II. LA SÉCURITÉ PENDANT LA CHASSE

Si beaucoup se joue avant la chasse, des progrès sont également souhaitables pour rendre plus opérantes les règles de sécurité pendant la chasse.

A. LES RÈGLES CONCERNANT LES CHASSEURS ET L'ORGANISATION DE LA CHASSE

La mission s'est tout d'abord intéressée aux règles de sécurité concernant l'organisation de la chasse elle-même et le comportement des chasseurs.

1. Des SDGC incomplets, vers l'uniformisation des règles de sécurité

Les règles de sécurité à la chasse sont définies dans les Schémas départementaux de gestion cynégétique, les SDGC. Ils doivent reprendre a minima les prescriptions légales (gilet fluorescent orange et panneautage). L'inscription de ces règles, sous une forme claire et impérative, conditionne la capacité juridique des inspecteurs de l'OFB de procéder à des contrôles et des verbalisations .

Lors de son audition, le directeur général de l'OFB a souligné que l'OFB avait été récemment condamné par un tribunal administratif pour avoir suspendu le permis d'un chasseur qui avait tiré sur un véhicule pour défaut de base légale, car le SDGC ne le précisait pas . Un autre cas similaire s'est présenté à la suite du non-respect des angles de tir.

Les SDGC sont écrits par les fédérations départementales des chasseurs (FDC) elles-mêmes et sont validés par les préfets. Ce fut un sujet d'étonnement pour la mission que les pouvoirs publics s'en remettent presque entièrement à l'autorégulation par les chasseurs sur les questions de sécurité .

Or, la mission a constaté une inscription très hétérogène des règles de sécurité élémentaire dans les SDGC et pointe l'insuffisante prise en compte de cet enjeu par nombre de FDC . Beaucoup de SDGC n'abordent pas ou ne font que recommander le respect de points fondamentaux ou importants au regard de l'accidentologie :

Règle de sécurité

Obligatoire

Recommandé

Non abordé

Tir fichant

34

17

48

Respect des 30°

37

26

36

Matérialisation des 30°

11

27

61

Interdiction du tir à l'intérieur de la traque

12

12

75

Interdiction du tir
vers les habitations

74

-

25

Carnet de battue

57

9

33

Rappel des consignes
avant la battue

56

11

32

Interdiction de l'arme chargée à la bretelle

4

21

74

Matérialisation des postes
de battue

9

27

63

Pour la mission, il est incompréhensible que l'obligation du tir fichant, du tir en dehors de l'angle de sécurité de 30° et donc sa matérialisation ne figure pas systématiquement dans les SDGC. Il en est de même de dispositions de « bon sens » comme l'interdiction de tirer vers une habitation, une route ou un véhicule et de transporter des armes chargées en dehors de l'action de chasse.

Au cours de ses auditions et déplacements, la mission a noté que l'angle des 30° n'était pas toujours bien compris. Des chasseurs n'ont pas assimilé qu'il doit s'appliquer systématiquement dès lors qu'il y a une zone à protéger, qu'il s'agisse d'une habitation ou d'un autre chasseur, et quel que soit le milieu. Proposé dès 1986 par l'ANCGG, certains ignorent encore qu'il s'agit d'un angle de sécurité permettant d'éviter les tirs fratricides et les ricochets. En effet, une étude fouillée réalisée par Denis Peltier, agent technique de la FDC du Loir-et-Cher et auditionné par la mission, a démontré que le ricochet était systématique, mais que seuls 2 % d'entre eux dépassent l'angle des 30°.

Au-delà du « cinq pas - trois pas », c'est-à-dire cinq pas dans la direction dangereuse puis trois pas à angle droit, l'angle n'est pas toujours si facile à apprécier et sa matérialisation est nécessaire pour le chasseur comme pour effectuer un contrôle visuel. De multiples dispositifs existent du picot fluorescent coûtant quelques euros à des dispositifs électroniques vibrants beaucoup plus technologiques et onéreux.

Source : FNC « Sécurité dix règles d'or ».

Il semble que l'OFB doive déployer une action spécifique et pédagogique à l'égard des fédérations, notamment à travers le guide qu'il fournit pour les aider à élaborer les SDGC. Il doit sans doute être beaucoup plus clair sur les questions de sécurité et sur la rédaction des obligations ou interdictions dans les SDGC, car de simples « recommandations » ne peuvent être sanctionnées.

Les préfets eux-mêmes doivent prendre toute leur responsabilité lors de l'endossement des SDGC et doivent pouvoir provoquer leur révision pour des motifs de sécurité .

Il est urgent que les SDGC incomplets soient révisés sans attendre la fin de leur validité qui est de six ans.

Proposition n° 15 :  Harmoniser au niveau législatif les principales règles de sécurité à la chasse au-delà des dispositions existantes et donner au préfet la possibilité de provoquer la révision du SDGC pour des raisons de sécurité sans attendre leur délai normal de renouvellement. Cela se traduirait par la modification des articles L. 424-15 et L. 425-1 du code de l'environnement.

2. Développer les postes surélevés pour garantir un tir fichant et renforcer les sanctions contre leur destruction ou sabotage

L'une des conditions essentielles d'un tir en sécurité est que le chasseur s'assure qu'il soit fichant , c'est-à-dire que la balle pénètre dans le sol. Autant un oiseau est tiré en sécurité lorsqu'on voit le ciel clair derrière, autant un sanglier sera tiré en sécurité si on voit le sol derrière. Un tir en crête est par exemple à proscrire absolument, car très dangereux.

Les conditions peuvent être plus difficiles, voire impossibles à réunir pour un chevreuil ou un cerf courant ou sautant pour un chasseur posté au sol.

C'est la raison pour laquelle, les fédérations de chasseurs investissent depuis de nombreuses années dans l'achat de miradors ou de postes surélevés . Selon la FNC, 92 % aident déjà les chasseurs à s'en doter. Par exemple, en Dordogne, plus de 7 000 miradors ont été subventionnés par la FDC depuis la saison 2013/2014.

L'ONF a indiqué à la mission que le coût d'un mirador était compris entre 65 et 200 euros, auxquels s'ajoute le temps de montage et d'installation qui est de l'ordre d'une demi-journée.

L'investissement est donc significatif. Il implique de maîtriser le territoire pour pouvoir y effectuer des installations permanentes ou d'obtenir l'accord du propriétaire. C'est pourquoi une alternative est l'utilisation de chaises pliantes surélevées et parfois le terrassement d'une aire de tir surélevée.

Néanmoins, il est bien évident que l'installation de miradors ne peut pas être systématique et doit être faite avec discernement en choisissant les lieux les plus appropriés et justifiés. Leur impact paysager ne doit pas non plus être négligé.

Les chasseurs déplorent également comme facteur limitant les nombreuses détériorations commises par les anti-chasse , qui ignorent souvent la mission essentielle des miradors au service de la sécurité.

Ces actes de vandalisme et de malveillance, qui occasionnent des dommages légers compte tenu du prix des miradors, sont susceptibles d'être punis d'une amende de 5 e classe, c'est-à-dire allant jusqu'à 1 500 euros. Ils ne tombent d'ailleurs que rarement sous le coup de l'article R. 428-12-1 du code de l'environnement qui réprime les actes d'obstruction concertés afin d'empêcher la chasse . Une contravention de 5 e classe étant également encourue.

Seuls les dommages importants constituent des délits, réprimés au titre de l'article 322-1 du code pénal si les dégradations réalisées n'entraînent pas de danger pour les personnes . Leurs auteurs encourent alors deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende ou, lorsque le bien détruit, dégradé ou détérioré est destiné à l'utilité publique et appartient à une personne chargée d'une mission de service public, ce qui peut être le cas des miradors, cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende 42 ( * ) .

Plus encore, lorsque ces destructions sont de nature à créer un danger pour les personnes , ce qui peut être le cas lors du sabotage des miradors qui peuvent mettre en danger la vie des tireurs et provoquer de graves accidents aux tiers, le premier alinéa de l'article 322-6 du code pénal est applicable : les auteurs des dégradations encourent alors dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende.

La mission propose en conséquence que le vol, la dégradation ou la destruction d'équipements contribuant à la sécurité de la chasse, comme les panneaux ou les miradors, puisse être réprimé explicitement par le code de l'environnement lorsqu'il n'en est résulté qu'un dommage léger, et donc constaté par les agents de l'OFB. Lorsque les dommages sont plus importants, ces actes continueraient d'être sanctionnés par le code pénal.

Proposition n° 16 : Soutenir l'action des fédérations de chasseurs en faveur des postes de tir surélevés. Inciter les assurances à favoriser cette action.

Renforcer les sanctions à l'encontre des actes de vol, de destruction et de sabotage des équipements de sécurité en punissant ceux n'occasionnant qu'un dommage léger d'une contravention de la cinquième classe. Lorsque ces actes conduisent à des dommages plus importants, ils continueraient d'être punis au titre du code pénal (entre deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende et 10 ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende, en fonction des dommages et de leur dangerosité pour les personnes).

3. Rendre visible la neutralisation de l'arme, une précaution simple

Nombre d'accidents sont liés à une arme chargée qui ne devrait pas l'être : chargée à la bretelle ou dans son étui de rangement, non déchargée et qui se referme lors du passage d'un obstacle, une cartouche encore engagée ou qui s'engage dans une arme semi-automatique...

Non seulement il y a chaque année des accidents mortels pour ces motifs (en moyenne, un tiers environ des accidents sont des auto-accidents), mais les armuriers témoignent qu'il n'est pas rare qu'on leur apporte pour entretien ou réparation une arme soigneusement rangée, mais toujours chargée...

Pour la sécurité de tous, il est temps d'adopter un témoin de chambre vide. Il est parfois commercialisé sous la dénomination « stop tir » en France, mais est connu sous celle de « safety flag » dans le monde anglo-saxon. Son coût est de quelques euros. Il pourrait d'ailleurs être distribué gratuitement par les assureurs.

Il garantit la neutralisation complète de l'arme, aucune munition ne pouvant être engagée et le coup ne pouvant partir par inadvertance, car l'arme ne peut pas se refermer.

Il permet un contrôle visuel immédiat de la mise en sécurité de l'arme par tous, chasseurs ou non.

Son usage est recommandé par une demi-douzaine de fédérations de chasseurs et il a été rendu obligatoire par la fédération française de tir . Il est également en usage dans la police et la gendarmerie.

Comme pour la ceinture de sécurité ou le casque à leur époque, la mission estime qu'un changement de comportement est nécessaire.

Proposition n° 17 : Rendre obligatoire l'utilisation d'un témoin de chambre vide pour garantir la neutralisation de l'arme et la rendre visible de tous.

4. Populariser des méthodes de chasse plus sûres

Un grand nombre d'accidents a lieu lors de chasses collectives et plus particulièrement de battues au sanglier où le tir doit être réalisé très rapidement, au saut de l'allée, et se fait très souvent dans une situation de stress et d'excitation.

Cette méthode de chasse, qui est en France la plus répandue avec la chasse aux chiens courants, n'est pourtant pas la seule efficace. Elle explique même le nombre élevé de balles tirées par animal prélevé, car le tir est plus difficile.

Dans les pays ou les fédérations où la chasse au grand gibier est ancrée de longue date, les méthodes d'affût au mirador ou d'approche sont plus répandues.

On peut s'étonner qu'en France, les tirs d'été, à partir du 1 er juin, restent limités alors que c'est une manière sûre d'effectuer les prélèvements, cette chasse s'effectuant très tôt le matin ou en soirée. Il en est de même des tirs de nuit autorisés en Alsace-Moselle.

Plus largement, la mission souhaite lever les obstacles au développement de la traque-affût qui est principalement promue dans notre pays par l'ONF et la Fondation François Sommer.

La traque-affût est une méthode de chasse qui mélange ces deux techniques. Des chasseurs sont postés, à l'intérieur de l'enceinte chassée, le plus souvent sur des miradors distants d'au moins 50 mètres (densité d'1/6 à 10 ha en moyenne). Cette position surélevée garantit un tir fichant et une bonne visibilité. Ils ont souvent un angle de tir très large pouvant aller jusqu'à 360°. Dans l'enceinte, des traqueurs silencieux par petits groupes se déplacent en faisant des lacets et provoquent le déplacement du gibier qui les esquive. Les traqueurs ne cherchent pas à faire sortir le gibier de la zone traquée comme dans une battue où le gibier est tiré au passage de la ligne des tireurs qui ceinture la zone traquée.

Le gibier qui n'est pas apeuré par du bruit ou des chiens se met en mouvement lentement. Des chiens peuvent toutefois être utilisés pour faire sortir les animaux de leurs remises. Le gibier peut alors être vu et identifié par les chasseurs qui tirent sur un animal quasiment immobile et de profil.

Alors qu'en battue un ratio de 7 balles par animal est observé, en traque-affût, il est rarement supérieur à 2 balles par animal mort . Les risques d'accident comme le nombre d'animaux blessés diminuent drastiquement .

Le fait de mettre en mouvement les animaux lentement sans chercher à les faire sortir de l'enceinte est également positif pour limiter les collisions routières avec des animaux en fuite .

Cette méthode diminue également considérablement la visibilité et l'empreinte de la chasse sur le territoire pour les non-chasseurs .

En théorie, elle doit permettre de réaliser le même tableau avec un nombre de journées de chasse et de tireurs divisé par cinq. Par ailleurs, les miradors étant situés à l'intérieur des enceintes, il n'y a plus de lignes de chasseurs avec des tenues fluorescentes le long des routes ou chemins...

En forêt communale d'Avallon, la mairie a choisi un groupe de chasseur pratiquant cette méthode pour minimiser les conflits d'usage. Elle a d'ailleurs accepté que la chasse ait lieu le dimanche, malgré sa volonté initiale, car il n'était pas possible à des chasseurs ayant une vie professionnelle active d'être disponibles un autre jour.

La Fondation François Sommer a pu démontrer que la traque-affût pouvait être mise en oeuvre sur de petits comme de grands territoires.

Naturellement, comme toute méthode de chasse, elle n'est pas une martingale . L'équipement en miradors peut être une difficulté. La méthode nécessite également une bonne préparation par l'équipe de chasse. Elle n'est pas non plus adaptée à tous les territoires pour des raisons géographiques ou de biotope. Là aussi, il faut faire preuve d'autant d'ouverture que de pragmatisme.

Cette chasse silencieuse et assez longue, impliquant de rester à un même poste jusqu'à trois heures de rang, n'est pas toujours appréciée des chasseurs qui peuvent préférer les récris des chiens et l'excitation de battues successives. On lui reproche aussi d'être moins conviviale.

Au-delà des préférences et traditions cynégétiques, la mission regrette que le développement de nouvelles méthodes de chasse ne soit aujourd'hui gêné , dans certaines fédérations ou sociétés de chasse, par crainte de la baisse du nombre de jours de chasse à offrir ou d'une efficacité préjudiciable à la pérennité d'un tableau abondant .

Dans certains cas, c'est l'interdiction du tir dans la traque par un SDGC qui ne distingue pas la traque-affût de la battue qui empêche l'implantation de cette nouvelle méthode dans un département.

Proposition n° 18 :  Populariser les méthodes de chasse plus sûres, dont la traque-affût, et lever les obstacles réglementaires lorsqu'ils existent.


* 42 8° de l'article 322-3 du code pénal.

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