II. LES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION D'INFORMATION

Le cadre législatif actuel est suffisant afin de garantir la préservation et la valorisation des édifices . Aucune évolution législative n'apparaît donc nécessaire.

Outre qu'il serait déraisonnable de prendre le risque de rompre le subtil équilibre de la loi de 1905 , qui joue depuis plus de cent quinze ans un rôle fondamental pour la préservation de la laïcité et de la paix sociale, il apparaît inutile de modifier cette loi pour autoriser, par exemple, la désaffectation partielle ou la multi-affectation des édifices cultuels. D'une part, les possibilités désormais offertes par le code général de la propriété des personnes publiques ne font plus obstacle à des usages mixtes des édifices, sous réserve qu'il ne soit pas porté atteinte à leur affectation cultuelle. D'autre part, la désaffectation partielle et la co-affectation, autorisées par certaines législations étrangères, n'apparaissent pas compatibles avec le caractère sacré attaché aux édifices de culte catholique pris dans leur ensemble : leur partition n'est pas acceptable pour la Conférence des Évêques de France qui estime que le choeur ne saurait être dissocié des autres parties, toutes concourant à l'expression de la foi.

Le partage de la compétence en matière de conservation du patrimoine entre les différents échelons de collectivités ne paraît pas davantage devoir être remis en cause . Cette compétence partagée contribue à la préservation du patrimoine en multipliant le nombre d'acteurs impliqués et les sources de financement. La désignation comme chef de file de tel ou tel niveau de collectivité n'est jamais sans risque sur le niveau d'engagement des autres échelons aujourd'hui impliqués. La préservation du patrimoine passe par une meilleure mobilisation des compétences de chacun et une meilleure coordination de leurs actions .

A. ASSURER UNE MEILLEURE PROTECTION DU PATRIMOINE RELIGIEUX LE PLUS MENACÉ

1. Approfondir la connaissance de notre patrimoine religieux

Le travail d'identification constitue un préalable à toute politique de protection . Sans connaissance précise du patrimoine religieux, il est impossible d'assurer une protection adéquate et efficace de celui-ci, ni de favoriser son rayonnement. Ce n'est pas un hasard si la principale activité de l'Observatoire du patrimoine religieux consiste à réaliser un inventaire des édifices religieux. Toutefois, cette association manque de moyens pour le réaliser : elle s'appuie sur un réseau de correspondants bénévoles au niveau local et compte sur la participation du public pour enrichir sa base de données. Au-delà du dénombrement du nombre d'édifices, l'objectif de cet inventaire reste de documenter chaque édifice (situation juridique, aspect architectural et historique, état de conservation, usage).

Ce travail d'identification est indispensable pour éviter que ne disparaisse progressivement, dans l'indifférence générale, le patrimoine religieux, en particulier celui qui n'est pas protégé. Le dernier bilan du patrimoine religieux, réalisé dans les années 1980 sous l'égide du ministère de la culture, ne constitue pas une base suffisante. D'une part, il est sans doute incomplet, dans la mesure où seulement 38 000 édifices appartenant aux communes avaient alors été recensés. D'autre part, il mériterait d'être actualisé afin d'évaluer correctement le niveau des dégradations intervenues dans l'intervalle.

Même si l'inventaire général du patrimoine culturel a été décentralisé au niveau des régions, l'État conserve la possibilité de réaliser des opérations d'inventaire au plan national , conformément au II de l'article 95 de la loi n° 2004-809 relative aux libertés et responsabilités locales.

Deux opérations de ce type ont été lancées . L'une est relative au patrimoine littoral . Elle avait été justifiée par la volonté de disposer d'une vision territoriale d'ensemble permettant d'élaborer une politique raisonnée d'aménagement. L'objectif était notamment de déboucher sur des prescriptions méthodologiques pour la réalisation de l'inventaire. L'autre est relative au patrimoine industriel, scientifique et technique . Elle avait pour but de dresser un bilan de la manière dont ce patrimoine est étudié et d'en tirer des prescriptions méthodologiques, de faciliter l'élaboration de référentiels documentaires et de définir les champs dans lesquels des études ou des programmes se révéleraient nécessaires.

La mise en place d'une opération nationale apparaît pertinente d'un point de vue scientifique dans le cas du patrimoine religieux, afin de garantir une photographie complète de ce patrimoine et en tirer des conclusions pertinentes pour l'adaptation éventuelle des politiques publiques .

À défaut d'opération nationale préalable, il apparaîtrait indispensable que Régions de France, compte tenu de l'enjeu, lance un appel à toutes les régions pour réaliser de manière concomitante un travail d'inventaire sur le patrimoine religieux permettant de disposer, d'ici à 2030 , d'informations que l'État pourrait agréger et auxquelles il pourrait donner une visibilité nationale.

Recommandation n° 1 : Lancer une opération nationale d'inventaire du patrimoine religieux permettant de disposer d'une cartographie précise de ce patrimoine sur l'ensemble du territoire à l'horizon 2030.

Cette opération d'inventaire est également primordiale s'agissant du patrimoine mobilier. Depuis la décentralisation de l'inventaire, les interactions entre les services de l'inventaire et les conservateurs des antiquités et objets d'art (CAOA) apparaissent insuffisantes et disparates selon le statut des CAOA présents au niveau de chaque département .

Les CAOA sont en effet chargés, dans chaque département, pour le compte de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), de repérer les objets méritant une protection au titre des monuments historiques, de surveiller les objets protégés et d'aider les collectivités à les valoriser et à les restaurer. Ils jouent un rôle primordial dans la protection du patrimoine religieux mobilier. Leur fonction a d'ailleurs été créée, en 1908, à la suite de la loi de séparation des églises et de l'État, afin d'aider les inspecteurs des monuments historiques dans leurs opérations d'inventaire de manière à éviter la disparition d'objets mobiliers anciens. À l'origine temporaire, leur mission a finalement été pérennisée avec la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques.

Ces agents souffrent d'un problème de reconnaissance . S'ils perçoivent une indemnité de la part de l'État pour l'exercice de leurs missions, ils ne sont pas pour autant des fonctionnaires de l'État. Seulement la moitié relève de la fonction publique d'État ou de la fonction publique territoriale. Le décret n° 71-859 du 19 octobre 1971, qui régit leurs attributions, prévoit simplement qu'ils sont « choisi [s] parmi les personnes qui possèdent une compétence reconnue en matière d'art, d'archéologie et d'histoire, et qui résident dans le département ». Cette différence de statut entre les différents CAOA provoque des disparités dans la manière dont leurs missions sont exécutées selon les territoires.

Les CAOA ne disposent pas, à ce jour, d'une véritable base de données, interopérable avec la base Gertrude des services de l'inventaire en régions, ni avec celle de l'Office de lutte contre le trafic de biens culturels , permettant de documenter de manière précise, y compris par des photos, le patrimoine protégé au niveau national. Il s'agit d'un handicap, à la fois pour la documentation de ce patrimoine, ainsi que pour faciliter le retour dans leur lieu d'origine des objets religieux disparus ou volés.

Recommandation n° 2 : Doter les conservateurs des antiquités et objets d'art d'une base de données interopérable avec celle des services de l'inventaire en régions et celle de l'Office central de lutte contre le trafic de biens culturels permettant une documentation, y compris visuelle, de l'ensemble du patrimoine mobilier protégé.

2. Renforcer la protection des édifices particulièrement en danger

Certaines catégories d'édifices apparaissent aujourd'hui davantage menacées de démolition . Sur son blog, Benoit de Sagazan, directeur de l'Institut Pèlerin du patrimoine, a ainsi recensé 45 églises démolies entre 2000 et 2018, dont 17 datant du XIX e siècle et 23 du XX e siècle.

Ces chiffres démontrent que les édifices les plus récents sont, paradoxalement, ceux qui sont les plus menacés de disparition .

Le patrimoine religieux du XIX e siècle , qui représente environ le quart des édifices présents sur notre territoire, pâtit d'un manque d'intérêt pour leur conservation qui trouve son origine dans deux éléments :

- d'une part, la vaste dimension des édifices concernés qui, de ce fait, sont moins adaptés aux besoins actuels ;

- d'autre part, un certain désamour pour les styles architecturaux dans lesquels il a été bâti (néo-byzantin, néo-gothique, néo-médiéval...). Les édifices datant de cette période sont considérés comme des copies à la valeur patrimoniale et au potentiel touristique moindres que les édifices plus anciens.

Pour des raisons différentes, le patrimoine religieux du XX e siècle , notamment de sa seconde moitié, est lui aussi menacé en dépit des fortes mutations de l'architecture religieuse intervenues pendant cette période qui rendent sa préservation souhaitable.

La médiocrité des matériaux de construction utilisés et la durée de vie limitée du béton rendent le coût de leur restauration particulièrement onéreux.

Peu d'édifices sont aujourd'hui protégés au titre des monuments historiques . Le ministère de la culture estime que cette protection n'a pas vocation à s'appliquer aux immeubles les plus récents, construits il y a moins de cinquante ans, dans la mesure où elle est en principe irréversible et ne peut donc être décidée que sur la base d'un recul historique suffisant. Plus de cent cinquante églises et une cinquantaine de chapelles bénéficient, à défaut, du label « Architecture contemporaine remarquable ». Ce label n'offre cependant aucune véritable garantie en termes de protection puisqu'il ne crée pas de servitude d'utilité publique.

S'agissant des édifices de culte juif, une véritable inquiétude se fait également jour concernant l'avenir des synagogues en Alsace . Cette collectivité, qui a longtemps été l'un des foyers de la communauté juive en France, comptabilise près des deux tiers des synagogues construites sur le territoire français. La moitié d'entre elles auraient déjà été transformées, les membres de la communauté juive ayant, à l'exception des grandes villes, massivement quitté cette région suite aux persécutions intervenues pendant la période nazie. Il serait dramatique que ce patrimoine, qui constitue un témoin de la mémoire juive en Alsace et qui est parvenu à échapper à l'entreprise de destruction nazie, ne finisse aujourd'hui par disparaître, faute de protection.

Pour les différentes catégories d'édifices menacées, la mise en place de plans nationaux de sauvegarde devrait faire figure de priorité .

Ces plans devraient en particulier se traduire par le lancement de nouvelles campagnes de classement ou d'inscription des édifices remarquables ou représentatifs des styles de ces différentes catégories afin d'empêcher leur disparition totale. Cette idée s'inscrit dans le prolongement des dispositions de l'article 16 de la loi du 9 décembre 1905, qui prévoyait, dès l'origine qu'il devrait être procédé « à un classement complémentaire des édifices servant à l'exercice public du culte (cathédrales, églises, chapelles, temples, synagogues, archevêchés, évêchés, presbytères, séminaires), dans lequel devront être compris tous ceux de ces édifices représentant, dans leur ensemble ou dans leurs parties, une valeur artistique ou historique ».

Pour les édifices jugés remarquables appartenant aux associations cultuelles et qui seraient menacés de transformation ou de démolition suite à l'arrêt définitif de la célébration du culte, une réflexion pourrait également être engagée sur l'opportunité de faciliter le rachat d'un certain nombre d'édifices par des collectivités publiques afin d'assurer leur sauvegarde. Des aides de l'État spécifiques pourraient être mises en place à cette fin, dans la mesure où le rachat n'a de sens que si le bâtiment abrite ensuite un projet permettant de garantir leur entretien régulier.

Recommandation n° 3 : Adopter un plan national en faveur de la préservation du patrimoine religieux en péril permettant d'empêcher la disparition de certains types d'édifices aujourd'hui particulièrement menacés en garantissant la protection d'un certain nombre d'édifices (patrimoine religieux du XIX e et du XX e siècles, patrimoine juif en Alsace).

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