AVANT-PROPOS

La presse quotidienne régionale et départementale (PQR) est lue chaque mois par 43 millions de lecteurs sur tous les supports, soit les deux-tiers de la population.

Elle englobe 51 titres , déclinés en 91 versions locales et vendus à 6,6 millions d'exemplaires par parution en moyenne. Le nombre de publications est stable par rapport à 2010, malgré quelques opérations de regroupements. Elle emploie 5 700 journalistes en 2019, soit le tiers des effectifs de la presse écrite.

Maillon essentiel de la vie locale et de la démocratie, la PQR a subi ces dernières années un triple choc :

• l'assèchement de ses ressources et de son lectorat par les plateformes numériques ;

• la pandémie qui a accéléré la tendance lourde de l'érosion des ventes ;

• enfin, dernièrement, la très forte hausse de ses coûts de production , notamment avec l'explosion du prix du papier.

La PQR, longtemps protégée par la fidélité de son lectorat, a plus tardé que d'autres types de presse à réaliser les investissements nécessaires à son développement, et se trouve donc plus spécifiquement fragilisée aujourd'hui.

La mission d'information constituée par la commission de la culture du Sénat a réalisé un large travail d'écoute auprès de toutes les parties prenantes pour mieux appréhender la réalité d'une presse très diverse et enracinée dans les spécificités de ses territoires. Elle en conclut à la nécessité pour l'État d'accompagner le secteur dans sa mutation, sans pour autant se substituer aux éditeurs dans la redéfinition de leur modèle économique .

I. LA PRESSE QUOTIDIENNE RÉGIONALE : UN MAILLON ESSENTIEL DE LA DÉMOCRATIE CONSTITUÉ EN MONOPOLES TERRITORIAUX

A. LA PRESSE QUOTIDIENNE RÉGIONALE : UN ÉLÉMENT MAJEUR DE LA VIE LOCALE ET DÉMOCRATIQUE

1. La permanence ancienne d'un lien entre titres et territoires

Le développement de la presse quotidienne régionale et départementale (PQRD) dans notre pays a été rendu possible par la Révolution Française et l'article 11 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui dispose que « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement [...] ». Avec les débuts de la III e République, la presse locale se transforme en presse totale qui, pour reprendre la formule de la chercheuse Pauline Amiel, va « du village au monde ».

La presse quotidienne régionale constitue aujourd'hui un maillon essentiel de la vie locale et, au-delà, de la démocratie . Une étude 1 ( * ) publiée en avril 2019 par Jay T. Jennings et Meghan E. Rubado souligne ainsi les conséquences néfastes pour l'offre politique locale et la participation aux élections nationales de la disparition des journaux locaux dans certains comtés de Californie.

Pour reprendre les termes de l'ouvrage consacré par Franck Bousquet et Pauline Amiel à la presse quotidienne régionale 2 ( * ) « La PQR est donc bien une actrice qui, si elle ne crée par le lien local, l'entretient et lui permet d'être alimenté chaque jour » .

2. Une presse constituée de monopoles locaux

La PQR en France maille l'ensemble du territoire : il n'existe aucun endroit dans le pays qui ne dispose de « son » titre enraciné dans l'histoire locale. Il n'existe pas dans le pays de « désert médiatique », ce qui est un cas unique en Europe .

La presse quotidienne régionale s'est constituée au fil du temps sur la base de structures actionnariales et parfois familiales anciennes qui ont peu évolué ces dernières années.

Différents groupes dominent ainsi des territoires, souvent avec plusieurs titres, en évitant de se concurrencer frontalement par une forme d'accord tacite jamais remis en cause. Les politiques éditoriales sont cependant différentes. Ainsi, dans l'Est du pays, un même contenu peut être présent dans des titres différents, alors que le système des éditions en partie locale est privilégié à l'Ouest.

Les groupes de PQR se présentent donc comme des monopoles territorialisés dans le traitement et la diffusion de l'information locale. Cette structuration s'est étalée des années 1950 aux années 1980, avec en particulier la figure de Robert Hersant, qui a constitué un groupe de presse locale et nationale dominant le paysage français.

Huit groupes structurent aujourd'hui le territoire métropolitain :

Ø le groupe Rossel qui cible les Hauts-de-France, la région Grand Est et la région Normandie ;

Ø le groupe EBRA (propriété du Crédit Mutuel), réparti au sein des régions Grand Est, Bourgogne-Franche Comté et Auvergne-Rhône-Alpes ;

Ø le groupe SIPA-Ouest France qui couvre les régions Normandie, Bretagne et Pays-de-Loire ;

Ø le groupe SAPESO - Sud-Ouest , en position dominante sur la région Nouvelle-Aquitaine ;

Ø le groupe Centre France - La Montagne qui couvre les régions Auvergne-Rhône Alpes, Bourgogne Franche-Comté, Centre-Val de Loire et Nouvelle-Aquitaine ;

Ø le groupe La Dépêche du Midi , qui cible la région Occitanie ;

Ø le groupe Nice-Matin , propriété de la holding NJJ de Xavier Niel, axé sur les départements du Var et des Alpes-Maritimes au sein de la région Provence - Alpes - Côte d'Azur ;

Ø le groupe La Provence , en cours de cession, également centré sur la région Provence - Alpes - Côte d'Azur, mais aussi la Corse.

Source : commission d'enquête sur la concentration des médias

Les groupes EBRA et SIPA-Ouest France représentaient, à eux deux, près du tiers de la diffusion de la presse quotidienne d'Information Politique et Générale (IPG) en 2019 . Quelques titres indépendants, comme le Télégramme de Brest , sont encore en capacité de mener une existence autonome, les autres ayant été rachetés.

Au cours de ses travaux, la commission d'enquête sur la concentration des médias a entendu les présidents ou propriétaires de la moitié de ces groupes de presse 3 ( * ) , qui ont pu chacun publiquement s'exprimer sur les raisons de leur engagement et sur leur vision de l'avenir 4 ( * ) .


* 1 Political Consequences of the Endangered Local Watchdog: Newspaper Decline and Mayoral Elections in the United States https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1078087419838058 .

* 2 Franck Bousquet et Pauline Amiel, La Presse Quotidienne régionale, éditions La Découverte, 2022.

* 3 Nicolas Théry et Philippe Carli (groupe EBRA) et Louis Echelard (Ouest-France) le 10 janvier 2022, Jean-Michel Baylet (La Dépêche du Midi) le 3 février 2022 et Xavier Niel (Nice Matin) le 13 février 2022. Les trois premiers groupes ont été de nouveau entendus par la mission d'information.

* 4 Les auditions ont fait l'objet de captations et de comptes rendus disponibles sous ce lien : http://www.senat.fr/commission/enquete/2021_concentration_des_medias_en_france.html

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