C. UN BESOIN D'ACCOMPAGNEMENT DES MAIRES ET DE PLUS GRANDE VALORISATION DES ÉDIFICES RELIGIEUX

1. Des maires souvent très démunis face à cette problématique

• Une connaissance souvent partielle de leurs droits et obligations

Le régime de l'affectation cultuelle, qui est propre au système juridique français, se traduit par une répartition des responsabilités entre le maire, représentant de la commune propriétaire, et le curé affectataire , de nature à dérouter certains nouveaux élus. Comme le résume Anne-Violaine Hardel, directrice du service juridique de la Conférence des évêques de France, « le régime de l'affectation légale au culte limite les prérogatives du maire qui ne dispose pas de la jouissance de l'édifice ».

La gestion quotidienne de l'édifice suppose donc une bonne coopération entre le maire et le curé affectataire . Même si les litiges sont extrêmement rares, des frictions sont régulièrement constatées entre le maire et le curé affectataire ou entre le maire et la communauté de fidèles. Ces conflits, souvent nuisibles à la préservation de l'édifice, mettent en lumière, d'une part, une formation sans doute insuffisante des nouveaux élus aux modalités de gestion du patrimoine religieux, et d'autre part, un manque d'instances de concertation. Dans bien des cas, les conflits pourraient s'apaiser si les élus et les affectataires étaient mieux sensibilisés à leurs droits, obligations et à leurs enjeux respectifs et si le dialogue entre eux était facilité.

• Des difficultés de financement

Les maires, en particulier ceux à la tête de petites communes, font état d'un important frein budgétaire pour le bon entretien et la restauration des édifices cultuels dont ils ont la charge. L'entretien irrégulier des bâtiments et les réparations inadaptées auxquelles il a parfois été procédé par le passé se traduisent par des dépenses de restauration onéreuses et souvent disproportionnées par rapport aux capacités budgétaires des municipalités. Les maires déplorent ainsi la disparition de la dotation d'action parlementaire, qui contribuait chaque année au financement de la restauration d'édifices.

Les communes peuvent pourtant bénéficier de subventions de la part des autres collectivités publiques pour les travaux de restauration qu'elles engagent sur ces édifices, même si le code général des collectivités territoriales prévoit, en principe que « la participation minimale du maître d'ouvrage est de 20 % du montant total des financements apportés par des personnes publiques au projet » (article L. 1111-10). Des dérogations à cette règle peuvent cependant être autorisées par le préfet lorsque les travaux de restauration sont justifiés par l'urgence ou par la nécessité publique ou lorsqu'il considère que le montant de la participation restant à la charge du maître d'ouvrage serait disproportionné compte tenu de ses capacités financières.

Le niveau des aides des collectivités publiques varie selon que l'édifice est ou non protégé au titre des monuments historiques. Ainsi l'État, via les directions régionales des affaires culturelles, n'intervient-il qu'en faveur du patrimoine religieux protégé , le taux de subvention accordé par l'État étant supérieur pour les édifices classés (en moyenne 50 %) par rapport aux édifices inscrits (en moyenne 28 %). Les crédits de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) ou de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) servent néanmoins chaque année à la restauration ou à la mise aux normes d'édifices religieux non protégés.

Les régions et les départements accordent également des subventions aux communes pour l'entretien et la restauration de leur patrimoine. La majorité des subventions est orientée vers le patrimoine protégé, mais une aide à la préservation du patrimoine non protégé est possible. Les modalités de subventionnement (taux, type de patrimoine) par les départements et les régions diffèrent selon les territoires.

Ces modalités de subventionnement variable expliquent partiellement les disparités qui peuvent exister dans l'état sanitaire du patrimoine religieux en fonction de son degré de protection et entre les territoires. En l'absence de guichet unique pour le traitement des différentes demandes de subvention, le tour de table financier s'avère souvent une opération longue et complexe pour les communes demandeuses.

Ces dernières années, le secteur privé s'est montré de plus en plus présent pour accompagner la préservation de ce patrimoine . Plusieurs fondations interviennent dans ce domaine. C'est en particulier le rôle de la Sauvegarde de l'art français, dont le principal objet est de contribuer au sauvetage des églises rurales.

Si les entreprises mécènes apparaissent peu attirées par le fait de soutenir les projets de restauration portant sur des édifices cultuels, exception faite du chantier de Notre-Dame de Paris, le grand public s'y montre en revanche sensible. Le Loto du patrimoine a ainsi permis de contribuer au financement de la restauration de 182 édifices depuis son lancement (soit environ 30 % des projets bénéficiaires). La Fondation du patrimoine organise chaque année des collectes auprès du public, avec pour vertu de mobiliser la population locale en faveur de son patrimoine. Parallèlement, l'entreprise de financement participatif Dartagnans a également organisé des levées de fonds en faveur du patrimoine religieux au cours des dernières années (environ 15 % de son activité liée au financement participatif).

Sans nier les problèmes de financement, ces exemples démontrent que les difficultés financières peuvent être, dans une majorité des cas, surmontées à condition que les communes sachent à qui s'adresser et parviennent à mobiliser autour du projet de restauration, ce qui exige de lui donner du sens .

• Des difficultés techniques

Les maires souffrent d'un déficit d'ingénierie pour monter et conduire leurs opérations . Ils ne savent souvent pas de quelle manière entretenir et restaurer ce patrimoine, les procédures applicables et les interlocuteurs vers lesquels ils peuvent se tourner, y compris pour les aider à penser un véritable projet au-delà de la simple restauration.

De l'avis de l'ensemble des personnes auditionnées, ces difficultés techniques apparaissent aujourd'hui comme le principal frein à la réalisation des projets .

Comme le relevaient Michel Dagbert et Sonia de La Provôté dans leur rapport consacré aux maires face au patrimoine historique architectural 2 ( * ) , beaucoup d'entre eux n'ont pas toujours le réflexe de faire appel à l'architecte des bâtiments de France au moment d'entamer leur projet, même lorsque l'édifice est protégé au titre des monuments historiques.

Il faut reconnaître que les moyens des services de l'État dans les territoires leur permettent de moins en moins de répondre aux demandes dont ils font l'objet . Exception faite de la région Bretagne, les conservations régionales des monuments historiques ne sont plus en mesure d'assurer un service d'assistance à maîtrise d'ouvrage, qui aurait pourtant dû être une contrepartie au transfert au propriétaire de monuments historiques de la maîtrise d'ouvrage sur les travaux par l'ordonnance n° 2005-1128 du 8 septembre 2005 relative aux monuments historiques et aux espaces protégés.

Si certains services de collectivités territoriales ont pris le relais, toutes n'ont pas les compétences, laissant de nombreuses zones du territoire non couvertes. L'offre privée en matière d'assistance à maîtrise d'ouvrage sur le territoire est elle aussi lacunaire et disparate. Il en résulte des situations d'une grande hétérogénéité sur le territoire qui sont globalement préjudiciables à la préservation du patrimoine .

En dépit de l'enjeu, il semble cependant peu probable que l'État se dote des moyens nécessaires pour relancer son activité en matière d'assistance à maîtrise d'ouvrage si l'on en juge par la teneur des échanges avec les services du ministère de la culture. C'est donc au niveau des collectivités territoriales qu'il appartient d'inventer des solutions et de faire en sorte que cette décentralisation de facto ne vienne pas creuser les inégalités territoriales.

2. Une valorisation encore réduite malgré les possibilités offertes

La mise en valeur des édifices n'apparaît pas toujours à la hauteur ni des trésors architecturaux qu'ils constituent, ni des trésors artistiques qu'ils recèlent . La crainte d'actes de vol ou de vandalisme conduit à maintenir fermés de nombreux édifices, faute de solution de gardiennage en dehors des horaires des célébrations. Les objets mobiliers ne sont pas toujours présentés au public. Les supports de visite font souvent défaut.

Cette mise en valeur revêt pourtant un enjeu majeur pour éveiller l'intérêt du public à leur importance et permettre à chacun de se les réapproprier . Les chiffres montrent clairement que les édifices religieux sont attirés par ce type de patrimoine : ils sont les monuments patrimoniaux les plus visités par les Français. En 2019, 44 % d'entre eux (48 % s'agissant des moins de 25 ans) indiquaient avoir visité un monument religieux au cours des douze derniers mois, un chiffre en progression constante depuis 2012 (37 %), d'après une étude du Crédoc réalisée à la demande de la direction générale des patrimoines.

Une plus grande valorisation du patrimoine religieux constitue sans doute l'une des meilleures clés pour en faciliter la préservation : plus ce patrimoine sera signifiant et utile pour le plus grand nombre, plus la charge de son entretien et de sa restauration sera acceptée. Cet axe est d'autant plus important qu'il est susceptible de générer des retombées économiques en renforçant l'attractivité touristique de la commune et d'améliorer le bien-être de ses habitants.

Il faut reconnaître que la loi du 9 décembre 1905 reste relativement muette sur la question de la valorisation patrimoniale des édifices religieux et de leur éventuelle exploitation touristique .

Elle mentionne la possibilité de visites des édifices, même si celles-ci se limitent aux jours et horaires prévus à cet effet par l'affectataire, après approbation du préfet. Son article 17 dispose que « la visite [...] et l'exposition des objets mobiliers est publique : elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance ». Cette gratuité est toutefois tempérée par les dispositions du code du patrimoine, qui autorisent la perception d'un droit de visite des objets mobiliers classés à raison des charges de garde et de conservation supportées par le propriétaire (article L. 622-9), ainsi que par les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques, qui donne la possibilité de fixer un droit d'entrée pour la visite de certaines parties d'édifices cultuels dont le bénéfice peut être partagé par la collectivité propriétaire et l'affectataire (article L. 2124-31).

La loi de 1905 prévoit également, en son article 16, le classement des « édifices représentant, dans leur ensemble ou dans leurs parties, une valeur artistique ou historique », ce qui a permis aux édifices ainsi classés le bénéfice des règles en matière de visite et de valorisation applicable aux monuments historiques. Pour les autres, le principe de l'affectation cultuelle a longtemps, si ce n'est empêché, du moins rendu plus délicate leur valorisation , puisqu'il interdit à la fois au maire d'utiliser l'édifice à sa guise et à l'affectataire de l'utiliser à des fins autres que son culte. Contrairement à d'autres pays, la législation française n'autorise pas la désaffectation partielle ou la double affectation qui faciliteraient le développement des usages mixtes.

La jurisprudence a toutefois permis peu à peu d'évoluer vers un usage cultuel moins exclusif des édifices , aboutissant en 2006 à inscrire dans la loi la possibilité qu'ils soient utilisés pour des « activités compatibles avec l'affectation cultuelle » à l'instar des expositions, des concerts ou des visites (article L. 2124-31 du code général de la propriété des personnes publiques précité). L'organisation de ces activités demeure subordonnée à l'accord préalable du desservant . Cette règle vaut pour tous les édifices cultuels, y compris ceux qui ne sont presque plus utilisés à des fins cultuelles. Le juge admet néanmoins qu'une commune puisse organiser, sans avoir à recueillir l'accord préalable du desservant, des visites de certains aménagements de l'édifice, dès lors que celles-ci ne perturberaient pas l'exercice du culte et seraient compatibles avec son affectation (Conseil d'État, 20 juin 2012, Commune des Saintes-Maries-de-la-Mer ). En l'espèce, cette décision concernait l'organisation par la commune de visites touristiques payantes du toit-terrasse de l'édifice.

Cette base légale ouvre de larges perspectives en matière de valorisation des édifices cultuels appartenant aux communes. La possibilité offerte par la loi de percevoir une redevance domaniale sur ces activités est susceptible d'avoir un effet incitatif sur les maires comme sur les affectataires.

Même si les possibilités offertes par cet article n'ont pas encore donné leur pleine mesure, les auditions ont mis en évidence une véritable évolution de l'ensemble des parties en faveur d'un plus grand usage partagé des édifices cultuels . Longtemps muette sur ce sujet, la Conférence des évêques de France semble y voir dorénavant une opportunité pour que ce patrimoine demeure vivant et qu'il redevienne un lieu central de la vie sociale communale, dès lors que sa vocation cultuelle demeure prioritaire. Une enquête réalisée par la Caisse d'Épargne pour la Fondation du patrimoine en 2016 avait déjà révélé que 71 % des répondants se disant de confession catholique étaient même favorables à la réhabilitation des églises non entretenues en bâtiments civils.


* 2 Rapport d'information n° 426 (2019-2020) du 13 mai 2020 de M. Michel Dagbert et Mme Sonia de La Provôté, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales : « Les maires face au patrimoine historique architectural : protéger, rénover, valoriser ».

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