales est avant tout garantie par la subvention d'équilibre versée par France Télévisions. Celle-ci atteignait en 2021 10,5 millions d'euros pour France 2 Cinéma et 8,3 millions d'euros pour France 3 Cinéma.

1. Un investissement annuel de 60 millions d'euros

L'accord trouvé avec le Bureau de liaison des organisations du cinéma (BLOC) et la société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP) le 27 février 2020 sur l'exposition du cinéma dans les offres de France Télévisions table sur un investissement des filiales cinéma, d'au moins 60 millions d'euros par an dans les oeuvres de cinéma européenne et d'expression originale française, soit plus que les 3,5 % de chiffre d'affaires de chacune des deux chaines retenus jusqu'alors.

Montant des investissements des filiales cinéma de France Télévisions
depuis 2018

(en millions d'euros)

Source : commission des finances, d'après les données transmises par France Télévisions au rapporteur spécial

Les investissements des deux filiales publiques prennent la forme de coproduction, de « parts producteurs » et de préachats de droits de diffusions en direct (linéaire) et sur plateforme (non linéaire). L'accord de 2020 prévoit, par ailleurs, la diffusion de 250 films de cinéma par an sur les antennes hertziennes et l'exposition d'au moins 50 oeuvres sur sa plateforme et que France Télévisions puisse acquérir pour les films de cinéma qu'elle a préfinancés des droits de mise à disposition en télévision, pendant une durée maximale de 7 jours.

2. Une valorisation insuffisante ?

En 2018 et 2019, les coproductions de France 3 Cinéma ont cumulé respectivement près de 13,5 millions d'entrées et 11,2 millions d'entrées (373 000 entrées en moyenne par film produit). Le taux de retour sur investissement historique de la filiale de France 3 au 31 décembre 2021 était stable à 50 % de l'investissement en part producteur. Celui de France 2 Cinéma atteignait, quant à lui, 60 %, les films coproduits cumulant 12,9 millions d'entrées en 2018 puis 17,21 millions d'entrées en 2019 (521 000 entrées par film produit).

Il apparaît difficile de fixer des objectifs de retour sur investissement tant au regard de l'impératif, pour le service public, de soutenir une production indépendante et pour partie exigeante, que de l'incertitude entourant une reprise de la fréquentation en salles dans un contexte de sortie de la crise sanitaire. Il est cependant possible de s'interroger sur la valorisation a posteriori sur les antennes du groupe des films coproduits . Les films issus du catalogue des deux filiales ne représentaient en effet en moyenne que 40 % des films diffusés en première partie de soirée sur les chaînes du groupe entre 2018 et 2021, soit un taux quasi équivalent aux films étrangers.

Les modalités de diffusion peuvent également intriguer : sur les 297 films inédits produits par les deux filiales diffusés sur les antennes du groupe public depuis 2018, 165, soit 55 % d'entre eux, n'ont pas été diffusés en première partie de soirée. La modification du régime de diffusion des oeuvres cinématographiques sur les services de télévision, intervenue en pleine crise sanitaire constitue pourtant une réelle opportunité pour une plus grande diffusion de ces oeuvres sur le service public. La mise en avant des films réduirait pourtant le coût de la grille des programmes, en minorant le budget dédié aux acquisitions.

3. Une fusion inévitable ?

L'existence des deux entités est censée garantir une variété des projets coproduits, France 3 Cinéma finançant notamment spécifiquement le cinéma d'animation . Il s'avère cependant que la distinction entre les deux filiales peut apparaître artificielle compte-tenu de l'existence, depuis septembre 2018, d'un comité de concertation mensuel sur les investissements entre les deux entités. Les projets présélectionnés par chacune des filiales y sont présentés. La présidente-directrice générale de France Télévisions, le directeur des antennes et des programmes du groupe et le directeur cinéma sont membres de ce comité. Il n'y pas de réelles économies budgétaires à attendre d'une éventuelle fusion : le nombre d'ETP (6 pour chacune des entités) est réduit et les coûts de fonctionnement sont déjà limités mais la transformation en une seule entité aurait le mérite d'une certaine cohérence au regard de l'organisation de la programmation cinématographique sur les antennes du groupe public. Un directeur unique du cinéma a ainsi été nommé en février 2021.

Par ailleurs, seuls 45 % des films produits par France 2 Cinéma diffusés sur les antennes du groupe public depuis 2018 l'ont été sur France 2, alors que les deux guichets sont censés obéir à des logiques différentes, prenant en compte la spécificité des deux chaînes. La fusion permettrait, en outre, de lever une ambiguïté quant au rôle de France 5 dans le financement de la création cinématographique.

C. FRANCE.TV DISTRIBUTION ET LA QUESTION DES DROITS

1. Une filiale au service de la diversification des ressources

Disposant du statut de société anonyme, france.tv distribution est une filiale à 100 % du groupe public depuis 1990, en charge de la diversification des ressources. Son activité se décline autour de cinq axes :

- la distribution internationale de programmes et la vente des droits afférents ;

- la gestion des parts producteurs pour le compte de France Télévisions ;

- la vente de licences pour le développement de produits autour des programmes du service public, principalement livres et magazines, jeux. 500 contrats de licence sont ainsi actifs sur une cinquantaine de marques. Plus de 100 parutions sont enregistrées chaque année ;

- le divertissement : co-exploitation de spectacles et expositions (10 événements par an), coproductions d'album (80 par an), recherche de nouveaux talents ;

- l'édition de DVD et de Blu-Ray et la mise en avant d'un catalogue de vidéo à la demande (VOD).

Le chiffre d'affaires de France.tv distribution a atteint 50,4 millions d'euros en 2021, soit une progression de 11 % (5,2 millions d'euros) par rapport à 2020.

Répartition du chiffre d'affaires de france.tv distribution par activité

( en pourcentage )

Source : commission des finances, d'après les données transmises par france.tv distribution au rapporteur spécial

La totalité des ressources de france.tv distribution sont constituées de ressources propres. La filiale remonte, par ailleurs, des ressources au groupe avec une moyenne de 11 millions d'euros sur les trois derniers exercices. En diminution de 22 % depuis 2019, le nombre d'ETP opérant dans la filiale s'élève à 56. Ils ne sont pas comptabilisés au sein de ceux de France Télévisions.

France.tv distribution ne couvre pas tout le champ de la diversification , certaines activités étant gérées directement par France Télévisions ou france.tv publicité, la régie publicitaire du groupe. Il en va ainsi des activités digitales, des podcasts ou du contenu de marque ( brand content ). Un tel éclatement peut interroger à l'heure où France.tv distribution semble atteindre un plafond de verre en matière de diversification des ressources au regard des difficultés rencontrées sur le marché des droits.

2. Une stratégie à revoir

France.tv distribution dispose d'un catalogue de droits relativement étoffé , représentant 8 000 heures de programmes environ. Le pôle distribution a ainsi généré 18,6 millions de chiffre d'affaires en 2021, abondé pour partie par la vente des droits de séries coproduites par France Télévisions : « Dix pour cent » (Canada, Royaume-Uni, États-Unis, Chine, Inde, Vietnam), « Derby Girl » (Royaume-Uni) ou un « Un si grand soleil » (Grèce, Turquie). Ces succès ne doivent pas occulter une concurrence accrue, dans un contexte marqué par l'affirmation des plateformes en quête effrénée de programmes pour alimenter leurs offres. Le décret du 30 décembre 2021 dit décret TNT consacre cette évolution en interdisant aux filiales d'éditeurs l'accès aux mandats de distribution (que les oeuvres soient coproduites ou préfinancées), si le producteur dispose d'une capacité de distribution. Sur les cinq dernières années, france.tv distribution ne possédait déjà que 40 % des mandats de commercialisation des oeuvres coproduites par France Télévisions.

L'ouverture, au second semestre 2022, des négociations avec les organisations représentatives de producteurs en vue de donner une suite à l'accord interprofessionnel de juillet 2019 qui arrive à expiration peut ainsi constituer une opportunité pour renforcer le rôle de france.tv distribution, en échange, le cas échéant, du maintien au niveau actuel de sa part de production dépendante. Celle-ci peut en effet être portée à 33 % aux termes du décret TNT. Pour mémoire, BBC Studios a réalisé 1,2 milliard de livres de chiffre d'affaires en 2021, remontant 151 millions de livres de profit à la BBC. S'il est inopportun de comparer les deux entités, il existe cependant, en matière de distribution de droits de programmes coproduits ou préfinancés, des gisements de recettes insuffisamment exploités qui implique une véritable réflexion stratégique.

Au-delà de ces considérations juridiques, le rapporteur spécial a été alerté au cours de ses auditions sur les difficultés constatées ces dernières années sur le fonctionnement même de la filiale . Celle-ci a ainsi connu, depuis 2015, 4 présidents-directeurs généraux différents, le mandat des trois derniers d'entre eux n'excédant pas deux ans. La rotation des équipes a également été ciblée, avec une incapacité, selon certains acteurs du secteur, à garder les « talents ». Cette instabilité relative affaiblit à n'en pas douter la capacité à récupérer de nouveaux mandats de distribution.

II. SALTO, DERNIER ÉPISODE D'UNE SÉRIE DE PRISE DE PARTICIPATION SANS RÉEL INTÉRÊT

1. Un abandon à la fois progressif et nécessaire des chaines thématiques

Le contrat d'objectifs et de moyens 2013-2015 fixait notamment comme objectif à France Télévisions de compléter son offre de programmes « par des chaînes thématiques pour rencontrer l'ensemble des publics ».

L'acquisition de chaînes thématiques payantes diffusées sur les bouquets satellite devait notamment permettre de :

- dégager des recettes nouvelles ;

- développer un second marché et encourager ainsi la création ;

- offrir à des programmes emblématiques du service public une nouvelle exposition et s'ouvrir ainsi à de nouveaux publics.

La mise en avant de cet objectif vient confirmer une stratégie entamée par le groupe public en 1992 avec la création de France Supervision, progressivement dédiée à la musique, suivie de prises de participation au sein d'Euronews, Gulli ou Planète +. L'émergence de la télévision numérique terrestre, lancée en mars 2005 puis étendue en 2012, n'a, dans un premier temps, pas remis en question cette politique. La fin du COM 2013-2015 coïncide cependant avec l'arrêt de cette diversification, la tutelle insistant désormais, à raison, sur le rapprochement entre les entités du service public et le développement de synergies. Ce changement d'orientation conduit France Télévisions à se lancer dans un mouvement de désengagement . Ne reste aujourd'hui qu'une participation de 34 % au sein du capital de Planète + Crime. France Télévisions a indiqué au rapporteur spécial sa volonté de céder celle-ci au groupe Canal+, qui n'a pas donné suite.

Encouragée un temps par la tutelle, la stratégie de diversification via les chaînes thématiques a conduit à délaisser la recherche de synergies ou de lancement de nouveaux formats avec les autres sociétés de l'audiovisuel public, au prix de prises de participations dont il est aujourd'hui difficile de cerner les bénéfices qu'elles ont pu procurer.

2. Un échec annoncé : SALTO

La création de la plateforme SALTO a été annoncée le 15 juin 2018 par les groupes TF1, France Télévisions et M6. Elle est conçue comme une réponse nationale commune à la pénétration croissante des plateformes de vidéo à la demande, pour l'essentiel américaines. Les groupes France Télévisions, TF1 et M6 détiennent chacun un tiers du capital de la société. Le chiffre d'affaires de SALTO a atteint 17,1 millions d'euros fin 2021. À la même date, le nombre d'abonnés était estimé à 523 000 dont 397 000 abonnés payants. Il convient de rappeler que Netflix avait atteint 750 000 abonnés en moins d'un an en France lors de son lancement en 2014.

Taux de pénétration des services de VAD au sein de la population abonnée
en France au quatrième trimestre 2021

(en pourcentage)

Source : commission des finances d'après le baromètre OTT NPA Conseils / Harris interactive

Le groupe public a fait apparaître, au titre de cette activité, une perte de 10,9 millions d'euros en 2020 puis de 31,1 millions d'euros en 2021. Il se trouve donc en position de combler les pertes d'un service mettant notamment en vente des séries produites initialement pour le service public et financées à ce titre par la ressource publique.

L'avenir de la présence de France Télévisions au sein de SALTO est aujourd'hui conditionné aux suites données au projet de fusion TF1-M6 et à la volonté des deux acteurs privés de faire de la plateforme un service dédié à leurs programmes. Toutes les parties ont officialisé, dans un communiqué de presse publié le 24 mars 2022 le rachat, en cas de réalisation de la fusion, de la participation de France Télévisions pour un montant de 45 millions d'euros. Cette somme correspondrait à l'intégralité de l'investissement de France Télévisions au sein de SALTO, chiffre pour l'heure invérifiable faute de précision sur les investissements réalisés en 2022.

Si plateforme avec d'autres acteurs il doit y avoir, le rapporteur spécial privilégierait un rapprochement avec les autres sociétés de l'audiovisuel public - ARTE, Radio France, France Médias Monde, Institut national de l'audiovisuel - aux fins de développement d'une véritable offre de service public à la demande. Ce regroupement permettrait de mutualiser des investissements aujourd'hui réalisés en silo. Un rapprochement des médias de services publics européens en vue de la création d'une plateforme commune, sous l'égide de l'Union européenne de radio-télévision, devrait également être envisagé.

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